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HISTOIRE DU PETIT CHARLOT SUITE

Le texte que vous êtes en train de lire est, depuis 2007, disponible en livre publié à compte d'auteur par Charles Zajde. Intitulé "En mémoire des Justes", il est disponible en écrivant directement à l'auteur que l'on peut contacter à l'adresse suivante Charles Zajde.

Il nous arrivait d’admirer les carrioles stationnées devant la maison du charron Louis Gruel, située à quelques dizaines de mètres de la maison des Richard et du même coté de la route. Le père Gruel s’affairait à frapper avec un énorme marteau sur les bandages des roues chauffées au rouge à la forge et sur l’enclume. Il cognait de toutes ses forces et en cadence avec son gros marteau sur ce bandage en fer et le bruit qu’il produisait ameutait tout le voisinage.

On nous racontait tous les jours, les derniers exploits des troupes alliées contre les armées allemandes. C’est ainsi que l’on apprit que la France avait une armée constituée de la deuxième DB, et que le héros en était le Général Leclerc. Depuis le 11 août les troupes françaises avaient débarqué sur la cote d’azur et avaient libéré la grande base maritime de Toulon. On suivait sur la carte de France, la libération des différentes villes et j‘entendais parler sans cesse de la résistance française qui participait activement à la défaite des armées allemandes.

En revenant à Passais quelque 54 ans plus tard, je passais la nuit dans un charmant logis de France tenu par le couple Thérèse et Henri Brière. Henri avait en 1944, 15 ans et se souvenait mieux que moi des détails de la libération de la région de Passais. Il me raconta donc la libération de Passais.

Si la bataille du débarquement allié sur les plages de Normandie est bien connue, et fut relatée dans de nombreux ouvrages, notamment dans le film du jour le plus long, la bataille acharnée de Mortain, elle, fut mémorable pour les habitants de la région et bien sûr pour les historiens militaires. Cette ville fut prise et reprise sept fois par les rangers américains et les grenadiers allemands.

Cette ville située en partie, dans une cuvette, traversée par une rivière en forme de cascade, est entourée au sud par une forêt épaisse et difficilement pénétrable. Les allemands dissimulés dans les futaies, pendant les bombardements effectués par les forteresses volantes américaines, réapparaissaient pour réinvestir la ville et bloquaient ainsi toute progression des troupes alliées. Il y eu de nombreuses victimes. La bataille dura du 15 Juillet au 4 août 1944. Et c’est seulement lorsque les allemands s’aperçurent qu’ils étaient débordés par le sud, donc par Le Teilleul et par Gorron, qu’ils s’enfuirent ou se rendirent aux troupes américaines.

Les américains arrivèrent donc à Passais le 6 août au lever du jour, venant de Gorron et du Le Teilleul, pratiquement sans combattre. Par contre eux furent arrêtés par les allemands qui contrôlaient Domfront au pont d‘Egrenne, à la jonction des nationale 176 et départementale 21. Des échanges d’armes automatiques eurent lieu pour leur progression vers Domfront et un lieutenant américain, Morton Eustis, fut tué le 13 août à cet endroit par un obus de 88. Une stèle fut érigée par le département en souvenir de son courage durant cet acte héroïque.

Les américains pensaient que la progression vers Paris serait beaucoup plus difficile, qu’elle ne le fut en réalité et commencèrent à construire un terrain d’aviation pour ravitailler leur troupes à Gorron. Ils installèrent également un centre médical de campagne, car la bataille de Mortain provoquait de nombreux blessés. C’est ainsi que la ligne de front fut stabilisée pendant plus d’une semaine à la limite de Passais en direction de Saint Fraimbault. Tous les Passagiens réfractaires du STO sortirent de leurs cachettes et vinrent donner un coup de main aux américains pour rechercher les allemands en fuites ou dissimulés dans la campagne. L’un d’entre eux Roger Guesnet, après avoir vécu plus de deux ans dans la clandestinité, n’hésita pas à rejoindre les troupes américaines stationnées à Passais.

Roger Guesnet, qui est l’honneur de Passais la Conception, me raconta son épopée. Roger naquit à Paris le 24 Décembre 1921. Il avait donc 21 ans en décembre 1942, lorsqu’il reçut à Mantes, où résidaient ses parents, sa convocation au Service du Travail Obligatoire en Allemagne, imposé par le gouvernement de Laval, sous la présidence du Maréchal Pétain. Sans hésiter un seul instant il ne se rendit pas à la convocation des autorités françaises, et s’enfuit chez sa grand-mère Guesnet à la ferme Fouillol, située à la limite de Passais mais administrativement sur la commune de Saint Fraimbault. Il connaissait bien la région pour y avoir passer toutes ses vacances scolaires durant toute sa jeunesse et sa clandestinité débuta donc à cette époque.

Mais la gendarmerie française, très organisée malgré l’occupation allemande, se lança à sa recherche sur tout le territoire français, et en particulier chez ses grands-parents à Passais. Ce n’est que grâce à la complicité d’un des gendarmes de Passais, qui vint prévenir sa grand-mère, la veille de son arrestation, qu’il put échapper à sa capture pour le S.T.O. Toutefois il fallait bien survivre et il sut gré aux différents paysans du voisinage, du grand bois, les Sallé, les Seignor, les Prudhomme, et bien d’autres, de lui avoir procuré du travail et de l’avoir caché à chaque descente des gendarmes, accompagnés des allemands de Domfront. Pour améliorer le quotidien, il partait souvent à la chasse avec un furet et attrapait à l’aide d’un collet ou même d’un lance pierre, un lapin de garenne ou un lièvre surpris dans un champ de blé. Car n’oublions pas que les armes à feu étaient interdites.

Le 6 août 1944, au petit matin, Roger Guesnet accompagné de Guérin le fils du Notaire de Passais, décidèrent d’aller ensemble au devant des troupes américaines. Ils avaient ramassé des tracts lancés par les avions américains expliquant en français comment aborder les avant gardes américaines de libération. Ils quittèrent la ferme Fouillol, traversèrent le petit bois, puis se dirigèrent vers Passais sur la route goudronnée. Ils remarquèrent d’abord les traces du char allemand Panzer, qui avait quitté précipitamment la veille au soir, son emplacement de combat, en faisant un raffut assourdissant. Cela les rassura quelque peu, mais en s’approchant du bourg de Passais, ils croisèrent des soldats allemands qui marchaient à pieds rapidement, puis sans explications, ils réquisitionnèrent leurs vélos et s’enfuirent dans la direction de Saint Fraimbault. Après avoir traversé le village, en continuant dans la direction de Mantilly, les deux jeunes gens rencontrèrent l’avant garde de l’armée américaine, dans une jeep et un Half track.

Le souvenir que Roger Guénet garde de cette première rencontre avec l’armée américaine se résume dans sa mémoire sous trois aspects. Le silence, l’odeur, le grésillement. Le silence, car il avait en tête le martèlement des troupes allemandes sur la chaussée avec leurs bottes de cuir et les clous sous les semelles. Les américains, eux, étaient équipés de bottes de toile avec des semelles en caoutchouc, et se déplaçaient dans un silence " assourdissant. »

Comment décrire l’odeur? . En fait c’était l’odeur caractéristique de tout l’équipement vestimentaire des militaires, associée, à celles des véhicules et carburants utilisés, peut être même à l’armement avec ses effluves de poudre refroidies. Probablement que l’odeur des cigarettes américaines elles-mêmes s’y ajoutait dans le souvenir de Roger ! Quoi qu’il en soit, Roger en garde à ce jour des relents dans sa tête.

Le grésillement des postes de radio, dont chaque véhicule disposait. C’était la première fois que Roger contemplait des militaires équipés avec un tel matériel, leur permettant de rester en contact permanent avec toutes les unités opérationnelles.

Le contact, une fois établi, avec le chef du détachement, il grimpa dans la jeep, on lui remit entre les mains, un fusil récupéré aux allemands, et il guida, la petite unité constituée d’une jeep et d’un half track, vers Passais où il eut l’honneur de pénétrer le premier à la tête des armées alliées. La petite avant- garde s’élança sur la route de Saint Fraimbault, survolée par un petit avion d’observation, qui maintenait le contact radio, à la poursuite des allemands partis avec les bicyclettes, mais sans succès.

Après avoir averti sa grand-mère, qu’il était toujours vivant, Il rejoignit les troupes américaines qui avaient établi leur campement dans le champ jouxtant la propriété des Richard. Il s’engagea dans l’enthousiasme de la libération imminente, dans l’armée américaine pour la durée de la guerre. Il reçu immédiatement son uniforme, et son paquetage comprenant son fusil automatique américain avec son chargeur à 8 balles.

