Souvent par le passé, papa nous a fièrement raconté‚ qu'un ancêtre de la famille Perreault soit Joseph Leroux, père d'Adèle sa grand-mère, avait été actif parmi les patriotes des Rébellions de 1837-38. Pour comprendre les raisons des Rébellions de 37-38, il faut retourner au 13 septembre 1759, jour de la Bataille des Plaines d'Abraham avec le Général Wolfe. Les troupes françaises sont vaincues et les Anglais prennent possession de Québec.
Les Anglais eux mêmes sont un peu surpris de leur victoire si rapide. Ils veulent conquérir Montréal et Trois-Rivières par la suite. Ils rencontrent plus d'opposition à ces endroits. Durant cette période de combats en Nouvelle France, la France est en guerre avec l'Angleterre depuis plusieurs années. La France est alors très appauvrie, aussi elle néglige d'aider la Nouvelle-France. Elle n'envoie plus d'argent, ni d'hommes.
En 1763, le traité de Paris signé par Louis XV met fin à la guerre de sept ans entre la France et l'Angleterre. Dans ce traité la France cède à l'Angleterre toutes ses possessions de l'Amérique du Nord, à l'exception des îles Saint-Pierre et Miquelon.
Par la suite différentes décisions gouvernementales et événements sociaux ont provoqué les Rébellions.
Ce n'est qu'un très bref aperçu de cette histoire que j'écris ici. Plusieurs auteurs ont écrit de façon intéressante et détaillée sur cette période mouvementée.Comme tous conquérants, les Anglais veulent assimiler les Canadiens français sur tous les plans: social, religieux et culturel.
Les Canadiens français étant beaucoup plus nombreux,supportés fortement par le clergé à conserver leur religion et leur langue, les Anglais n'ont jamais réussi cette victoire.
De 1760 à 1837, les Canadiens français ont exprimé au gouvernement, à plusieurs reprises, et dedifférentes façons, leur volonté d'obtenir plus de pouvoirs démocratiques.
Les assemblées populaires et les regroupements clandestins étaient fréquents. Même si on exprimait des critiques et des requêtes au gouvernement, les Anglais étaient de plus en plus avantagés économiquement et politiquement.
Les Canadiens français étaient de plus en plus réprimés. Les autorités accusaient injustement les Canadiens français de haute trahison et emprisonnaient dès qu'un Canadien français un peu influent, formait un regroupement ou posait un geste de désaccord. Les Anglais eux, pouvaient poser des gestes similaires et on les ignorait ou minimisait à l'extrême.
En 1834, l'Assemblée législative est majoritairement composée de Canadiens français et
Louis-Joseph Papineau en est le chef parlementaire. L'assemblée vote 92 résolutions présentées par un comité de radicaux. Ces 92 résolutions avantagent les Canadiens français et sont préparées dans le but de servir à former un nouveau parti politique populaire.
Durant 3 ans, les Canadiens français dépensent une énergie féroce à organiser ce parti.
Le 2 mars 1837 les commissaires Grey et Gipps, après être venus au Canada, présentent un rapport sur la situation politique de la Nouvelle-France au parlement anglais. Suite à ce rapport,la Chambre britanique s'empresse de formuler et présente, par le Ministre de l'intérieur,Lord John Russell 10 résolutions qui annulent les 95 résolutions canadiennes et retire à L'Assemblée son seul pouvoir, celui de refuser de voter le budget.
Suite à cette décision, et malgré l'effort du clergé pour apaiser et inviter les patriotes à la
soumission, des assemblées se tiennent partout dans le Bas Canada. Louis Joseph Papineau renseigne les paysans et tout le peuple des décisions gouvernementales, surtout autour de Montréal et dans la vallée du Richelieu. Les esprits s’échauffent. On forme des regroupements clandestins et on s'organise pour combattre les Anglais.
A Montréal, 500 jeunes forment une société politique portant le nom de « Les Fils de la liberté » avec André Ouimet en tête. Ce regroupement est en opposition au « Doric Club, » regroupement de jeunes Anglais, Ecossais et Irlandais.
