Le joual en pratique



Quelques textes illustrant l'usage du français au Québec sont réunis dans cette section.



De la littérature...


à la chanson !



« Les belles-soeurs »¹ (extrait)

Germaine Lauzon, une femme de milieu modeste et ouvrier, reçoit quatre boîtes contenant un million de primes-timbres, qu'elle a gagnés lors d'un concours. Elle invite donc ses soeurs, sa belle-soeur et ses voisines à venir coller ces timbres dans des livrets permettant de réclamer des primes. Germaine organise son « party de collage de timbres ». L'auteur se sert de cet évènement comme prétexte pour nous raconter les joies, les peines, les misères, la jalousie de ces femmes ainsi que l'espoir qu'elles ont d'une vie meilleure. Cette pièce a été présentée pour la première fois en 1968 au Théatre du Rideau Vert (Montréal).

Le téléphone sonne.

GERMAINE LAUZON - Allô ! Ah ! c'est toé, Rose... Ben oui, sont arrivés... C'est ben pour dire, hein ? Un million ! Sont devant moé, là, pis j'le crois pas encore ! Un million ! J'sais pas au juste combien ça fait, mais quand on dit un million, on rit pus ! Oui, y m'ont donné un cataloye, avec. J'en avais déjà un, mais celui-là c'est celui de ç't'année, ça fait que c'est ben mieux... L'autre était toute magané... Oui, y'a des belles affaires tu devrais voir ça ! C'est pas creyable ! J'pense que j'vas pouvoir toute prendre c'qu'y'a d'dans J'vas toute meubler ma maison en neuf ! J'vas avoir un poêle, un frigidaire, un set de cuisine...

  J'pense que j'vas prendre le rouge avec des étoiles dorées. J'sais pas si tu l'as vu... Y'est assez beau, aie ! J'vas avoir des chaudrons, une coutellerie, un set de vaiselle, des salières, des poivrières, des verres en verre taillé avec le motif « Caprice » là, t'sais si y sont beaux... Madame de Courval en a eu l'année passée. A disait qu'a l'avait payé ça cher sans bon sens... Moé, j'vas toute avoir pour rien ! A va être en beau verrat ! Hein ? Oui, a vient, à soir ! J'ai vu des pots en verre chromé pour mettre le sel, le poivre, le thé, le café, le sucre, pis toute la patente, là. Oui, j'vas toute prendre ça...

J'vas avoir un set de chambre style colonial au grand complet avec accessoires. Des rideaux, des dessus de bureau, une affaire pour mettre à terre à côté du litte, d'la tapisserie neuve... Non, pas fleurie, ça donne mal à tête à Henri quand y dort... Ah ! J'te dis, j'vas avoir une vraie belle chambre ! Pour le salon, j'ai un set complet avec le stirio, la tv, le tapis de nylon synthétique, les cadres... Ah ! Les vrais beaux cadres ! T'sais, là, les cadres chinois avec du velours... C'tu assez beau, hein ? Depuis le temps que j'en veux ! Pis tiens-toé ben ma p'tite fille, j'vas avoir des plats en verre soufflé ! Ben oui, pareil comme ceux de ta belle-soeur Aline ! Pis même, j'pense qu'y sont encore plus beau ! J't'assez contente, aie ! Y'a des cendriers, des lampes... j'pense que c'est pas mal toute pour le salon... Y'a un rasoir électrique pour Henri pour se raser, des rideaux de douche... Quoi ? Ben, on va en faire poser une, y'en donnent avec les timbres ! Un bain tombeau, un lavier neuf, chacun un cotume de bain neuf... Non, non, non, chus pas trop grosse, commence pas avec ça ! Pis j'vas toute meubler la chambre du p'tit. Tu devrais voir c'qu'y ont pur pour les chambres d'enfants, c'est de toute beauté de voir ça ! Avec des Mickey Mouse partout ! Pour la chambre de Linda... O.K. c'est ça, tu r'garderas le cataloye, plutôt. Viens-t-en tu-suite, par exemple, les autres vont arriver ! J'leur ai dit d'arriver de bonne heure ! Tu comprends, ça va ben prendre pas mal de temps pour coller ça ! (Entre Marie-Ange Brouillette.) Bon ben j'vas te laisser, là, madame Brouillette vient d'arriver. C'est ça, oui... oui... bye !

¹ Tremblay, Michel. « Les Belles-Soeurs », Collection Théatre Canadien, Leméac, 1972, pp. 19-21.



« Les voisins » ² (extrait)

Par un beau samedi matin, Georges croise Bernard , lequel l'invite, le soir même, à visionner les diapositives de son voyage en Europe. « Les voisins », c'est une journée dans la vie fade, et parfois absurde, de nos deux banlieusards dans la quarantaine et de leurs familles... jusqu'à ce qu'un drame se produise et vienne perturber l'ordre des choses, ou plutôt le vide intérieur de nos personnages. Cette pièce a été présentée pour la première fois en décembre 1980 par La Compagnie Jean Duceppe (Montréal).