Il fut incorporé dans la 1er Armée , 4 eme Division commandée par le Général Hodges, 22 eme Régiment sous les ordres du Colonel C.T. Lanham et détaché avec le grade de Sergent auprès du Capitaine de Compagnie Howard Blazzard avec pour mission de servir d’éclaireur et de traducteur pour les avant- gardes du Régiment.

Roger Guesnet quitta Passais le 14 août à bord de la Jeep de tête, suivie des camions frappés à l’étoile blanche à Cinq branches en direction de Paris. La progression vers la Capitale fut ralentie par la destruction des ouvrages d’art effectués par les allemands lors de leur retraite. C’est ainsi qu’après avoir quitté Passais, une énorme explosion sur la rivière de L’Orne entre Saint Fraimbault et Ceausé, stoppa toute la colonne. Il fallut construire un pont de fortune en bois pour poursuivre la progression.

En arrivant à Corbeil ils reçurent l’ordre d’attendre la deuxième division Blindée Française commandée par le général Leclerc. Il fut un peu déçu de n’avoir pu rentrer le premier à Paris, mais les ordres étaient les ordres. Et tout compte fait c’était bien que ce soit l’armée française qui libère Paris.

Observant les blindés de la 2eme D.B. doublant son régiment, il fut surpris de constater que les soldats français étaient coiffés d’une chéchia rouge. Entassés sur les tourelles des chars, les fantassins casques à la taille ne parlaient que l’espagnol! Il en déduisit que l’armée française venait de loin….

Lors d’une patrouille près du cimetière de Saint Martin à Paris, ayant son Capitaine à son coté dans la jeep, ils croisèrent, une jeune femme rasée, tenant un petit enfant dans les bras qui fuyait une meute de gens, hurlant des insanités. Le Capitaine fut scandalisé devant le comportement de cette foule française et s’écria : -- Mais ce sont des sauvages!

Roger Guesnet devait apprendre par la suite que de nombreuses de femmes françaises ayant collaborées avec les allemands pendant l’occupation, devaient subir la même vexation.

La guerre prit fin pour Roger Guesnet, le 12 Septembre 1944, lorsque à l’avant garde de son détachement il fut grièvement blessé par une balle qui lui perfora les intestins. A moitié inconscient il fut rapatrié d’abord à l’arrière sur un brancard, dans un hôpital de campagne, puis par avion en Belgique et fut sauvé dans un hôpital en Angleterre.

Depuis lui ne se sépare pas de la lettre que lui a fait parvenir son Colonel promus depuis Général. ( voir annexe, états de services)

L’entrepôt d’armes de Saint Fraimbault

Retour à Paris septembre 1944

Vers la fin du mois de septembre 1944, je vis apparaître, comme dans un rêve, ma mère en chair et en os. Madeleine m’avait promis que je reverrais ma mère, mais je m’étais fait cependant à l’idée que je ne la reverrais jamais. Ce fut donc une magnifique surprise et je me souviens que je me figeai, stoïque, sans bouger, devant elle l’observant, la reconnaissant à peine. Il est vrai qu’elle pesait alors à peine plus de 40 kilos, et j’avais quelques excuses pour ne pas bien l’identifier.

C’est elle qui se précipita vers moi, elle me prit dans ses bras et elle me serra si fort contre elle qu’elle m’étouffa presque en m ‘embrassant.

Ma mère nous expliqua tout ce qui lui était arrivé depuis notre séparation et comment elle avait passé la fin de la guerre. Cachée avec ma sœur dans la forêt de Villeparisis, ma tante venait chaque dimanche leur apporter un peu de nourriture qu’elle se procurait grâce à de fausses cartes d’alimentation que lui avait fournies des sympathisants à l’usine de l’AOIP.

Une voisine de la cabane, où vivaient ma mère et ma sœur, dans la forêt de Villeparisis, avait remarqué la présence de ma petite sœur et elle aussi lui apporta du lait frais tous les matins. Pour se chauffer ma mère allait tous les jours dans la forêt ramasser du bois sec dont elle emplissait le landau. Le calvaire dura deux ans.

Après la libération de Paris le 24 Août 1944, ma mère revint à Paris où elle retrouva notre appartement dont les scellés posés sur la porte d‘entrée étaient intacts. Il y eut un esclandre avec la concierge qui voulait l’empêcher de prendre possession de l’appartement, sans l’autorisation du commissariat de police. Elle y entra tout de même et découvrit qu’il avait été vidé de tous nos meubles y compris les lits pour se coucher. Elle passa le mois de septembre à réunir le minimum de mobilier pour rendre habitable cet appartement qui lui avait procuré tant de joie en 1939. Puis sa priorité consista à récupérer son fils qu’elle n’avait pas vu depuis deux ans.

Mais rien ne fonctionnait plus en France. Pas de téléphone, pas de courrier, pas de train. Les seul moyens de communication se faisaient par la route, et encore, en évitant les ponts détruits par les bombardements américains ou dynamités par les allemands lors de leur retraite précipitée.

Ma mère réussit à me rejoindre, en faisant du stop avec des camions qui faisaient la navette entre la Normandie et Paris et qui assuraient tant bien que mal l’alimentation de la capitale. Son périple dura deux jours pour effectuer 260 kilomètres. En 1995, quelques semaines avant de décéder d’un cancer galopant, ma mère me confia que lors de cette expédition elle fut violée par un des chauffeurs qui l’avait prise en stop. Elle avait pourtant essayé s’ enfuire dans un sous bois, mais le camionneur l’avait rattrapée et sous la menace d’un couteau, il avait abusé d’elle. Elle m’expliqua qu’elle savait qu’elle allait mourir et elle désirait soulager sa conscience en me livrant ce secret qui lui pesait tellement et elle ajouta que pas un jour pendant notre séparation elle n’avait cessé de m’aimer et de penser à moi..

Après quelques jours passés ensemble à Passais, chargée d’un sac de provisions préparé par Madeleine, et comprenant des mottes de beurre, quelques douzaines d’œufs enveloppées dans du papier journal, un poulet déplumé par la mère Richard, un beau lapin dépouillé de sa fourrure et sans sa tête, nous prîmes la route du retour vers Paris. C’est encore Madeleine qui contacta un camionneur lequel accepta de nous prendre en stop pour regagner Paris.

Le voyage dura toute la journée. Je me rappelle que ma mère était dans la cabine avec le chauffeur, pendant que moi j’étais à l’arrière au milieu des caisses de denrées et protégé du vent par une épaisse bâche opaque qui m‘empêchait de voir le paysage. Au cours du voyage, je soulevais de temps en temps la toile qui me gardait du vent, mais en fait, je ne reconnaissais rien. En arrivant sur Paris le camion ralentit sérieusement, et s’arrêta très souvent en raison des embouteillages. Un détail me poursuit jusqu’à ce jour. En soulevant la bâche j’aperçus sur une plaque à un carrefour, le nom d’une rue qui me revient en mémoire, il s’agit de la rue Traversière. Comment expliquer que notre mémoire enregistre des détails auxquels elle ne devrait attacher aucune importance?

Je retrouvais enfin notre appartement, puis ma grand-mère nous ramena ma petite sœur et il ne restait plus qu’à attendre le retour de notre père. Ainsi la famille serait bientôt au complet.

L’appartement était très différent de celui que nous avions quitté en juillet 1942. Ma mère avait acheté quelques lits, afin que nous puissions y vivre. Pendant notre absence, les scellés avaient bien été posés par la police mais seulement après que tous les meubles aient été enlevés par les autorités administratives françaises. Il n’y avait plus rien sur les murs, et le fameux poste de TSF avec son œil magique vert avait disparu.

Ma mère, m’inscrivit de nouveau à l’école de la rue des Vinaigriers, qui devait bientôt et en partie changer de nom pour s’appeler, la rue Jean Pierre Poulmarch, à la mémoire d’un résistant fusillé par les Allemands.

En tenant compte de mon âge et de mon carnet de notes de l’école de Passais la Conception , je me retrouvais pour cette rentré scolaire 44-45 dans la classe du cours moyen deuxième année, dernière classe avant celle de fin d’études de l’école primaire, où l’on passait le Certificat d’Étude Primaire.

