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Jean-Pierre Turmel

Jean-Pierre Turmel's interview recorded in December 1999 for the French magazine Les Inrockuptibles (n° 225, december 22th 1999). Thanks to stéphane.

sl (stéphane lucido) : Hormis Joy Division, quelle musique écoutais-tu à la fin des années 70 ? Lisais-tu la presse rock hexagonale et d'après toi, celle-ci était-elle prête à se faire l'écho d'un groupe comme Joy Division ?

jpt (jean-pierre turmel) : J'écoutais différentes sortes de musiques : pèle mèle (et juste quelques échantillons), de la musique classique( Carl Orff, Scriabin,Satie, etc...),du Blues (Muddy Waters, Lightning Hopkins,etc...), du rock années 50 (Gene Vincent, Vince Taylor, Buddy Holly,
Jerry Lee Lewis, Link Wray,etc..) années 60 (Pretty Things, Them, Sorrows, Rolling Stones, Roy Orbisson, Jan & Dean, Davie Allan & the Arrows, Yardbirds, Trashmen, Twice as Much, etc...), quasiment toute la musique psychédélique (sauf  les trucs rythm 'n blues blanc particulièrement batards) et en particulier les plus déviants : Freeborne,
Baroques, Red Krayola (+ Mayo Thompson mon préféré), Silver Apples, Tom Rapp & The Pearls Before Swine, The Deep, Bubble Puppy, Electric Prunes, Saint Steven, Holy Modal Rounders, United States Of America (le groupe de Joseph Byrd), Cromagnon,Soft Machine, Pink Floyd (avec Syd Barret), Neighb'rhood Childr'n, The West Coast Pop Art Experimental Band, The Seeds, The Godz (avec un Z), Third Ear Band, Morgen, Beacon Street Union (ainsi que pratiquement tout le rock de Boston à
cette époque),The Shaggs,MC5, Beau Brummels,Captain Beefheart, Velvet Underground, Music Machine, etc...), les années 70 (T Rex (premiers LP), Slade, Van Der Graff Generator (et Peter Hammil), Kim Fowley, Comus, King Crimson, Sparks, Egg, Hawkwind, Can, Neu, Tangerine Dream, Blue Oyster Cult (le 1er) etc...)...
des inclassables : Moondog, Ron Geesin, la Monte Young, Sun Ra, Magdalith, Art & Language (avec Mayo Thompson), ...
Les débuts de la musique électronique (hors Musique Contemporaine): Head, Fifty Foot Hose, Mort Garson, Bruce Haack, Walter Carlos, Tonto Expanding head Band,
plus : Ron Geesin et Silver Apples qui ont déjà été cités).
Enfin la mouvance Punk-New Wave-Industrielle : Sex Pistols, Stranglers, John Cooper Clark, Wire, Throbbing Gristle, Bauhaus, Cabaret Voltaire, S.P.K., Durutti Column, aux
USA= The Twinkeys, Chrome, Pere Ubu, The Bizarros, Devo,  Le mouvement New Yorkais( Suicide, Circle X, Television, Talking Heads, Ramones, Blondie,Theoretical Girls et The Static (pre Glen Branca)etc...), Parasites of the Western World, Tuxedomoon, Screamers, Crime, Residents, au Canada: Bunny and The Lakers, Raw - War
France: Dogs , Metal Urbain bien sur la liste est TRES limitative et ne comprend que les plus importants (à mes yeux et oreilles)

