Florimond de Remond

l’AntiChrist
1597

Tous ceux qui ont laissé quelques marques du temps que l’Anti-Christ doit arriver, escrivent que la sorcellerie sera lors espandùe partout. Eut elle jamais tant de vogue qu'en ce malheureux siècle icy? Les sellestes de nostre Parlement en sont toutes noircies. 11 n'en y a pas assez pour les ouyr. Nos conciergeries en regorgent, et ne se passe jour que nos jugemens n'en soient ensanglantez, et que nous ne revenions tristes en nos maisons, espouvantez des choses hideuses et effroyables qu'elles confessent. Et le diable est si bon maistre, que nous n'en pouvons envoyer si grand nombre au feu, que de leurs cendres il n'en renaisse de nouveau d'autres. Je me contenteray de ceste histoire prodigieuse, advenue l'année mil cinq cens nonante quatre, laquelle surmonte toutes celles que Bodin a remarquées dans sa Démonomanie. Ce qui m'a occasionné d'en faire le récit particulier.

Une jeune femme, nommée Jeanne Bosdeau, appellante du juge ordinaire de la chastellenie de Sallagnac en Lymosin, qui l'avoit condamnée à la mort, estant ouye en la Chambre criminelle, sans peine ne tourment, confessa, comme elle avoit faict par devant le juge, qu'en son jeune aage un Italien l'avoit desbauchée et amenée la vueille de Sainct Jean, sur la minuict, dans un champ, où il fit avec une verge de houx un grand cerne, marmotant quelques paroles qu'il lisoit dans un livre noir. Sur quoy survint un bouc grand et cornu, tout noir, accompagné de deux femmes, et tout aussi tost un homme habillé en prestre. Le bouc s'estant enquis de l'Italien qui estoit ceste fille, et luy ayant respondu qu'il l'avoit amenée pour estre des siennes, il luy fit faire le signe de la croix de la main gauche, puis commanda à tous de le venir saluer, ce qu'ils firent, luy baisant le derrière. Ce bouc avait entre les deux cornes une chandelle noire allumée, à laquelle les autres alloient allumer les leurs, et lorsqu'ils l'adoroient, on jettoit dans un bassin de l'argent. Ceste femme s'estant depuis retrouvée au mesme lieu, le bouc luy demanda un bouquet de ses cheveux, lesquels l'Italien couppa, et les luy bailla. Le bouc l’ayant retirée à part, la coucha dans le bois, et la cogneut charnellement, à quoy elle prenoit un extrême desplaisir, souffroie beaucoup de doulearus, sentat la semence aussi froide que glace.

Tous les mercredis et vendredis de chaque mois, le chapitre général se tenoit au Puy de Dome, où elle s'estoit trouvée une infinité de fois, avec plus de soixante autres personnes, tous lesquels portoient une chandelle noire, qu'ils allumoient à celle que le bouc avoit entre les cornes, à laquelle il avoit donné le feu, le tirant au dessous de sa queue. Après cela tous se mettoient en dance en rond, le dos tourné l'un à l'autre. Celuy qui faisoit l'office, qu'elle nomma, estoit revestu d'une chappe noire sans croix, eslevant une tranche ou rond de rave teinte en noir au lieu de l'hostie, criant tous lors de l'élévation : Maistre, aydez nous. On mettoit de l'eau dans le calice au lieu de vin, et pour faire de l'eau benitte, le bouc pissoit dans un trou à terre; et celuy qui faisoit l'office en arrousoit les assistans avec un asperges noir. En ceste assemblée, on distribuoit les mesliers de sorcellerie, et chacun rendoit conte de ce qu'il avoit faict. Les estats estoient pour empoisonner, ensorceler, lier, guérir maladies avec charmes, faire perdre les fruicts de la terre, et telles autres meschancetez.

Ceste miserable confessa tout cela avec une merveilleuse franchise et nayfveté : car, pour une femme rustique, elle avoit bon esprit, persistant tousjours mesmes dans le feu, auquel par arrest elle fut condamnée. Bèze n'estoit pas bien informé, lorsqu'en sa chaire il taxa naguères nostre Parlement d'incrédulité et de peu de foy, parce, disoit-il (et cecy tiens-jed'un gentilhomme d'honneur qui l'ouyt), que nous n'osions condamner les sorcières à la mort : nos registres tesmoignent le contraire.

Sabbat_des_Sorciers de Lancre
In Pierre De Lancre
Tableau de l’insonstances des mauuais anges et demons
1612

Synagoga Satanae