Je me souviens de l’instituteur Monsieur Moncourrier. Il nous dominait sur son estrade, derrière son bureau et il travaillait sans cesse en nous observant de temps en temps du coin de l‘oeil. Je fus très heureux de cette année scolaire de nouveau à Paris. D’abord il n’y avait plus trois divisions dans la même classe, ici tout le monde écoutait le Maître, et faisait la même chose, en même temps. Quand le Maître parlait, il s’adressait à la classe entière. Nous étions près de 40 élèves par salle et cependant on pouvait entendre une mouche voler lorsque le Maître demandait le silence. J’aimais beaucoup, monter sur l’estrade, quand j’y étais appelé pour y réciter un poème que l’on avait appris par cœur. Nous faisions des dictées, du calcul, de la grammaire. Nous étudiions l’histoire de France, depuis l’époque de Vercingétorix avec l’invasion de la Gaule par les Romains, avec Jules César, mais pas un mot sur l’occupation de la France par les Allemands. J’étais passionné par la géographie et je rêvais en voyant la carte de la France accrochée au-dessus du tableau noir, de voyager et de découvrir toutes les régions représentées, les rivières, les mers, les montagnes que je n’avais pas encore la chance de voir. Nous n’avions pas de costume spécifique à l’école, mais nous revêtions tous la célèbre blouse grise qui nous servait d’uniforme et qui nous permettait de nous fondre et nous confondre dans la classe.

J’étais bon élève, mais mon classement, ne correspondait plus à celui de Passais. Le niveau était plus élevé, et la concurrence plus grande. A Passais, j’étais classé dans les premiers, ici je me retrouvais en début d’année dans la moyenne. Après beaucoup d’effort je terminais malgré tout dans un classement un peu plus honorable.

Pendant toute cette année là, nous suivions l’avance des troupes alliées sur les fronts de l’Est et de l’Ouest. L’armée allemande battait en retraite devant l’armée russe et nous suivions tous sur la carte l’avance des forces soviétiques. La première division blindée du Général Leclerc formait maintenant le fer de lance de la première armée française et elle fut incorporée aux forces alliées. Les nouvelles n‘étaient pas toujours bonnes, en particulier au cours de l‘hiver rigoureux de 44-45. Après que Strasbourg fut libérée, il y’eut un moment de flottement où l’inquiétude se lisait sur les visages des grandes personnes car elles craignaient une contre attaque des troupes allemandes, soit disant, dotées d’armes secrètes dont Hitler menaçait de se servir.

Les cartes d’alimentation avaient toujours cours et je me souviens des tristes et interminables queues devant les boulangeries et les boucheries. Encore à ce jour je suis allergique aux files d’attente lorsque nous allons à un spectacle, ou à une exposition de peinture, au point de renoncer à y aller plutôt que de subir à nouveau cette oppression qui, inconsciemment me ramène en mémoire des images sinistres du passé.

Nous étions alors, ma Mère, moi, ma petite sœur elle-même, dans l’attente du retour imminent de mon Père, et pourtant les jours, les semaines, les mois passèrent et toujours aucune nouvelle de lui.

La capitulation allemande fut annoncée le 8 mai 1945, et l’espoir du retour de mon père s’estompait de jour en jour. Pourtant nous ne perdions pas confiance. Les nouvelles contradictoires de toutes sortes circulaient. On disait même que les déportés juifs avaient été envoyés dans des camps de concentration dans les pays de l’Est, et qu’il faudrait attendre un certain temps après la fin de la guerre pour qu’ils soient libérés.

. A chaque fois que notre conversation avec ma mère, portait sur le retour de mon père, ma petite sœur Annette, à peine âgée de trois ans, intervenait en réclamant à son tour la présence de son papa en clamant tout fort: -- América papa !

Nous lui avions tellement parlé des Américains qui avaient libéré la France, qu’elle assimilait le retour de son père, qu’elle n’avait jamais connu, à la présence des soldats américains dans les rues de Paris.

Quand vint le mois de juillet 1945, ma mère m’envoya en colonie de Vacances, avec l’OSE, un organisme de secours de l’enfance pour les jeunes enfants juifs qui avaient survécus à la guerre. Je me souviens de l’ambiance joyeuse dans le train avec tous les autres enfants. Les moniteurs nous apprenaient des chansons pour faire passer le temps dans ce train qui s’arrêtait sans cesse, dans toutes les gares que nous traversions. Il faisait cette année là une chaleur torride.

Lorsque nous ouvrions la vitre du compartiment, des escarbilles noires projetées de la locomotive à vapeur, venaient brutalement agresser nos yeux. Je me le rappelle nous sommes descendus à la gare de La Souterraine, dans le département de la Creuse où nous avons pris un car qui nous a conduit dans un château au milieu de la campagne. Je me retrouvais de nouveau séparé de ma mère, de ma sœur de toute ma famille. Durant la journée, heureusement, de nombreuses activités me faisaient oublier mon sort. Le programme était très complet, réveil, toilette du matin, petit déjeuner, rangement des lits, habillage, promenade, déjeuner, sieste, re-promenade, baignade à la rivière, balade, soupé, et chants du soir.

Après l’extinction des feux, la nostalgie de mes parents, la séparation à nouveau d’avec ma famille, me faisait pleurer en silence. J’avais peur du noir. Mais j’étais résigné, et prenais mon mal de vivre en patience. Mon seul souvenir positif de ce séjour de vacances, fut le fait que j’appris à nager par moi-même dans une rivière où l’on avait pied. Je fus heureux que la colonie se termine et de retrouver ma mère et ma petite sœur fin juillet à Paris.

Ma mère avait trouvé par le même organisme de l’OSE, un travail de monitrice dans une autre colonie de vacances à Saint Quai Portrieux, en Bretagne, pour le mois d‘Août. Elle en profita pour nous emmener avec elle. Dans ce train qui nous conduisait vers la mer, je mangeais pour la première fois de ma vie, un sandwich de pain juif, sorte de pain bis au cumin, avec des sardines à l’huile. Ce fut pour moi une telle découverte gustative que mes papilles en sont imprimées pour le restant de mes jours. Rien que d’évoquer ce souvenir, sa saveur me revient à la bouche et j’en suis tout remué à tel point que chaque fois que je mange des sardines à l’huile les images de cette époque me reviennent à l’esprit.

Ce furent mes premières vacances heureuses. Dans cette colonie de vacances, parce qu’elle était couturière, on confia la tâche de la lingerie à ma mère, mais, de plus, elle accompagnait et surveillait l’ensemble des enfants l’après-midi à la plage. J’adorais courir en sautant d’une pierre à l’autre et grimper sur les rochers qui séparaient les différentes plages. Ma sœur, seulement âgée de trois ans, avait du mal à me suivre, aussi je revenais souvent en arrière pour l’empêcher de tomber sur les galets. J’en tirais une certaine fierté car, je voyais dans ses yeux l’admiration qu’elle portait à ce frère retrouvé qui pouvait la sauver en cas de besoin.

Au retour à Paris, une surprise de taille, nous attendait. La fin de la guerre en Europe avait eu lieu depuis le 8 mai, mais mon père n’était toujours pas revenu des camps de concentration, que l’on supposait être en Allemagne. Ma mère allait très souvent à l’hôtel Lutétia, où la Croix Rouge avait installé son quartier général, voir si mon père était sur les listes de rapatriement.

C’est ainsi qu’un jour, vers la fin du mois de Septembre, un grand monsieur, tout maigre, s’est présenté à l’appartement. Ma mère, l’a reconnu presque immédiatement en l’embrassant, et ma petite sœur a couru vers lui et s’est jetée dans ses bras en l’appelant: -- papa ! .

Je ne comprenais rien à cette scène, car je ne reconnaissais absolument pas mon père. Je restais immobile, figé et pantois. Après quelques instants de conversation entre eux, ma mère s’approcha de moi et me présenta à cet homme qui n’était autre que mon oncle Jankiel, le plus jeune des sept frères et sœur de mon père. Son émotion me parut si intense que je ne saurais la décrire.

Ma mère était resplendissante de joie. Mon oncle était la preuve qu’il y avait des survivants dans ce cataclysme qu’avait produit le régime immonde du Nazisme. Mais en fait, il s’agissait plutôt d’un miracle. En effet mon oncle nous confirma qu’après sa libération par les troupes américaines dans le camp de Buchenwald, au sud de l’Allemagne en Thuringe, il était retourné en Pologne pour découvrir qu’il n’y avait pas de survivants dans sa famille. Ses parents avaient été déportés au camp d’extermination de Tréblinka avec tous ses frères et sœurs, neveux et nièces. Il se retrouvait seul au monde et son dernier espoir était que son grand frère, mon Père, avait peut être survécu en France. Il avait appris que la France n’avait pas imposé aux juifs de se regrouper dans des ghettos, comme ce fut le cas à Varsovie, ou dans d’autres grandes villes de Pologne, comme Radom ou Lublin. Alors peut être, son grand frère, bien intégré dans la société française avait-il échappé, à la Solution Finale allemande décidée à la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942? . Il avait rencontré au cours de son périple dans les différents camps de concentration des juifs déportés de France, mais il savait également que l’antisémitisme si virulent des Polonais n’avait pas d’équivalent dans le monde, et donc un petit espoir subsistait que son frère aîné, sa belle sœur et leur enfant Charlot, auquel il avait offert un petit costume de marin au cours de son séjour avant la guerre, avaient survécus? .

