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Selon Lindbergh les Etats-Unis ont «perdu» la seconde guerre mondiale

Alden Whitman

30 août 1970

Charles A. Lindbergh, qui fut l'un des principaux opposants à l'entrée de l'Amérique dans la guerre, pense toujours qu'il avait raison en encourageant le pays à rester en-dehors du conflit. En effet, il soutient que les Etats-Unis, au vu des 30 dernières années, ont perdu la guerre. [Photo: Charles Lindbergh (1902-1974)]

Cette conviction est révélée dans le «Journal de Guerre de Charles A. Lindbergh», qui doit être publié le 30 septembre [1970] par Harcourt Brace Jovanovich. 

Le livre de 1 000 pages, qui raconte pour la première fois les pensées les plus intimes de l'aviateur à propos de la guerre, révèle aussi, sous la forme d'un journal, ses intenses activités publiques ainsi que derrière la scène, dans le but de maintenir la nation en-dehors de la guerre. Cela inclut son évaluation du potentiel de l'aviation militaire nazie, communiqué aux principaux responsables militaires américains et son association controversée avec le America First Commitee [Comité pour l'Amérique d'abord]. 

Le journal de 400 000 mots raconte aussi le rôle de Mr Lindbergh dans les premières années de la guerre pour la fabrication des bombardiers B-24, et ses 50 missions de combat ultérieures, en tant qu'aviateur civil dans le Pacifique. 

Le livre décrit aussi sa tournée d'inspection en Allemagne après la guerre. Racontant ses activités d'avant-guerre, le livre montre à de nombreuses reprises sa conviction que l'Administration Roosevelt, les éléments pro-britanniques et les Juifs essayaient de pousser les Etats-Unis dans la guerre. Et il fournit un aperçu intime de la vie privée de Mr Lindbergh. 

Méditant sur la guerre dans une lettre à William Jovanovich, son éditeur, lettre qui est incluse dans l'introduction du livre, Mr Lindbergh écrit: 

Vous me demandez quelles sont mes conclusions, en relisant mon journal et en regardant la 2ème Guerre Mondiale un quart de siècle après? Nous avons gagné la guerre au sens militaire; mais dans un sens plus large, il me semble que nous l'avons perdue, car notre civilisation occidentale est moins respectée et moins en sécurité qu'elle l'était auparavant. 

Pour pouvoir vaincre l'Allemagne et le Japon, nous avons soutenu les menaces encore plus grandes de la Russie et de la Chine -- qui à présent nous font face dans une ère nucléaire. L'Empire britannique s'est disloqué avec de grandes souffrances, effusions de sang et confusion. La France a dû abandonner ses principales colonies et devenir elle-même une douce dictature. 

Une grande partie de notre culture occidentale a été détruite. Nous avons perdu l'hérédité génétique formée à travers l'éternité de nombreux millions de vies. En même temps, les Soviets ont installé leur Rideau de Fer pour isoler l'Europe de l'Est, et un gouvernement chinois antagoniste nous menace en Asie. 

Plus d'une génération après la fin de la guerre, nos armées d'occupation doivent encore rester sur place, et le monde n'a pas été rendu plus sûr pour la démocratie et la liberté. Au contraire, notre propre système de gouvernement démocratique est défié par ce danger le plus grand pour tous les gouvernements: la coordination et les troubles internes. 

Il est fort possible que la 2ème Guerre Mondiale marque le début de l'effondrement de notre civilisation occidentale.

Mr Lindbergh tint son journal pendant huit ans -- de 1937 à la mi-1945 -- comme des souvenirs privés, «comprenant que je prenais part à l'une des grandes crises de l'histoire du monde». 

La magie du nom de Mr Lindbergh, due à sa traversée épique New York -- Paris en 1927, lui ouvrit de nombreuses portes qui lui auraient autrement été fermées en Europe, où il se rendit en 1935 pour échapper «à l'excessive publicité des journaux en Amérique». 

Son exil volontaire suivit le kidnapping et le meurtre de son premier fils, Charles Junior, et la condamnation et l'exécution de Bruno Richard Hauptmann pour le crime. 

Pendant les quatre années que Mr Lindbergh et sa famille vécurent à l'étranger -- d'abord en Grande-Bretagne et ensuite en France -- il put s'entretenir (et rencontrer en privé) avec de hauts dirigeants en Allemagne, France et Grande-Bretagne. Il discuta aussi avec des officiels du gouvernement soviétique lors d'une tournée en Russie. 

L'aviateur, selon les notes du journal, fit un rapport aux officiels américains (et donna ses impressions détaillées aux officiels britanniques et français) sur la puissance aérienne allemande. 

