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Völuspa: La prédiction de la Voyante

Sélection

 
  Dans notre version, certaines strophes ont été légèrement modifiées -- sans modifier le sens -- pour en renforcer l'expression poétique, et pour en faciliter la compréhension par le lecteur non familiarisé avec la mythologie nordique. 

Le magnifique poème de la Völuspa (prononcez : veu-louss-pa), qui comporte 66 strophes, est le poème central, la clé de voûte qui domine le vaste ensemble de poèmes qui composent l'Edda poétique. (Une des deux Eddas, l'autre étant l'Edda en prose, dite aussi Edda de Snorri.) La Völuspa, dont l'auteur est anonyme, nous a été transmise par deux manuscrits : le Codex Regius, le plus ancien, qui donne 62 strophes, et le Hauksbòk, qui en donne 66. Signalons que plusieurs strophes sont controversées, et ont pu être rajoutées plus tardivement. L'ordre des strophes a parfois été modifié par certains traducteurs, mais nous reproduisons ici la version classique, donnée par le Codex Regius et le Hauksbòk. 

Dans l'Edda en prose (rédigée vers 1230), Snorri Sturluson (1179-1241) cite aussi 27 strophes (avec de petites différences) de la Völuspa.

Le Codex Regius, rédigé en vieil islandais (ou vieux norrois) fut conservé à la Bibliothèque Royale de Copenhague jusqu'en 1971, date à laquelle il fut solennellement rendu à l'Islande. Bien que le Codex Regius ait été rédigé vers le milieu du XIIIème siècle, les universitaires s'accordent à penser que le poème de la Völuspa a été écrit un peu avant l'an 1000. En effet, la Völuspa est citée dans un autre poème, le Thorsfinndràpa, rédigé vers 1050. D'autre part, la technique de versification utilisée dans la Völuspa, ainsi que le contenu lui-même, suggèrent fortement que le poème fut rédigé à une époque où le christianisme était en train de remplacer l'ancienne croyance paienne. (Rappelons que les islandais se sont collectivement convertis au christianisme en 999 -- quoique sous la contrainte.)

Chez les anciens nordiques, une prophétesse ou voyante était appelée une völva (d'où Völuspa : la prédiction de la voyante) ; les völva pratiquaient une sorte de chamanisme (le seidr) qui leur permettait de parvenir à un état de transe, et d'avoir une vision de l'avenir. 

Dans la tradition nordique, les femmes passaient pour avoir des talents particuliers pour pratiquer la magie et la divination, et il semble bien que le seidr ait été pratiqué essentiellement par des femmes, voire même réservé aux femmes. 

Voici donc la völva en transe, et ainsi parle-t-elle : 
 
 

I
Silence je demande à tous, 
Humbles et puissants,
Fils de Heimdall,
Selon ta volonté,
Odinn, père des dieux,
Je vais raconter
Les anciens récits des hommes,
Les plus anciens que je me rappelle. 

III
C'était au premier âge 
Où il n'y avait rien,
Ni sable, ni mer,
Ni froides vagues
Il n'y avait point de terre
Ni de ciel au-dessus,
Béant était le gouffre
Et d'herbe nulle part. 

II
Je me rappelle les géants 
Nés à l'aube des temps,
Eux qui, il y a bien longtemps
Me donnèrent la vie
Neuf mondes je me rappelle,
Neuf immenses étendues,
Et le glorieux Arbre du Monde
Encore enfoui dessous terre. 

IV
Alors les fils du grand Géant 
Créèrent Midgard la glorieuse,
Du sud brilla le soleil
Il illumina les rochers,
Alors la terre se couvrit
De feuillages verdoyants. 

V
Le soleil vint du sud, 
Compagnon de la lune,
Rayonnant jusqu' au bord du ciel,
Il ne savait où était sa place,
La lune ne connaissait pas sa force,
Les étoiles ne savaient pas
Où étaient leurs places. 

VI
Alors tous les dieux s'assemblèrent
Dans leur salle de jugement,
Les dieux suprêmes se consultèrent,
A la nuit et à la lune montante
Ils donnèrent un nom,
Ils nommèrent le matin et le jour,
Et l'aube et le crépuscule,
Et ils firent le temps et les saisons. 