En prétextant qu’il avait été déporté de France, évidemment sans papiers d’identité, pour le prouver, mais le fait de parler français, était à cette époque un argument plausible, que l’administration militaire française acceptait de prendre en considération de sa bonne foi. Il fut donc rapatrié par la Croix Rouge française sur des avions américains. Et pris en charge par les services sociaux dès son arrivé à Paris. A la sortie des camps il pesait 35 kilos pour un homme d’un mètre soixante dix, aussi, la Croix Rouge française l’envoya t’il dans le Puy de Dôme pour se refaire une santé au grand air dans une région où la nourriture paraissait mirifique. Il garda de son séjour en Auvergne un souvenir paradisiaque et l’envie de vivre lui revint au fur et à mesure qu’il reprenait des forces et des Kilos.

Après son séjour dans cette station thermale du Mont-Dore, il revint à Paris pour constater que tous ses amis d’avant la guerre avaient été déportés et n’étaient pas revenus. Il se rendit Passage Pivert, où on lui indiqua que nous avions déménagé avant la guerre sans laisser d’adresses. Enfin, c’est par hasard, qu’il rencontra un oncle, Chaim Zajde, celui qui avait émigré en Palestine avant la guerre, et qui ensuite était revenu en France où il survécut en se cachant dans la région de Grenoble. Sa Tante Rose, nommée « Mime », et femme de Chaim Zajde, le voyant débraillé, lui offrit une chemise et une paire de chaussures et lui donna l’adresse de ma mère. Apprenant que son grand frère, Moïse, n’était pas rentré des camps de concentration, il décida de quitter l’Europe pour émigrer au Brésil ou en Australie. Mais avant son départ définitif il souhaita nous revoir pour avoir les dernières nouvelles de ce qui s’était passé en France et ce qui était advenu à son frère, car maintenant il était sa dernière planche de salut, après la disparition de toute sa famille en Pologne..

Mon Oncle Jankiel

Mon Oncle Jankiel Zajde naquit le 10 Septembre 1918 à Ciépiélow, un petit village près de la ville de Radom, en Pologne. Il était le plus jeune d’une fratrie de dix frères et sœurs dont sept survécurent aux maladies infantiles, mais, dont malheureusement trois n‘eurent pas la même destiné. La maison de ses parents, mes grands-parents se situait en face de la grande place du village où se tenaient les réunions, les festivités, les foires commerciales et les marchés. Il s’y déployait donc une intense activité ces jours là.

Les jours de marché, tous les paysans polonais des environs venaient sur cette place y vendre leurs produits fermiers. Ils évitaient d’amener des lapins ou des cochons sachant que la clientèle en majorité juive ne s’approcherait pas de leur étal. Ils arrivaient perchés sur leurs charrettes typiques, en forme de tombereaux, traînées par des bœufs ou des chevaux pour les plus fortunés d‘entre eux. Les oies, les poules, les canards faisaient un bruit infernal au milieu de la foule qui discutait ou marchandait sans fin.

Sur cette même place, au milieu de cet attroupement, les juifs, eux, tenaient des étalages mais pour y vendre des marchandises différentes, telles que celles que l’on se procurait dans les grandes villes. C’est à dire des vêtements, des chemises, des vestes, des bottes, toutes sortes de tissus. Sollicités, les tailleurs venaient prendre les mesures des clients pour leur confectionner les costumes de mariage que les paysans devaient porter à l’église. Tout le monde y retrouvait son compte, le commerce allait bon train et les jours de marché le bourg était si joyeusement animé que les paysans, pour manifester leur réussite d’avoir fait de bonnes affaires, buvaient moult doses de vodka et rentraient chez eux, plus qu’éméchés.

La maison de mes grands-parents était constituée d’une très grande pièce principale et unique, de près de 45 mètres carrés dans laquelle toute la vie de famille se déroulait. Ma grand-mère Malka, née Katzenelenbogen, fille unique, y accouchât de ses dix enfants et mon oncle Jankiel fut son dernier-né. Elle fut adoptée par le second mari de mon arrière-Grand-mère Gitler.

Mon Oncle Jankiel fut, de naissance, intellectuellement très doué. Dès l’âge de trois ans il fréquentait l’école juive du village, la yéshiva, Il y apprit à lire et à écrire en yddish et il sut rapidement dire les prières par cœur, en hébreux. Mon Grand-père, très religieux, passait ses journées à étudier la bible et le talmud. Il était particulièrement fier de son petit dernier, aussi, lui passait-il tous ses caprices. En particulier mon Oncle Jankiel était très gourmand et chapardait toutes les sucreries qui se trouvaient dans le coin cuisine de la pièce principale. Il connaissait les cachettes de ma Grand-mère, et feignait d’ignorer qui avait bien pu escamoter les produits raffinés et rares réservés aux occasions exceptionnelles. Mon Grand-père lui pardonnait toutes ses escapades sous prétexte qu’il disait par cœur toutes les prières et qu’il était promis à un brillant avenir religieux.

Mon Oncle Jankiel admirait et jalousait son grand frère Moïse, de 15 ans son aîné, car il le trouvait très intelligent et très indépendant dans cette famille bien structurée et très traditionnelle. Les sept enfants, vivaient et dormaient tous dans cette grande pièce avec les parents. Il arrivait que pour décharger ses parents, il s’en aille rendre visite à sa grand-mère maternelle et passait la nuit chez elle. Elle savait le gâter en le couvrant de friandises, de bonbons et de chocolats.

Mon Grand-père Baruch s’était marié, dès sa Bar Mitzva célébrée, c’est à dire à l’âge de 13 ans. Ma Grand-mère en avait 15 ! Mon Père Moïse, le premier enfant est né le 6 mai 1903, alors que ma Grand-mère Malka avait à peine 16 ans. C’est donc mon arrière-Grand-mère, veuve de son premier mari Katzenelenbogen , qui, avec son second mari Gitler prit en charge ce jeune couple jusqu’à leur majorité. Mon Grand-père Baruch n’apprit aucun métier. Il passa son adolescence à étudier la bible afin de devenir Rabbin pour enseigner la religion juive décrite dans le talmud. La dote de ma Grand-mère était suffisamment importante pour permettre à mon Grand-père, devenu adulte, d’organiser sa vie grâce à une seule activité, celle d’être un genre de banquier de village. Il recueillait l’argent auprès de la communauté juive de la bourgade, par montants relativement modestes, afin de constituer des sommes conséquentes qu‘il pouvait ensuite négocier.

Il prêtait cet argent aux seigneurs, princes, propriétaires terriens en avances sur les prochaines récoltes. Il gagnait grassement sa vie et subvenait aisément aux besoins du ménage en n’ayant pour toute activité que la prière et l’étude religieuse. La réputation du Grand-père Baruch Zajde était légendaire, dans la région, tout entière, de part son honnêteté scrupuleuse.

En effet, son intégrité proverbiale, lui permettait de recueillir les faibles économies de tous les habitants juifs de Ciépiélow et de ses environs. En échange, cet argent lui donnait les moyens de financer, contre intérêts substantiels, des propriétaires à court provisoirement de capital. Les métayers polonais qui travaillaient très durement à cultiver les domaines des seigneurs de la région ne les voyaient qu‘une fois par an, à l’occasion de l’encaissement de leurs loyers.

Ces mêmes Seigneurs, manquaient toujours d’argent, aussi, étaient-ils contraints à en emprunter auprès de mon Grand-père, surtout au moment des achats de graines nécessaires à la nouvelle récolte des métayers.

Lorsque arriva la crise économique de 1929 ce fut la catastrophe. Le moratoire, imposé par le gouvernement aristocratique polonais dès 1930 pour venir en aide à la caste seigneuriale des propriétaires terriens, ruina complètement mes grands-parents. Ils durent donc quitter Ciepielow pour la ville de Radom en espérant y trouver du travail. Tous les enfants arrêtèrent leurs études et furent obligés de se chercher un moyen de subsistance...

De ce fait, mon oncle Jankiel arrêta ses études à l’âge de douze ans et partit travailler comme apprenti typographe dans une petite entreprise de Radom.