C'est à l'automne 1837 que les manifestations plus rudes commencent, soit le 23 novembre àSaint-Denis. Les Anglais marchent sur Saint-Denis. Les Canadiens français vont à leur rencontre. Quelques coups de feu sont tirés. Il y a quelques morts et des blessés des deux cotés. Même si lesAnglais sont beaucoup plus nombreux, mieux armés et leurs dirigeants plus expérimentés, les patriotes remportent la victoire. Les Anglais retournent à Montréal.
Des Loyalistes viennent se joindre aux Anglais. Ils retournent à Saint-Denis, puis vont à
Saint-Charles et Saint-Eustache. Les Anglais ont la victoire. Ils brûlent des fermes, les Canadiens français perdent des hommes et sont de plus en plus appauvris. Le 14 décembre 1837, le Dr. Chénier est tué par les Anglais à Saint-Eustache. Durant cette période, plusieurs Canadiens français sont tués, d'autres arrêtés et incarcérés sans mandat ni procès. Huit chefs sont expatriés aux Bermudes, 107 sont finalement libérés moyennant une caution de 5,000.00$ à 20,000.00$.
Durant le printemps et l'été 1838 les échanges entre les patriotes et les Anglais se font rares. Il y a une accalmie.L'Angleterre consciente des problèmes vécus au Bas Canada remplace le Gouverneur Gosfordpar Lord Durham. C'est une façon pour l'Angleterre de diminuer les tensions. Quand l'atmosphèredu pays devient plus explosive, l'Angleterre change le Gouverneur. Ce dernier arrive plusdétendu, plus conciliant pour un certain temps. Il inspire confiance jusqu'à la prochaineanicroche. Lord Durham a quand même été le gouverneur anglais qui a été des plus apprécié des Canadiens français.
A l'automne 1838, dans la région de Beauharnois, les gens se révoltent contre le Seigneur Edward Ellice. Comme depuis toujours, il vise plus la richesse que la colonisation. Monsieur Ellice refuse des terres aux Canadiens français au profit des Anglais, parce que c'estplus payant. Il augmente la redevance des censitaires au point que plusieurs en perdent leursterres. Il enlève la terre de certains pour n'importe quelle raison banale ou inventée, sans aucunecompensation.
Le cultivateur n'a aucun recours pour se défendre.On commence à assister à un soulèvement un peu partout dans la région. François-Xavier Prieur, marchand de Saint-Timothée devient le chef de l'insurrection des patriotes à Beauharnois. Il fonde une société secrète à laquelle il donne le nom de « Frères Chasseurs ». Il en devientle chef (ou castor).
C'est surtout à cette période que notre ancêtre Joseph Leroux a participé activement au
soulèvement, comme patriote.
Joseph Leroux est né aux Cèdres, le 09 avril 1804, du mariage de Charles Leroux et
Geneviève Ravary qui avait eu lieu le 16 février 1795.
Il est le 5ième enfant de la famille: Geneviève, Josephte, Pierre , Marie-Charlotte, décédée
le 27 juillet 1803 à l'âge de 9 mois.
Déjà dans le mois qui suit sa naissance, Joseph doit faire face à une dure épreuve. Sa mèredécède le 17 mai. Si jeune, Joseph va-t-il vivre chez un oncle ou est-ce son parrain et samarraine Joseph Monpetit et Josephte Lalonde qui l'accueillent ?. Les Leroux sont très près desLalonde. On les retrouve souvent comme parrains, marraines ou témoins de mariage.
Deux ans plus tard, en 1806 Charles Leroux se remarie à Marguerite Lalande de la
Nouvelle-Longueuil. Ils ont eu 3 enfants: Charles fils, né le 06 août 1808, Benoît, né le 06octobre 1809 et Toussaint‚ né le 01 mai 1811 six mois après le décès de son père. À l’âge de 38ans Marguerite reste veuve avec 4 enfants du premier mariage de Charles et 3 nés de son union avec ce dernier.
Le début de vie de Joseph n'a pas été des plus faciles avec tous ces événements tragiques. Nous n'avons rien d'écrit pour nous renseigner comment se sont passées les premières années de vie de Joseph. Il n'est pas allé à l'école puisqu'il ne savait pas écrire. Son certificat de mariage et ceux de baptême de ses enfants nous le montrent. Sur tous ces papiers on écrit qu'il ne pouvait pas signer.
