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La psychopathologie développementale

par
Maurice Gaudreault

Ce texte est en partie extrait du mémoire de maîtrise
écrit sous la direction de M.A. Provost professeur à L’UQTR


Les origines

Au cours des trente dernières années, les chercheurs et théoriciens de la psychologie du développement ont mit en lumière l'importance des interactions sociales (Asher & Parker, 1989; Cicchetti & Toth, 1991; Dumont, Provost & Dubé, 1990; Hartup, 1983; Maccoby & Martin, 1983; Waters & Sroufe, 1983).  Pour ce faire, la plupart des travaux se sont principalement concentrés sur les relations existantes entre la compétence sociales et diverses variables dont l'attachement, qui mettent en valeur l'importance de la première relation affectueuse avec la mère pour le développement ultérieur (Ainsworth, 1973; Bowlby, 1969, 1980; Cummings, 1990).  D'ailleurs, on reconnaît aujourd'hui que l'attachement est la base sur laquelle les enfants construisent leur sociabilité (Greenberg, Cicchetti & Cummings, 1990).

Ainsi, une riche documentation s'est développée au cours des dernières années dans le but de mieux comprendre le développement des habiletés sociales des jeunes enfants.  Enfin, essentiellement sous l'impulsion de la psychopathologie du développement (developmental psychopathology) s'inspire entre autre du construit de ligne développementale d'Anna Freud, deux profils symptomatiques (symptômes d'extériorisation et symptômes d'intériorisation) se sont greffés à l'étude du comportement social harmonieux.  En effet, il était primordial de mieux connaître et comprendre ce qu'engendrait l'absence de compétence sociale.

Le développement de la compétence sociale et le développement symptomatique

Afin de mieux comprendre et de mieux définir le rôle de certaines habiletés dans le développement de la compétence sociale des enfants, un grand nombre de recherches ont eu lieu.  De fait, plusieurs chercheurs ont essayé de mettre au point une définition opérationnelle de la compétence sociale (Dumont, Provost & Dubé, 1990; Hartup, 1992).  Mais, la nature de ce construit demeure difficilement saisissable tant elle est complexe.

 Des définitions intéressantes ont toutefois enrichi la compréhension de la genèse (i.e., le développement) de certaines habiletés sociales ou certaines capacités d'ajustement.  D'ailleurs, celles-ci sont actuellement reconnues comme des aspects positifs ou négatifs de la compétence sociale.  Plusieurs auteurs proposent leur façon de comprendre et de définir ce construit à l'aide de regroupements originaux d'affects, de cognitions ou de comportements.

La compétence sociale

Une première définition de la compétence sociale est suggérée par Waters et Sroufe (1983) qui la considèrent comme un construit génétique (associé au développement) dynamique englobant de multiples capacités ou habiletés.  Ces auteurs voient la compétence sociale comme un concept intégratif dont la fonction principale est de générer et de coordonner des réponses flexibles et adaptatives aux demandes ainsi que de générer et de profiter des occasions qui se présentent dans l'environnement.  Concrètement, Waters et Sroufe (1983) estiment qu'un enfant compétent est celui qui est en mesure d'utiliser ses ressources personnelles et celles de l'environnement afin d'atteindre facilement un nouveau pallier de développement.

 Cependant, l'adaptation n'est pas un indicateur de compétence en soi.  Par exemple, un enfant peut apprendre à se retirer des contacts humains en face du rejet ou des sévices et cela est une solution ou une réponse de rechange adéquate qui doit être comprise en terme de survie.

 Les ressources de l'environnement ainsi que les interactions avec les pairs sont pour Waters et Sroufe (1983) deux éléments de promotion d'un développement harmonieux.  Contrairement à ce que nous pouvons nous attendre, les ressources de l'environnement déjà mentionnées ne réfèrent pas exclusivement aux ressources matérielles ou négociables.  Selon ces auteurs se sont plutôt les éléments qui soutiennent ou aident à développer l'habileté à régulariser (coordonner) les affects, les cognitions et les comportements.  La fonction de cette régulation est de rendre les affects, les cognitions et les conduites au service de l'adaptation à court terme ainsi qu'aux progrès développementaux à long terme.  De plus, il est à noter que les interactions avec les enfants du même âge et éventuellement l'intégration dans un groupe de pairs peuvent aider l'enfant dans sa tâche de coordination de ses affects, de ses connaissances et de ses comportements.  Ces interactions fournissent en même temps à l'enfant un large éventail d'occasions lui permettant de consolider ses ressources personnelles et le conduisent éventuellement à un nouveau pallier de développement.

