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Intolerance juive

Savitri Devi

On a beaucoup parlé du «racisme» juif. Et on a fait de la doctrine du «peuple élu» une expression de ce «racisme». En réalité, aux yeux des Juifs de l'Antiquité -- j'entends, naturellement, des Juifs orthodoxes, -- l'appartenance à leur race, c'est-à-dire à la «famille d'Abraham», n'avait de valeur que si elle était alliée au service exclusif du «Dieu jaloux», Yahvé, protecteur exclusif d'Israël. D'après la Bible, les Mohabites et les Ammonites étaient, racialement, très près des Juifs. Les premiers ne descendaient-ils pas de Moab, fils de Lot et de sa propre fille aînée, et les seconds de Ben-Ammi, fils de Lot et de sa propre fille cadette? [1] Or Lot, fils de Haran, était neveu d'Abraham [2]. Il ne semble pas que ce lien de parenté ait facilité les rapports entre les enfants d'Israël et ces peuples. Si le sang les unissait, leurs cultes respectifs les séparaient. Chemosh, le Dieu des Moabites, et Milcom, le Dieu des Ammonites étaient, aux yeux des Juifs, «des abominations» -- comme tous les dieux de la terre, sauf le leur -- et leurs adorateurs, des ennemis à exterminer. 

Le racisme juif, indépendant de toute religion, -- l'attitude qui consiste à accepter comme juif et à traiter en conséquence tout homme né tel, quelles que puissent être ses croyances -- me paraît être quelque chose de récent, datant tout au plus du 18ème ou du 17ème siècle, c'est-à-dire de l'époque où les maçonneries d'inspiration israélite ont commencé à jouer un rôle déterminant dans la politique des nations d'Occident. C'est peut-être un produit de l'influence du rationalisme occidental sur les Juifs -- malgré eux. Il a trouvé son expression la plus spectaculaire à la fin du 19ème siècle et au 20ème, dans le Sionisme, qu'on pourrait appeler un nationalisme juif d'avant-garde. Ce mouvement respecte, certes, la tradition religieuse du Talmud et de la Bible, mais sans s'identifier à elle en aucune façon. Sa foi politique est «nationale», mais ne saurait être comparée à celle de la Grèce moderne, elle aussi inséparable de la religion d'Etat. Mais je l'appellerai un nationalisme plutôt qu'un «racisme», car elle implique l'exaltation du peuple juif en tant que tel, sans la conscience enthousiaste d'une quelconque solidarité de sang unissant tous les peuples du désert que l'on a coutume d'appeler «sémitiques». 

Moderne dans son expression, ce nationalisme n'est pas, toutefois, dans son essence, différent de la solidarité qui, après l'introduction de la loi mosaïque, existait entre tous les enfants d'Israël, dès le 13ème siècle avant l'ère chrétienne. La religion de Yahvé jouait alors un rôle primordial. Mais ce rôle consistait justement à faire sentir à tous les Juifs, du plus puissant au plus humble, qu'ils étaient le peuple élu, le peuple privilégié, différent des autres peuples, y compris de ceux qui étaient le plus près d'eux par le sang, et exalté au-dessus d'eux tous. Cela, les Juifs l'ont senti de plus en plus, dans les Temps Modernes, sans le secours d'une religion nationale; d'où l'importance décroissante de cette religion parmi eux (sauf dans les quelques foyers permanents d'orthodoxie juive). 

En d'autres termes, les Juifs, qui pendant des siècles avaient été une peuplade insignifiante du Moyen-Orient, parmi tant d'autres -- très près des autres, par le langage et la religion, avant Abraham et surtout avant la réforme mosaïque -- sont peu à peu devenus, sous l'influence de Moïse et de ses successeurs Josué et Kaleb, et puis sous celle des prophètes, un peuple tout rempli de l'idée qu'il se faisait de lui-même; n'ayant que mépris pour les hommes de même race que lui, qui l'entouraient, et à plus forte raison pour les gens d'autres races ; ne voyant en leurs dieux que des «abominations» -- mettant à part, sur l'ordre du prophète Ezra, lors du retour de la longue captivité de Babylone, ceux de ses enfants, demeurés en Palestine, qui avaient épousé des femmes cananéennes, et cela sous le prétexte que celles-ci ne pouvaient que relâcher le lien qui les unissait, eux et leurs familles, à Yahvé, et affaiblir en eux la conscience de «peuple élu», de peuple «pas comme les autres». 

