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[…] Nostra et certains élus quand il a été abattu, le 14 février 1983.

- On n'a jamais su par qui?

Le général regarde une poutre au plafond. Il a l'air navré.

- Non... Mais de toute façon, si l'on découvrait l'assassin aujourd'hui, on ne pourrait pas l'interroger.

- Pourquoi? Il est protégé, lui aussi?

- Oui. Par un mètre quatre-vingts de terre.

- Vous voulez dire...

- Ce qui est plaisant avec vous, Rougeot, c'est que vous comprenez tout à demi-mot... ironise le général. Oui, on l'a nettoyé. Le terme vous convient ou vous préférez "flingué"?

À la réflexion, je crois qu'une larme de blanc de pays me fera du bien. J'ai besoin d'un peu de temps pour infuser ces révélations. Ma petite cervelle tourne plus lentement que mon magnéto et mes neurones ont du classement en retard.

- L'Encornet, c'est à cette époque que la DRM l'a photographié avec Riina?

- Affirmait Nous avons utilisé un téléobjectif de 1 000 millimètres. La série est un peu floue parce que nous n'avions pas de pied pour poser l'appareil. Et un télé de 1 000, même à deux, c'est un peu lourd quand il faut le porter plusieurs heures durant pour être prêt à déclencher dès que les clients ont l'amabilité de passer dans le champ.

- Vous voulez dire que vous étiez l'un des deux?

Le général se tortille un peu sur sa chaise, fait sa coquette, contemple de nouveau le plafond et acquiesce de la tête.

- On a même innové. Figurez-vous qu'on les a aussi filmés.

- Le cinéma aux armées, c'est pas nouveau...

- Le procédé l'était. On a utilisé une caméra numérique. À cette époque, ce matériel n'était pas encore

commercialisé. La caméra était dotée de trois objectifs. Un par couleur.

- Et l'Encornet, il sait?

- Bien sûr. Quand il a accédé aux fonctions que vous savez, nous sommes allés lui présenter... comment dire... cette documentation. Il a été sonné, puis il a souri amèrement et il a dit: "Oui... C'est une erreur de jeunesse..." Réaction typique de truand. Surtout qu'il avait déjà quarante ans quand on l'a photographié. Mais vous êtes bien placé pour savoir qu'il a persisté dans l'erreur.

- Continuer à être mafieux, c'est peut-être sa façon de rester jeune? Mais pourquoi ne faites-vous rien?

- On a fait. On a alerté les autorités civiles. Au plus haut niveau.

- Et alors?

- Alors, rien! Mais je ne suis pas autorisé à aborder ce sujet. Et puis, nous sommes des militaires. Tant que l'Encornet se contente de niquer les civils, nous... C'est à ses Collègues de mettre un terme à ses agissements. Ils ne l'ont pas fait, tant pis. Alors, ce voyou continue de prêcher la morale aux populations extasiées. C'est comme un autre pédé, celui-là de gauche, qu'on repêche dans toutes les affaires de pédophilie. Ils moralisent à tout va à la télé. Notez, leurs leçons ne sont pas gratuites: 10 % environ du montant annuel des marchés publics passe en bakchich. Vous n'aimez pas les betteraves rouges, Rougeot?

- Si, si... dis-je.

Mais je pense "Non, non".

Pendant que son épouse enlève les assiettes, le général se lève.

- J'ai deux petites choses à vous donner, dit-il.

Pendant le repas, le militaire parle beaucoup. Il me raconte comment il a "fait plonger" le patron de l'entreprise qui l'employait! Un contrôle fiscal - le général savait ce qu’il fallait trouver... -, un redressement, une amende ruineuse, et pour finir un petit arrangement : un coup d'éponge en échange de la liste de ses "amis". Des comptes examinés dans des dizaines de banques. Des notables en affaires avec des truands, une équipe d'anciens du SAC sous les ordres d'un marchand de miel.

- J'imaginais autrement un gros bonnet, dis-je.

- Oh! Il n'est pas très gros, lui. Il assure la sécurité de cette bande de truands et fait quelques petits attentats pour convaincre les récalcitrants de céder aux désirs de ses maîtres. Mais ce gars-là, il boit, et quand il a un coup dans le nez il ne fait pas que se vanter. C'est un centre d'écoutes à lui tout seul. On lui verse le verre de trop et il déroule ses histoires. On en apprend plus que par des semaines de planque ou d'écoutes téléphoniques. Evidemment, en le faisant boire, on le tue à petit feu. On a ainsi eu la clé du mystère d'une multitude de faillites inexpliquées.

- je ne comprends rien à cette histoire.

