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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Ande équatoriennes

 

Note de lecture :

NI L'UN, NI L'AUTRE, MAIS ALORS QUI ?

Cela fait huit mois que je n'ai plus rien écrit pour les Nouvelles du Petit Paradis en Equateur, je viens de faire le compte. Il faut d'abord soustraire les quatre mois passés en Europe pour résoudre des problèmes d'intendance lancinants et sans intérêt, mais aussi profiter de l'air de mes deux patries - la France et la Suisse -, des amis et de la famille.

De retour en Equateur, j'ai mis du temps à comprendre pourquoi j'étais incapable d'exprimer publiquement mes opinions sur une situation politique qui me passionne pourtant. D'un côté, il est évident que Rafael Correa et son mouvement, Acuerdo País, ne respectent ni la Constitution, toujours en vigueur, ni les engagements pris dans le statut joint à la consultation sur l'Assemblée constituante, ni les plus élémentaires mécanismes de la démocratie, au moins tels qu'ils sont définis dans des pays qui les respectent vraiment. Je pourrais reprendre presque point par point les diverses critiques que j'ai déjà formulées dans les textes qui figurent toujours sur la page d'accueil - auxquels je vous renvoie -, parce qu'elles sont, pour la plupart, toujours valides et que le gouvernement, au cours de l'année écoulée, n'a donné que peu de signes manifestes qui permettraient de les démentir.

D'un autre côté, si Rafael et l'Assemblée nationale constituante, où Acuerdo Pais dispose d'une très large majorité, s'en tenaient à la lettre de la Constitution, des lois et des plus élémentaires mécanismes de la démocratie, il leur serait probablement impossible de changer ce pays. Je suis donc partagé entre ma conviction, d'une part, qu'il n'y aura pas de véritable changement sans que ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui donnent l'exemple d'un respect scrupuleux de la légalité et des autres, notamment des minorités, et, d'autre part, mon aspiration à un changement effectif, non seulement des institutions, mais aussi des attitudes et comportements des habitants de l'Equateur. Comme le dit si bien la sagesse populaire : "L'exemple vient d'en haut"... ou il ne vient pas ! Et ce sont ces contradictions, externes et internes, qui me réduisent au silence, au moins provisoirement, car il semble bien que la conjoncture politique soit en train de changer.

Dans de telles circonstances, il peut arriver que quelqu'un - un journaliste, un commentateur, un politicien - exprime assez exactement un point de vue qui pourrait être le mien. Ce quelqu'un s'appelle Carlos de la Torre et il a écrit une chronique intitulée "Ni Nebot, ni Correa" dans un journal de Quito, Hoy, ce samedi 2 février. En voici la traduction, complétée par des commentaires entre crochets et en italiques, dont j'assume la responsabilité.

NI NEBOT, NI CORREA

[Jaime Nebot est le maire de la plus grande ville du pays, Guayaquil, il représente le parti social chrétien, de droite, dont l'hégémonie politique et économique a pris fin avec l'arrivée au pouvoir, il y a un an, de Rafael Correa, un président de gauche, porteur d'un projet ambitieux de changement. Depuis quelques semaines, la controverse entre les deux hommes a pris un tour aussi hostile que stérile.]

Parce que tous les deux ont raison dans la plus grande partie des compliments et des fleurs qu'ils s'envoient mutuellement. Parce que Nebot représente le passé oligarchique qui est heureusement en train de prendre fin. Parce que son nom évoque la domination d'un parti qui a assumé que l'Etat était sa propriété et l'arrogance d'une classe sociale qui se croit propriétaire du pays. Parce que, bien qu'il ait échangé, il y a quelques jours, son t-shirt de la 6 [aux élections, la liste du parti social chrétien porte le no 6], numéro cabalistique du démon comme disait Abdala [Bucaram, politicien de Guayaquil, qui, peu après son élection à la présidence, a été déchu et exilé] pour une guayabera [chemise-veste blanche, typique de Guyaquil], il ne peut cacher, en montrant sa poitrine nue et poilue, qui il a été et comment il a agi pendant le gouvernement répressif de Febres Cordero [chef du parti social chrétien pendant de longues années et ex-président. Nebot, au cours d'un récent discours, a ouvert sa guayabera et montré son thorax à la foule].

Parce que Correa, pour le moment, incarne un processus personnaliste, charismatique et autoritaire de transformation. Parce que, malgré qu'il vaille mieux changer que d'en rester à ce qui existait avant, la forme et le style de celui qui conduit ce qu'ils appellent le "processus "sont préoccupants, car il ne s'appuie pas sur un parti politique solide, ni sur les luttes des mouvements sociaux. Parce que Correa discrédite comme néolibérales beaucoup des conquêtes des femmes et des indigènes. Parce qu'il semblerait que bien des avancées obtenues dans un passé récent, tels que les droits collectifs des indigènes et des afroéquatoriens, ainsi que les droits sexuels et reproductifs des femmes, sont menacés par Correa.