Ils auraient pu demeurer ainsi indéfiniment, isolés du reste du monde par un orgueil national aussi incommensurable qu'injustifié -- car ils étaient, déjà dans l'Antiquité, passablement métissés, quant à la race, ne serait ce que du fait de leur séjour prolongé en Egypte. (Le monde ne s'en fût certes pas plus mal porté, -- au contraire). Ils ne le demeurèrent pas parce que, à l'idée de «Dieu unique» et de «Dieu vivant» -- de «vrai» Dieu, opposé aux «faux» dieux, aux dieux locaux et à puissance limitée des autres peuples, -- ne pouvait moins faire que s'ajouter, tôt ou tard, l'idée de vérité universelle et de communauté humaine. Un Dieu qui seul «vit», alors que tous les autres ne sont qu'insensible matière, tout au plus habitée par des forces impures, ne peut être, logiquement, que le vrai Dieu de tous les adorateurs possibles, c'est-à-dire de tous les hommes. Pour refuser de l'admettre, il aurait fallu attribuer aux dieux des autres peuples aussi, vie, vérité, et bienfaisance, en d'autres termes, cesser de ne voir en eux que des «abominations». Et à cela les Juifs se refusaient, après les sermons et les menaces de leurs prophètes. Le Dieu unique pouvait bien préférer un peuple. Mais il fallait qu'il soit, par nécessité, le Dieu de tous les peuples -- celui que, dans leur folie, ils ignoraient, alors que seul le «peuple élu» lui rendait hommage. 

La première attitude des Juifs, conquérants de la Palestine, envers les peuples adorateurs d'autres dieux que Yahvé, fut de les haïr et de les exterminer. Leur seconde attitude -- alors qu'en Palestine la résistance cananéenne avait depuis longtemps cessé d'exister, et surtout, alors que les Juifs perdaient de plus en plus le peu d'importance qu'ils avaient jamais eue sur le plan international, pour finir par n'être que les sujets de rois grecs, successeurs d'Alexandre, et plus tard d'empereurs romains, -- fut de jeter en pâture spirituelle à un monde en pleine décadence, en même temps que l'idée de l'inanité de tous les dieux (sauf le leur), la conception fausse de «l'homme», indépendant des peuples; de «l'homme», citoyen du monde (et bientôt «créé à l'image de Dieu»), qu'Israël, peuple élu, peuple de la Révélation, avait pour mission d'instruire et de guider au vrai «bonheur». C'est l'attitude des Juifs, plus ou moins ostensiblement barbouillés d'hellénisme, qui du 4ème siècle avant Jésus-Christ jusqu'à la conquête arabe du 7ème siècle après lui, formaient une proportion toujours plus influente de la population d'Alexandrie, ainsi que de toutes les capitales du monde hellénistique, puis romain. C'est l'attitude des Juifs de nos jours, -- celle, précisément, qui fait d'eux un peuple pas comme les autres, et un peuple dangereux: le «ferment de décomposition» des autres peuples. 

Elle vaut la peine que je tente d'en faire l'historique. 

Je l'ai dit: elle était en germe déjà dans le fanatisme de ces serviteurs du Dieu «unique» et «vivant» qu'étaient les prophètes juifs, de Samuel jusqu'aux rédacteurs de la Kabbale. Une chose qu'il ne faut surtout pas oublier, si on veut essayer de la comprendre, c'est que le «Dieu unique» des Juifs est un dieu transcendant, mais non immanent. Il est en-dehors de la Nature, qu'il a tirée du néant par un acte de volonté, et différent d'elle en son essence; différent, non seulement de ses manifestations sensibles, mais encore de tout ce qui pourrait, d'une façon permanente, les sous-tendre. Il n'est pas cette Ame de l'Univers à laquelle croyaient les Grecs et tous les peuples indo-européens -- et en laquelle le brahmanisme voit encore la Réalité suprême. Il a fait le monde comme un ouvrier d'art fabrique une merveilleuse machine: de l'extérieur. Et il lui a imposé les lois qu'il a voulues, et qui auraient pu être autres, s'il les avaient voulues différentes. Il a donné à l'homme domination sur les autres êtres créés. Et il a «choisi» le peuple juif parmi les hommes, non pour sa valeur intrinsèque -- cela est clairement spécifié dans la Bible -- mais arbitrairement, à cause de la promesse, faite une fois pour toutes à Abraham. 