Mon Père aussi arrêta ses études secondaires pour se consacrer à de petits boulots, chauffeur d’autobus entre Radom et Varsovie et autres car il ne trouva pas de travail dans sa spécialité : la comptabilité. Mon Père Moïse, essaya alors, d’immigrer en Palestine, sans succès, il se rabattit donc sur la France. Il avait déjà 27 ans. C’est à cette époque que les deux frères divergèrent dans leurs opinions politiques et dans la conception qu’ils avaient de l’avenir du peuple juif en Pologne ou dans le reste du monde.

Mon oncle Jankiel se détourna de la religion, rejoignit les jeunesses communistes polonaises et s’éloigna de l’intime complicité de son père, tout en demeurant pour un temps très respectueux à son égard. Puis il se convertit à la maxime bolchevique de Lénine: -- La religion c’est l’opium des peuples.

C’est ainsi qu’il retirait sa kippa, dès qu’il sortait dans la rue, mais la remettait, lorsqu’il rentrait à la maison, par peur ou par respect vis à vis de son père. Il souffrit de voir sa mère installée dans cette misère et ne rêva que de la révolution communiste mondiale qui devait mettre un terme à l’antisémitisme virulent et endémique qui régnait partout en Pologne.

Son frère, Abraham, à peine plus âgé que lui, avait déjà rejoint le parti communiste, mais, lui, demeurait et agissait dans la clandestinité.

Au cours de ses trois années d’apprentissage, il découvrit la guerre féroce et sans pitié que se livraient les hommes sur terre. L’exploitation des hommes par d’autres hommes. Il embrassa plus que jamais les idées communistes, en rêvant d’un monde meilleur où la religion ne serait plus: ni l’opium, ni l‘alibi, ni le prétexte, ni la complaisance, ni le complice, ni la justification, de l’asservissement volontaire des hommes par d‘autres hommes. Il tenta de convaincre et de convertir son père, sans succès. En fait, il se querèlla sérieusement avec lui. Averti par son frère Abraham qu’il allait être recherché par la police politique polonaise, laquelle faisait la chasse aux communistes, il décida de s’enfuir et de rejoindre son frère aîné en France. Il claqua la porte de la maison familiale et, quoique mineur, il se sauva avec de faux papiers vers la France grâce à des passeurs spécialisés.

Il voyageait en train omnibus à l’intérieur des pays, et traversait les frontières la nuit à pied, à travers champs, ou en carrioles de paysans sur des chemins non surveillés. Après avoir quitté la Pologne, puis l’Allemagne et la hollande, il arriva enfin en Belgique avant de rejoindre la France en ce mois de juillet 1934. A cette date, mon Oncle Jankiel avait à peine 16 ans. Très bêtement, il fut arrêté à la frontière francobelge par les Français qui à la suite de l’attentat du roi de Yougoslavie, Alexandre Premier, à Marseille, avaient renforcé drastiquement la surveillance des frontières. Il fut d’abord expulsé vers la Belgique et confié à la police belge.

Sans papier, ne parlant pas le français et ayant refusé de dénoncer les passeurs, il fut condamné et interné dans un camp réservé aux jeunes mineurs délinquants. Il en garda, malgré tout, un bon souvenir car il suivit, pendant son incarcération, des cours de flamand et il put parfaire son éducation intellectuelle et sa formation politique aux cotés d’autres jeunes. Libéré au bout de 15 mois, il fut expulsé vers la Pologne, mais, en remerciement de ne les avoir pas dénoncés, les passeurs le renvoyèrent en France gratuitement.

C’est ainsi qu’à la fin de 1935, il fut accueilli par mes parents au 12 rue Vicq d’Azir, dans un minuscule logement d’une pièce et demie. Moi, je me trouvais séparé de mes parents, en nourrice à Champigny sur Marne. Mon Oncle Jankiel venait d’avoir 17 ans, mais, il avait déjà une sacrée expérience de la vie. Son apprentissage de typographe ne lui servit à rien puisqu’il n’eut pas de papiers de travail. Mon père lui enseigna le métier de mécanicien sur machine à coudre destinée à la fabrication de vêtements en cuir. La promiscuité entre le jeune couple, constitué par mes parents, et mon Oncle Jankiel ne pouvait durer très longtemps et au bout de trois mois mon Oncle quitta donc mes parents et alla s’installer dans un Hôtel rue Ramponneau, dans le 20 eme arrondissement de Paris.

Il alla exercer son nouveau métier de travailleur à la machine à coudre chez des coreligionnaires juifs, très heureux de pouvoir disposer d’une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci, puisque sans papier de travail, surtout en cette période de contestation et de restriction de la présence en France des travailleurs étrangers que le front populaire imposa.

Mon Oncle Jankiel, avait une dextérité surprenante. Il avait, durant son apprentissage de typographe, manipulé des lettres en plomb de toutes tailles, et savait les placer dans les positions les plus invraisemblables et à des vitesses incroyables. Cette expérience professionnelle avait développé chez lui une telle agilité de ses mains et de plus la configuration anatomique de ses doigts l’aurait sans doute conduit, s’il avait fait des études musicales et s’il avait été doué pour la musique, à devenir un grand pianiste. Ce qui malheureusement ne fut pas le cas. Par contre en se spécialisant dans la fabrication de vêtements de toutes sortes, il se fit connaître sur le marché de la confection parisienne et gagna rapidement beaucoup d’argent.

Mais il était encore très jeune, en 1937, il avait 19 ans, et il menait grand train de vie, sans soucis, dépensant toutes ses économies aux courses de chevaux les week-ends.. Plus d’une fois, il en fut réduit à aller retrouver son frère, Moïse, le dimanche soir afin de lui emprunter de quoi payer sa chambre d’hôtel et le repas du lundi midi. Toutefois son efficacité professionnelle était telle qu’il venait rembourser ses dettes le lundi soir grâce à l’avance que lui accordait son patron.

Bien entendu, il connaissait ma tante, la sœur de ma mère, et un jour il lui conseilla de venir travailler avec lui, chez un patron qui payait correctement ses ouvriers. Ils se fréquentèrent pendant plus d’un an. Ils étaient jeunes tous les deux et l’avenir leur paraissait tout rose, aussi vivaient-ils sur un grand pied. Cependant à cette époque la majorité était à 21 ans, et il fallait donc l’autorisation des parents pour se marier. Ma Grand-mère maternelle, Bajla, qui avait une piètre opinion de mon Oncle Jankiel, un beau parleur, dépensant tout son argent aux jeux de cartes ou aux courses de chevaux, sans papier de résidence officielle, s’opposa à cette union.

De plus, cette période coïncidait avec les querelles et la séparation de mes parents. Ce qui contraignît ma Grand-mère Bajla à récupérer sa fille aînée et celle ci ne souhaita pas non plus voir sa sœur s’engager avec son jeune et insouciant Beau-frère.

Mon Oncle Jankiel en fut durement attristé, vexé, humilié et décidé à prendre un jour sa revanche. Ma tante, déçue de cette rebuffade, se résigna et, obéissante, s’inclina devant la décision maternelle, ce qui était la pratique à l’époque. Officiellement mineure selon les papiers légaux établis lors de sa venue en France, de toute façon, il lui fallait obtenir l’autorisation de sa mère pour se marier, d’autant plus, qu’elle était tributaire de la fausse date de naissance du 15 Février 1920 enregistrée sur ses papiers d’identité. C’est dire, qu’elle aurait été obligée de patienter jusqu’en 1941 si elle s’était obstinée à épouser mon Oncle Jankiel sans l’aval de ma Grand-mère.

L’arrivée en France du Front Populaire n’arrangea pas les affaires de mon Oncle Jankiel. L’intransigeance du ministre socialiste Pierre Laval, concernant la question du chômage, renforça la politique d’expulsion des étrangers en situation irrégulière et il fut donc amené à rentrer en Pologne à la fin de 1938.

Mais ce n’était plus le gamin de 15 ans qui revenait au pays. C’était maintenant un homme de 20 ans, ayant une expérience enrichie d’un métier et connaissant le fonctionnement d’une entreprise qu’il lui suffisait de mettre en œuvre. Il s’installe à Varsovie, loue des locaux dans un quartier artisanal rénové, n’ayant rien à voir avec le quartier juif situé dans la vieille ville de Varsovie, s’associe avec un coreligionnaire, expulsé de France comme lui. Il achète des machines avec ses économies rapportées de France. Il regrette d’avoir perdu son temps et son argent, en France en jouant aux courses ou aux cartes. Il jure qu’on ne l’y reprendra plus. « A bas cette escroquerie chimérique des jeux ! . »

La situation internationale, et ses bruits de bottes lui sourit. Il obtient des commandes très importantes de vestes de cuir, pour l’armée polonaise, à fabriquer de toute urgence. Le révolutionnaire bolchevique, s’est mué en capitaliste libéral, au moins dans son comportement, sinon dans ses idées politiques. Il rétablit des relations familiales avec ses parents, restés à Radom, ainsi qu’avec ses frères et sœurs mariés et parents maintenant de jeunes enfants. Seul son frère Abraham est toujours célibataire et milite dans la clandestinité au parti communiste. L’argent coule à flot, il vient en aide à ses parents et un sentiment de revanche sur les temps difficiles le grise, lui donne cette assurance et la confiance en soi qui lui servira à survivre au cours des prochains mois.

