Le Mal - Analyse
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu;
Qu'écarlates ouverts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu;
Tandis qu'une folie épouvantable broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant;
-Pauvres morts! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature! ô toi qui fis ces hommes saintement!...
-Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir!
La structure du poème est éloquente
- Première strophe: la dimension meurtrière de la guerre
- Deuxième strophe: le massacre des hommes
- Troisième strophe: l'indifférence de Dieu au carnage
- Quatrième strophe: la pathétique détresse des mères
Le Mal dénonce la folie meurtrière de la guerre et remet en cause la religion chrétienne.
Le spectacle de la mort
la guerre se déroule dans un climat d'apocalypse:
Croulent les bataillons; feu; folie épouvantable
le climat apocalyptique est souligné par la démesure du carnage:
bataillons en masse; cent milliers d'hommes
une antithèse entre la réalité et la mort et l'invitation naturelle à la vie accentue l'impression de cauchemar
infini; ciel bleu; herbe; joie; mature; saintement
(termes en contraste avec les termes qui désignent la mort)
Une dénonciation virulente
pour dénoncer cette violence, le poète l'impute au plaisir capricieux d'un puissant
près du roi qui les raille
les termes qui désignent les hommes les réduisent dans la premier quatrain à de simples marionnettes, à des figurines interchangeables
bataillons; écarlates; verts
pour le poète seul, les soldats sont des hommes dont la souffrance est inadmissible
pauvres morts; ces hommes
l'indifférence de la religion est soulignée par la rupture entre le vers8 et le vers 9 et par le système de ponctuation, ainsi que par l'expression impersonnelle
ces hommes saintement! ; - Il est un Dieu
cette indifférence est d'autant plus insupportable qu'elle offre, en contraste à la réalité de la souffrance humaine, le spectacle d'un confort béat et purement matériel
rit; nappes damassées; calices d'or; s'endort; bercement
L'inscription pathétique
la dénonciation prend toute sa force à l'occasion de la dernière image du poème
pathétique exacerbé des mères, humbles et meurtries, soumises à une religion qui entretient superstition et vénalité
ramassées dans l'angoisse; gros sou lié dans leur mouchoir
sensibilité ambiguë de la divinité: bercée dans l'opulence et la faste, se réveille-t-elle au spectacle de la détresse ou à la promesse d'un gain supplémentaire?
Il est un Dieu...qui s'endort...et se réveille...
Conclusion
La construction rigoureuse du poème: chaque strophe impose et exploite une image forte qui contient toute la colère du poète
La dénonciation de la folie du monde: l'anonymat et la souffrance des humbles contraste avec le pouvoir aveugle et meurtrier qui se joue et s'enrichit de leur mort, de leur détresse
L'ardeur d'une écriture juvénile: le monde ici décrit est manichéen, l'émotion du poète s'exprime clairement
tiré de: Poésies - Rimbaud, par Laurence Perfézou, aux Éditions Bordas.
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