XIX
Je sais que se dresse un frêne, 
Il se nomme Yggdrasill,
Arbre immense,
Eclaboussé de boue blanche,
De là vient la rosée
Qui tombe sur la vallée,
Eternellement vert il se dresse
Au-dessus de la mer d'Urd. 

XX
De là sont venues les vierges 
Connaissant beaucoup,
Trois, venues de la mer 
Qui s'étend sous l'Arbre,
L'une s'appelle Urd,
L'autre Verdandi,
La troisième Skuld,
Elles ont gravé les runes,
Elles ont fait les lois,
Elles ont fixé les vies des hommes,
Le destin des mortels. 

XVII
Alors vinrent trois dieux glorieux, 
Puissants et bienveillants,
Venant de la demeure des dieux,
Ils trouvèrent sur la plaine
Un frêne et un orme
Ask et Embla,
Sans force et sans destin. 

XVIII
Ils n'avaient ni souffle,
Ni sens, ni sang,
Ni parole, ni couleur de vie,
Odinn leur donna le souffle,
Hönir leur donna les sens,
Lodurr leur donna le sang
Et couleur de vie.

XXI
Je me souviens bien 
De la première guerre dans le monde,
Lorsque Gullveig la magicienne 
Etait l'enjeu des lances des dieux ;
Et dans la demeure d'Odinn
Elle fut brûlée.
Trois fois brûlée,
Trois fois née à nouveau,
Toujours présente,
Elle vit toujours.

XXIII
Alors tous les dieux se réunirent
Dans leur salle de jugement,
Et se consultèrent pour savoir
Si les dieux paieraient tribut
Ou si tous les dieux 
Recevraient offrande. 

XXIV
Odinn jeta sa lance
Sur les rangs ennemis
Dans la première bataille du monde
Brisé fut le rempart
De la demeure des dieux célestes
Le champ resta libre
Aux dieux de la terre. 

XXV
Alors tous les dieux se réunirent
Dans leur salle de jugement
Et se consultèrent pour savoir
Qui avait empoisonné l'air
Et promis aux géants
La plus belle des déesses. 

XXVI
Seul Thor combattit là,
Tout empli de colère,
Il reste rarement inactif
Lorsqu'il entend de telles choses ;
Oubliées furent les promesses,
Rompus furent les serments,
Tous les solennels accords
Entre les dieux jurés.

XXVIII 7-12
Je sais, Odinn, où ton oeil est caché,
Dans le glorieux puits de Mimir,
Chaque matin, Mimir boit l'hydromel
De la promesse du père des dieux ;
Voulez-vous en savoir plus ? 

XXX
Je vois les Valkyries,
Venues de loin,
Prêtes à chevaucher 
Vers la demeure des dieux,
Skuld porte un bouclier,
Les autres sont Skogul, Gunnr,
Hildr, Göndul et Geirskögul ;
Du Seigneur des Armées 
Elles sont les servantes,
Prêtes à chevaucher, les Valkyries. 

XXXI
De Baldur, le fils d'Odinn,
Je vois l'image ensanglantée
Je vois sa destinée cachée :
Haut sur la plaine
Une plante se dressait,
Très fine et très belle,
Une branche de gui.

XXXII
De cette branche si fragile,
Fut faite la flèche fatale,
Que lança Hödr ;
Le frère de Baldur 
Naîtra bientôt
Qui vengera le meurtre
Du fils d'Odinn. 

XXXIII
Il ne se lava plus les mains,
Ni ne peigna ses cheveux,
Tant que sur le bûcher
Le meurtrier de Baldur ne fut porté.
Mais Frigga pleurait dans sa demeure
Le malheur du Valhalla ;
Voulez-vous en savoir plus ? 

XXXIV
Alors le frère de Baldur sut 
Comment forger les chaînes,
Forts et rudes étaient
Les liens de boyau tendu.

XXXV
Je vois enchaîné sur le rocher
Un fourbe à l'air rusé,
Il ressemble à Loki ;
Là Sigyn est assise,
Qui du sort de son mari
Ne peut se réjouir ;
Voulez-vous en savoir plus ? 