Dans une telle optique métaphysique, il était impossible de considérer les dieux des autres peuples -- et cela, d'autant moins que ceux-ci figuraient, pour la plupart, des Forces naturelles ou des corps célestes -- comme «aspects» ou «expressions» du Dieu unique. Il était aussi impossible de souligner le moins du monde l'indéfinie variété des hommes et l'inégalité irréfutable qui a toujours existé entre les races humaines, voire entre les peuples plus ou moins de la même race. «L'homme», quel qu'il fût, devait avoir en soi, et seul des êtres créés, une valeur immense, puisque le Créateur l'avait formé «à son image», et établi, à cause de cela même, au-dessus de tous les vivants. La Kabbale le dit d'ailleurs très nettement : «Il y a l'Etre incréé, qui créé : Dieu; l'être créé, qui crée : l'homme; et ... le reste : l'ensemble des êtres créés -- animaux, plantes, minéraux, -- qui, eux, ne créent pas». C'est anthropocentrisme le plus absolu, -- et une philosophie fausse au départ puisqu'il est évident que «tous les hommes» ne sont pas créateurs (il s'en faut bien!) et que certains animaux peuvent l'être [3]. 

Mais cela n'est pas tout. Dans cette nouvelle perspective humaniste, non seulement le Juif gardait-il sa place de «peuple élu» -- de «peuple saint», comme le dit la Bible -- destiné à porter au monde la Révélation unique, mais tout ce que les autres peuples avaient produit ou pensé n'avait de valeur que dans la mesure où cela concordait avec la dite révélation, ou dans la mesure où cela pouvait s'interpréter dans ce sens. Ne pouvant nier l'énorme contribution des Grecs à la science et à la philosophie, des Juifs d'Alexandrie, de culture grecque, (et parfois de noms grecs, tel cet Aristobule du 3ème siècle avant Jésus-Christ) n'ont pas hésité à écrire que tout ce que la pensée grecque avait créé de plus solide -- l'oeuvre de Pythagore, de Platon, d'Aristote, -- n'était dû, en dernière analyse, qu'à l'influence de la pensée juive!!! -- avait sa source dans Moïse et les prophètes. D'autres, tel ce fameux Philon d'Alexandrie, dont l'influence sur l'apologétique chrétienne a été considérable, n'ont pas osé nier l'évidente originalité du génie hellénique, mais n'ont retenu, des idées élaborées par lui, que celles qu'ils pouvaient, fût-ce en les altérant, voire en les déformant tout-à-fait, amener à «concorder» avec la conception mosaïque de «Dieu» et du monde [4]. Leur oeuvre est ce produit hybride qui porte dans l'histoire de la pensée le nom de «philosophie judéo-alexandrine» -- ensemble de rapprochements ingénieux de concepts tirés plus ou moins directement de Platon (pas forcément dans l'esprit de Platon) et de vieilles idées juives (telles que la transcendance du Dieu unique et la création de l'homme «à son image»), échafaudage superflu, sans doute, aux yeux du Juif orthodoxe, à qui la Loi mosaïque suffit, mais merveilleux instrument de mainmise spirituelle sur les Gentils, au service de Juifs, (orthodoxes ou non) désirant ardemment arracher à d'autres peuples la direction de la pensée occidentale (et plus tard, mondiale). 

La philosophie judéo-alexandrine et la religion, de plus en plus imprégnée de symbolisme égyptien, syrien, anatolien, etc., que professait le peuple, de race de plus en plus abâtardie, du monde hellénistique, constituent la toile de fond sur laquelle se détache peu à peu, dans les écrits de Paul de Tarse et des premiers apologistes, et se précise au cours de la succession des conciles, l'orthodoxie chrétienne telle que nous la connaissons. Comme le remarque Gilbert Murray, «c'est une étrange expérience ... que d'étudier ces congrégations obscures, dont les membres issus du prolétariat du Levant, superstitieux, dominés par des charlatans, et désespérément ignorants, croyaient encore que Dieu peut procréer des enfants dans le sein de mères mortelles, tenaient le 'Verbe', 'l'Esprit' et la 'Sagesse divine' pour des personnes portant ces noms, et transformaient la notion de l'immortalité de l'âme en celle de 'résurrection des morts', et de penser que c'étaient ces gens-là qui suivaient la voie principale, menant à la plus grande religion du monde occidental» [5]. 