Les épreuves n'ont pas abattu Joseph, au contraire: de ce que l'on a pu apprendre de lui, lesdifficultés lui ont donné une plus grande détermination dans la vie. Il a réagi avec beaucoup de courage dans les événements difficiles tout au cours de sa vie. Il donne l'impression d'être un homme réfléchi qui réagissait positivement aux situations ambiguës.
Sur la ferme, Joseph a dû jouer un peu comme les enfants de son temps. Il a dû bien vite
participer aux travaux de la ferme et plus vieux aux chantiers, même à la drave. Adèle sa fille,grand-mère de papa, aimait lui raconter comment vivait son père. A son tour, papa nous a surtoutparlé de Joseph le draveur. Il nous le présentait comme un homme admirable. Il le décrivait agile,grand, costaud et fort. « C'était tout un homme, il était toujours chef de ligne », nous disait-il.C'est probablement ce métier qui a permis à Joseph de gagner la vie de sa famille.
Dans ce temps là, tous les cultivateurs coupaient du bois durant l'hiver. Quand arrivait le
printemps, c'était surtout par les cours d'eau que l'on allait le vendre au moulin à scie,
ou le porter au port de Montréal, pour exporter en Angleterre. La famille Leroux demeurant aubord du fleuve, à quelques kilomètres de Montréal, était favorisée. Papa disait que tous lesLeroux faisaient la drave. Ces jours là, quand ils faisaient la drave ils ne se parlaient pas,ils ne communiquaient que par des signes.
Le 24 août 1824, Joseph unit sa vie à Euphrosine Malboeuf de la paroisse Saint Joseph de
Soulanges, aux Cèdres. Etienne Ravary lui a servi de tuteur, Théodore Lalonde
et Pierre Monpetit ont servi de témoins au couple.Après le mariage, c'est à Saint-Timothée que le couple va s'établir. Joseph n'a pas peur des défis. Il est un homme ambitieux et travailleur. Saint-Timothée est situé en face des Cèdres, sur la Grande île, à coté de Beauharnois. Le village fait parti de la grande Seigneurie de Beauharnois et elle est reconnue pour être très prospère. Il était donc censitaire du Seigneur Ellice. En décembre1825 un fils vient au monde, il s'appellera Joseph fils. En 1830 naît un autre fils Béloni. Adèle est né le 18 janvier 1832, François le 11 février 1836, Charles le 25 mars 1838, Pierre le10 août 1840, Julie 27 février 1843 et Napoléon en 1846.
Au Canada, durant ces années, l'agriculture connaissait une phase difficile et la vente des
fourrures était aussi à la baisse. La vente de bois était plus rentable. La France et la Russie avaient augmenté leurs prix et c'était plus avantageux pour l'Angleterre d'acheter le bois duCanada. Joseph devait bien faire son affaire et ne pas avoir peur de s'engager.
Un jour, à l'automne 1838, alors qu'il assistait à une assemblée des patriotes aux Cèdres, un homme de Sainte-Scolastique l'interpelle en lui disant: « Attention Joseph Leroux, tu pourrais bien perdre ton sang, et sous peu, être aussi pauvre que nous ».Cette interpellation n'a pas ralenti l'ardeur de ce valeureux habitant. C'est dans cette période que, comme plusieurs habitants de cette région, papa nous disait qu'il marchait à travers champs et bois pour se rendre au village, soit au magasin général de M. Prieur, soit à l'hôtel de M. Provostpour jaser, prendre des nouvelles des derniers développements dans les confrontations avec lesAnglais. Il se faisait aussi des balles, en faisant fondre des plats ou des ustensiles en étain.
Joseph Leroux a été très actif tout l'automne 1838 lors des activités menées par les patriotes. Surtout en octobre et novembre. Les 3 et 4 novembre, des rassemblements ont lieu et des campssont aménagés, principalement à Beauharnois, Châteauguay, Sainte-Martine (camp Baker),Pointe-Olivier, Saint-Constant et Napierville.
Le 7 et 9 novembre, des engagements ont lieu à Lacolle et à Odeltown.À Odeltown les patriotes ont la conviction d'enfin gagner et de former avec le Docteur Robert
Nelson à leur tête, la future république canadienne. Ils s'attaquent aux Loyalistes qui viennent aider les Anglais, sous le commandement de John Colborne; ils sont 2000 hommes.