 Cette première définition a subi des modifications de sorte que Dumont et al. (1990) privilégient une approche multivariée dans le but d'éclairer la compréhension des ces habiletés, c'est-à-dire, une approche visant à établir des constellations d'habiletés sociales qui ont une importance réelle pour le développement social de l'enfant.  De plus, ces auteurs précisent l'importance de se pencher sur l'intégration de ces habiletés en fonction des divers contextes d'apparition.  Par exemple, l'établissement d'une relation d'attachement avec une mère qualifiée de sécurisante fait en sorte que l'enfant est plus compétent (expressions d'affects positifs, de chaleur, de leadership) lorsqu'il est avec des pairs ou avec un adulte (Dumont et al., 1990; Jacobson & Wille, 1986; LaFrenière & Sroufe, 1985; Rubin & Coplan, 1992).

 En somme, le principal but de l'enfant est de s'adapter ou de s'ajuster aux multiples environnements auxquels il a accès en mettant à profit toutes les ressources qui lui sont accessibles.  Cette mise à profit des ressources personnelles ou du milieu augmente la capacité du jeune enfant à entrer en relation avec ses pairs.  À elles seules, ces interactions ajoutent un nombre inestimable d'expériences qui aident l'enfant à se décentrer de sa position et de profiter de celle des autres.
 

Les voies du développement symptomatique chez les jeunes enfants

 Nous avons montré que les ressources de l'environnement, le contexte dans lequel se produisent les interactions, le rôle des adultes tout comme celui de l'enfant sont autant d'éléments qui s'avèrent cruciaux pour le développement de l'enfant humain.  De bonnes conditions favorisent la croissance d'habiletés sociales positives.  La présence de celles-ci facilitent non seulement l'intégration d'un enfant auprès de ces pairs mais aussi le cours de son processus de socialisation.  Or, qu'arrive-t-il si le milieu ne fournit pas les ressources nécessaires au plein développement de ce dernier? Qu'arrive-t-il si un enfant utilise son potentiel d'une manière rigide, anxieuse ou inadéquate?  Qu'arrive-t-il si l'enfant souffre tellement d'insécurité au fond de lui, qu'il se retire du contact avec les enfants de son âge?

Problèmes d'extériorisation et d'intériorisation

 À l'opposé du développement harmonieux qu'est la compétence sociale, deux résultats développementaux sont actuellement reconnus comme des voies symptomatiques (Cicchetti & Toth, 1991).  La première voie implique des difficultés liées à un sous-contrôle psychologique et est nommée problèmes d'extériorisation alors que la seconde, qui implique des difficultés psychologiques de sur-contrôle, est appelée problèmes d'intériorisation (Rubin & Mills, 1991).

 Le sous-contrôle psychique auquel font référence Rubin et Mills (1991) se reconnaît par la présence de comportements ou de troubles agressifs ainsi que par des troubles de la conduite ou par un déficit de l'attention.  Ces comportements se caractérisent par une extériorisation, c'est-à-dire par l'expression de comportements dirigés vers l'extérieur (vers les autres ou vers l'environnement)  qui nuisent à la socialisation de l'enfant (Cicchetti & Toth, 1991; Rubin & Mills, 1991).

D'autre part, le sur-contrôle psychique est davantage associé à des comportements ou des troubles de retrait passif, d'anxiété et par une perception négative de ses compétences sociales (Rubin & Mills, 1988; Hymel, Rubin, Rowden & LeMare, 1990) ainsi que par des craintes, de l'inquiétude somatique, de la dépression, de la dépendance et du retrait social (Cicchetti & Toth, 1991; Hymel et al., 1990; LaFrenière, Provost & Dubeau, 1992; Rubin & Lollis, 1988; Rubin & Mills, 1991).  En fait, ces symptômes reflètent un contrôle psychologique très grand.  L'enfant intériorisant tend à retourner contre lui ou à ne pas exprimer ce qu'il ressent.

