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Nouvelles du Petit Paradis

La vie quotidienne dans une région des Andes
colombo-équatoriennes


 

Note de lecture :

La pilule du diable 2

Dans une Note de lecture qui remonte à avril 2001, j'ai présenté la traduction d'une chronique sur la tentative - heureusement manquée -, de l'Eglise catholique colombienne visant à interdire la pilule du jour d'après, Postinor-2. Je parlais à ce propos de déjà vu, déjà lu, déjà entendu en me référant au débat de la loi Weil sur l'avortement en France, en 1976.

Je n'imaginais pas que trois ans et demi plus tard, dans un autre pays, l'Equateur, un chroniqueur de Vistazo allait commenter dans des termes très semblables une tentative identique - malheureusement réussie -, en provenance d'un groupe d'avocats "défenseurs de la vie", derrière lequel se cache mal l'Eglise catholique équatorienne.

Un juge a accepté l'action de protection (amparo) constitutionnelle présentée par José Fernando Rosero en représentation de "Abogados por la Vida" contre la décision du ministère de la Santé d'autoriser ce médicament. Bien que je ne connaisse pas l'argumentation juridique invoquée par les plaignants, je suppose qu'ils se réfèrent à l'article 23, point 1 de la Constitution équatorienne : "L'inviolabilité de la vie. Il n'y a pas de peine de mort." Je ne suis pas constitutionnaliste, mais je trouve que la sentence du juge est singulièrement biaisée, du fait qu'elle s'appuie sur un argument idéologique, sans fondement scientifique.

J'ignore également comment les avocats du Ministère ont défendu la décision d'autorisation de mise en vente, mais il me semble choquant que le juge n'ait pas pris en considération les arguments de santé publique, vu le nombre extrêmement élevé de grossesses prématurées chez les préadolescentes et adolescentes équatoriennes, pour ne pas parler des grossesses non désirées chez les autres femmes, notamment celles des milieux populaires où le viol conjugal est encore une pratique courante. Je trouve enfin inadmissible que le Ministère n'ait pas utilisé la possibilité de révoquer la décision du juge devant le Tribunal constitutionnel, cédant vraisemblablement aux pressions de l'Eglise catholique.

Voici d'abord la traduction de la chronique.

LE JOUR D'APRES LA PILULE

La campagne de discrédit contre la pilule du jour d'après, en l'accusant d'être abortive, n'a pas de fondement scientifique

John Lennon mourrait de nouveau de rire s'il pouvait voir les dîners de l'homme affligé que l'aristocratie guayaquilénienne organise, avec le consentement et l'assistance avide des plus hauts représentants de l'Eglise, en invoquant la logique extravagante selon laquelle les commensaux gagneraient le ciel au moyen d'une aumône plutôt que par une juste répartition de la richesse. Cette extravagance s'étend au reste de la société pour laquelle il est normal d'être incapable de provoquer le changement auquel nous assurons tous aspirer, mais que peu d'entre nous sommes disposés à réaliser.

Le niveau des débats sur la pilule du jour d'après et son interdiction postérieure dans notre pays nous oblige à reprendre, en plein 21e siécle, le débat sur les limites entre l'Eglise et l'Etat, et la réflexion sur le rôle du conservatisme social dans la corruption en Equateur.

En y pensant d'une manière approfondie, il est très étrange que les même canaux [de télévision] dans lesquels les pasteurs de différentes confessions propagent et élèvent leurs préceptes à la catégorie de Vérité implacable et de Pratique obligatoire, nous prescrivent ensuite tout le reste de la journée leur anthologie de matériel porno soft et de morale feuilletonesque. Et l'on peut décrire la famille équatorienne comme celle qui interdit à ses jeunes enfants de prononcer le mot "cul" à table et les encourage à voir "Pasión de Gavilanes" [La passion des éperviers, un feuilleton colombien de sexe et de violence].

Et c'est que le problème de notre sexualité n'est pas dans le plaisir et l'imagination érotique, mais justement dans son remplacement par l'hypocrisie pornographique qui rejoint parfois la promotion du crime (dans Mi Recinto de TC [canal de télévision Telecentro], il y a une constante apologie du viol).

En continuant la séquence des absurdités de notre réalité et son imagerie religieuse, la hiérarchie ecclésiastique (cooptée il y a des années par les conservateurs qui ont vaincu les théologiens et les missionnaires engagés dans la lutte contre la misère) [considère que] la pilule du jour d'après est une assassine. Un prêtre de Guayaquil s'est permis d'appeler les femmes qui l'utiliseraient "des femmes sèches qui ne connaissent pas l'amour". Cette criminalisation des femmes qui tenteraient de s'approprier leur propre corps contraste avec la bienveillance que le pape et ses garçons dispensent aux curés pédérastes et violeurs qui pénètrent et s'approprient les corps des garçons et des filles qu'ils violent.

Ce qui précède n'est pas un paradoxe. Cela s'appelle cynisme. Et cela est au centre de la logique de la double morale selon laquelle la hiérarchie ecclésiastique et une grande partie de notre société disent défendre le "droit à la vie".

Est-ce qu'une jeune fille équatorienne peut s'approprier son propre corps ? Une étudiante de l'Université Casa Grande [Université privée de Guayaquil spécialisée dans la communication] qui a débuté au Club de l'Union et qui a comme horizon de perpétuer l'homme affligé peut-elle le faire ? Une citoyenne de la classe moyenne inférieure, spectatrice de "A todo dar" [Une émission populaire de divertissement produite au Costa-Rica] peut-elle le faire ? Prendre la pilule du jour d'après ou même se faire avorter ne signifierait pas, effectivement, pouvoir le faire. Le point réside dans sa capacité de choix. Capacité fondée sur le développement de l'éducation éthique et de l'information scientifique.

