Nouvelles du Petit Paradis en Equateur
La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes
Ligne d'horizon :La fanesca, un plat typique de l'EquateurJ'ai peu parlé de la gastronomie équatorienne, car, depuis vingt-sept ans, je me suis imposé un régime alimentaire relativement austère et de ce fait, je n'éprouve qu'un faible intérêt pour les activités culinaires, qu'elles concernent l'absorption ou la préparation des aliments. Pourtant, rassurez-vous, je ne me laisse pas mourir de faim et j'éprouve du plaisir à manger. Mais la fanesca, c'est tout autre chose : on ne la consomme qu'une fois par an le vendredi saint, éventuellement le lendemain, s'il en reste. Ce qui m'autorise à oublier un moment mes préceptes hygiénistes. Un peu d'histoireBien que certains pensent que les origines de la fanesca remontent aux Incas, il me semble beaucoup plus probable qu'il faille les rechercher dans l'ascendance espagnole de l'équatorianité.En effet, dans la Colombie voisine, on l'appelle plutôt juanesca. Et la tradition veut que la reine Juana la loca et son fils, l'empereur Charles 1er d'Espagne, aient consommé cette soupe en période de carême, ce qui a amené les pauvres Espagnols de cette époque à la baptiser ainsi en son honneur. Autre hypothèse moins reluisante : cette recette aurait été inventée par une femme nommée Juana, laquelle aurait vécu dans une hacienda de la Sierra aux temps de la Colonie. Comment est-on passé de juanesca à fanesca ? La seule explication que j'ai trouvée, un peu tirée par les cheveux, s'appuyerait sur l'existence d'un poisson de l'Atlantique appelé faneca. Mais si l'on se permet d'invoquer une cuisinière mythique appelée Juana, pourquoi ne pas inventer l'histoire d'un pêcheur galicien ou cantabre, émigré au Vice-royaume du Pérou, baptisant cette soupe du nom de son poisson préféré ? Il suffit d'ajouter un s. Juanesca ou fanesca, peu importe, ce qui est certain, c'est que c'est une ancienne tradition, pieusement conservée dans les familles équatoriennes. Si elles ont perdu l'habitude de la préparer - vous comprendrez pourquoi plus loin -, elles ont la possibilité d'en consommer dans les innombrables restaurants qui l'offrent dans tout le pays pendant la semaine sainte. Malheureusement, depuis la dollarisation, le prix des principaux ingrédients - la morue salée et les graines - est si élevé que beaucoup de familles pauvres, et moins pauvres, sont obligées d'y renoncer. Nous avons acheté deux livres de morue salée des Galapagos pour 10 dollars. Considérant qu'il nous a fallu jeter le 40 % (la peau et les arrêtes), le prix final s'est élevé à presque 17 dollars le kg, ce qui est prohibitif ici. Cependant, ce produit était délicieux et on peut en trouver du moins bon à 5-6 dollars le kg. Du fait d'une spéculation qui se reproduit chaque année à pareille époque, dont les responsables sont autant les producteurs que les commerçants, le prix des graines monte en flèche et la réalisation d'une fanesca authentique - on peut se contenter d'une version light - devient un luxe inaccessible pour la plupart des Equatoriens. Alors, cette recette ?La voilà. Je l'ai tirée de la revue Familia, qui est livrée avec le numéro dominical de "El Comercio", le principal quotidien quiténien, en date du 20 mars 2005.