Devant cette armée si nombreuse, les Patriotes prennent la décision de quitter.
Les Canadiens français se dispersent rapidement. Plusieurs d'entre eux sont capturés, tandis queles autres réussissent à se cacher ou à repasser la frontière américaine.
La seconde répression de Colborne est des plus barbares. Les Anglais font des arrestations et desemprisonnements sans mandat ni procès.
Si l'on compare la population de 1838 à celle de 1970, les 851 prisonniers de 1838 sont
comparables à 40,000 en 1970.
C'est un dimanche, le 18 novembre, tôt le matin que des gendarmes volontaires arrivent chez les Leroux pour arrêter Joseph et l'amener en prison. (Ces gendarmes volontaires étaient des Anglais à qui les autorités politiques assignaient un pouvoir d'arrestation.)
Selon papa, quand les gendarmes ont voulu mettre les menottes à Joseph, dans sa maison, ila refusé catégoriquement: « non, vous ne m'attacherez pas les mains. Je vais vous suivre mais vous ne m'attacherez pas les mains ». Ils ont accepté de l'amener sans menotte. Rendu au fleuve, il faut prendre le bateau et lui mettre les menottes. « Non! jamais...vous allez m'amener mort plutôt que les mains attachées. Je ne vous ferai pas de trouble mais vous ne m'attacherez pas », leur dit-il. Ils ont encore cédé à Joseph. Tout se déroule normalement. Arrivés à la prison, les gendarmes ne veulent pas être blâmés mais c'est inutile. Encore une fois Joseph refuse les menottes et entre à la prison les mains libres.
On ne sait à peu près rien de la vie d'Euphrosine. Elle était originaire des Cèdres, née en 1804 comme Joseph. Elle était l'aînée de la famille. Elle a appris très jeune à assumer des responsabilités. À cette époque, les femmes travaillaient de longues heures pour entretenir la maison finie de façon simple et primitive. Pour préparer les repas c'était aussi exigeant, étant donné que les familles étaient nombreuses et les moyens modestes. Les femmes devaient aussi trouver le temps de préparer et tisser des pièces d'étoffe servant à confectionner des vêtements.
Elles tricotaient des tuques, des bas ou des mitaines. Souvent une bonne grand-maman
demeurait dans la famille et pouvait aider à ces tâches avec les grandes filles.
C'est certain que durant cette période de crises, la vie était encore plus lourde pour ces femmes.Elles étaient souvent seules avec plusieurs enfants. Elles vivaient toujours dans l'inquiétude de ne pas revoir leur mari ou leurs fils, parce qu'ils pouvaient être arrêtés et emprisonnés ou même tués par les Anglais.
Les événements tragiques s'acharnent sur la famille Leroux. Quelques jours après l'arrestation, de Joseph, les Anglais vont dans les rangs de la région, brûlent des maisons ou des granges, selon le bon vouloir du chef de groupe. Parfois, ils ne font que piller la maison. Un jour, Euphrosine voit du feu près de chez elle. Elle laisse les fèves au lard qui mijotent au four, prend vitement ses enfants avec quelques croûtons de pain et des pommes peut-être, pour se sauver dans le bois, probablement à la cabane à sucre. Il y avait à ce moment les six enfants en
bas âge, dont Charles, 8 mois. Après quelques jours, elle revient vers la maison avec ses enfants. La maison est là!...Soupir de soulagement. Ils retrouvent la maison bien en désordre, le chaudron de fèves vide. Cette information me vient d'Émérielle Perreault-Poirier, cousine de papa. Elle a vécu jusqu'à l’âge de 19 ans avec la grand-mère Adèle chez elle. Cette grand’mère est morte en 1931 à l'âge de 99 ans et 10mois.
Joseph est toujours en prison et la famille est sans nouvelle de lui. Il ne sait ni lire ni écrire.
Quelques livres ont été écrits sur cette période par des gens qui ont trouvé des agendas ou des lettres de certains prisonniers. Ces écrits nous donnent une description très sombre de ce que vivaient les prisonniers. Ils étaient nombreux, trois ou quatre fois plus nombreux que ce que pouvaient contenir les pièces. Les hommes étaient traités à coups de poing et de pied, c'était froid et humide.