L'étude de l'extériorisation et de l'intériorisation a connu son plein essor sous l'impulsion d'une nouvelle école de pensée, la psychopathologie du développement, qui a l'avantage d'analyser à la fois les voies développementales normales et pathologiques des capacités sociales.


 
 

La psychopathologie développementale: un modèle explicatif des distorsions du cours normal du développement

 La psychopathologie développementale est une façon d'interpréter la pathologie psychologique en l'inscrivant dans une perspective développementale.  Cette école qui a vu le jour au cours des années soixante-dix est définie comme l'étude des origines et de la progression des patrons de comportements inadaptés (Cicchetti, 1984; Sroufe & Rutter, 1984).  En fait, les tenants de la psychopathologie développementale s'intéressent simultanément aux problèmes de comportement, au développement harmonieux ainsi qu'à la socialisation.  Ce qui caractérise cette approche c'est que les états pathologiques dont les problèmes graves de comportement sont expliqués en termes de déviations du cours normal du développement.  En d'autres termes, la psychopathologie développementale s'intéresse aux modes de fonctionnement des enfants dépourvus de pathologies afin de mieux comprendre le fonctionnement des enfants avec des pathologies psychologiques.  En fait, comme l'exprime Cicchetti (1984) toute pathologie est concevable en termes de troubles, de distorsions ou de dégénérescence du fonctionnement normal.

Dans cette perspective, la compétence sociale est une voie harmonieuse de développement tandis que les problèmes d'extériorisation et d'intériorisation représentent des voies symptomatiques, c'est-à-dire des déviations du cours normal du développement (Achenbach, 1992; Cicchetti, 1984; Cicchetti, 1989; Overton & Horowitz, 1991; Sroufe, 1989; Sroufe & Rutter, 1984).

 Idéalement, un enfant atteint un résultat développemental (Waters & Sroufe, 1983) qui s'observe à travers l'expression d'un nombre plus grand et plus constant de comportements et d'affects positifs.  En revanche, certains résultats développementaux sont considérés comme pathologiques, c'est-à-dire que l'enfant qui atteint un tel résultat s'exprime davantage à travers des conduites jugées négatives pour sa socialisation.

Par exemple, l'enfant affichant des problèmes d'intériorisation s'exprime principalement à travers des comportements d'isolement.  Aussi, il est souvent plus anxieux et plus dépendant qu'un enfant qualifié de compétent socialement.

Les problèmes d'extériorisation et d'intériorisation
 D'après la psychopathologie développementale, le développement d'un enfant s'inscrit dans l'une ou l'autre des voies développementales existantes en fonction de l'intensité, de la présence ou de l'absence de multiples facteurs.  Autrement dit, certaines combinaisons de facteurs contenues dans l'environnement de l'enfant orientent sa croissance le long d'une voie ou d'une ligne développementale (Freud, 1968) sans problématique majeure (absence de symptomatologie).

 En revanche, d'autres combinaisons influencent le développement social de celui-ci le long d'une ligne développementale dont le résultat est symptomatique (ou tend à l'être en fonction des facteurs en présence).  Donc, chaque enfant emprunte l'une ou l'autre de ces lignes directrices du développement qui l'achemine, au fil des ans et des événements, vers différents résultats développementaux (Sroufe, 1989, Waters & Sroufe, 1983).

 Ainsi, l'orientation d'un enfant le long d'une ligne développementale positive favorise son épanouissement et le conduit à tirer parti des ressources qui se présentent à lui.  Toutefois, d'autres contextes familiaux ou sociaux conduisent malheureusement certains enfants vers des lignes développementales négatives parmi lesquelles nous retrouvons les voies symptomatiques (problèmes d'extériorisation et d'intériorisation).