XXXIV
Voici que Garmr aboie de rage
Dans les profondeurs infernales,
La chaîne va se rompre
La bête va bondir,
Je vois maintes choses,
Plus loin dans l'avenir 
Je vois l'amère destinée
Des dieux de la victoire. 

XLV
Les frères se déchireront
Et se mettront à mort,
Les parents souilleront
Leur propre descendance ;
Le mal sera sur terre,
Temps de la hache, temps de l'épée,
Les boucliers sont fendus,
Temps du vent, temps du loup,
Avant que le monde s'écroule,
Personne n'épargnera personne. 

XLVI
Les géants se réveillent,
Le destin s'embrase
A l'appel du cor du Gardien,
Heimdall souffle bien fort
Dans son cor dressé,
Odinn consulte l'oracle. 

XLVII
Yggdrasill le grand Arbre tremble, 
Le vieux tronc gémit,
Les géants se sont libérés,
Tout tremble sur le chemin de Hel,
Avant que le feu 
N'engloutisse le monde.

XLVIII
Qu'en est-il des dieux ?
Qu'en est-il des elfes ?
Tout tremble dans le monde des géants,
Les dieux tiennent conseil,
Les nains grommellent 
Devant leurs cavernes de pierre,
Voulez-vous en savoir plus ?

XLIX
Voici que Garmr aboie de rage
Dans les profondeurs infernales,
La chaîne va se rompre
La bête va bondir,
Je vois maintes choses,
Plus loin dans l'avenir 
Je vois l'amère destinée
Des dieux de la victoire.

L
Un géant arrive de l'est,
Son bouclier levé,
Le grand Serpent se tord de rage,
Saisi par la fureur des géants,
Le grand Serpent fouette les vagues,
L'aigle miaule et déchire les cadavres,
Le bateau du royaume de la mort 
S'est détaché.

LI
Le bateau vient de l'est,
Amenant les géants du feu, 
A sa proue Loki le dirige ;
Les monstres, les alliés du Loup,
Tous suivent le frère des géants.

LII
Le chef des géants arrive du sud
Avec le feu dévorant,
L'épée de Hel étincelle,
Les rochers s'écroulent,
Les monstres s'ébranlent,
Les hommes marchent 
Sur la route de l'enfer,
Le ciel s'ouvre en deux.

LIII
Alors un nouveau malheur
Fond sur les dieux,
Quand Odinn s'avance
Pour combattre le Loup,
Le dieu glorieux combat les géants,
Alors périt le père des dieux.

LIV
Voici que Garmr aboie de rage
Dans les profondeurs infernales,
La chaîne va se rompre
La bête va bondir,
Je vois maintes choses,
Plus loin dans l'avenir 
Je vois l'amère destinée
Des dieux de la victoire.

LVII
Le soleil s'obscurcit,
La terre s'engloutit dans la mer,
Les brillantes étoiles
Vacillent dans le ciel,
Les fumées s'élèvent,
Les flammes grondent,
Une intense ardeur
Monte jusqu'au ciel.

LIX
Je vois émerger une deuxième fois, 
La terre hors de l'onde,
A nouveau belle et verte
Elle sort de l'écume ;
Coulent les cascades,
Au-dessus plane l'aigle
Qui dans les montagnes
Pourchasse le poisson.

LX
Dans la verte vallée 
Les dieux se rencontrent,
Ils parlent du puissant Serpent,
Ils se souviennent 
Des événements anciens,
Et des antiques runes
Du dieu suprême.

LXI
Là dans l'herbe verte,
Ils retrouveront
Les merveilleuses tablettes d'or
Qu'ils avaient autrefois possédées.

LXII
Sur les champs désertés 
Croîtront de nouvelles récoltes,
Tous les maux seront réparés,
Baldur va revenir ;
Odinn et Baldur habiteront
Dans la salle de la victoire.
Voulez-vous en savoir plus ?

LXIV
Je vois une demeure se dresser, 
Plus brillante que la lumière du soleil,
Toute recouverte d'or 
Dans le ciel elle se dresse ;
Ici pour l'éternité 
Les fidèles guerriers
Demeureront dans la joie.