Bernard est dans son parterre. Il coupe sa haie avec un sécateur électrique. Il essait de la couper droite mais semble avoir de la difficulté.

BERNARD, se choquant
Woyons baptême ! (il donne une claque à sa haie). As-tu fini d'être croche toé ?

Il repart son sécateur mais celui-ci ne semble pas vouloir repartir. Il le secoue énergiquement.

BERNARD
Hey toé, s'il vous plaît là, niaise-moi pas ; j'en ai jeté d'autres avant toé.

Le sécateur fonctionne à nouveau. Bernard s'accroupit à nouveau pour tailler sa haie.

BERNARD, parlant à sa haie
Bouge pas là, bouge pas...

Georges arrive, un sac de Canadian Tire à la main.

GEORGES
Salut le grand !...

Bernard, sans arrêter son sécateur, salue Georges

BERNARD
Ah ben quen ! qu'est-ce tu fais ici ?

GEORGES
Pas grand-chose. (Temps.) T'es-tu après couper ta haie ?

Bernard arrête son sécateur.

BERNARD
Pas vraiment non. J'a taille un peu. A commençait à avoir l'air pouilleux. J'm'arrange pour qu'a l'aille l'air du monde c't'été, t'sais.

GEORGES
C'est de l'ouvrage pareil.

BERNARD
Est-tu fou toé ? J'fais ça pour me détendre. L'herbe ça m'relaxe.

GEORGES
Ouan, a fait sa haie !

BERNARD
Bah, t'sais, c't'une haie. Mais eh... j'm'en sert de plus en plus comme clôture.

GEORGES
J'te comprends ! (Temps.) Pis ?...

BERNARD
Ah eh...

GEORGES
Parle-moi d'ça ! La petite famille va bien ?

BERNARD
J'te remercie.. toi-même ?

GEORGES
Definitivement. (Temps.) Eh monsieur !

BERNARD
Ah ça (Temps.) Me semble t'as maigri, toé.

GEORGES
Es-tu fou ? J'ai engraissé de trois livres.

BERNARD
Me semblait aussi
Silence. Bernard fait partir son sécateur et coupe le contact rapidement.

GEORGES
Ouan... ça doit faire un bout de temps qu'on s'est vu.

BERNARD
Mets-en... qu'est-ce t'as faitte de bon ?

GEORGES
J't'allé chez Canadian Tire.

BERNARD
T'es pas sérieux ?

GEORGES
J'te l'dis.

BERNARD
Eh ben !

GEORGES
T'aurais dû voir ça toi ! I' t'ont reçu un de ces clous à ciment, mon homme, ça fait peur...

BERNARD
Eh ben cout' donc !

GEORGES
Non mais, on fait ben des farces, mais j'te dis que l'ciment de plus en plus, hein.

BERNARD
Qu'est-ce tu veux, mon vieux, le ciment c't'une science comme un autre. À force de chercher i' peuvent pas faire autrement que d'trouver. C'est comme le cancer, c'est rendu qu'i' peuvent opérer des rats avec, pis ça va être notre tour ben vite.

GEORGES
Y'a pas d'erreur. (Temps.)

BERNARD
(Temps.) Bon !

Bernard regarde sa haie comme s'il avait le goût de continuer à la couper. Il remarque quelque chose d'anormal dans sa haie. Il plonge la main dedans et en ressort un frisbee. Il le montre à Georges.

BERNARD, se pompant graduellement
Eh soda ! As-tu vu ça ? Ça vaut la peine de s'forcer dans la vie, hein ?! Tu travailles comme un bulldozer pendant quinze ans dans ta haie, tu t'revires de bord deux minutes pis y a un maudit « marirouana » qui vient faire son voyage dedans. I' ferait-tu ça dans son salon, tu penses ?!

GEORGES, voulant appuyer Bernard
Me semble, oui !

BERNARD
Ce monde-là, ça mériterait d'être pendu par les intestins.

GEORGES
T'es trop bon Bernard m'as te l'dire moi, t'es trop bon !

Bernard prend son sécateur à main et coupe des têtes d'arbustres pour se défouler.

BERNARD
Si y'a pas moyen de couper sa haie sans avoir du fun, j'me demande ben ousse qu'i' est le plaisir dans' vie.

² Meunier, Claude & Louis Saia. « Les voisins », Leméac, 1982, pp. 15-19.



