Site hosted by Angelfire.com: Build your free website today!
 

La bataille de Poitiers

La bataille de Poitiers a donné lieu à une abondante littérature. Rencontre décisive pour une certaine tradition nationale (voire nationaliste) française qui veut voir en Charles Martel le sauveur de l'Occident chrétien, cette bataille fait l'objet d'appréciations beaucoup plus nuancées de la part des historiens modernes. Il faut en effet replacer cette rencontre dans le contexte général de l'expansion musulmane en ce premier quart du VIIIe siècle.

À peine achevée leur foudroyante conquête de l'Espagne wisigothique, les Musulmans, avant même de fonder l'émirat de Cordoue, poursuivirent leur avance en lançant des raids vers les territoires de la Gaule franque. Ces expéditions militaires se comprennent d'autant mieux qu'à cette époque les Pyrénées ne formaient pas la frontière septentrionale du royaume qu'ils venaient de conquérir, car celui-ci se prolongeait, au-delà du bas-Languedoc et du Roussillon, par la Septimanie; de plus, au-delà, la monarchie mérovingienne, alors agonisante, et la mort de Pépin de Herstal (714) laissaient la Gaule dans une anarchie qui faisait d'elle une proie facile pour des envahisseurs. Sur l'ordre de Tariq ibn Ziyad lui même, ces territoires firent très rapidement l'objet d'expéditions militaires.

Vers 714, un premier raid musulman, s'empara de la Septimanie et, après avoir atteint Avignon (sakhrat Abinyoun), remonta la vallée du Rhône et poussa jusqu'à Lyon (hisn Loudhoun) avant de se replier sur Narbonne. Récupérée par les Francs, cette dernière ville fut reprise dès 719 par les armées du wali (gouverneur) de l'Espagne, al-Samh ibn Malik al-Khawlani, qui poursuivirent ensuite leur avance à travers le Lauragais vers Toulouse. Cette percée fut arrêtée par Eudes, duc d'Aquitaine, à la suite d'une rencontre décisive (9 juin 721) au cours de laquelle le prince arabe trouva la mort ; le reste de son armée, reprit, décimé, le chemin de l'Espagne. Cette victoire chrétienne eut alors un immense retentissement, et le Liber pontificalis en l'enregistrant, célébra la mort de pas moins de 350 000 Sarrasins (!).

Mais, en 725, le successeur d'al-Samh, Anbasa ibn Souhaïm al-Kalbi, après avoir consolidé les conquêtes musulmanes en Narbonnaise, s'empara de Carcassonne dont il massacra les habitants; Nîmes s'offrit ensuite à lui sans résistance. De là, par un raid foudroyant qui ne se heurta à aucune résistance sérieuse, il remonta la vallée du Rhône, pénétra en Bourgogne, et s'empara d'Autun qu'il mit au pillage (22 août 725). Selon certaines sources, les Musulmans auraient même poursuivi leur razzia au-delà de la haute Saône jusqu'à Luxeuil, et peut-être Langres, Autun et Sens, avant de se reprendre le chemin de l'Espagne.

La bataille de Poitiers (25 octobre 732) Sept ans plus tard, un nouveau gouverneur arabe de l'Espagne, Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Ghafiki, pénétra de nouveau en Gaule. Partie de Pampelune à l'été 732, son armée passa les Pyrénées à Roncevaux, et se dirigea sur Bordeaux. Le duc Eudes d'Aquitaine tenta de s'opposer à son avance mais, mis en déroute sur le bords de la Dordogne, il ne put empêcher le sac de Bordeaux. L'armée sarrasine poursuivant ensuite sa poussée vers le nord, s'empara d'un butin considérable dans les abbayes qu'elle pilla au passage ; elle se dirigeait vers les fabuleux trésors que des siècles de dévotion avaient accumulés dans l'abbaye Saint-Martin de Tours lorsque son élan fut brisé par le duc des Francs, Charles Martel, qu'Eudes, après sa défaite sur la Dordogne, s'était résolu à appeler à son secours.

Cette invasion de l'islam et cet appel au secours donnaient en effet à Charles un prétexte inespéré pour intervenir en Aquitaine, d'autant que Eudes était considéré comme un traître et un allié des infidèles depuis que, croyant se mettre à l'abri d'une nouvelle incursion arabe, il avait conclu une alliance avec le chef berbère Mounounza, maître de la Cerdagne. Ayant rassemblé en hâte une importante armée, Charles se porta donc à la rencontre des troupes musulmanes dont il arrêta les avant-gardes à proximité d'une voie romaine reliant Châtellerault à Poitiers, à une vingtaine de kilomètres au nord de cette dernière, en un lieu qui porte encore aujourd'hui le nom de Moussais-la-Bataille.

L'histoire n'a pas enregistré les détails de ce combat, que les chroniques musulmanes enregistrent sous le nom de balat al-shouhada, «la Chaussée [voie romaine] des martyrs pour la foi». Ce qui est sûr, c'est que les Arabes subirent une grave défaite, que beaucoup de leurs soldats furent tués ainsi que leur chef Abd al-Rahman, et que les survivants se replièrent en désordre sur Narbonne.

Cette éclatante victoire fut loin pourtant de mettre un terme aux menaces que l'expansion conquérante de l'islam faisait peser sur le royaume franc. Deux ans plus tard, en effet, sortant de son fief de Septimanie, le gouverneur arabe de Narbonne, Youssouf ibn Abd al-Rahman, lançait un nouveau raid en direction de la vallée du Rhône, s'emparait d'Arles, puis de Saint-Rémy-de-Provence, enlevait Avignon, et remontait profondément la vallée de la Durance. L'occupation de la Provence par les Sarrasins dura quatre ans, jusqu'à ce que Charles Martel, à la tête d'une armée franque et burgonde, reprenne Avignon et vienne mettre le siège devant Narbonne. Le gouverneur arabe de l'Espagne, Okba ibn al-Hadjdjadj, dépêcha une armée de secours pour dégager la cité. Se portant à sa rencontre, Charles Martel la défit en 737, près de Sigean. Narbonne elle-même résista cependant au Pippinide, et ce ne fut que beaucoup plus tard, vers 751, que son fils, Pépin le Bref, parvint à arracher définitivement la Septimanie à la domination arabe et que l'Espagne musulmane renonça désormais à poursuivre son expansion territoriale au-delà des Pyrénées.

Retour