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Faut-il libérer Patrick Henry?
08/06/2000

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08/06/2000
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©P.Ledru/Corbis Sygma

L'affaire Patrick Henry
L'Express du 08/06/2000
En 1976, il assassinait un enfant
Faut-il libérer Patrick Henry?
par Laurent Chabrun, Henri Haget, Jean-Marie Pontaut

[L’Express en ligne du 26/04/2001 – Condamné en 1977 à la réclusion à perpétuité, Patrick Henry, 47 ans, a été admis par la juridiction régionale de Basse-Normandie «au bénéfice de la libération conditionnelle, sous la condition de se soumettre à titre probatoire au régime du placement à l’extérieur pendant une durée de huit mois», a indiqué Michel Julien, procureur général de Caen.
Le placement à l’extérieur oblige un condamné qui travaille au dehors à réintégrer un établissement pénitentiaire pour la nuit, selon une fréquence et des modalités fixées par la juridiction. Il sera en outre astreint pendant sept ans à des mesures de contrôle et de surveillance par un service pénitentiaire d'insertion et de probation.
C’était la huitième demande de libération anticipée de Patrick Henry, la dernière ayant été rejetée par Elisabeth Guigou en juillet 2000. Il a bénéficié de la nouvelle loi qui transfère du ministre de la Justice à une juridiction régionale, composée d'un conseiller à la cour d'appel et de deux juges d'application des peines, le pouvoir de se prononcer sur une demande de liberté conditionnelle.]

 

C'est à Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, qu'il incombe de répondre à cette grave question. Tâche d'autant moins évidente qu'après vingt-quatre ans de prison l'assassin d'enfant de 1976 est devenu un détenu modèle. Voici les pièces du dossier

©Delalande/Sipa Press

Avant d'être confondu pour le meurtre de Philippe Bertrand, 7 ans (à droite), Patrick Henry avait froidement déclaré:  «Ceux qui  ont fait cela méritent la peine de mort. »
 


Depuis son arrivée au ministère de la Justice, Elisabeth Guigou n'a peut-être jamais eu à prendre une décision aussi grave. Doit-elle, oui ou non, donner son accord à la libération d'un assassin d'enfant, dont le nom reste attaché à l'une des histoires criminelles les plus tragiques de ces trente dernières années? Toute la France se souvient de Patrick Henry, ce jeune homme de 23 ans qui, avant d'être confondu pour le kidnapping et le meurtre d'un gamin de 7 ans, avait froidement déclaré devant des millions de téléspectateurs: «Ceux qui ont fait cela méritent la peine de mort»... Malgré cet effrayant cynisme, son avocat, Robert Badinter, l'avait sauvé de la peine capitale en dénonçant la barbarie de la guillotine, au terme d'un procès désormais célèbre. Condamné «seulement» à la prison à perpétuité, Patrick Henry avait disparu dans les oubliettes des centrales pénitentiaires. Aujourd'hui, vingt-quatre ans plus tard, les instances judiciaires le jugent apte à recouvrer la liberté.

©Houpline/Sipa Press

Patrick Henry lors de son procès. Un jeune homme de 23 ans, d'apparence banale.

 

Une recommandation fondée sur sa conduite en prison et sur la conviction qu'il n'est, désormais, plus dangereux, et donc réinsérable dans la société. Mais c'est la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, qui doit, en dernier recours, se prononcer. Une décision qui dépasse le simple débat judiciaire, car elle suscite aussi des interrogations morales et politiques (lire l'éditorial de L'Express ). Un tel détenu doit-il, ou non, être libéré? Impossible de trancher dans l'absolu, tant chaque cas est une histoire particulière. Il existe, en France, 600 condamnés à perpétuité. Depuis qu'elle occupe le ministère de la Justice, Elisabeth Guigou a accepté la libération conditionnelle de 13 d'entre eux. La plus récente concernait Philippe Maurice, tueur de policier, condamné à mort et sauvé par l'abolition de la peine capitale en 1981. Il avait passé, en prison, une remarquable thèse d'histoire médiévale. En revanche, Lucien Léger, l'étrangleur du petit Luc Taron, demeure, lui, en cellule depuis 1966, considéré jusqu'ici - il aura bientôt 74 ans - comme inapte à la réinsertion.

Le cas Patrick Henry demeure particulièrement difficile et douloureux: les pièces du dossier posent un véritable cas de conscience à la garde des Sceaux.