Sans doute y avait-il, dans ce christianisme des premiers siècles, prêché en grec (la langue internationale du Proche Orient à cette époque) par des missionnaires juifs, puis grecs, à des masses urbaines sans race, -- si inférieures, à tout point de vue, aux hommes libres des anciennes poleis hellènes -- nettement plus d'éléments non-juifs que juifs. Ce qui y dominait, c'était l'élément que je n'ose appeler «grec», mais «égéen», ou plutôt «méditerranéen pré-hellénique» -- ou proche-oriental pré-hellénique, car les peuples de l'Asie Mineure, de la Syrie et de la Mésopotamie l'illustraient tous, eux aussi, plus ou moins, dans leurs cultes venus du fond des âges. C'était le mythe du jeune dieu cruellement mis à mort -- Osiris, Adonis, Tammouz, Attys, Dionysos -- dont la chair (le blé) et le sang (le jus de raisin) deviennent nourriture et boisson des hommes, et qui ressuscite en gloire, tous les ans au printemps. Cet élément-là n'avait jamais cessé d'être présent dans les mystères de la Grèce, à l'époque classique tout comme auparavant. Transfiguré, «spiritualisé» par le sens de l'allégorie attaché aux plus primitifs des rites, il est manifeste dans les religions internationales «de salut», rivales du christianisme dans l'Empire romain: dans celle de Mithra; dans celle de Cybèle et d'Attys. Comme Nietzsche l'a si bien vu, le génie de Paul de Tarse a consisté «à donner un sens nouveau aux mystères antiques», à s'emparer du vieux mythe préhistorique, à le revivifier, à l'interpréter de telle façon que, pour toujours, tous ceux qui accepteraient cette interprétation accepteraient aussi le rôle prophétique et le caractère de «peuple élu» du peuple juif, porteur de l'unique révélation. 

Historiquement, on ne sait à peu près rien de la personne de Jésus de Nazareth; de ses origines, de sa vie avant l'âge de trente ans, tant et si bien que des auteurs sérieux ont pu mettre en doute son existence même. D'après les Evangiles canoniques, il a été élevé dans la religion juive. Mais était-il Juif de sang? Plus d'une des paroles qui lui sont attribuées tendraient à faire croire qu'il ne l'était pas. On a d'ailleurs dit que les Galiléens formaient en Palestine un îlot de population indo-européenne. De toute façon, ce qui est important -- ce qui est à l'origine du tournant de l'Histoire que représente le christianisme -- c'est que, Juif ou non, il est présenté comme tel, et ce qui est plus, comme le Messie attendu du peuple juif, par Paul de Tarse, le vrai fondateur du christianisme, ainsi que par tous les apologistes qui se suivent au cours des siècles. Ce qui est important, c'est qu'il est, grâce à eux, intégré à la tradition juive; qu'il est le lien entre elle et le vieux mythe méditerranéen du jeune dieu de la Végétation, mort et ressuscité, qu'elle n'avait jamais accepté: le Messie auquel on prête les attributs essentiels d'Osiris, de Tammouz, d'Adonis, de Dionysos, et de tous les autres dieux morts et vainqueurs de la Mort, et qui les repousse tous dans l'ombre à son profit -- et à celui de son peuple -- avec une intransigeance qu'aucun d'eux ne connaissait, une intransigeance typiquement juive: celle de Paul de Tarse, de son maître Gamaliel et de tous les serviteurs du «Dieu jaloux», Yahvé. Non seulement un «sens nouveau» est donné aux mystères antiques, mais ce sens est proclamé le seul bon, le seul vrai, les rites et les mythes de l'Antiquité païenne, depuis les temps les plus lointains, n'ayant fait que le «préparer» et le «préfigurer», tout comme la philosophie antique n'avait fait que sensibiliser les âmes à la réception de la révélation suprême. Et cette révélation est, pour Paul comme pour les Juifs de l'école judéo-alexandrine avant lui, et pour tous les apologistes chrétiens -- les Justin, les Clément d'Alexandrie, les Irénée, les Origène -- qui le suivront, celle donnée aux Juifs par le Dieu «de tous les hommes». 

L'intolérance juive, confinée jusqu'alors à un peuple (et à un peuple méprisé, que nul ne songeait à imiter) s'est, avec le christianisme, et plus tard avec l'islam -- cette réaction contre l'hellénisation de la théologie chrétienne -- étendue à la moitié du globe terrestre. Et, ce qui est plus, c'est cette intolérance même, qui a fait le succès des religions se rattachant à la tradition d'Israël. 

