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III - AFFAIRE CARREL : SCIENCE SANS CONSCIENCE

" On en arrive à souhaiter la domination de l’Europe par les Allemands " (18 octobre 1938). " Ici, la campagne juive contre les Allemands prend des proportions immenses " (4 novembre 1938). " Il y a cependant une énorme campagne bolchéviste et juive qui pousse à la guerre " (15 décembre 1938). " Parler à la radio oui mais la radio est entre les mains des Juifs " (4 janvier 1940). " Je voudrais provoquer une sorte d’Institut pour la régénération de l’individu et de la race " (8 juin 1941). " Seuls les Allemands étaient capables d’imposer l’ordre à l’Europe et en particulier à la France " (14 septembre 1943). Extraits de la correspondance d’Alexis Carrel cités par Alain Drouard : Une inconnue des sciences sociales, la fondation Alexis-Carrel, 1941-1945.

" Un savant prestigieux dont les écrits théoriques apparaissent, un demi-siècle après sa mort, relever d’une philosophie antidémocratique proche du racisme. " Rapport Comte, p. 33.
 
 

1-   LE RAPPORTEUR PRÉCONISAIT LE MAINTIEN DU NOM DE CARREL. 

Le 25 janvier 1996, la Faculté de Médecine de Lyon " Alexis-Carrel " décide de changer de nom. Il n’apparaît plus possible que des étudiants soient formés à l’enseigne d’un personnage qui préconisait l’élimination des faibles et des déficients et dont l’engagement politique d’extrême droite venait d’être révélé par les associations antiracistes. En 1992, déjà, une majorité des membres du Conseil d’Administration s’étaient prononcés pour l’abandon d’un patronyme contradictoire avec les missions humanistes de la Faculté, mais la majorité requise des deux tiers n’était pas atteinte. Une " commission de spécialistes " recommandait le maintien du nom de Carrel, contribuant ainsi à la prolongation d’une situation anormale et moralement intenable. Travail insuffisant ? Ignorance ou mauvaise foi ? Le rapport de la commission était rédigé notamment par MM. Bernard Comte et Alain Drouard, chercheur au CNRS connu pour ses sympathies carréliennes. Il exaltait le " savant ", minimisait l’idéologie et laissait de côté l’engagement de Carrel à l’extrême droite.

2-   CARREL ÉTAIT UN THÉORICIEN RACISTE ENGAGÉ À L’EXTRÊME DROITE. 

Au cours de l’année 1995, les associations (Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme, Cercle Marc Bloch, Golias, Ras l’Front, Sos-Racisme) organisent une conférence sur le racisme de Carrel, revendiqué par le Front National, et révèlent, documents à l’appui, son appartenance au Parti Populaire Français, le plus dangereux parti fasciste de l’avant-guerre. Le nom de Carrel apparaît parmi " ces intellectuels qui nous soutiennent, ceux qui sont effectivement membres de notre parti " dans le journal L’Émancipation Nationale. Cet aspect essentiel est ignoré de la commission de " spécialistes ". Mais n’avaient-ils pas assez de L’Homme, cet inconnu pour porter un jugement sûr, conforme aux exigences de l’éthique universitaire ?

" Il est nécessaire de faire un choix parmi la foule des hommes civilisés. Nous savons que la sélection naturelle n’a pas joué son rôle depuis longtemps. Que beaucoup d’individusinférieurs ont été conservés grâce aux efforts de l’hygiène et de la médecine. Que leur multiplication a été nuisible à la race ", explique Alexis Carrel dans son ouvrage publié en 1935 (chapitre VII : Le choix des individus, les classes biologiques et sociales). Ce seul trait aurait dû interdire à une Faculté de médecine de se placer sous un tel patronage. Il n’en fut rien. 

Carrel va pourtant plus loin. Il propose " le meilleur des mondes ". " Il ne faut pas hésiter à ordonner la société moderne par rapport à l’individu sain ", affirme-t-il. " Les systèmes philosophiques et les préjugés sentimentaux doivent disparaître devant cette nécessité. " Pour cela il suggère d’éradiquer la criminalité et la folie au moyen d’" établissements euthanasiques, pourvus de gaz appropriés ", des chambres à gaz. Que peut en penser un universitaire aujourd’hui ?

L’émission de la chaîne TLM programmée quelques jours après la débaptisation donne la réponse. MM. Alain Drouard et Bernard Comte sont opposés notamment à Jean-Pierre Cambier dans un dialogue qui éclaire les orientations de la " commission Carrel ". 

A. Drouard : " Je constate maintenant que l’accusation majeure contre Carrel n’est plus les chambres à gaz, mais devient le P.P.F. C’est assez intéressant à remarquer, parce que sur les chambres à gaz, le problème est réglé. "

J.-P. Cambier : " Pas du tout, pas du tout. Les chambres à gaz, les "établissements euthanasiques munis de gaz appropriés"... "

A. Drouard : " Oui, mais pour qui, M. Cambier ? Pour qui, M. Cambier ? De qui s’agit-il ? S’agit-il des Juifs ? S’agit-il de ceux qui ont le nez crochu ? [...] Il parle de qui ? De ceux qui ont tué, de ceux qui ont volé à main armée, de ceux qui ont enlevé des enfants ! Alors c’est un autre débat. Ce n’est pas le problème de l’euthanasie eugénique, c’est le problème de la peine de mort. On peut être pour, on peut être contre. Mais il faut replacer ce texte dans le contexte de l’époque. " (TLM, 1er février 1996.)

