Le relation de Rimbaud et de Verlaine, difficilement acceptée au XIXe siècle, a beaucoup contribué à la construction de la figure du poète maudit. Passionnée, cette relation fut exceptionnelle quant à la créativité qu'elle autorisa.
Verlaine a consacré plusieurs poèmes à Rimbaud, et a beaucoup fait pour rassembler ses textes poétiques. Rimbaud, quant à lui, après l'altercation de Belgique, n'a jamais revu Verlaine.
Dans son recueil Sagesse, composé à l'occasion de son emprisonnement à la suite de cette dispute, Verlaine donne de Rimbaud un superbe portrait dont voici les premières lignes:
Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême,
Ton enfance chrétienne, une mère qui t'aime,
La force et la santé comme le pain et l'eau,
Cet avenir enfin, décrit dans le tableau,
De ce passé plus clair que le jeu des marées,
Tu pilles tout, tu perds en viles simagrées,
Jusqu'aux derniers pouvoirs de ton esprit, hélas!
La malédiction de n'être jamais las
Suit tes pas sur le monde où l'horizon t'attire,
L'enfant prodigue avec des gestes de satyre!
Nul avertissement, douloureux ou moqueur,
Ne prévaut sur l'élan funeste de ton coeur.
Paul Verlaine
L'extrait précédent est construit à partir d'une opposition, deux images de Rimbaud s'affrontent: Rimbaud-sage et enfant et Rimbaud-rebelle.
Le début du texte donne de Rimbaud l'image d'un être élu.
Pour Verlaine, un instinct de destruction anime Rimbaud
Le départ de Rimbaud, évoqué à plusieurs reprises dans le texte, laisse Verlaine anéanti, désespéré.
Un texte paru dans le recueil Une Saison en enfer au chapitre Délires, représente la vision de Rimbaud de sa relation avec Verlaine.
Rimbaud fait parler Verlaine dans ce texte, il le représente sous la forme d'une femme qui se plaint, lors d'une confession, de son mari, ici Rimbaud. L'auteur fait preuve d'une grande capacité d'auto-analyse.
La Vierge folle - L'Époux infernal
(extraits)
Ecoutons la confession d'un compagnon d'enfer:
"O divin Epoux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soûle. Je suis impure. Quelle vie! "Je suis esclave de l'époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C'est bien ce démon-là. Ce n'est pas un spectre, ce n'est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde, - on ne me tuera pas! - Comment vous le décrire! Je ne sais même plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j'ai peur. Un peu de fraîcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien!
"Je suis veuve... - J'étais veuve... - mais oui, j'ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette!... - Lui était presque un enfant... Ses délicatesses mystérieuses m'avaient séduite. J'ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je sais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon! - c'est un Démon, vous savez, ce n'est pas un homme.
"Il dit: "Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. "Je l'écoute faisant de l'infamie une gloire, de la cruauté un charme. "Je suis de race lointaine: mes pères étaient Scandinaves: il se perçaient les côtes, buvaient leur sang. - Je me ferai des entailles partout le corps, je me tatouerai, je veux devenir hideux comme un Mongol: tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai... " Plusieurs nuits, son démon me saisissant, nous nous roulions, je luttais avec lui! - Les nuits, souvent, ivre, il se poste dans des rues ou dans des maisons, pour m'épouvanter mortellement. - "On me coupera vraiment le cou; ce sera dégoûtant." Oh! ces jours où il veut marcher avec l'air du crime!
"Parfois il parle, en une façon de patois attendri, de la mort qui fait repentir, des malheureux qui existent certainement, des travaux pénibles, des départs qui déchirent les coeurs. Dans les bouges où nous nous enivrions, il pleurait en considérant ceux qui nous entouraient, bétail de la misère. Il relevait les ivrognes dans les rues noires. Il avait la pitié d'une mère méchante pour les petits enfants. - Il s'en allait avec des gentillesses de petite fille au catéchisme. - Il feignait d'être éclairé sur tout, commerce, art, médecine. - Je le suivais, il le faut!
"Ah! je n'ai jamais été jalouse de lui. Il ne me quittera pas, je crois. Que devenir? Il n'a pas une connaissance; il ne travaillera jamais. Il veut vivre somnambule. Seules, sa bonté et sa charité lui donneraient-elles droit dans le monde réel? Par instants, j'oublie la pitié où je suis tombée: lui me rendra forte, nous voyagerons, nous chasserons dans les déserts, nous dormirons sur les pavés des villes inconnues, sans soins, sans peines. Ou je me réveillerai, et les lois et les moeurs auront changé, - grâce à son pouvoir magique, - le monde, en restant le même, me laissera à mes désirs, joies, nonchalances. Oh! la vie d'aventures qui existe dans les livres des enfants, pour me récompenser, j'ai tant souffert, me la donneras-tu? Il ne peut pas. J'ignore son idéal. Il m'a dit avoir des regrets, des espoirs: cela ne doit pas me regarder. Parle-t-il à Dieu? Peut-être devrais-je m'adresser à Dieu. Je suis au plus profond de l'abîme, et je ne sais plus prier.
La Vierge folle et l'époux infernal
est un texte en prose écrit en 1873. Rimbaud y relate la relation tumultueuse qu'i l avait avec Paul Verlaine. Analysons d'abord le titre: la vierge rerésente ici Verlaine, le mot employé évoque son côté féminin et faible; Rimbaud le dominait sur tous les plans. L'épithète folle démontre sa faiblesse d'esprit et son manque d'assurance. L'époux infernal est évidemment Rimbaud, l'adjectif infernal témoigne de son côté diabolique, méchant, et totalement dominateur.
Rimbaud relate dans ce texte la vie infernale qu'il avait, et l'influence qu'il exerçait sur Verlaine, qui a bien voulu le suivre.