L'une de mes motivations à créer Sordide Sentimental était ma conviction de l'incapacité de la presse Rock de cette époque à aborder ces nouveaux courants musicaux. Les problèmes étaient moins liés à l'information qu'à une très grande étroitesse d'esprit, une inculture (au sens le plus large) affligeante et à une incapacité pathologique à considérer la critique musicale ou l'interview en tant que branche de la
littérature. Heureusement il y avait quelques individualités pour relever le lot : Philippe Garnier Jacky Berroyer et Yves Adrien, Alain Dister antérieurement pour l'époque Psychedelique, et Bruno Letrividic pour le Rock années 50...Mais ça ne suffisait pas.
Il n'était donc guère étonnant dès lors que la presse de cette époque se trouve être dans l'incapacité d'appréhender convenablement Joy Division.
A ma connaissance les seuls articles intéressants à mentionner la sortie du single de JD sur SS furent  écrits par Philippe Garnier dans Rock & Folk (il était à ce moment là aux USA !) et Jacky Berroyer (dans Charlie Hebdo). Après le décès de Ian Curtis une brève fut publiée dans Rock & Folk (non signée bien sur, mais j'ai pu savoir qui la rédigea et ce triste individu peut être assuré de ma haine indéfectible), brève qui disait à peu près ceci ( de mémoire): la meilleure chose qu'ait fait récemment Joy Division fut le suicide de son chanteur.

sl : L'on a beaucoup brodé sur la personnalité dépressive de Ian Curtis, en définitive, quel genre de personnage penses-tu avoir rencontré ?

jpt : Il est évident qu'il faut être très dépressif pour mettre fin à ses jours...ma rencontre avec lui juste avant le concert des Bains Douches (c'est à ce moment qu'il me remis le master pour le single, et que nous lui montrâmes le tableau de Jean-François JAMOUL inspiré des peintres Romantiques Allemands destiné à la couverture) confirma toute
les idées que j'avais eu à l'écoute de leurs disques. Il était extrèmement pale, les yeux brillants, timide. Profondément angoisssé, très différent des autres membres du groupe, celà se voyait d'emblée . Il me faut revenir sur la génèse de ce projet: nous devions après le single de Throbbing
Gristle (we hate you (little girl) / 5 knuckles shuffle) sortir un objet avec le groupe expérimental de Boston TV TOY, pour lequel j'écrivais un texte sur la symbolique de la lumière (ils utilisaient sur scène des néons blancs extrèmement aveuglants). Hélas entre le moment ou je les vis à Boston en 77 et le moment ou je reçus leurs nouvelles bandes en 79, leur style avait complètement changé et était devenu purement et simplement détestable (selon mes propres critères bien sur, je ne puis me permettre
d'assassiner une quelquoncque musique sous prétexte que je ne l'aime pas ou ne la ressent pas). J'avais donc refusé, la mort dans l'âme de réaliser ce projet. Quelque mois après Throbbing Gristle donna un concert à Manchester au cours duquel Genesis P.Orridge et Ian Curtis discutèrent longuement. G.P.O. vient de me confirmer que I.C. lui aurait fait part de son propre désir au sein de Joy Division d'évoluer vers une musique beaucoup plus dure, beaucoup plus proche de la musique industrielle. G.P.O. enfin lui montra le single que Throbbing Gristle avait fait avec Sordide
Sentimental, et selon les dires de G.P.O. celui ci se montra immédiatement enthousiasmé par l'objet. Très peu de temps après je reçu Unknown Pleasure (envoyé par Rob Gretton le manager du groupe, mais j'étais en contact avec Factory Records depuis leurs débuts, Tony Wilson me confirma voici quelques années que j'avais été le premier indépendant' à les contacter, notre intérêt commun (en plus de la musique) pour les situationnistes ne pouvait que nous rapprocher).
Ce fut à mon tour d'être complètement enthousismé...et il m'apparu que le texte sur lequel j'avais travaillé pour TV Toy pouvait en partie servir pour Joy Division avec en plus une évocation des Romantiques Allemands (car pour moi il fallait chercher bien plus loin qu'une fascination pour le 3ème Reich les racines véritables du groupe). Je proposais donc au groupe de faire un disque avec Sordide Sentimental, en leur expliquant les grandes lignes du texte que je préparais. A cette phase du projet je n'ai toujours été qu'en contact avec Rob Gretton, mais je suppose que Ian Curtis devait lire mes lettres. Ce qui est sur c'est qu'ultérieurement je m'aperçu que lui seul était intéressé par les thèmes que j'abordais, les autres me
trouvaient pour le moins délirant. La réaction de la presse britannique à la sortie de l'objet fut un mélange de dépit envieux et de dérision.
Le ton changea à la mort de Ian Curtis, il était dès lors (de façon évidente cette fois, et non sous jacente) un héros romantique. Il me faut préciser, c'est absolument capital, que bien qu'ils me fascinent, je déteste les
mouvements romantiques: je vois de façon trop claire combien ces héros pales et fragiles sont des victimes de leur environnement humain, qui non seulement ne les comprend pas mais désire secrètement leur mort.
René Girard à définitivement raison de dire que toute notre société est encore fondée sur le sacrifice (au sens le plus barbare et sacré du terme).

