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L'enfer


Pendant l'été 1978, il a pris l'avion pour les cocotiers. Il est parti en
Guadeloupe. La petite maison de Coluche est une jungle. La vue est
imprenable. La propriété occupe le sommet d'un morne, Le Morne-au-Fou,
en surplomb de la plus belle baie des Antilles : Deshaies. Une longue plage en
arc de cercle, un bourg de cases aux toits en tôle, un fer à cheval de massifs
boisés. Coluche se persuade que c'est le lieu idéal pour faire venir les amis,
ouvrir un restaurant, creuser une piscine. Vivre heureux. La bonne
"combine". En bas, le Club Mediterranée possède un village de vacances.
Deshaies est le meilleur mouillage de cette cote sous le vent. Des copains
artistes et navigateurs y passent fréquemment.

Coluche a fait le vide autour de lui. Les amis ont été pris à
témoin de sa séparation et craignent devoir se prononcer entre
leur ami et Véronique. Certain lui on reproché les dérapages de
la fin de sa campagne électorale. D'autres se seraient de toute
façon lassés des fêtes de la rue Gazan. Et puis, il a trouvé un
moyen sur de tenir ses proches à distance. La drogue. Non la
cocaïne, ce champagne de salon, mais la poudre qui tutoie la
mort : l'heroïne. Il a choisi seul ce mode d'abrutissement, cet
éloignement assuré, peut être pour en finir, en tout cas pour se
mettre entre parenthèses, et avec son application habituelle, son
go–t de l'extrémisme, il s'y est engagé totalement.
Coluche, en quelques mois, s'est défiguré de l'intérieur", comme
le dit Aldo Martinez. Il s'est muré. N'oppose que son gros visage
triste et larmoyant aux évènements.
Paul Lederman sait qu'il a perdu Coluche.

Dès qu'il apprend, en septembre, qu'RFM, l'une des premières
grandes radios libres, propose à Coluche d'animer l'émission de
son choix, Paul Lederman s'empresse de soutenir cette initiative.
Il suit Coluche et Jean-Michel Vaguelsy en studio, plusieurs
semaines durant. Il ne demande rien, ne suggère plus aucun
contrat. Il veille, simplement. Mais le coeur n'y est plus. Coluche
ne reprend l'antenne que pour remercier Patrick Meyer, le
responsable de cette station, d'avoir démissionné de son poste de
directeur de radio 7, pendant la campagne. Coluche a perdu sa
flamme, sa généreuse insolence, et Paul comprend que son
pouvoir d'imprésario ne peut rien contre l'exigence de la
perdition. Il le laisse aller.

Bien s–r, c'est cette même année que le fisc lui réclame des
comptes. Il doit plusieurs millions de francs aux impôts, et
désormais, l'administraion ne le laissera plus en paix. Ses cachets
d'acteur seront saisis à la source - parfois à auteur de 80% -, dans
les services comptable de Claude Berri.

Dans ses tourments, la Guadeloupe lui rend un peut de paix :
Coluche donne l'impression d'avoir partiellement réussi à
préserver ses rêves de vacances, cette idée de retraite anticipée,
refusée à ses copains d'enfance, et si longtemps caressée.
Ses copains contremaîtres, emmenés par Roland, sont parvenus
a obtenir des corps de métier locaux qu'ils dressent une seconde
maison sur la crète. A l'entrée de la propriété, près de la case en
bois de Robert Dande, le gardien, ont commencé les travaux
d'un bungalow que Coluche destine à Patrick Dewaere. Sous les
arbres, une autre construction, bigarrée, entourant un rocher :
selon les semaines, un restaurant à claire-voie, ou la cabane de
Renaud.

C'est vrai que son désespoir, sur fond de mer bleus, parait
atténué. Les prises d'héroïne sembles s'espacer, compensées par
un exès de cannabis, que Coluche roule dans des feuilles de
bananier, dès son lever.
Il entretien même des relations cordiales avec les gendarmes
locaux, qui viennent lui rendre visite, à la suite de plaintes du
voisinage pour tapage nocturne. Il fume ses joints devant
l'adjudant chef, que la Préfecture a dissuadé de toute curiosité
vis-à-vis des habitants du Morne-au-Fou.

Après la mort de Patrick Dewaere, le 16 juillet 1982, la propriéte,
pour Coluche, a définitivement perdu son charme hypnotique.
Les souvenirs remontent. Son environnement antillais se
dégrade, et lui-même prend de plus en plus en grippe cette
sociéte étroite, provinciale. Ses séjours en Guadeloupe
s'espacent.
Deshaies le rejette. Entre 1983 et 1984, en moins de quinze mois,
le Morne-au-Fou est la cible de trois incendies criminels.
Ecoeuré de ces marques d'incompréhension, saturé des moiteurs
tièdes du paradis, revenu du plaisir de la possession matérielle,
Coluche abandonne aussi, définitivement, ce refuge des temps
difficiles.

Enfin, il a la joie de rencontrer Francois Mitterrand. Il ridiculise
lui-même ce rendez-vous tant attendu : il a demandé a sa
compagne de porter une robe des plus provoquantes. Pendant le
repas, chez Jacques Attali, son amie allume un joint. "Vous savez
ce que c'est, Monsieur le président?", demande-t-elle ; Francois
Mitterrand lui répond d'une phrase faussement naïve, remettant
la provocation à sa place de farce enfantine. Le président a de
l'estime pour Coluche. Sans connaître les affres de la vie du
saltimbanque, il est conscient du malaise, du changement
survenu chez le comique et conduit la rencontre avec
bienveillance. Il ne privera pas Coluche de sa sympathie.

Coluche est un vacances de Coluche, en danger, justement, pour
s'être surtout donné, sans mesure. Acteur presque normal, au
cinéma. Homme paradoxal, mais un homme comme dirait
Sarthe, qui les vaut tous. Père, époux malheureux. Une réalite
qui permettrait à tant d'autres de mener carrière et une existence,
espérer même la gloire. Une réalite pour lui paralysante. Coluche
fleurte avec une autre force, aussi prenante, aussi possessive,
pour laquelle il montre autant de dons : la mort.