Les faits eux-mêmes sont particulièrement effrayants et accablants. Le 30 janvier 1976, à Troyes, le petit Philippe Bertrand ne rentre pas de l'école pour déjeuner chez ses parents. Ces derniers, affolés, préviennent la police. Le soir, alors que les premières recherches ont commencé, un appel téléphonique parvient à la famille. Au bout du fil, un homme plutôt courtois, s'exprimant bien, réclame 1 million de francs pour rendre l'enfant qu'il a kidnappé. Sur la recommandation des enquêteurs, les parents font durer la conversation, au cours de laquelle le ravisseur affirme «[qu'il n'est] pas un tortionnaire». Le temps ainsi gagné permet aux policiers de localiser l'appel. Il provient d'une cabine téléphonique des environs de la ville. Mais ils tardent à la trouver. L'intervention inopinée d'une camionnette de gendarmerie met surtout l'homme en fuite. Un «blond», selon les gendarmes qui l'ont aperçu. Après ce raté, le silence du ravisseur se prolonge pendant douze jours... Pendant ce temps, l'émotion, à travers la France, est intense car il s'agit de l'un des premiers kidnappings médiatisés. Passé ce délai, l'homme se manifeste à nouveau par un message déposé dans la boîte aux lettres d'un curé de Troyes. Il y a joint un gant de l'enfant et fixe, pour la remise de la rançon, les étapes d'un sinistre jeu de piste dans les environs du chef-lieu de l'Aube. A chaque étape, le père de Philippe fait une découverte: les chaussures, le caban du petit garçon... La piste se termine, une quarantaine de kilomètres plus loin, sur le parking d'un restaurant routier surnommé «la Mangeoire». C'est là que le père du petit Philippe doit déposer l'argent. Personne ne se présente, mais les policiers recueillent des témoignages selon lesquels un homme blond est, par deux fois, passé boire un verre à l'auberge ce fameux soir. Il conduisait une DS.

Le suspect, cette fois rapidement identifié, est interpellé au petit matin dans l'appartement qu'il partage, avec son frère, à Troyes. Patrick Henry a 23 ans; c'est un jeune homme d'apparence banale, au visage un peu enfantin, portant de grandes lunettes en écaille. Cet ancien apprenti pâtissier a visiblement l'envie de réussir. Il a acheté une quincaillerie et manifeste un caractère orgueilleux et entêté. Mais il se débat dans des difficultés financières.
Très sûr de lui, il nie farouchement les faits qui lui sont reprochés. Pourtant, très vite, les policiers découvrent qu'il connaît la famille du petit Bertrand, qu'il a fréquenté la même école et, surtout, les enquêteurs relèvent des incohérences dans son emploi du temps. La mesure de l'essence contenue dans sa voiture va emporter leur conviction. Il manque exactement la quantité de carburant nécessaire aux différents trajets du kidnappeur supposé.


©M.Artault/Gamma

Son avocat, Robert Badinter, lui évitera la peine capitale. Le 20 janvier 1977, le verdict tombe: réclusion à perpétuité.


Pendant sa garde à vue, le jeune homme tient toujours tête, parlant de grossière erreur. Il revient, d'ailleurs, de quelques jours de vacances, en Suisse, avec son frère et deux amies. Persuadés qu'il est bien le coupable, les enquêteurs sont obligés de le remettre en liberté. Avec le juge, ils pensent que, si l'enfant est toujours vivant et caché quelque part, il risque de mourir, abandonné dans une cachette secrète. Du coup, le commissaire Charles Pellegrini, de l'OCRB (Office central de répression du banditisme), tente une manœuvre désespérée. Il entraîne Patrick Henry avec quelques hommes dans un bois, et lui annonce qu'il va l'exécuter s'il ne révèle pas l'endroit où se trouve l'enfant. Les yeux dans les yeux, celui-ci lui répond: «Si vous me tuez, vous tuez un innocent!» Le commissaire tire quelques coups de feu à côté et le jeune homme sourit, sûr alors que la menace est fictive. «J'ai compris, confiera-t-il à Paris Match, que c'était du bluff...» Remis en liberté, il fait cette fameuse déclaration télévisée: «Ceux qui ont fait cela méritent la peine de mort», et indique à un journaliste de Paris Match que tous ses amis savent qu'il est incapable d'un tel meurtre.

