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Kalevala

Le mythe de creation finnois 

 
Le Kalevala est un recueil des vieux chants populaires du peuple finnois, encore tout imprégnés de religiosité païenne, et transmis pendant des siècles par la tradition orale. Ces chants et poèmes (les «runot»), venant des quatre coins du pays, en particulier de la région de Carélie, furent réunis et transcrits par écrit au début du 19ème siècle par un jeune poète, Elias Lönnrot. Après de longues années passées à sillonner toute la Finlande, et à écouter les vieux conteurs populaires, Lönnrot publia cette grande épopée sous le nom de «Kalevala», ce qui signifie à peu près «la terre des héros». La première version fut publiée en 1835, et la version définitive (50 chants et près de 23 000 vers) en 1849. Le Kalevala n'est pas seulement la grande épopée populaire des Finnois, il est aussi une partie précieuse de l'héritage culturel de la famille européenne, qui est composée de nombreux peuples différents, mais qui forme une seule civilisation, une civilisation très ancienne dont les racines ne sont pas judéo-chrétiennes, mais païennes et «hyperboréennes». 

Il était dans l'air une vierge,
Luonnotar, fille du ciel,
Longtemps elle reste pure,
Et vit sa vie de vierge
Dans les vastes plaines du ciel,
Vastes plaines unies du ciel.

Elle se languit chaque jour,
Elle s'ennuie de sa vie,
Toujours seule à couler ses jours,
Elle vit, toujours chaste et pure,
Dans les larges plaines du ciel,
Dans les espaces infinis.

Alors elle en descend à la fin,
Elle se pose sur les vagues,
Sur le dos brillant de la mer,
Sur les ondes paisibles.
Vient le vent par grande rafale,
Du levant arrive un orage,
Il couvre d'écume la mer,
la soulève en vagues rageuses.

Or donc le vent berce la fille,
La vague ballotte la vierge
Sur le dos bleu des flots,
Sur les flots coiffées d'écume
Le vent vient féconder son sein,
La vague la rend enceinte.
Elle porte son lourd fardeau,
La peine de son ventre plein,
Pendant sept centaines d'années,
Le temps de vie de neuf héros,
Mais elle ne peut enfanter,
Mettre au monde l'être attendu.

La vierge erre, mère des eaux,
Nage au levant, nage au couchant,
Nage au sud, nage au nord,
Vers tous les bords de l'océan,
Son giron torturé par le feu,
Peine lourde en son ventre plein,
Mais elle ne peut enfanter,
Mettre au monde l'être attendu.

La vierge sanglote doucement,
Parle en pleurs, gémit ces mots :
Ô misère, quelle est ma vie,
Fille de malheur, quel est mon destin !
Me voici mise en mauvaise route,
A jamais sous le ciel profond,
Balancée par le grain du vent,
Ballottée au gré des vagues,
Sur ces flots immenses, 
Au sein des ondes infinies.

J'aurais des jours bien meilleurs
A vivre en pure vierge du ciel,
Des jours meilleurs que cette vie,
Comme mère des vastes ondes !
Maintenant ma vie est froidure,
Âpre vie et chemin de peine,
D'avoir les vagues pour logis,
De flotter sans repos sur l'onde.

O puissant Ukko, Dieu suprême,
Toi qui soutient tout le firmament !
Viens-t'en pallier à mon besoin,
A grande hâte je t'appelle !
Délivre-moi de mes douleurs,
De la brûlure de mon ventre,
Viens t'en vite à mon aide,
Ma détresse est si urgente !

Une poudrée de temps passe,
Un petit moment se passe,
Vient un canard, bel oiseau,
Il vole de son vol saccadé, 
Cherche un endroit pour son nid,
Un coin de terre où nicher.

Vole au levant, vole au couchant,
Vole au nord, vole au sud,
Ne voit pas d'endroit pour son nid,
Pas un simple bout de terre 
Pour y construire son nid
Où construire sa demeure.

Il vole par ici, vole par là,
Alors le canard parle au vent :
ferai-je mon nid sur le vent ?
sur les vagues, ma demeure ?
le vent renversera mon nid,
la vague emportera mon gîte !

Alors la mère des eaux,
La superbe vierge du ciel,
Sort son genou hors de la mer,
Son épaule au-dessus des vagues,
Offrant au canard un endroit,
Où construire sa demeure.

Le canard, bel oiseau,
Vole par-ci, plane par-là,
Il voit le genou de la vierge
Sur le dos bleu des flots,
Le prend pour une touffe d'herbe
Motte de tourbe toute fraîche.

Alors il ralentit son vol,
Se pose sur le genou,
Il construit vite son nid,
Il y pond ses œufs,
Six œufs à coquille d'or,
Mais le septième est en fer.

Alors il couve ses œufs,
Il réchauffe le bout du genou,
Il couve un jour, puis un autre,
Pendant trois jours il couve.
Mais alors la mère des eaux,
La superbe vierge de l'air,
Sent la chaleur sur son genou,
L'échauffement sur sa peau.
Pense que le genou lui brûle,
Que les veines lui fondent,

Elle secoue son genou,
Etend brusquement sa jambe,
Les œufs tombent dans l'eau,
Versent tous dans les vagues,
Ils se brisent en morceaux,
Sont réduits en miettes,

Les œufs n'allèrent pas dans la vase,
Ils ne restèrent pas dans les flots,
Tous les morceaux se transformèrent
En choses bonnes et utiles :
Le bas de la coquille de l'œuf 
Devint le fondement de la terre,
Le haut de la coquille de l'œuf 
Forma le firmament sublime,

Le dessus de la partie jaune
Devint le soleil rayonnant,
Le dessus de la partie blanche
Devint la lune brillante,
Les points nacrés sur la coquille
Devinrent les étoiles du ciel,
Les taches noires sur la coquille
Formèrent les nuages dans l'air.

Le temps passe désormais,
Les années suivent les années,
Sous la clarté du soleil nouveau
A la lueur de la lune nouvelle.
Mais la vierge nage toujours,
La mère des eaux nage,
Au milieu des eaux tranquilles,
Sur les flots coiffés de brume,
Devant elle l'onde liquide,
Derrière elle le ciel serein.

Alors à la neuvième année,
Avant le dixième printemps,
Elle sort sa tête hors de l'eau,
Lève son front hors de la mer.
Elle entreprend la création,
Se met à modeler le monde,
Sur le dos brillant de la mer,
Au sein des ondes infinies.

Partout où sa main se place,
Surgissent des promontoires,
Partout où son pied se pose,
Se creusent des trous à poissons,
Partout où son corps se courbe,
Surgissent des gouffres profonds.

Du flanc elle effleure la terre,
Formant les rivages lisses,
Du pied elle frappe la terre,
Créant les fosses à saumons,
Du front elle touche la terre,
Modelant les baies profondes.

Alors elle nage vers le large,
S'arrête sur la mer ouverte,
Elle façonne les récifs,
Cache les écueils sous les flots,
Pour le naufrage des navires,
Pour le trépas des marins.

Ainsi les îles sont placées,
Les récifs fixés dans la mer,
Les piliers du ciel sont dressés,
Les terres sont formées,
Les signes sont gravés sur la pierre,
Les mots inscrits sur le rocher.


Extrait du Chant I du Kalevala. (traduction de Jean-Louis Perret, légèrement retouchée)