Ils mangeaient peu et très mal: du pain sec, parfois moisi et de l'eau. Ils se faisaient du souci pourla famille et pour leurs biens.
La veille d'une exécution, les prisonniers plus près du condamné obtinrent la permission de donner un banquet à leurs infortunés compatriotes. C'était le souper des Girondins. On mangeait peu à ce souper, les cœurs étaient trop serrés, trop émus. Il y avait des discours. La victime ou les victimes parlaient longuement de leurs convictions, de leurs états d'âme et des recommandations qu'ils voulaient laisser.
Les pendaisons se faisaient dehors au Pied-du-courant, en face de la prison. On voulait par là faire réfléchir les gens et les inciter à la soumission. Les prisonniers pouvaient voir par les fenêtres de la prison. Dehors, c'était par centaines et par milliers que les gens s'entassaient. Ils étaient là parfois par curiosité, mais surtout pour accompagner, sympathiser avec les victimes et leurs familles.
A la prison, chaque patriote était soumis à un examen volontaire. C'était comme une sorte de déposition. Joseph Leroux a participé à cet examen le 6 décembre 1838.
J'ai trouvé l'originale de cette déposition aux Archives nationales de Montréal.
Cette déposition peut être vue de façon négative envers lui.
Il m'est impossible de démolir le sentiment de fierté et d'honneur que papa a transmis envers nos ancêtres; en particulier envers Joseph Leroux.
Ma sœur Henriette a accepté d'écrire une réflexion à ce sujet.
RÉFLEXION PERSONNELLE SUR L’ÉTAT D’ÂME DE JOSEPH LEROUX (dit ROUSSON),
LA VEILLE DE SON INTERROGATION À LA PRISON AU PIED-DU-COURANT.
Je l'imagine assis sur son grabat dans la pénombre qui descend, la tête entre ses deux mains. Les larmes si longtemps retenues coulent lentement sur ses joues parsemées de sillons d'inquiétude.
Dans cette pauvre âme la vie passe comme les vagues d'une mer déchaînée par les
hauts et les bas d'une vie de labeur et d'amour.
Il pense à sa mère, revoit son père que la mort est venu si tôt leur ravir.
Il fronce le front pour chercher dans le fond de sa mémoire une image de cette maman qu'il aurait tant aimée et dont il a tant manqué la présence. Il pense à ses frères et sœurs dont il a été séparé par la vie.
Le temps passe, la nuit est descendue et Jos, comme on le nomme, est toujours sur le bord de son grabat sans bouger.Le temps s'est arrêté pour lui, les minutes ne comptent plus; c'est maintenant l'heure de lagrande décision.
Cette décision devra être ce que son âme et conscience lui demande de dire.
Ses frères de la liberté lui ont fait prêter le serment.
Il a combattu près d'eux.
Il a rampé dans les fossés avec eux.
Il s'est abrité dans les bois coude à coude avec eux pour éviter l'ennemi.
Il a tremblé avec eux mais il n'avait pas peur: il combattait pour la liberté avec eux.
Il a vue les arrestations et prévu les pendaisons.
Il voit ces épouses, ces enfants qui perdront un être cher, un soutien de famille;
et qui implorent le Seigneur d'arrêter le temps pour ne pas devenir veuves et orphelins.
Pauvre Joseph, si vieux à 34 ans et pourtant si jeune.
Je l'imagine se levant et essayant de regarder le ciel à travers les barreaux crasseux de sa cellule,
ne pouvant voir avec ses yeux rougis et gonflés par les larmes.
Il retourne s'asseoir et la tête un peu plus pesante sur ses mains fatiguées, il murmure:
« Toi, mon Euphrosine, ma femme que j'aime tant, que fais-tu et surtout que feras-tu avec cette
marmaille sur les bras?
Qui labourera les champs?
Qui fera les récoltes l'automne venu?
Qui ira faire le bois de chauffage pour l'hiver?
Les garçons sont encore jeunes.
Ai-je le droit au nom de la liberté de mes frères, de te renier?
Où est mon devoir et mon honneur?