J'ai mentionné les religions de salut -- en particulier celle de Mithra et celle de Cybèle -- qui florissaient dans l'Empire romain au temps où le christianisme en était à ses débuts. A première vue, chacune d'elles avait autant de chances que lui d'attirer à soi les foules inquiètes à qui l'ordre romain ne suffisait pas, ou ne suffisait plus, et qui, de plus en plus abâtardies, se sentaient étrangères à tout culte national, quel qu'il fût. Chacune d'elles offrait à l'individu moyen tout ce que lui promettait la religion de Jésus crucifié -- et cela, avec des rites d'autant plus capables d'entraîner son adhésion, qu'ils étaient plus barbares. 

Au 3ème siècle de l'ère chrétienne, c'était le culte de Mithra -- ce vieux dieu solaire indo-européen, contemplé à travers les mille miroirs déformants que représentaient les races et les traditions de ses nouveaux adorateurs -- qui semblait devoir s'imposer ... pourvu qu'aucun facteur décisif n'intervint en faveur d'un de ses rivaux. Le dieu était populaire chez les légionnaires et chez les officiers. Des empereurs avaient trouvé bon de recevoir l'initiation à ses mystères, sous la douche de sang chaud du Taureau rédempteur. Un nombre croissant de gens du peuple suivaient le mouvement. On peut dire en toute assurance qu'il s'en est fallu de peu que le monde dominé par Rome ne fût devenu mithriaque -- au lieu de chrétien -- pour quelque vingt siècles. On peut dire avec non moins de certitude que, s'il ne l'est pas devenu, cela ne tient ni à une quelconque «supériorité» de la doctrine chrétienne du salut sur l'enseignement des prêtres de Mithra, ni à l'absence de rites sanglants chez les chrétiens, mais bien à la protection accordée à la religion du Crucifié par l'empereur Constantin, et à aucun autre facteur. Or, c'est précisément l'intolérance du christianisme -- elle surtout, sinon elle seule -- qui lui a valu la préférence du maître du monde romain. 

Ce que l'empereur voulait en effet avant tout, c'était de donner à ce monde immense, peuplé de gens de races et de traditions les plus diverses, une unité aussi solide que possible, sans laquelle il lui serait difficile de résister longtemps à la poussée de ceux que l'on appelait les Barbares. L'unité de culte était bien la seule qu'il pouvait espérer lui imposer, à condition encore qu'il y parvint vite. Parmi les religions de salut, si populaires, celle de Mithra comptait, sans aucun doute, le plus grand nombre de fidèles. Mais elle ne promettait pas de se répandre assez rapidement, et cela, d'abord et avant tout, parce qu'elle ne prétendait pas être la seule Voie et la seule Vérité. Elle risquait de laisser subsister longtemps ses rivales, et l'unité tant désirée ne se ferait pas -- ou mettrait des siècles à se faire -- alors que l'intérêt de l'Empire exigeait qu'elle se fît en quelques décades. 

On pouvait en dire autant du vieux culte de Cybèle et d'Attys: ses prêtres ne proclamaient pas, à l'instar des Juifs, qu'eux seuls possédaient la vérité; ils croyaient au contraire, comme tous les hommes de l'Antiquité (sauf les Juifs) que la vérité a d'innombrables facettes, et que chaque culte aide ses fidèles à en saisir un aspect. Ils auraient, eux aussi, laissé les religions rivales de la leur fleurir en toute liberté. 

Le christianisme, quoique pénétré qu'il fut déjà, au 4ème siècle, d'idées et de symboles empruntés soit au néo-platonisme, soit au vieux fond mystique égéen, soit à des formes plus lointaines encore de l'éternelle Tradition, avait, lui, hérité du judaïsme l'esprit d'intolérance. Même ses apologistes les plus éclairés, les plus richement nourris de culture grecque classique -- tels un saint Clément d'Alexandrie ou un Origène qui, loin de rejeter la sagesse antique, la considéraient comme une préparation à celle des Evangiles -- ne mettaient pas les deux sagesses sur le même plan. Il y avait, à leurs yeux, «progrès» de la première à la seconde, et la «révélation» juive gardait sa priorité sur l'écho le plus lointain de la voix du Dieu unique que l'on pouvait déceler chez les philosophes païens. Quant à la grande masse des chrétiens, elle tenait pour «abominations» -- ou «démons» -- tous les dieux de la terre, sauf celui qui s'était révélé aux hommes de toutes races à travers les prophètes de l'Ancien Testament -- les prophètes juifs -- et à travers Jésus et son disciple posthume, Paul de Tarse -- ce dernier, Juif cent pour cent, le premier, considéré comme «Juif», «Fils de David» par l'Eglise, quoiqu'en fait on ignore tout de son origine, et qu'on ait même pu mettre en doute son historicité. 