Les policiers, pourtant, ne lâchent pas sa piste. Ils découvrent, ainsi, qu'il a loué une chambre à l'hôtel des Charmilles, à Troyes. En planquant devant cet établissement, les enquêteurs voient arriver le jeune homme... Quelques minutes plus tard, dans la chambre qu'il a louée, il lance aux policiers: «Vous avez gagné, le corps de l'enfant est sous le lit.» Le cadavre se trouve dans un sac de couchage. Philippe Bertrand a été étranglé le soir même de son enlèvement. Douze ans plus tard, Patrick Henry confiera à Frédérique Lebelley - auteur de Tête à tête - un fascinant recueil d'entretiens en prison avec des miraculés de la peine de mort, édité chez Grasset en 1989 - qu'il ne comprend toujours pas pourquoi il a tué l'enfant: «J'étais aussi parfaitement lucide quand j'ai monté le scénario, lucide quand j'ai opéré pour la remise de la rançon. Mais je ne peux absolument pas comprendre le mécanisme qui s'est produit en moi lorsque je l'ai étranglé. Je n'ai jamais ressenti la moindre pulsion criminelle. (...) Mais, lorsque la nuit le gamin s'est mis à trépigner et à réclamer son père, je l'ai étranglé avec un foulard; une impulsion, deux minutes plus tôt, je n'y pensais pas. C'est donc vrai que je vis dans l'ignorance de ce mystère de ma nature»... Les enquêteurs ont une autre vision de cet épisode tragique. (Voir l'encadré de Charles Pellegrini.)


©AP

Le procès
Le 18 janvier 1977, à l'extérieur du palais de justice de Troyes, où se déroule le procès de Patrick Henry, la foule réclame sa mise à mort.



«La France a peur», clame Roger Gicquel, présentateur du journal télévisé, alors que la police vient, ce 17 février 1976, de confondre le ravisseur. Le ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski, et celui de la Justice, Jean Lecanuet, n'hésitent pas à déclarer que Patrick Henry mériterait la mort. La peine paraît d'autant plus inévitable que, le 28 juillet de la même année, Christian Ranucci, soupçonné du meurtre d'une petite fille, est décapité. Mais la force de conviction de son avocat, Robert Badinter, sauve la tête de Patrick Henry. Ce qu'il n'avait pu obtenir, cinq ans auparavant, pour Buffet et Bontemps, condamnés à mort par la même cour d'assises de Troyes pour avoir assassiné une infirmière et un gardien en prison... Patrick Henry est donc condamné à la réclusion à perpétuité, le 20 janvier 1977.

Ses premières années de détention auraient pu l'anéantir; elles l'ont, apparemment, révélé à lui-même. Il passe d'abord cinq ans et demi à l'isolement, dans les quartiers de haute sécurité, les fameux QHS, dont on ressort généralement comme un légume ou un fauve. «Certains, à sa place, seraient devenus fous, il est devenu fort», confie Robert Bocquillon, 83 ans, le bâtonnier de Chaumont, son «autre» avocat, la seule personne avec laquelle Patrick Henry ne cessera jamais de correspondre.

©AFP

Les autres
Christian Ranucci, soupçonné du meurtre d'une petite fille, exécuté en 1976.


Ce n'est pas pour sa dangerosité, ni par brimade, que l'assassin du petit Philippe Bertrand est placé à l'isolement et soumis au régime carcéral le plus rude. C'est pour le protéger des autres détenus, qui ont juré de lui faire la peau, l'insultent à longueur de journée et déversent des salières entières sur ses plateaux-repas. Il sait qu'on le méprise. Mais il s'en moque un peu. Au début, fidèle à sa piètre réputation, il a bien tenté de riposter: «Si vous m'embêtez, je préviens mon avocat, Robert Badinter, et le garde des Sceaux...» Puis, très vite, Patrick Henry apprend à faire abstraction du monde qui l'entoure, des mœurs, des conflits et des complots qui rythment la vie de la prison - pour se replier sur lui-même et sur sa grande ambition: reprendre les études qu'il a abandonnées en cinquième, à l'âge de 14 ans. «C'est idéal pour la concentration», dit-il des QHS....

De la concentration, il lui en faut pour reprendre tout de zéro: le français, l'histoire, la géographie, l'anglais, l'allemand et les maths, surtout les maths... Car, si Patrick Henry apprend très vite - quelques années lui suffiront pour devenir un familier des romanciers français du XIXe siècle ou se passionner pour l'histoire sanglante de la Révolution, «qui démontre que l'instinct meurtrier est présent en chacun de nous et se libère quand les circonstances l'y autorisent» - l'univers mathématique le fascine par ses lois au carré et ses vérités intangibles tellement éloignées des approximations de l'âme humaine. Alors il se noie dans les chiffres. Se bagarre avec les équations. Passe le brevet des collèges. Puis le bac. Puis une licence de mathématiques. Rien ne l'arrête. Rien ne le distrait de sa quête de savoir. Si ce n'est la messe, le dimanche, et les visites de sa mère, tous les mois. Son père, lui, a juré de le tuer à sa sortie de prison. Il ne l'a plus vu depuis le procès. Il ne le verra plus. Il est mort.