La relation entre l'attachement et les problèmes d'extériorisation et d'intériorisation
 En 1980, Bowlby exprime que l'un des buts visés par sa trilogie sur l'attachement est de décrire des patrons de réactions qui se produisent régulièrement chez les jeunes enfants et de retrouver ces mêmes modèles dans le fonctionnement et dans la personnalité ultérieure des adultes. D'ailleurs, il considère la pathologie comme l'orientation du développement psychologique le long d'une voie déviante qui prend forme lorsqu'un enfant est confronté à une utilisation fréquente des comportements d'attachement (donc l'enfant recherche la proximité de la principale personne qui en prend soin) et comme nous l'avons mentionné précédemment, une utilisation régulière des comportements d'attachement fait naître avec l'âge de l'insécurité (entre autre par manque d'exploration, c'est-à-dire par la réduction d'occasions de développer l'autonomie et la compétence).

 À cet effet, le concept de voie déviante de Bowlby est très conforme aux concepts de lignes développementales d'Anna Freud (1968), à celui de résultat développemental de Waters et Sroufe (1983), de même qu'à celui de distorsions du fonctionnement normal de Cicchetti (1984) ou au concept de déviations du cours normal du développement de la psychopathologie développementale.  Ce que Bowlby affirme d'intéressant c'est que cette déviation tient sa source dans la première relation affectueuse unissant la mère et son enfant.  Dans cette perspective, lier les problèmes d'extériorisation et d'intériorisation à l'anxiété ou l'insécurité construite au cours de l'enfance est intimement adapté au travail de Bowlby (1980).

 Bien que les conceptions du lien entre l'attachement et les relations avec les pairs diffèrent selon les interprétations, toutes les études analysant le concept d'attachement prédisent clairement qu'un attachement sécurisé assure des relations sociales ultérieures positives, de la compétence sociale, de la confiance en soi et un ego flexible (Grusec & Lytton 1988, Jacobson & Wille, 1986).

 En fait, l'enfant ayant un attachement sécurisé est décrit comme:
 
Manifestations affectives et comportementalesde l'enfant sécurisé affectivement 
Auteurs
Sociable, attentif, intéressé par les pairs, engagé dans plus d'interactions réciproques et affichant moins de sentiments négatifs que les enfants anxieux ou insécurisés;
Jacobson et Wille (1986)
Lieberman (1977)
il est également moins isolé et hésite peu à établir un contact avec les pairs;
Jacobson et Wille (1986)
plus compétent par les professeurs que les enfants insécurisés;
LaFrenière et Sroufe (1985)
l'enfant sécurisé participe davantage dans des interactions, principalement parce qu'il est plus intéressé et attirant;
Sroufe (1983)
plus curieux dans l'exploration de nouveaux stimuli que l'enfant insécurisé;
Arend, Gove et Sroufe (1979)
Jacobson et Wille (1986)
l'enfant sécurisé d'âge préscolaire exhibe plus de leadership, moins d'isolement social et d'hésitation avec les pairs.
Waters, Wippman et Sroufe (1979)

Pour leur part, les enfants dont le lien à la figure d'attachement est de type insécurisé (anxieux évitant ou anxieux ambivalent-résistant) démontrent davantage de problèmes d'extériorisation et d'intériorisation  (LaFrenière & Dumas, 1992; Lewis et al., 1984; Rubin & Mills 1991) et un amoindrissement des capacités à entrer en contact avec autrui et à créer des relations réciproques (Rubin & Mills, 1991).

 Ainsi, les diverses formes d'adaptation sociale prennent en grande partie leur source dans la relation d'attachement avec les parents, principalement avec la mère à travers les premiers mois de la croissance de l'enfant.  Ce large consensus permet de confirmer d'un point de vue théorique et empirique que l'état d'attachement influence directement la façon de faire du jeune enfant avec ses pairs (Cicchetti & Toth, 1991; Dumont et al., 1990; Grusec & Lytton, 1988; LaFrenière & Dumas, 1992; LaFrenière et al., 1992; Rubin & Mills, 1988; Rubin & Mills, 1991; Rutter & Garmezy, 1983; Turner, 1991).
 
 
 
 
 
 
 

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