Il estima en 1938, par exemple, que «la flotte aérienne allemande est plus forte que celle de tous les autres pays européens réunis». Et il enjoignit les principaux officiels britanniques et français à trouver le moyen d'égaler les nazis en augmentant leur propre production d'avions de guerre. 

A l'invitation des nazis, selon le livre, Mr Lindbergh fit plusieurs voyages en Allemagne, les deux principaux en 1936 et 1938. Les deux furent entrepris, maintient-il, à la connaissance des diplomates américains. 

En deux occasions il rencontra les plus hauts officiels de l'aviation allemande, et visita des usines d'aéronautique et des installations de recherche. Il est clair que les Allemands avaient de la sympathie pour lui, et lui pour eux. 

De fait, sa note du 8 octobre 1938 décrit comment il reçut la Croix de l'Aigle Allemand, une médaille civile, qui devait causer une telle fureur lorsqu'il ferait campagne pour la non-intervention en 1939-41. La scène fut un dîner entre hommes à l'Ambassade américaine, et la note indique: 

Le maréchal Göring, bien sûr, fut le dernier à arriver [au dîner]. Je me tenais debout au fond de la pièce. Il serra la main à tout le monde. Je remarquai qu'il tenait une boîte rouge et quelques papiers. Lorsqu'il vint vers moi il me serra la main, me remit la boîte et les papiers et dit quelques phrases en allemand. Je compris qu'il m'avait décoré de l'Aigle allemand, l'une des plus hautes décorations allemandes, «par ordre du Führer». 

Mr Lindbergh dit qu'il ne porta jamais la médaille, qu'il donna à la Société d'Histoire du Missouri à St-Louis, le dépôt de beaucoup de ses autres décorations. On le pressa plus tard de renvoyer la médaille -- de nombreux Américains jetèrent ou renvoyèrent leurs récompenses allemandes ou italiennes -- mais il refusa. Il dit récemment qu'il considérait la médaille comme relativement «sans importance».

Le livre, qui décrit la montée de la fièvre guerrière en Europe, affirme encore et encore la conviction de Mr Lindbergh qui ni la Grande-Bretagne ni la France n'étaient préparées à mener une guerre moderne dans laquelle la puissance aérienne pouvait être un facteur décisif. 

«Le problème est que beaucoup de gens veulent que la France et l'Angleterre combattent, sans avoir la moindre idée de la manière dont elles vont combattre», écrivit-il dans une de ses notes. «Ils ne pensent jamais aux problèmes pratiques impliqués par la conduite d'une guerre victorieuse». 

Il craignait que «si l'Angleterre et l'Allemagne entrent dans une autre guerre majeure dans des camps opposés, la civilisation occidentale pourrait s'effondrer en conséquence». Il pensait cependant que l'expansion de l'Allemagne vers l'est, en direction de l'Union soviétique, ne représenterait pas un aussi grand péril. 

De même pour les Etats-Unis, écrivait-il, «nous ne sommes pas préparés à une guerre étrangère» et «il semble improbable que nous puissions gagner une guerre en Europe» si la nation avait à débarquer et à maintenir des troupes contre une opposition allemande. Il pensait aussi que «le Japon est en position de causer des problèmes dans le Pacifique» si tous les efforts de l'Amérique étaient tournés vers l'Europe. 

Antérieurement à avril 1941, révèle maintenant son journal, Mr Lindbergh fut extrêmement actif derrière la scène pour éveiller le sentiment anti-guerre. L'aviateur collabora activement avec Robert R. McCormick, l'éditeur du Chicago Tribune; Robert Wood, président du conseil d'administration de Sears, Roebuck; l'ancien président Herbert Hoover, Henry Ford, le Sénateur Harry F. Byrd de Virginie, Handford MacNider de l'American Legion, le Sénateur Burton K. Wheeler du Montana et John T. Flynn, l'économiste. 

En même temps, raconte le journal, Mr Lindbergh, alors colonel dans le Corps Aérien de l'Armée, fut en coulisse un avocat d'une augmentation de la construction américaine d'avions. Et il chercha aussi à impressionner des chefs militaires tels que le général H.H. Arnold du Corps Aérien à propos de l'Allemagne, en évaluant la situation pour lui. 

Comme le dit Mr Lindbergh dans son journal, la plupart des Américains étaient contre l'entrée en guerre; mais ils étaient poussés vers elle par le président Franklin D. Roosevelt et son Administration. L'aviateur rencontra Mr Roosevelt, qui devait plus tard le traiter de «Copperhead» [«collabo»], pour la première et unique fois en avril 1939. L'impression initiale de Mr Lindbergh fut celle-ci: «C'est un interlocuteur accompli, courtois et intéressant. Il m'a plu et j'ai senti que je pouvais m'entendre avec lui. La rencontre serait agréable et intéressante». 