D'abord, la liste des ingrédients, pour 10 personnes :
Il y a bien 12 ingrédients, mais pour certains puristes, le chiffre 12 représente le nombre de graines, auquel cas on peut ajouter de l'orge, du blé, de la quinoa, des lentilles, du sarrasin ou des pois chiches (le compte y est !), en plus des légumes, tout en diminuant la quantité de chaque graine pour arriver au même total. Je ne vous dis pas la consistance et la richesse de ce plat, surtout quand on y ajoute les garnitures et l'accompagnement proposés plus bas ! Il y faut un estomac équatorien, façonné par vingt générations au moins de consommateurs de fanesca. Premier temps : Cuire à l'avance et séparément les petits pois, le maïs, les haricots secs, les fèves, le riz sans sel. La veille, laver la morue salée et la laisser tremper pour la débarrasser de l'excédent de sel. Deuxième temps : Mettez un peu d'eau de la cuisson des graines dans une casserole et ajouter la courge jaune (zapallo) finement hachée, jusqu'à ce qu'elle se réduise en purée. Ajouter ensuite le sambo et laisser cuire encore quelques minutes. Troisième temps : Une fois que le sambo est prêt, versez les graines cuites (moins les lupins), remuez pour qu'elles ne collent pas au fond de la casserole. Vous pouvez ajouter un peu d'eau de dessalage de la morue pour relever le goût. Quatrième temps : Faites fondre le beurre dans une poêle et faites-y revenir les oignons finement hachés et l'ail, ajouter l'achiote (colorant), puis les cacahouètes moulues, ainsi que le sel, le cumin et le piment à volonté, et enfin les lupins. Cinquième temps : Versez le contenu de la poêle dans la casserole des graines. Puis ajoutez les feuilles de choux coupées en fines lamelles, les trois litres de lait et la crème. Laissez cuire à feu doux pendant 15 minutes. Sixième temps : Une fois que le mélange s'est épaissi, servez la fanesca dans des assiettes à soupe ou des bols individuels, avec comme garniture des rondelles d'oeufs durs, des petites rissoles au fromage, des tranches de plantains frits et des lamelles de piment. Et la morue... ...me direz-vous ? Eh bien, le cuisinier qui présente cette recette l'a presque oubliée ("si vous aimez, ajoutez des morceaux de morue"). Que serait la fanesca sans morue ? A sa place, je serais mort de honte. Pour rattraper cette bourde, voici notre proposition :
Ultimes suggestions du cuisinier Le secret de cette préparation consiste à ajouter un peu de crème et du fromage à la crème juste avant la dernière ébullition. Ce simple truc l'épaissira et lui donnera une consistance spectaculaire et un goût exceptionnel. En complément de cette soupe, vous pouvez servir un plat de purée de pommes de terre accompagné de confiture de lait ou de figues [confites] avec du fromage. Bien entendu, vous n'êtes pas obligé de suivre ces conseils ! Il me faut encore préciser que chaque famille a sa propre recette, transmise de génération en génération, si bien qu'existent d'innombrables variantes, qui ont toutes droit à l'appellation fanesca. Pas d'orthodoxie dans ce domaine !
Considérations spirituelles et autresLa fanesca n'est pas qu'une tradition culinaire, elle a également un sens symbolico-religieux. En effet, le nombre 12 ne vient pas ici par hasard, il représente le nombre des apôtres et aussi celui des tribus d'Israël. La présence du poisson s'explique par la prohibition de la viande pendant la période du carême, mais aussi comme un symbole christique. Ce qui pourrait faire remonter cette recette au christianisme primitif, celui des catacombes, du fait que ses principaux ingrédients ont une durée de conservation importante (courge, graines, poisson salé). C'était en quelque sorte un plat de survie, pas uniquement réservé à la semaine sainte. Cela dit, le paradoxe suivant ne manque pas de m'amuser : alors que le point culminant de l'abstinence quadragésimale devrait avoir lieu le vendredi et le samedi qui précèdent la résurrection de Jésus, c'est précisément ces jours-là que l'on mange ce plat super-consistant ! J'y vois comme une contradiction, alors qu'il serait parfaitement indiqué le dimanche en tant que sortie de jeûne. Il est vrai que je ne suis pas théologien et si mes propos vous tracassent, consultez votre directeur de conscience... J'ai moi-même une inquiétude en qui concerne un des ingrédients principaux, les courges, dont j'avoue avoir complètement oublié la disponibilité en ce début de printemps, et j'ignore si l'on peut se procurer en Europe des courges blanches, douces et tendres comme le sambo. Par contre, il vous sera facile de trouver le reste sur un marché ou dans un supermarché du vieux continent. Mais il est évident que sans courges, cette soupe perd tout son charme, d'où la nécessité impérative de reporter son exécution à la période où elles sont de saison. Un tel report serait impossible ici, car on ne trouve la morue salée que dans les quelques jours qui précèdent et suivent la semaine sainte. Bon appétit, et à une prochaine fois pour un autre sommet de la gastronomie équatorienne. 22 mars 2005 |