sl : Quelles impressions gardes-tu de leur concert en décembre 79, aux Bains Douches, à Paris ?

jpt : Regard fixé vers une ligne d'horizon imaginaire, lumière d'une aveuglante blancheur. Mais ombres également, mouvements saccadés d'un corps prisonnier d'un invisible carcan... Il s'ajoutait à cette impression presque crépusculaire et funèbre qui venaient de la scène (selon les catégories définies par Michel Guiomar dans son principes d'une
esthétique de LA MORT) mon propre désespoir : le matin même nous venions d'apprendre lors d'une visite à l'hopital de Villejuif que mon amie d'alors: Danny Dupic, n'aurait qu'une chance infime de vaincre son cancer (elle décéda en Juillet 80 peu de temps donc après Ian Curtis).

sl : Concernant ton projet Licht und blindheit, n'aurais-tu pas préféré que les deux titres (Atmosphere/Dead souls) figurant sur ce disque soient enregistrés sur place à Rouen et non pas en Angleterre, au studio Central Sound ?

jpt : Non absolument pas...d'une part parce que je ne crois pas qu'il ait pu trouver à Rouen un studio à la hauteur de leurs ambitions, mais aussi parce que je crois trop à l'importance des lieux pour toute création, et que de ce fait le choix doit être celui de l'artiste.

sl : Est-ce que ces deux titres ont été écrits et composés en fonction de la ligne directrice du projet ou étaient-ils antérieurs à votre rencontre ?

jpt : Je ne peux pas répondre avec certitude, mais les deux titres (et en particulier atmosphere) correspondent tellement par l'ambiance au texte que j'ai écrit que je ne puis croire au hasard. Genesis P.Orridge est beaucoup plus péremptoire que moi et affirme que j'ai complètement changé l'orientation de Joy Division, et que celà explique en grande
partie CLOSER. C'est flatteur, mais je pense qu'au mieux je n'ai fait qu'accélérer un peu une évolution qui de toute façon se serait produite

sl : Peux-tu nous rappeler quels étaient les autres travaux figurant sur Licht und blindheit ?