A la réflexion, cependant, il écrivit: «Mais il y a quelque chose chez lui en quoi je ne fais pas confiance, quelque chose d'un peu trop mielleux, trop agréable, trop facile ...» 

Comme le temps passait, Mr Lindbergh, montre la journal, devint implacablement convaincu que le président, décrit dans un passage comme «dramatisant et démagogique», conduisait le pays vers la guerre «aussi rapidement qu'il le pouvait». 

En plus de l'Administration Roosevelt, écrit Mr Lindbergh, les principales forces bellicistes étaient les éléments pro-britanniques et les Juifs. Dès juin 1939, il exprima sa préoccupation dans une conversation à Washington avec le vice-président John Garner: «Nous sommes tous deux anxieux d'éviter que ce pays soit poussé dans une guerre européenne par la propagande britannique et juive», écrivit-il. «Je peux comprendre les sentiments des Britanniques et des Juifs, mais nos intérêts sont très loin de nous précipiter dans une guerre européenne sans la réflexion la plus approfondie». 

Plusieurs autres passages du journal soulignent la conviction de Mr Lindbergh que les Juifs étaient derrière une grande entreprise de propagande belliciste aux Etats-Unis. 

Ces convictions furent exprimées publiquement dans un discours que Mr Lindbergh fit le 11 septembre 1941 lors d'un meeting de America First à Des Moines, Iowa: «Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les Juifs désirent le renversement de l'Allemagne nazie». Il dit ensuite:

La persécution qu'ils subissent en Allemagne serait suffisante pour transformer toute autre race en ennemie amère [de l'Allemagne]. Aucune personne ayant le sens de la dignité humaine ne peut fermer les yeux sur la persécution de la race juive en Allemagne. Mais aucune personne honnête et lucide ne peut considérer leur politique belliciste ici aujourd'hui, sans voir les dangers impliqués par une telle politique, à la fois pour nous et pour eux. 
Le discours de Mr Lindbergh provoqua un accès de fureur à l'échelle nationale, et il fut largement dénoncé dans la presse. Cependant, son journal tel qu'il est publié ne contient ni extraits du discours, ni sa réaction aux accusations d'antisémitisme qui furent portées contre lui. 

Après Pearl Harbor, selon son journal, Mr Lindbergh tenta de se réengager dans le Corps Aérien, dont il avait démissionné après que le président Roosevelt ait suggéré qu'il était un défaitiste, mais il fut bloqué par le président. 

Mr Roosevelt, dit le journal, s'opposa aussi à ce qu'il travaille pour la United Air Craft et la Curtiss-Wright, tous deux constructeurs militaires. Finalement il alla travailler chez Ford comme consultant d'aviation, sans que le gouvernement ne proteste. 

En 1943, Mr Lindbergh rejoignit l'United Aircraft en tant que consultant-ingénieur, consacrant la plus grande partie de son temps à sa Division Chance-Vought. Un an plus tard, il persuada United Aircraft de le désigner comme représentant technique, et il alla dans le Pacifique pour étudier les performances des avions dans des conditions de combat; pendant les six mois passés ici, il prit part à des raids de chasseurs-bombardiers contre des positions japonaises. 

Pendant sa tournée dans le Pacifique, Mr Lindbergh mentionna à plusieurs reprises son choc devant le traitement des soldats japonais par les Américains. Dans une note datée du 28 juin 1944, il écrivit: 

Je suis choqué par l'attitude de nos troupes américaines. Ils n'ont aucun respect pour la mort, le courage d'un soldat ennemi ou pour beaucoup des principes de base de la vie. Ils ne pensent à rien d'autre qu'à dépouiller le cadavre d'un Japonais et à l'appeler un «fils de pute» dès qu'ils le peuvent. J'ai dit pendant une discussion avec des officiers américains que quoi que fassent les Japonais je ne vois pas comment nous pourrions gagner quoi que ce soit ou proclamer que nous représentons un état civilisé si nous les tuons par la torture.
C'est un thème sur lequel Mr Lindbergh revint plusieurs fois, en relatant des exemples d'exécutions ou de torture de Japonais faits prisonniers. 

Et lorsqu'il voyagea en Allemagne peu de temps après la capitulation nazie de mai 1945, il écrivit dans son journal : «Ce que les Allemands ont fait aux Juifs en Europe, nous le faisons aux Japonais dans le Pacifique».