Mais soudain, le déclenchement de la deuxième guerre mondiale survient dès le 1er Septembre 1939 et tous ses projets mirifiques tombent à l’eau. Pourtant en bricolant, car le régime NAZI qui occupe maintenant une partie de la Pologne, pratiquement annexée, souhaite hypocritement faire redémarrer l’économie locale afin de se concilier la sympathie de la population, il réussit à survivre. Il effectue de nombreux voyages entre Varsovie et Radom où il soutient financièrement ses parents.

Au cours de l’un de ses voyages il apprend que son frère Abraham a été fusillé au bas de l’immeuble à Radom, en tant que communiste. Il avait été dénoncé par les services secrets polonais qui disposaient des listes des communistes en Pologne.

Il prend peur et décide alors de faire évacuer ses parents, grâce à ses relations avec ses contacts du parti communiste, qu’il a maintenu malgré tout, vers la partie occupée de la Pologne par les troupes soviétiques. Les négociations prennent du temps car la collaboration entre les Allemands et les Russes est telle que, officiellement, il est impossible de franchir cette nouvelle frontière qui en fait partage la Pologne rayée de la carte, entre le Grand Reich et l’Union Soviétique.

Quand enfin, après de nombreuses démarches et des pots de vin bien consistants, il obtient des laissés passés pour ses parents il arrive à Radom pour découvrire qu’un ghetto vient d’être créé et que ses parents et le reste de sa famille sont maintenant enfermés dans cette enceinte. De peur d’être pris au piège, il ne les rejoint pas et entre maintenant dans la clandestinité.

D’ailleurs, il découvre que les juifs des petits villages aux alentours des grandes villes, tels que Ciepielow, sont regroupés dans les ghettos de Radom, de Lublin, ou de Cracovie et maintenant, même de Varsovie. Il comprend vite qu’il se passe quelque chose d’anormal dans le comportement des troupes d’occupation allemande vis à vis des populations juives. Mais quoi faire?

Le 22 juin 1941, le déclenchement de l’opération Barberousse vint mettre un terme à cette première période de réflexion et d‘hésitation. La ligne d’armistice qui avait été établie le 28 Septembre 1939, ou ligne de partage de l’occupation russe en Pologne, laquelle passait près de Ciepielow, et de Tréblinka. Cette ligne de démarcation devint caduque car l’avance foudroyante des armées allemandes sur le front de l’Est avait rayé de la carte, cette frontière provisoire et fit perdre, à mon Oncle, tout espoir de rejoindre clandestinement l’Union Soviétique.

Le 22 juillet 1942 commencèrent les premières déportations vers le camp de Treblinka à partir de Varsovie.

Il se précipite à nouveau à Radom pour faire sortir ses parents du ghetto et les envoyer à Ciepielow, mais trop tard, le ghetto de Radom est maintenant complètement inaccessible.

A chaque fois que nous abordions avec mon Oncle Jankiel, son périple dans les camps de concentration, pendant la guerre, les larmes lui venaient aux yeux et il se précipitait pour prendre une cigarette et l’allumait en tremblant. Il était incapable de raconter les événements qu’il avait vécus de manière chronologique. Et c’est donc par bribes que j’arrivais à reconstituer, tant bien que mal, son odyssée dramatique concentrationnaire.

Il fut arrêté au cours d‘une rafle routinière de la Wehrmacht qui avait réquisitionné des Polonais pour effectuer des travaux d’aménagement des bâtiments de leur cantonnement entre Radom et Varsovie le 1er Mars 1943. Il n’avait pas encore 25 ans. D’abord interné dans un camp militaire, pour interrogation et vérification de ses explications au sujet de son passage dans la clandestinité , il fut finalement dévoilé comme juif et déporté le 6 Mars 1943 dans un camp de travail de Belzec près de Lublin, puis de Chelmno près de Lodz. Ayant précisé qu’il était auparavant fabricant de costumes militaires pour l’armée polonaise, ses compétences en production de tenues vestimentaires, par chance lui permirent d’être affecté au centre de production de vêtements de déportés. Son instinct de survie le conduisit à prendre contact avec les gardiens allemands du bloc, où il travaillait, pour leur laisser entendre, qu’à titre privé, il pourrait produire des vêtements de cuir pour les officiers S.S. C’est ainsi qu’à la liquidation du camp de travail, en remerciement, il fut envoyé au camp de travail d’Auschwitz- Birkenau au lieu de rejoindre le camp d’extermination de Maidanek.

Il se méfiait des gardes Ukrainiens, très nombreux, après l’invasion de la Russie. Il me raconta que l’antisémitisme ukrainien n’était pas moins dangereux que celui des polonais. Il s‘en méfia donc, et ne se confia qu’aux gardes allemands, peu nombreux, assez âgés, qui s’ennuyaient et conversaient en allemand, une langue que mon Oncle maîtrisait parfaitement, grâce à sa similitude avec le yddish. Il apprit ainsi que tous les habitants juifs du ghetto de Radom avaient été envoyés à la mort, au camp d’extermination de Tréblinka. Sans vouloir le croire, il réalisa que probablement toute sa famille avait péri dans ce massacre cauchemardesque.

J’ai cru deviner, dans son comportement un sentiment de culpabilité, qui le tirailla, tout au long de sa vie après son retour en France! Aurait-il pu sauver ses parents en les aidant pour qu’ils se réfugissent en Union Soviétique avant le déclenchement de l’invasion allemande de juin 41? Cette question le harcelait nuit et jour et particulièrement aux moments des fêtes juives de Yom kippour et de Pâques. Toutes les prières en hébreux lui revenaient en mémoire et la présence invisible de ses parents lui provoquait des larmes aux yeux. Il se reprochait d’avoir été assez naïf de croire à l’alliance germano soviétique et d’avoir pensé jusqu’au bout, donc trop tard, que l’Allemagne n’oserait pas entreprendre l’extermination des juifs d’Europe, pourtant annoncée en janvier 1939 par Adolf Hitler sous la menace du chantage à l’Occident qui explicitement proclamait : : -- Si on imposait une guerre à l’Allemagne, les juifs d’Europe seraient tous exterminés. !

En reconstituant l’histoire des camps d’extermination en Pologne, c’est à dire principalement Treblinka, Majdanek et Sobibor, etc.… il est probable que mon Oncle ne fut envoyé au camp d’Auschwitz Birkenau dans la partie où se déroulait le travail intense et forcé et non dans celle où avait lieu l’extermination immédiate dans les chambres à gaz. Il semblerait même qu’il y arriva, qu’après la fermeture et la destruction de ces trois camps d’extermination à la suite des révoltes qui eurent lieu en juillet 1943, c’est à dire après la révolte du ghetto de Varsovie. Les Allemands voulant garder secret les massacres de plus de 800.000 juifs à Tréblinka et de 400.000 Juifs à Sobibor, rasèrent toutes traces visibles de ce crime diabolique, incroyable organisé par les NAZIS. Il fut donc, je l’imagine, interné, au cours de son périple concentrationnaire, d’abord au camp de travail de Maidanek à proximité de Lublin, puis transféré au camp d’Auschwitz - Birkenau. Il se mettait à pleurer si on lui posait des questions trop précises.

C’est donc une série de scènes pathétiques que j’ai mémorisées au cours de mes conversations avec mon Oncle Jankiel. Je constatais qu’il avait des amnésies sélectives dans ses souvenirs des différents camps d’internement. Toutefois s’il avait côtoyé la mort à chaque instant, en subissant la maltraitance vouée aux déportés, il n’eut jamais à vivre la sélection réservée aux candidats des chambres à gaz. Il est vrai qu’il était jeune, grand et fort donc utile aux travaux forcés imposés par les troupes allemandes. Il savait qu’il ne pourrait survivre en accomplissant les travaux pénibles exigés par les Allemands, avec la si maigre nourriture qui lui était accordée. Aussi a t il pris des risques incroyables, jugeant que, de toutes façons s’il accomplissait le travail requis, il ne resterait pas en vie.