©J.R.Roustan/L'Express

Lucien Léger, l'étrangleur du petit Luc Taron, incarcéré depuis 1966. 


Les prisons se succèdent: Chaumont, Ensisheim, Caen, puis à nouveau Ensisheim, une centrale vétuste à l'atmosphère électrique, où il a choisi lui-même de retourner car elle est la seule, en France, à disposer d'une classe d'informatique. Deux ans lui suffiront pour décrocher un Deug. Désormais, Patrick Henry n'est pas seulement bardé de diplômes: il a un vrai métier. L'informatique, c'est du concret. Et le concret le conduit, petit à petit, sur le chemin de la libération conditionnelle. Bientôt, il n'a plus besoin des mandats de sa mère pour cantiner. Puis vient le grand jour, où ses références professionnelles étayent une demande de mise en liberté. Dans combien de temps? «En ce qui me concerne, je pense que vingt ans de prison sont raisonnables», lâche-t-il à ses rares confidents.

Un détenu solitaire, énigmatique. En attendant, le voici de retour à Caen. L'adolescent attardé, fade et inculte, est devenu un puits de science, infatigable à la tâche. Il n'en reste pas moins un détenu solitaire, énigmatique, qui ne se lie à personne, refuse la télévision dans sa cellule et continue de sécher les promenades parce que «c'est une perte de temps». Une perte de temps! Quand on est condamné à perpétuité... De toutes les équations qui hantent ses journées, il en est une, une seule, qu'il n'a jamais résolue. «Ma réflexion ne m'a jamais permis d'éclairer totalement les événements du passé», confie-t-il à Frédérique Lebelley. Il lui arrive de penser qu'à sa mort, en disséquant son cerveau, on trouvera quelque chose d'anormal. «Un chromosome supplémentaire ou je ne sais quoi...» Les expertises psychiatriques sont pourtant formelles: Patrick Henry est un sujet normal. Désespérément normal. Pas plus schizophrène, pervers ou antisocial que la moyenne. Un tantinet psychorigide, au début de sa détention. Puis ça s'est tassé. Avec le temps, tout se tasse. Enfin, presque.

©AFP

 Philippe Maurice, condamné à mort pour le meurtre d'un policier, aujourd'hui en liberté conditionnelle.

Quinze ans ont passé. Dans les mémoires, le souvenir de l'affaire de Troyes s'estompe doucement. A Caen, Patrick Henry n'a toujours pas beaucoup d'amis. Juste un petit groupe de quatre ou cinq détenus qui, sous son autorité, ont entrepris des études d'informatique. Des rapports de maître à élèves, guère plus. «Même quand il n'a plus été rejeté par les autres prisonniers, il a continué à vivre dans son monde. Comme avant. Comme s'il n'avait pas besoin de nouer des relations affectives», souligne un ancien cadre de la prison de Caen. Patrick Henry ne partage sa cellule avec personne. C'est le sort des «longues peines». Ce pourrait être aussi son choix. Pour la pénitentiaire, en tout cas, ses états de service sont impeccables. Il a relancé l'imprimerie du centre de détention, élaboré un logiciel éducatif pour les élèves de CE 2; un employeur a déclaré être prêt à l'embaucher à sa sortie.

©J.-P. Guilloteau/L'Express
La décision
La garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, a trois possibilités: elle peut libérer Patrick Henry, refuser sa sortie de prison ou, enfin, prendre le temps de la réflexion, car elle n'est tenue à aucun délai.


A six reprises, son cas a été examiné pour une libération conditionnelle. Plusieurs fois, un avis favorable a été délivré par les diverses commissions, mais refusé par la chancellerie. Une septième demande a, elle, franchi tous les obstacles. Elle est finalement parvenue à Elisabeth Guigou. Cette dernière a trois possibilités: elle peut libérer Patrick Henry. Elle peut refuser sa sortie de prison. Elle peut, enfin, prendre le temps de la réflexion, car elle n'est tenue à aucun délai. Si elle attend jusqu'en janvier 2001, la loi sur la présomption d'innocence, qu'elle vient de faire voter, sera applicable: elle confiera la décision non plus au ministre, mais à deux instances judiciaires. Pour l'instant, Elisabeth Guigou veut réfléchir, prendre son temps face à ce dilemme tant moral que politique. Nul ne pourra lui en faire reproche. Il est des décisions dont la gravité anéantit les polémiques.

 

 

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