Le contexte de l’époque nous est donné dans la préface d’Alexis Carrel à l’édition allemande de son livre, en 1936 : " En Allemagne, le gouvernement a pris des mesures énergiques contre l’augmentation des minorités, des aliénés, des criminels. La situation idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éliminé quand il s’est montré dangereux. " Depuis 1933, l’Allemagne vit sous le régime hitlérien. A. Drouard dit sans sourciller : " Carrel fait cette concession pour la promotion de son livre. "

Bernard Comte intervient à son tour, quelques minutes plus tard : " On a fait un travail rapide en six mois où on a essayé justement de dégager les grandes avenues qui permettaient de juger la personnalité de Carrel. Je ne suis pas aussi savant là-dessus qu’Alain Drouard. " Atterrant.
 
 

3-   CARREL N’EST PAS UN SAVANT INCONTESTÉ.

La contestation du raciste Carrel a révélé d’autres facettes du personnage, elles aussi ignorées du Rapport Comte. Pour faire admettre le patronyme de Carrel malgré le racisme de ses théories et ses sympathies pour le régime hitlérien, le rapport s’abrite derrière l’image de " l’homme de science " et du " bienfaiteur ", " resté incontesté ". Pour les défenseurs des valeurs humanistes, ceci ne saurait évidemment suffire à excuser cela. Mais il s’avère de plus qu’Alexis Carrel, loin d’être un " savant incontesté ", est suspect de fraude scientifique.

Dès 1962, le Dr Brotteaux témoigne des conditions dans lesquelles Carrel avait attesté d’un " miracle " à Lourdes et de la réprobation qu’il s’était attirée de la part de son patron, le chirurgien Antonin Poncet. 

En 1980, J. A. Witkoski, chercheur au Hammersmith Hospital de Londres, fait paraître dans la revue Medical History un article " Dr Carrel’s immortal cells " (Les cellules immortelles du Dr Carrel), mettant en évidence la fraude probable qui a présidé à la " culture des tissus " dont Carrel se revendiquait. À cette étude fait écho le livre False Prophets. Frauds and errors in Science and Medicine de A. Kohn (1986). En France, le physicien du CNRS Bruno Escoubès, spécialiste de l’éthique des sciences, soulève la question dans la revue d’épistémologie Alliage (n° 10, 1991) : " Alexis Carrel, cet inconnu ". 

Enfin, en octobre 1996, Le Quotidien du Médecin porte le coup de grâce : " Lyon : Alexis Carrel fut-il un mystificateur ? " Le journal spécialisé expose les résultats d’une recherche concernant cette fois les mérites du chirurgien Carrel : " Il faut s’interroger désormais, si l’on en croit l’historien Claude Vanderpooten (Paris) sur les fondements mêmes de la notoriété mondiale de Carrel dès l’aube du siècle. " Ce chercheur soutient en effet, à partir de la consultation des archives, que la technique de suture des vaisseaux qui fit la gloire d’Alexis Carrel en 1902 et fut couronnée ensuite par le Prix Nobel, avait été mise au point six ans plus tôt par le chirurgien lyonnais Jaboulay, dont une communication avait paru le 19 avril 1896 dans le périodique Lyon Médical. " Les zones d’ombre du personnage restent nombreuses ", conclut Le Quotidien du Médecin

Alors " chirurgien virtuose et concepteur original " ? Le moins que l’on puisse dire est que sur cet aspect, comme sur les autres, le Rapport Comte n’est pas up to date.
 
 

4-   DÉBAPTISER ÉTAIT UNE EXIGENCE ÉTHIQUE ÉLÉMENTAIRE.

La débaptisation de la Faculté de Médecine de Lyon que les éléments d’extrême droite dénoncent comme " la deuxième épuration " (La Nouvelle inquisition, éditions du GRECE, 1993), le Rapport Comte la déplore comme le résultat de " pressions " extérieures. C’est insultant pour le Conseil d’Administration de l’Université Lyon I. Comme si les responsables étaient insensibles aux exigences éthiques qui ont présidé au changement de nom ! Le physicien Bruno Escoubès a une tout autre approche : " Imaginerait-on, demande-t-il, une École militaire "Maréchal-Bazaine", un foyer d’accueil pour vieilles dames "Henri-Désiré-Landru" ? Un institut de génétique "Tofim-Denissovitch-Lyssenko" ? " Il fait ainsi écho aux préoccupations citoyennes que ne peuvent ignorer les scientifiques sans perdre leur âme. 

Faut-il que les scientifiques veuillent à ce point préserver leurs pairs pour qu’ils soient sourds au mouvement de la société dans son exigence démocratique ? Au moment où la Faculté plonge dans ce débat, le 8ème arrondissement de Lyon souhaite voir la rue " Alexis-Carrel " changer à son tour. Le socialiste Yvon Deschamps porte ce vœu devant le Conseil municipal de Lyon, trouvant pour le contredire Bruno Gollnisch, professeur à l’Université Lyon III et élu du Front National (voir Affaire Lumière). Pour le symbole, la ville de Saint-Brieuc a choisi le nom d’Anne Frank pour remplacer celui du prophète de l’élimination des faibles. 

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