C’est ainsi que lorsqu’il partait, avec un commando, travailler dans les mines de sel de Silésie, pour y creuser des tunnels réservés à la fabrication des missiles V1 ou V2, se cachait-il dans un recoin à l’entrée du tunnel et attendait-il le retour du commando dans la soirée, pour s’y infiltrer à nouveau et rejoindre le camp. Là on lui versait une assiette de soupe, qui n’aurait pu compenser l ‘effort accompli durant la journée de travail! C’est ainsi qu’il voyait toutes les nuits mourir, épuisés, comme des mouches, des membres du commando soumis à la malnutrition.

Il est probable qu’il a fait parti des commandos qui dépouillaient les juifs arrivant d’Europe et qui étaient destinés à mourir dans les chambres à gaz. Avec l’or, ou les dollars, qu’il récupérait des victimes il pouvait soudoyer les gardes Ukrainiens ou Allemands afin d’obtenir des suppléments de nourriture, une miche de pain ou un morceau de saucisson. Quand je le questionnais à ce sujet, pour savoir comment il pouvait se procurer de l’argent ? Il arrêtait la conversation, se renfermait dans un silence assourdissant, et se mettait à pleurer comme un enfant. Il me répétait sans cesse :
-- je ne sais pas pourquoi j’ai survécu ? Peut être pour témoigner de la barbarie Humaine ? Peut être pour aider ta mère à élever, ta sœur et toi? Peut être pour croire en Dieu, alors que je l’ai ignoré en m’opposant à mon père? De toute façon il ne sert à rien de raconter ce que j’ai subi, à quelqu’un qui n’a pas vécu dans les camps de concentration Nazis, car il ne peut pas croire à ce calvaire macabre que nous avons enduré. Les Chrétiens pensent qu’ils risquent d ’aller en enfer après la mort, nous, nous y sommes allés avant la mort!

Il reconnaissait avoir eu de la chance dans ses différentes affectations. Au camp de Mauthausen, en Autriche, il se trouva au quartier de la fabrication des vêtements. Les baraques étaient chauffées et le Kapo juif, un allemand politique probablement, ancien sympathisant communiste, fermait les yeux dans la mesure où le travail était bien fait. Or mon oncle était particulièrement doué à la machine à coudre et entouré de gens qui s’étaient portés volontaires mais sachant à peine le métier de tailleur. Pendant que les autres internés transportaient des pierres à l’extérieure, lui cousait des vêtements bien au chaud. De plus, en manigançant avec des gardiens allemands du camp, il fabriquait des vestes en cuir avec des peaux de cuir que lui procurait un officier allemand et dont il en échangeait une certaine quantité contre une miche de pain ou des faveurs en cigarettes.

Lors d‘un appel le matin au camp de Dachau, un bombardement allié le blessa grièvement au visage. Il fut envoyé à l‘infirmerie. Mais, là encore, la chance lui sourit car normalement les blessés étaient condamnés d’avance. Il fut soigné par un médecin juif tchèque et, miracle, au bout de huit jours il put regagner sa baraque de fabrication de vêtements. A chaque fois, il se posait la question pourquoi, lui, survivait-il alors que les autres mourraient par milliers. ?

Une autre fois il vit une scène atroce, qui jusqu’à sa mort lui procura des cauchemars épouvantables. Au camp de Dora, dans la baraque où il dormait se trouvait un père et son fils. Un soir en rentrant du travail , il vit le jeune garçon qui délirait, rongé par une fièvre importante, mais qui tenait dans ses mains la miche de pain du soir. Le père se précipita comme une bête sauvage sur son fils, lui arracha son bout de pain et s’enfuit à l’autre extrémité du baraquement pour avaler cette nourriture volée à son fils en le laissant mourir de faim et de maladie sans même l’assister dans cette fin horrible.

A plusieurs reprises , on déplaçait les déportés d’un camp de travail à un autre, et en particulier en 1944, au fur et à mesure que les armées soviétiques se rapprochaient de l’Allemagne. Ils marchaient à pied encadrés par des gardes allemands qui abattaient d’une balle de fusil toute personne qui, épuisée, s’arrêtait sur le bord du chemin.

La fin de l’hiver 45, fut particulièrement horrible. On les déplaçait d’un camp à l’autre. Il faisait froid et les hommes lors de leurs périples fréquents tombaient comme des mouches le long des routes. Enfin mon Père et ses compagnons furent libérés le 5 Mai 1945 par les Américains mais il ne se souvenait plus de quel camp, peut être Buchenwald, car ils finirent par s’arrêter, à demi inconscient. Les gardiens allemands s’étaient enfuit, les abandonnant avec les Kapos pour tout encadrement.

Il déclara aux Américains, qu’il avait été déporté de France, mais qu’il avait de la Famille en Pologne et qu’il souhaitait y retourner pour voir s’il y’avait des survivants? On lui remit des papiers provisoires et lors de son voyage à Radom, il eut la confirmation que toute sa famille avait péri à Treblinka.

Désespéré, désabusé, apathique, titubant, amaigri, pesant moins de 40 kilos pour 1,70 mètres de hauteur, survivant mais sans en être vraiment sûr, il décida de quitter ce monde qu’il haïssait, c’est à dire l’Europe, pour un nouveau monde, mais d’abord il souhaita passer par la France pour vérifier s’il n’y avait pas des rescapés qui avait échappés à cette tragédie.

Il prend contact avec la Croix Rouge, qui le fait rapatrier en France, début juillet 45, par des avions DC3 américains qui lui sert de baptême de L’air. Il se retrouve à l’Hôtel Lutétia à Paris , où il est pris en charge par La Croix Rouge Française.

Un nouveau chapitre inattendu de sa vie va se présenter, il est vivant et aura 27 ans le 10 septembre prochain. Il ne se doute pas alors , que, lui, un des rescapés de l’holocauste, il vivra jusqu’à l’âge de 83 ans, et qu’il reconstituera une famille dont il sera le patriarche en mémoire de son Père et de sa Mère. Lui qui avait rompu avec la religion de ses ancêtres, sera fidèlement le représentant de son Père à toutes les cérémonies religieuses et aux célébrations des fêtes de Rocha ha Shana, de Yom Kippour ou de Pâque. A chaque réunion, il n’oubliait jamais de revêtir sa Kippa blanche sur la tête et son émotion reflétait une attitude sincère. On sentait bien qu’il se posait des questions métaphysiques concernant l’existence ou non de Dieu, et son désarroi demeurait hermétique. Son inquiétude traduisait le mystère de la vie et de la mort et de l’au delà.

UNE NOUVELLE FAMILLE

Ma mère se raccrocha alors à lui comme à une bouée de sauvetage. Elle avait repris l’activité de mon père, en se limitant à des travaux à domicile. Elle cousait les boutons et les doublures à des vêtements que d’anciens fabricants d’avant guerre lui confiaient pour lui permettre de subsister , plus par charité, que par intérêt. Vivant seule avec deux enfants à nourrire, son moral était au plus bas.

. Mon Oncle Jankiel fut profondément ému par le comportement de ma petite sœur, lorsqu’elle se précipita sur lui en l’appelant papa !

J’avais 11 ans, et j’étais trop jeune encore pour comprendre toutes les subtilités de la vie des adultes. J’étais content de voir que ma mère était heureuse de retrouver mon Oncle Jankiel. Je ne remarquais pas immédiatement que des changements se produisaient dans notre vie quotidienne et dans notre appartement. La première nuit mon Oncle dormit dans la chambre de ma mère avec ma petite sœur Annette. Mais au bout de quelques jours, ma mère décida que je devais partager ma chambre avec ma sœur ,elle installa donc son petit lit près du mien. Mon oncle Jankiel s’était installé à demeure chez nous, avec la bénédiction de ma mère, et au début je n’y faisais pas vraiment attention. Ma mère s’était métamorphosée. Elle se maquillait se mettait du rouge à lèvres, allait chez le coiffeur. Je la trouvais de plus en plus belle, il est vrai qu’elle n’ avait que 33 ans et j’ignorais alors que c’est , l’âge où les femmes sont les plus attrayantes.

Durant la journée , j’allais à l’école. Je restais à l’étude pour faire mes devoirs et ne rentrais à la maison qu’après 6 heures du soir. Ma mère préparait le repas du soir, alors que mon oncle continuait à travailler à la machine à coudre jusqu’à la dernière minute où ma mère l’appelait pour se mettre à table dans la cuisine y avaler le dîner à toute vitesse . Après quoi il se remettait à la machine et travaillait d’arrache pied pour rattraper les heures perdues par les coupures d’électricité durant la journée, lesquelles étaient fréquentes en ce temps là.