Et la nuit lorsque notre Adèle se réveillera en pleurant parce qu'elle a fait un cauchemar qu'elle aura un gros rhume, qui la consolera? Je sais que tu le feras mon Euphrosine, mais tu es si fatiguée, ta besogne est si lourde, et elle est si chétive cette petite.
Comme j'aurais voulu te dire tout ça lors du 18 novembre, mais tu étais si effrayée et intimidée ».
Les premières lueurs pointent à l'horizon, Joseph se met à genoux et demande au Seigneur de l'éclairer.
Soudain, il entend des pas venant vers sa cellule.
Une dernière pensée pour ses frères d'infortune:
« Je serai toujours avec vous, un fils de la liberté ».
Henriette Gauthier.
Déposition de Joseph Leroux lors de son emprisonnement en 1838.
N.B. J'ai transcrit le texte de cette déposition de la même façon qu'il était sur l'original, en respectant les majuscules et la ponctuation. (vous trouverez en annexe le document)
Montréal.
Joseph Leroux dit Rousson, Cultivateur de la paroisse de St- Timothée‚ sur l'examen volontaire maintenant pris devant moi dit et déclare ce qui suit:
Vers la fin d'Octobre passé‚ le nommé Prieur, Marchand de St- Timothée m'a engagé à prêter le serment secret et me l'a administré lui même.
Il me fit aussi connaître à cette occasion les signes secrets de la Société des frères Chasseurs.
Le but de ce serment était de tenir tout ce qui viendrait à ma connaissance, secret. Il me dit que les Américains venaient mais pas avant que les Canadiens leur en eussent fait un chemin. Aussi qu'il fallait se défaire des Gouvernement Anglais car sans cela les Anglais nous anéantiraient.
Sur le Commandement de Prieur Leduc mon Capitaine j'ai administré le serment secret à quinze ou seize habitants de la « Grande îsle » où je réside, et les ai aussi Commandé, dans la nuit du samedi le 3 du Courant, de se rendre à St. Clément pour prendre ce poste.
Je me suis rendu à St. Clément moi-même le lundi 5 du Courant ou je suis resté toute la semaine, excepté deux jours que je fus chez moi.
Pendant mon séjour au Camp on m'assigna le grade de Raquette. Comme tel j'avais neuf hommes sous moi.
J'y ai fait monter la garde et ai gardé les prisonniers. J'ai aussi vu au Camp le nommé Delormier qui y agissait Comme premier Chef. Il donnait des ordres aux Sous chefs Prieur, Joseph Lenoix, Toussaint Rochon et un nommé Roy dit Lapensé.
Je l'ai entendu donner ordre aux dits Prieur et Lenoix d'aller prendre et faire prisonnier le Ministre Anglais de la Paroisse qui fut en conséquence arrêté et fait prisonnier. Prieur m'avait commandé de l'aller prendre mais je m'y refusai. J'ai aussi entendu le dit Delormier lire une lettre annonçant que les Américains avaient fui à St. Jean et qu'il y avait eu là un gros feu.
Il dit aussi qu'il devait y avoir d'autres feux sous peu de jours.
Je lui ai aussi entendu dire qu'il y avait alors quatre mois qu'il marchait pour effectuer la récolte qui avait lieu alors. Il nous dit aussi qu'il était au feu de St Eustache l'automne
dernier et qu'il s'était réfugié, après cela, aux Etats Unis. Delormier a aussi fait faire un tranché derrière la maison neuve du Mr. Ross. Pendant mon absence du Camp Delormier en est parti le jeudi pour se rendre à Ste. Martine au Camp chez George Baker.
J'ai vu Prieur et Lanoix faire faire des balles et des Cartouches au camp.
J'ai été pris par quatre volontaires chez moi il y a eu quinze jours dimanche dernier.
Reconnu devant moi à Montréal Jos Leroux X dit Rousson ce 6ième décembre 1838 marque : P: E: Leclerc J.P. Les hommes dont parle Joseph dans sa déposition étaient les plus engagés de la région: Monsieur Chevalier De Lormier, notaire, a été pendu le 15 février 1839. Messieurs Prieur, Rochon et Roy ont été parmi les 58 hommes déportés en Australie dans des conditions des plus pénibles. Est-ce que Joseph a été épargné à cause de sa déposition ou tout simplement parce qu'il n’avait rien fait d'important dans l'organisation ? Aurait-il eu un privilège, par l'influence d'un beau frère de nom anglais, Jean Coming tonnelier, et dont le père Duncan Coming était brasseur à Montréal?