De la même manière que l'on nous dit que la démocratie fonctionne selon je ne sais quoi, c'est-à-dire que le TLC [Traité de libre commerce] ne peut pas être l'objet d'une consultation populaire du fait que "c'est quelque chose de trop important", en Equateur les droits à l'information et à l'éducation sur nous-mêmes et notre corps sont interdits, dénaturés par l'empire du terrorisme de l'Esprit. Un journaliste connu a invité à son programme un scientifique venu de l'étranger pour expliquer le fonctionnement de la pilule. Il lui a accordé une minute d'entretien. Il ne lui a pratiquement pas permis de s'exprimer. Et à la fin, il l'a excommunié par un éditorial disant que ses explications scientifiques n'étaient qu'une "opinion". (Le même journaliste a parlé de ses pistolets dans un débat public consacré à la liberté et à la vérité.)

Il est curieux que la campagne de dénigrement et de condamnation de la pilule du jour d'après se base sur l'accusation antiscientifique d'être un abortif déguisé. Pour l'Eglise, contraception et avortement ont toujours été des homonymes [sic]. Même l'urgence sanitaire du sida n'a pas empêché Karol Wojtyla de continuer sa lutte contre le préservatif. Au milieu de ce triomphe conjoncturel de l'obscurantisme, contre lequel il faut nous engager, on peut affirmer que l'obstination des secteurs conservateurs a fini par accepter implicitement quelques touches de la vie moderne, comme jamais ils ne l'avaient fait auparavant. A la bonne heure.

Comme son homologue colombienne, malgré sa violence, cette chronique n'a entraîné qu'une seule lettre de lecteur, en désaccord avec l'auteur :

Me référant à l'article de Santiago Roldós sur la pilule Postinor 2 publié dans l'édition 895... dans la mesure où je peux apprécier ce sujet, deux positions scientifiques se présentent, et pas seulement une, comme le suggère le chroniqueur : le premier critère est la fécondation comme commencement de la vie ; et le second, l'implantation de l'ovule fécondé, qui est plutôt le début de la grossesse. Pour ceux qui comme nous savent que la vie commence avec la conception de l'ovule (le début est le début), une quelconque tentative d'interrompre le cycle à partir de ce moment est un avortement. Pour qu'il y ait implantation dans l'utérus de la mère, il doit bien y avoir eu un commencement, ... ou non ? Les subtilités qui soutiennent que cette pilule n'est pas abortive sont de simples euphémismes qui tentent de manipuler l'opinion des personnes.

Au-delà des critères, ce que l'on ne peut pas admettre d'aucun point de vue est une attaque aussi traîtresse contre la hiérarchie de l'Eglise et celle du saint Père. Pourquoi ne pas simplement être en désaccord sans attaquer ?

Ab. [avocat] Francisco X. Falquez Cobo

POST-SCRIPTUM

Poursuivre la controverse sur le moment où commence la vie est sans doute inutile, dans la mesure où les deux camps en présence nient les prémisses philosophiques sur lesquelles ils fondent leurs positions respectives.

La position scientifique est simple : elle consiste à n'affirmer comme vrai que ce qui peut être prouvé de manière non réfutable. Tant que l'ovule fécondé n'est pas accroché à l'utérus, l'être humain ne commence pas son existence intra-utérine. La contraception d'urgence n'a aucun effet si la femme est enceinte. La pilule du jour d'après n'est donc pas abortive. On pourrait sans autre clore ce débat si l'on avait affaire à des adversaires de bonne foi.

Il faut en effet être de mauvaise foi pour écrire la phrase : "Pour ceux qui comme nous savent que la vie commence avec la conception de l'ovule [...]". Ceux-là ne savent rien, ils croient que la vie, etc. Et toute croyance est respectable tant que ceux qui la professent ne tentent pas de l'imposer aux autres. L'insistance pour transformer une croyance en vérité scientifique, qui aboutit à un mensonge avéré, ne peut se comprendre que par rapport aux positions conservatrices et moralisatrices que le pape Jean Paul II impose depuis 25 ans à l'Eglise catholique dans son ensemble, prélats et fidèles. En conséquence, je trouve malvenue la remarque en apparence conciliante de l'auteur de la lettre de protestation : que faire, sinon attaquer non seulement des positions mensongères, mais aussi ceux qui, en apparence hautement respectables, les profèrent ?

Ce n'est cependant pas la première fois que l'Eglise, et certains de ses représentants, mentent sciemment pour imposer leurs vues sur le dogme et la vie sociale, sans tenir compte des dommages collatéraux sur les corps et les âmes de ses membres et de ses ouailles, sans tenir compte non plus de ce que pense les fidèles dans leur grande majorité et leur façon concrète d'agir, fort éloignée des préceptes de l'Eglise.

Pour en savoir plus :

Sur l'Eglise catholique, deux ouvrages qui, sauf erreur de ma part, n'ont été traduits ni en français, ni en anglais :

  • Pepe Rodríguez
    Mentiras Fundamentales de la Iglesia Católica
    Ediciones B S.A. Punto de Lectura Madrid 4e édition mars 2001
  • Pepe Rodríguez
    Pederastia en la Iglesia Católica
    Ediciones B S.A. novembre 2002

Site de Pepe Rodríguez

Sur la contraception d'urgence, voir :

Décembre 2004


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