C'est le lien profond qui rattache le christianisme (et en particulier le «Saint Sacrifice de la Messe») aux mystères antiques, qui en a assuré la survie jusqu'à nos jours. Et ce fut, chez Paul de Tarse, un trait de génie (politique), que d'avoir donné aux plus anciens mythes du monde méditerranéen une telle interprétation qu'il a, par là, assuré à son propre peuple, sur ce monde et sur tous les peuples qu'il était, au cours des siècles, destiné à influencer, une domination spirituelle indéfinie. Ce fut, chez l'empereur Constantin, un trait de génie (également politique), que d'avoir choisi d'encourager la diffusion de la religion qui, en se répandant le plus vite, allait donner au chaos ethnique que représentait alors le monde romain, la seule unité à laquelle il pouvait encore aspirer. Et ce fut, chez le chef germain Clodwig, connu sous le nom de Clovis dans l'histoire de France, encore un trait de génie (politique, lui aussi), que d'avoir senti que rien ne lui assurerait la domination permanente sur ses rivaux, autres chefs germains, autant que sa propre adhésion (et celle de ses guerriers) au christianisme, dans ce monde déjà aux trois quarts chrétien, où les évêques représentaient une puissance à rechercher comme alliée. Génie politique, et non religieux -- encore moins philosophique -- car dans tous les cas il s'agissait de pouvoir, personnel ou national; de stabilité matérielle; de succès, non de vérité au plein sens du mot, c'est-à-dire d'accord avec l'éternel. Il s'agissait d'ambitions sur le plan humain, non de soif de connaissance des Lois de l'être, ou de soif d'union avec l'Essence de toutes choses -- Ame, à la fois transcendante et immanente, du Cosmos. Car s'il en avait été autrement, il n'y aurait eu aucune raison pour que la religion du Nazaréen triomphât pour tant de siècles: ses rivales la valaient. Elle n'avait sur elles qu'un seul «avantage» pratique: son fanatisme, son intolérance enfantine héritée des Juifs -- fanatisme, intolérance qui pouvait faire sourire le Romain ou le Grec cultivé des premiers temps de l'Eglise, et que le Germain, nourri, lui, dans sa belle religion à la fois cosmique et guerrière, pouvait avec raison trouver absurde; mais qui allait donner au christianisme un caractère militant, qu'il était le seul à posséder, puisque le judaïsme orthodoxe demeurait -- et devait demeurer -- la foi d'un peuple. 

Le christianisme ne pouvait désormais être combattu que par une autre religion à prétention également universelle, aussi intolérante que lui. Et c'est un fait que, jusqu'ici, il n'a reculé sur une grande échelle que devant l'islam et, de nos jours, devant cette fausse religion qu'est le communisme. [6] 
 

Notes de Savitri Devi: 

[1] La Bible, Genèse, Chap. 19, versets 36, 37, 38.

[2] La Bible, Genèse, Chap. 11, verset 27.

[3] L'intelligence pratique des animaux n'est plus mise en question; or, elle aussi peut être créatrice, comme le montrent, en particulier, les expériences de Koehler. Mais que l'on songe surtout aux peintures -- éminemment «abstraites» -- exécutées par plusieurs des chimpanzés de Desmond Morris, créations que l'on pouvait prendre et que l'on a en fait, réellement prises, pour des oeuvres humaines de même style.

[4] Edouard Herriot, Philon le Juif, édition 1898.

[5] Gilbert Murray, Five Stages of Greek Religion, édition 1955 (New York), p. 158.

[6] Lui même remplacé à présent par la religion «démocratique» (le «totalitarisme soft»), encore bien plus dangereuse que le communisme, et elle aussi spirituellement totalement soumise au judaïsme. (NDR) 


Ce texte est extrait du Chapitre III du livre de Savitri Devi : Souvenirs et réflexions d'une Aryenne, Calcutta 1976 (écrit en 1969-71). Le titre est éditorial.