« Je rêve à Rio »
Robert Charlebois


Je rêve à Rio
Devant ma radio
J'habite un p'tit haut
Su'a rue Papineau
C'est pas chaud chaud chaud
J'me baigne en photo
Dans les p'tits journaux

Je vois les vedettes
Qui payent pas leurs dettes
Se pousser du frette
Avec la palette
Moi je mange mon spaghetti J'ai l'coeur en mille miettes
Gros comme Lise Payette

C'est pas pour moi
Tout ça tout ça
C'est pour les rois
Là-bas là bas
J'suis qu'un pauvr'homme
Qui chôme qui chôme
Au royaume
Du calcium...


J'pouvais pu payer
Y sont v'nus chercher
Mon set combiné
J'ai même pas braillé
J'peux encore rêver
Que j'me fais griller
S'un'plage en papier

Né abandonné
Par ma destinéee
Je mourrais damné
Mais avant d'creuser
Ma tombe glacée
Je voudrais déplacer
Mon soleil cassé

Chanson de Robert Charlebois, tirée de l'album « Charlebois », 1974. Paroles de Robert Charlebois, Musique de Robert Charlebois et Michel Robidoux.


J'ai jamais été
Plus loin qu'Mont Laurier
J'me promène à pied
J'me suis pas marié
J'ai pas pu trouver
J'suis abandonné
Par ma destinée


Mon meilleur ami
C'est l'gars d'l'épicerie
Ma bière mes biscuits
J'ai tout à crédit
Sauf le vendredi
C'est pas rose la vie
Paye ou on t'saisit



« La p'tite vingnenne pis l'gros torrieu »
Plume Latraverse


La p'tite vingnenne pis l'gros torrieu
Vivaient ensemble, tous les deux
Le gros torrieu avait pas d'job
La p'tite vingnenne r'levait sa robe

La p'tite vingnenne r'tournait chez eux
Porter l'argent au gros torrieu
Le gros torrieu la dépensait
En couraillant les cabarets. Yeah!

Mais il gardait toujours que'qu'cennes
Pour le transport d'la p'tite vingnenne
La p'tite vingnenne d'mandait pas mieux
Que d'voir heureux son gros torrieu

Mais a l'était pas mal tannée
D'manger des volées pour souper
Fa' qu'un soir, pour changer la rime
Elle a fait une crise à son gros « pimp »
Le gros torrieu, pas achalé
Y'a câlissé une autre volée
La p'tite vingnenne en beau joual vert
A empoigné une barre de fer


Puis dans un réflexe passionnel
Elle l'a baté ent' les deux snells
Le gros torrieu, plié en deux Fonçait en s'protégeant d'son mieux
Pour agripper la p'tite vingnenne
Mais tomba en bas du deuxième


La p'tite vingnenne, au désespoir
R'garda l'cadavre sur le trottoir
Désemparée, elle prit d'la drogue
Et s'garrocha sous l'truck d'la morgue

Tiré de l'album « Chansons pour l'élite», 1979.


« À toutes les fois »
Beau Dommage

À toutes les fois qu'à vient pour faire son tour
À toutes les fois qu'à vient scèner dans l'bout
La face te tombe à terre
Tu t'intéresses au fond d'ton verre
On peut t'parler tu nous écoutes pus pantoute
Tu la r'gardes aller d'une table à l'autre

À toutes les fois qu'à vient pis a vient souvent
Tu vieillis de dix ans en la r'gardant
A fait des yeux le tour d'la salle
Pour se trouver quelqu'un à soir
Comme à t'avait trouvé y a un an de d'ça
Pis qu'a t'avait gardé pour deux ou trois mois
Dans vie, t'avais jamais perdu la face
Mais là t'as fini par te trouver quelqu'un pour te niaiser
Mais là t'as fini par te trouver quelqu'un de plus tough que toi
Quelqu'un pour te laisser tomber

Ça fait pas vingt minutes qu'est arrivée
Que tu demandes l'heure qu'il est pis tu dis qu'y'é tard
Tu dis que tu travailles demain
Que tu t'lèves au petit matin
Pis tu trouves que c'est donc rendu platt'icitte
De toute façon y'a pu grand'chose qui t'excite

Tu sors dans la rue y'é onze heures moins quart
Tu sais pu où aller quoi faire de ton corps
Tu sais que tu travailles demain
Que tu t'lèves au petit matin
Mais ça t'prend jusqu'à trois heures pour t'endormir
Pour te convaincre que tout est mieux d'même

Tiré de l'album « Beau Dommage », 1974.


N.B. : Bien entendu, ces textes sont protégés par les droits d'auteur. En théorie, ils ne devraient pas être reproduits sans permission ; néanmoins, après mûre réflexion, la présentation de ces textes contribue d'avantage à un objectif pédagogique ainsi qu'au rayonnement de ces oeuvres qu'à priver leurs auteurs d'une source de revenu potentielle.