[…] Ensuite il me parle d'un trafic auquel est financièrement intéressé un magistrat varois : des bijoux en or de 7 carats, autant dire de la quincaille, importés d’Italie vierges de tout poinçon, mais frappés " 22 carats " avant d'être revendus sur catalogue aux gogos de l'Hexagone.

Puis il lâche sans crier gare :

- Quelques-uns de ces éléments figurent d'ailleurs sur les disquettes de l'ordinateur des frères Saincené.

Fernand Saincené avait entré dans son ordinateur toutes les preuves des accusations de racket qu'il portait contre certains élus méridionaux. Mais ces disquettes avaient disparu, ainsi que tous les documents qu'il disait détenir. Et la mémoire de son ordinateur, expertisée en surface, n'avait pas révélé grand-chose. Si ce n'est, tout de même, que quelqu'un d'autre que Saincené s’était servi de l'appareil... après sa mort. Mais le juge n'y avait pas accordé d'importance.

- Les disquettes? Vous les avez?

- Nous les avons. Six. Plus une, sous forme de résumé.

- Attendez! Ça m'intéresse!

Il semble ne pas entendre et passe au sujet suivant.

- C'est comme certains ports de plaisance varois : la Mafia y a beaucoup investi, vous savez.

- Vous avez des preuves?

- Quelques-unes... Des photos, par exemple. En 1984 et 1985, un élu du département pas encore célèbre à l'époque s'est rendu plusieurs fois à Corleone, un gros village au cœur de la Sicile, où il a rencontré deux chefs de la Mafia. On lui collait au train depuis déjà quelques années. Normal : il y a des installations militaires dans sa circonscription, et l'armée s'intéresse toujours, et en permanence, à ses voisins. Ce type, on l'a photographié lors d'une de ses entrevues avec des chefs mafieux au téléobjectif de 1 000 millimètres.

Evidemment, l'officier de la DRM n'a pas dît: " le type ". Il a prononcé un nom.

Son nom de code, chez nous, c'est "I'Encornet". I!encornet est une pieuvre version avorton. Comme ce saligaud est un enfant de la Mafia, qu'on surnomme "la Pieuvre", son sobriquet a été facile à trouver. je reconnais qu'on ne s'est pas foulé...

La barbouze m'explique que tous les hommes politiques importants ont été affublés d'un nom de code par la DRM. Parmi lesquels "Grand-Pif", "Louis-XV", "le Renifleur", "Crâne d’œuf", "Trottinette", "I'Encomet", etc.

- Et... la photo... vous l'avez toujours?

- Monsieur... À quoi bon faire du renseignement si on ne classe pas les informations et les documents?

La question est stupide, j'en conviens.

- Vous devriez vous intéresser à la facette sicilienne de l'Encornet. Et à trois de ses amis. Ils sont affiliés à la même loge maçonnique. Si l'on peut dire, car c'est une couverture. En réalité, c'est une association de malfaiteurs.

- C'est énorme, ce que vous dites! Et personne ne bouge?

- Tant qu'ils ne mettent pas en péril la Défense nationale et l'intégrité du territoire, ça ne nous concerne pas. On fait savoir ce qu'on sait à qui de droit, c'est aux civils de saisir la justice, pas à nous. Mais si personne ne bouge, c'est peut-être parce que ces hommes occupent des fonctions importantes. Il y a même des flics, dans leur loge.

Et l'officier me donne le nom maçonnique de cette bande de truands.

- Comment pouvez-vous être aussi affirmatif?

- Depuis sept ans, ces salopards sont écoutés et surveillés. Par nous, mais aussi par d'autres services. Des dizaines de gens travaillent sur cette équipe. Malheureusement, quelques barbouzes, y compris des militaires, sont à leur botte. Il va bien falloir que ça change. C'est pour cette raison que nous vous contactons officieusement. Bien, il se fait tard, je vais vous quitter. […]