jpt : La couverture d'abord, tableau fait spécialement pour ce projet suite à une longue conversation avec Jean-François Jamoul, ami de longue date peintre injustement méconnu d'une science fiction hésitant entre un futur en décomposition et des époques passées incertaines. Il a été très marqué par les peintres (ainsi que musiciens et écrivains) romantiques allemands, entre autres par Caspar David Friedrich. Il nous est apparu très vite que sur cette couverture ne devait apparaitre aucune mention ni du groupe ni du label, renforçant ainsi délibérément l'idée d'un objet pur et intemporel (autrement toute marque eut été une tache, une souillure) J'ai moi même réalisé un collage noir et blanc réhaussé à l'encre et au fusain, sur le
thème des rayons lumineux éclairant faiblement  les gouffres, les enfers souterrains, les labyrinthes intérieurs et les dangers qui s'y cachent.
Une photo du groupe par le toujours très talentueux Anton Cobijn (à nouveau souterrain et lumière).
Imprimé en brun sous mon texte (Licht und blindheit), plutôt que de prendre une illustration trop évidente comme l'eut été l'extase de Sainte Thérèse par LE BERNIN (cité dans mon texte), j'ai préféré reproduire un détail  de Saint Augustin et Sainte Monique du peintre français (malheureusement oublié) Ary Scheffer (1795 - 1858)...(Les italiens qui ont piraté l'objet plus tard, ne le connaissaient pas et n'ont donc pu le reproduire.)
Un avertissement composé d' un seul mot allemant : GESAMTKUNSTWERK qui signifie : art total . Il s'agissait d'un concept développé par les Romantiques Allemands consistant à réunir dans un même lieu et en un même moment un tableau, un texte et une musique faits spécialement pour cette occasion.
C'est exactement ce que Sordide Sentimental a toujours essayé de faire.
A propos de mon texte, un mot concernant les citations, à coté des noms célèbres comme St Jean De La Croix, Pascal ou Clemens Brentano, j'ai mis volontairement pour casser le ton lettré de l'objet (pour prouver au futur que je ne me suis jamais pris au sérieux et qu'il y a toujours dans Sordide Sentimental une part de jubilatoire provocation) une citation tirée d'une lettre d'un correspondant australien John Blades... et dont j'ai peur que la célébrité ne se limite qu'à cette seule citation (ceci dit je n'ai plus eu de nouvelles de lui depuis des années, il est peut-être maintenant fort
connu là bas) Enfin une feuille A4 pliée en deux avec la traduction anglaise de mon texte. Le traducteur est Paul Buck écrivain très intéressant dans différent domaines (poésie et romans) auteur du polar biographique culte les tueurs de la lune de miel (The honeymoon killers). Traducteur également de Georges Bataille en angleterre. Il fit également eune adaptation pour la scène de MA MERE du même Georges Bataille
projet auquel participèrent Cosey Fanni Tutti ( de Chris & Cosey, ex Coum
Transmission et ex Throbbing Gristle) pour la partie performance et Mark Almond pour la musique et le chant.

sl : Vingt ans plus tard, avec le recul, que penses-tu du résultat global ?

jpt : J'ai eu beaucoup de chance d'être là au bon moment, et en phase avec ce qui se passait. Ceci dit j'aime tout autant voire plus encore certains autres projets qui eux sont restés dans l'ombre. Je citerais par exemple le LP du groupe américain PROBLEMIST qui pour moi marque l'apogée de Sordide Sentimental.

sl : Le disque a été pressé à 1578 exemplaires et depuis, les deux morceaux contenus sur ce collector ont été réédités plusieurs fois en version studio ou live par Factory puis London records. Néanmoins, le tirage initial demeure un bel objet, n'es-tu pas tenté, à ton tour, par  une réédition ?

jpt : Je ne peux pas rééditer cet objet, mes contrats de l'époque ne prévoyaient pas cette possibilité. De toute façon rééditer demanderait beaucoup d'efforts...et l'énergie est ce qui me fait le plus défaut actuellement. Je n'en est donc guère envie.

sl : Actuellement, écoutes-tu beaucoup de musique ? Quoi ?

jpt : Très peu. Mon état de fatigue chronique m'en empêche (alors que par le passé j'étais un consommateur frénétique de musiques)...c'est du aussi au fait qu'actuellement rien ne me passionne vraiment...j'écouterait probablement la techno quand elle sera devenu moins anonyme et plus intelligente...pour l'instant je ne puis y voir qu'une régression par
rapport à ce que j'ai aimé. La période Grunge me plaisait bien...Actuellemnt j'écoute le premier CD time's up de
THEE MAJESTY le nouveau groupe de Genesis P. Orridge, blood river dusk le CD espagnol de Mark Cunningham ex MARS (NY) (ceci bien qu'habituellement je déteste la trompette) et je me repasse Zarah Leander une chanteuse allemande des années 30.

sl : Que penses-tu de New Order ?

jpt : Je ne ressents rien donc je n'en parle pas. Ca ne peut pas être considéré comme une condamnation: il y a de très nombreuses musiques qui m'indifèrent et qui j'en suis intellectuellement persuadé doivent être excellentes (je ne suis pas l'esprit universel que j'aimerais être).

sl : As-tu écouté la collobartion entre leur chanteur Bernard Summer et les Chemical Brothers sur un titre de ces derniers intitulé Out of control ?

jpt : Non.

Fin!