Le 21 décembre 1838 était le jour de la pendaison de Joseph Narcisse Cardinal et de Joseph Duquette tous deux arrêtés sauvagement le 4 novembre précédant, à Caughnawaga. Voici les circonstances de leur arrestation: lorsque les deux hommes se sont approchés des Iroquois, de qui ils s'attendaient obtenir des armes, ceux-ci les ont capturés et conduits aux Anglais. Les Anglais les ont emprisonnés et condamnés à la potence. Cardinal était notaire, père de 3 enfants. Joseph Duquette, jeune étudiant de 23 ans, stagiaire chez Maître Cardinal.
Papa nous a dit qu'Euphrosine et Adèle étaient allées porter de la nourriture à Joseph en prison le jour d'une pendaison. C'est tout à fait possible, que ce soit ce jour du 21 décembre. Elles se seraient jointes au regroupement des citoyens de Saint-Timothée qui, malgré le froid et la longue distance, se rendaient nombreux jusqu'à Montréal pour assister ces deux co-patriotes dont tous connaissaient l'histoire. Elles ont profité de l'occasion pour aller prendre des nouvelles de Joseph et lui apporter quelques gâteries pour Noël. Pendant que les gens s'entassaient et parlaient de l'horrible drame qui se déroulait à l'extérieur de la prison, à l'intérieur, Adèle et sa mère attendent nerveusement Joseph. Attente déçue!... Joseph ne se présente pas. Selon ce que l'on a appris, le geôlier qui accompagnait Joseph au parloir a voulu faire quelques farces, pour possiblement détendre l'atmosphère. Il lui disait comme: « Tu es bien chanceux de voir ta femme aujourd'hui, elle est pas mal belle. J'irais bien passer quelques heures avec elle, moi etc. » Papa disait: « il l'étrivait ». Joseph ne le prit pas. « Il lui donna un (maudit) coup de poing » disait papa ou « une jambette » disait Émérielle. Le geôlier culbuta dans l'escalier. Immédiatement, d'autres geôliers sont venus à la rescousse et le (pauvre) Joseph a été conduit au cachot. Euphrosine est repartie bredouille, la mort dans l'âme et la larme à l'œil avec sa petite Adèle qui n'avait pas encore 7 ans à ce moment là, elle n'y comprenait rien. Qu'arrivera-t-il à Joseph? Ce ne sont sûrement pas les gendarmes qui ont raconté cet événement à Euphrosine. En général les Anglais n'avait pas assez de considération envers les Canadiens français pour lui rendre cette politesse. C'est certainement seulement bien après sa sortie de prison que Joseph l'a raconté. Papa nous disait que pour punir Joseph, une certaine fois on l'avait fait asseoir toute une nuit sur la tombe de Duquette, ce serait bien logique que ce soit ce soir du 21 décembre. Imaginez ce qui peut passer dans la tête de cet homme après cette journée remplie d'événements des plus bouleversants...
Les Leroux ont sûrement passé de bien tristes Fêtes cette année là. Euphrosine seule avec ses enfants et le coeur gonflé d'inquiétudes au sujet de son mari. Peu de temps après, le 07 janvier, Joseph Leroux passe devant le commissaire enquêteur. Il se défend lui même. Il est acquitté et libéré le jour même. Papa nous disait qu'à la prison on lui avait donné un bâton et on lui avait dit : « Si tu es attaqué, tu te défendras avec ». (Le commissaire enquêteur est un Anglais que les autorités politiques désignaient pour agir comme juge.) Quel a dû être la surprise et le bonheur d'Euphrosine ainsi que de toute la famille de le voir enfin revenir à la maison. On devait en croire difficilement ses yeux. Joseph avait sûrement maigri et c'est avec beaucoup d'émotions qu'il a dû vivre ces moments de grande joie mêlés d'inquiétudes. Par la suite, Joseph a-t-il continué de participer aux démêlés avec les Anglais et aux activités des patriotes? J'en doute. Les dirigeants importants étant arrêtés ou morts, il n'y eut plus de manifestations importantes.