Parce que Nebot et Correa semblent être les deux faces de la même pièce de monnaie. Parce qu'ils utilisent tous les deux des rhétoriques machistes, disqualifiantes et confondent la politique avec l'insulte personnelle. L'un [Correa] se réfère aux femmes comme horribles petites grosses et vieilles oligarques, l'autre parce qu'il a tenté de pisser [sic] sur un rival politique. Parce que les deux sont arrogants et je-sais-tout. Ils sont des hommes aux mille réponses, ils n'ont pas de doutes, mais que des certitudes. Ils sont sûrs de savoir ce qui est le mieux pour tout le monde et ont une foi presque religieuse selon laquelle leur opinion est la seule vérité, ils sont incapables d'établir des dialogues où prime la force du meilleur argument. Ils sont les maîtres de la vérité et confondent la politique avec la morale. Ils sont les héritiers du style manichéen-jésuitique-vélasquiste selon lequel la politique est une lutte éthique entre le bien et le mal ["vélasquiste" se réfère à José Maria Velasco Ibarra, cinq fois président, quatre fois démis, qui a dominé la vie politique équatorienne pendant près de 30 ans, entre 1944 et 1972. Même s'il n'est pas le modèle de Rafael Correa, il y a de nombreux points communs entre ces deux personnages]. Tous les deux ignorent qu'une pluralité d'opinions, de visions et d'intérêts existent dans une société et disqualifient tous ceux qui ne leur rendent pas hommage.

Parce qu'il est temps qu'arrive un changement qui soit démocratique. Parce que l'un [Nebot] représente un passé récent quand un groupe réduit utilisait les lois à sa convenance. Parce que dans son désir de devenir le nouveau Prince, altier et souverain [allusion à un slogan d'Alianza Pais qui concerne la patrie], Correa a instrumentalisé la loi. Parce que le peu d'institutions [existant dans le] pays ont été détruites. Parce qu'il a impliqué les militaires dans les affaires civiles en leur cédant sans mise au concours la construction des routes et l'administration du pétrole. Parce qu'on ne construit pas des institutions qui rendent des comptes aux citoyens. Parce qu'on ne confond pas la citoyenneté avec l'acclamation plébiscitaire et la démocratie avec l'incarnation de la volonté populaire dans la figure du Messie. Parce que le changement est nécessaire et les pratiques peu libérales et autoritaires du vieil ordre social-chrétien doivent prendre fin.

Parce que le changement doit déboucher sur plus de démocratie et que, pour y parvenir, il faut construire des institutions et respecter les droits acquis, les approfondir et les améliorer. Parce que le changement doit signifier la fin des Apôtres et le règne de la loi pour tous.

POST-SCRIPTUM

Cette philippique a vraisemblablement été écrite sous l'influence des événements récents, notamment les deux marches populaires qui ont eu lieu les 19 et 24 janvier 2008 à Guayaquil. La première était organisée par le gouvernement et a rassemblé des délégations venues de tout le pays pour "fêter" le premier anniversaire de l'arrivée au pouvoir de Rafael Correa. La seconde a été convoquée par Jaime Nebot pour s'opposer à ce qu'il considère comme une attaque contre Guayaquil et a obtenu un soutien populaire marqué, probablement plus spontané et en tout cas beaucoup plus massif que dans le cas de la marche gouvernementale. Ces deux manifestations ont été précédées par un feu d'artifice de déclarations agressives et malveillantes des deux camps, ainsi qu'une débauche insupportable de spots de propagande à la radio et à la télévision.

Ces circonstances m'ont amené à la même conclusion que celle de Carlos de la Torre : ni l'un, ni l'autre. Il n'y a qu'un point où je serai moins affirmatif que lui, c'est sur le fait que Correa serait opposé au maintien des droits acquis des indigènes, des afroéquatoriens et des femmes. Il est vrai que je l'ai entendu dire qu'il voterait non à la constitution si celle-ci autorisait l'avortement, ce qui constitue une intromission inacceptable d'une croyance privée dans la constitution d'un état laïque, comme l'est, et devrait le rester, l'Equateur. Je ne l'ai pas entendu dire qu'il ne fallait pas maintenir les droits existants des indigènes, des afroéquatoriens et des femmes. Mais, comme tout bon politicien populiste, dès qu'il est sur une estrade devant une foule, Correa tend à dire tout et son contraire, et il est pratiquement impossible de trier le bon grain de l'ivraie. Il me semble que sur ce point au moins, il faut attendre que l'Assemblée constituante ait rédigé une version définitive de la nouvelle constitution.

Ni l'un ni l'autre, certes, mais alors qui ? Si l'opinion publique continue, malgré tout, à accorder majoritairement sa confiance à Rafael Correa, c'est, je crois, parce que la réponse à cette question est : personne. Bien sûr, dans ces quelques lignes, tout n'est pas dit sur tout ce qu'il y aurait à dire, mais une chose apparaît certaine : il y a du souci à se faire pour l'avenir de la (vraie) démocratie en Equateur.

4 février 2008


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