- C'est simple. Cette organisation ruine les gens, commerçants, artisans, propriétaires agricoles, petits industriels, en les mettant en faillite grâce à des complicités dans les tribunaux de commerce, et rachète les biens liquidés judiciairement pour une poignée de clous. Nous avons dressé une liste de toutes les entreprises dont la mort paraissait suspecte et nous avons découvert que tout retombait dans trois entonnoirs : Marseille, Toulon et Saint-Raphaël.

- L'histoire remonte à quand?

je simule l'intérêt, mais je ne suis venu que pour entendre parler des affaires Piat et Saincené. Toutefois, le récit de l'étoilé enrichit ma culture personnelle.

-À 1989. Nous avons monté un coup pour faire casser un jugement du tribunal de Draguignan attribuant une entreprise à cette bande. Ils se sont sentis piégés et, comme toujours dans ce cas-là, il y en a qui ont parlé, si vous voyez ce que je veux dire.

- je vois.

- ça m'étonnerait, mais continuons. Celui de mes hommes qui était en pointe dans l'opération a été approché. Il avait été passé au fichier par un gendarme et une formule magique avait barré l'écran : "Accès interdit. Contactez immédiatement votre officier." Pour un pandore, la traduction est claire : "Services secrets, casse-toî! " Le pandore en question s'est abstenu d'avertir son officier, et il le regrette. Mais il a dû alerter les voyous que ça allait chauffer pour leur matricule car on a proposé à mon adjoint de s'écraser, contre une petite indemnité. Trois cent mille francs. Il a dit banco! Mais vous ne mangez rien? Reprenez du gigot!

- Merci. Ces...

- ... trois cent mille balles? Ah! Cet argent, du moins deux cent soixante-quinze mille francs, provenaient de la vente de stupéfiants. Il y avait cinq cent vingt billets de cinq cents francs, trois cent cinquante de cent francs et cent de cinquante francs. Nous avons relevé tous les numéros de série, vous les avez là, sur la liste que je viens de vous donner. Puis les billets ont été marqués avec un traceur spécial, et mon adjoint les a rendus, disant qu'il préférait oublier tout ça. Et on a suivi le circuit de retour des billets. Ils sont allés directement dans la poche de l'Encornet, qui les a déposés sur un compte, pas loin d'ici.

- L'Encornet dans la drogue, ça me sidère! Mais pourquoi pas? Son principal bailleur de fonds local, l'homme avec qui il magouille dans l'immobilier, est fiché par la police comme parfaitement malhonnête. Et l'autre branche du clan, ses cousins germains, sont des narcotrafiquants réputés dans la région. Le nom de ce bon ami de l'Encornet apparaît dans l'affaire de financement politique qui a valu sa condamnation à Maurice Arreckx, l'ancien président PR du Conseil général. Mais le juge Thierry Rolland n'a jamais entrepris d'investigations dans cette direction. Par manque de temps, sans doute.

Le général ne tient pas compte de la tempête qui gronde sous mon crâne et continue sur sa lancée. Avec une apparente jubilation.

- On a mis cent cinquante sous-fifres sur écoutes. On s'est retrouvé avec sept mille pages de transcription. Un sacré boulot. C'était en 1989. Aujourd'hui, c'est plus facile. On a des ordinateurs de décryptage vocal qui éliminent ce qui est sans intérêt pour nos enquêtes - faut tout de même les programmer pour qu'ils fassent le tri, bien sûr - et qui transcrivent directement sur papier.

- je n'ai jamais vu ça au GIC! Le général éclate de rire.

- Le GIC, c'est pour amuser la galerie! je vous parle des écoutes militaires. Nous avons nos centres à nous. Rien n'en sort jamais. Vous ne risquez pas de retrouver une transcription de nos écoutes dans un dossier d'avocat. Quand nous devons présenter un document au ministre, il est imprimé sur un papier traité spécialement pour éviter le photocopiage. Impossible d'en faire un double. Et on repart avec. Et si le ministre tient absolument à le conserver, bien qu'on le lui déconseille, c'est sans problème: il se retrouvera en quelques heures avec une feuille vierge.

- Mais vous êtes en train de me révéler des secrets militaires ?

- Si peu. Je ne vous dis rien, en tout cas, que ne sachent déjà la CIA ou le KGB rebaptisé FSB. Mais si nous avons décidé de laisser "fuiter" quelques informations, c'est parce que nous n'avons pas supporté qu'un civil de merde, qui n'a même pas fait son service militaire, se permette de botter le cul et de virer un cinq étoiles!

- Mais un ministre, quand même...

- Mais un ministre, quand même... singe le général. Un ministre, ça va, ça vient. De la Culture ou des PTT à la Défense, et de la Défense à l’intérieur ou à la Chancellerie. Un ministre ça vit six mois, un an. Et à quoi occupe-t-il en priorité son temps? À surveiller ses collègues, qui risqueraient de le surpasser dans le cœur du Président. Mais il est aussi très pris à cavaler derrière les gonzesses, à piquer du […]

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