Ma sœur dormait maintenant près de moi et il m’arrivait de me réveiller la nuit, parce qu’elle se mettait à pleurer. Ma mère venait aussitôt nous rejoindre en chemise de nuit pour la prendre dans ses bras. Elle lui chantait une chanson en Yddish et la petite se rendormait. Par contre moi , je restais éveillé dans le noir et je pensais intensément à mon Père. J’imaginais mon Père rentrant par surprise une nuit et trouvant ma mère et mon Oncle Jankiel dans le grand lit de la chambre à coucher de mes parents! Comment allait il réagir? Quelle serait son attitude vis à vis de ma mère ou de son frère?

C’est à cette époque que mes premiers cauchemars survinrent. A de très nombreuses occasions je me réveillais en sursaut et en nage au milieu de la nuit en criant des mots inintelligibles. A tel point que ma mère s’affola et fit venir le médecin de famille. Celui-ci ne trouva pas d‘explication à mon comportement étrange et il suggéra de me faire examiner à l‘hôpital Trousseau spécialisé pour les enfants malades. Je restais en surveillance, dans cet établissement pendant une semaine, alité dans une grande salle, sorte de dortoir anonyme, au milieu de deux rangées d’ enfants. Le professeur responsable du service, m’interrogea pour connaître le genre de cauchemars qui me persécutaient. Je lui expliquais que j’avais l’impression de voler au dessus des montagnes et des plaines très verdoyantes et tout d’un coup sans crier garde je perdais l’équilibre et je me trouvais précipité dans un abîme sans fond. . J’avais la sensation que je tournais en rond dans cette descente vertigineuse et je me mettais à transpirer à grosses gouttes. Je me réveillais alors en sursaut, paniqué, tout moite, ayant l’impression d’avoir échappé à une mort certaine. Après m’avoir bien écouté, le chef de service de l’hôpital m’encouragea à lire des histoires d’aventures, des livres de Jack London par exemple, avant de m’endormir le soir et surtout de ne pas prêter attention aux comportements de ma mère vis à vis de mon oncle Jankiel. Par miracle les cauchemars disparurent, et je rentrais à la maison guéri , ne souhaitant sous aucun prétexte retourner à l’hôpital.

Pour les vacances d‘été de 1946, j’eus envie de retourner à Passais pour y retrouver Madeleine. Ma mère y consentit avec joie et mon Oncle Henri se proposa de nous y accompagner Annette et moi. Je fus heureux de retrouver l’ambiance familiale des Richard, mais très déçu que Madeleine soit absente . En effet , elle était partie s’installer à Paris. Miracle ! je retrouvais mon vélo bleu et Michel qui avait grandi. Avec lui et sa sœur, Madeleine, Mado pour les intimes, nous jouâmes en permanence. Maxime, à mon grand regret n’était plus là .

Mon oncle, Jankiel vint nous rendre visite fin juillet et Annette se précipita vers lui, toujours en l’appelant papa. Ne voulant plus être séparée de lui, elle fit une scène à tel enseigne qu’il décida de la reprendre avec lui pour rentrer à Paris . Il en profita pour remporter plein de victuailles que les Richard s’étaient procurées pour eux dans les fermes avoisinantes.

Les cartes de rationnement avaient toujours cours à Paris et mes parents avaient dû appréciés doublement l’aide des Richard.

Je rentrais fin septembre à Paris en voyageant, pour la première fois seul dans le train . J’avais alors 12 ans. Le père Gustave Richard m’avait accompagné jusqu’à la gare de Flers, et m’avait donné une musette remplie de tartines de pain beurrées et de cuisses de poulet délicieuses. J’étais fier de voyager comme un grand, mais content et rassuré d’être attendu à mon arrivée par mon Oncle Jankiel à la gare Montparnasse à Paris.

A la rentré scolaire, ma mère me prit à part pour m’expliquer que mon père ne reviendrait plus des camps de concentration d’Allemagne et que je devais dorénavant appeler mon Oncle Jankiel : papa! Elle ajouta qu’il était d’accord pour m’élever comme son propre fils, ainsi que ma sœur Annette et pour vivre définitivement avec elle.

Je découvris, bien plus tard, qu’en fait et malgré son mariage avec ma mère en juillet 1947, il avait, à l’époque, refusé de nous adopter. Il avait seulement accepté d’être le tuteur de ma sœur et de moi même. Au fur et à mesure que les années passaient, j’avais accepté l’idée que mon père était décédé à jamais, que jamais plus je le reverrais, mais, mes relations avec mon Oncle Jankiel restèrent toujours entachées d’une certaine équivoque. Moi, si je l’avais adopté comme étant mon nouveau père, lui, de son coté, me voyait dans son for intérieur uniquement comme le fils de son frère aîné disparu.. Il est vrai que j’étais trop âgé pour être son fils et de ce fait, lui était trop jeune pour être mon père. Aussi, il voyait en moi le spectre de son frère aîné . Ses sentiments à mon égard ont toujours été mitigés. Son comportement se partageait entre l’amour filiale qu’il eut pour son propre Père et la haine motivée par une jalousie maladive remontant à sa plus jeune enfance à l‘égard de son frère aîné : mon Père. Mes succès scolaires lui rappelaient donc l’intellectuel qu’était mon Père, mais également sa malchance depuis sa tendre enfance, de n’avoir pas eu le privilège de poursuivre ses études.

Il s’éduqua de lui même, en autodidacte, selon les circonstances de sa vie. Il se méfia des intellectuels , tout en les admirant et les respectant. Il lut beaucoup et envia les écrivains qui pouvaient imaginer des romans et surtout témoigner de la grande Histoire du Monde. Il aima les livres et apprécia qu’on lui en offre à l’occasion d’anniversaires ou de fêtes annuelles. Il eut une bibliothèque respectable avec des ouvrages en Yddish et en français.

Il nous a finalement adoptés, ma sœur Annette et moi même très tardivement en 1980, j’avais alors 46 ans, et ma sœur 38 ans. Je crois que sa motivation était plus d’ordre fiscal , que pour des raisons d‘attaches paternelles. Pendant toutes ces années, ma mère dut sans aucun doute souffrir en silence, de la différence de sort qu’il réserva à ses trois enfants. Elle eut ma demi- sœur, nommée Martine, le 16 Septembre 1947, ce qui incita enfin mon Oncle Jankiel à épouser ma mère, en juillet 1947. Mais c’est donc seulement lorsque ma mère atteignit l’âge de 68 ans que j’eus légalement le droit d’appeler mon Oncle Jankiel , papa!

Ce qui m’intrigua dans son comportement, ce fut son double langage à mon égard. Il était à la fois fier de mes succès et dépité que ce ne soit pas lui, qui les ait remportés. Il s’est toujours opposé à ce que je partage ses préoccupations d’activités professionnelles ou financières. Il me considérait comme un concurrent et comme le fils de sa femme, lorsque l‘ombre de son frère Moïse se fut peu à peu estompée.

Au cours d’une séance de remises de prix de fin d’année au collège Diderot à Paris, il vint, sur ma demande, un samedi matin, assister à cette cérémonie, qui correspondait également à la fin de mon cycle d’études secondaires dans cet établissement .

Au fur et à mesure que mon nom fut cité et que je montais chercher sur l’estrade officielle, les premiers prix ou les prix d’excellence qui m’étaient attribués pour les différentes matières, mathématiques, physique, philosophie, électricité, mécanique etc. Sa joie ne fit que rayonner, surtout lorsque qu’il vit la pile des ouvrages s’accumuler sur ses bras ouverts. Mais au retour, après m’avoir félicité chaleureusement, il ne put s’empêcher, de me faire remarquer qu’il avait perdu une journée de travail en m’accompagnant à la remise des prix de fin d‘année. Et comme je lui demandais, si pour me récompenser , il allait me payer des vacances ? Il me fit remarquer, que lui n’en prenait pas et que si je voulais en prendre, il faudrait que je me débrouille en les gagnant.

C’est ce que je fis. Je m’engageais en tant que moniteur de colonie de vacances à Aix les Bains, pour les congés scolaires d’été. J’avais 19 ans!

Les années suivantes, je me débrouillais comme le souhaitait mon nouveau Père. Je m’inscrivis à un stage d’alpiniste au Moulin de Monêtier, près de Briançon, subventionné par l’éducation nationale. Et cela me permit de vivre une merveilleuse aventure, inoubliable, la traversée du massif de l’Oisans, dans les Alpes du sud, en cordée, avec le guide de haute montagne J. Bouvier, celui qui avait vaincu le Makâlû .

Une autre fois, après lui avoir servi de chauffeur, en tournée de représentation mon Père me donna suffisamment d’argent de poches, pour que je puisse partir en vacances en stop, sur la côte d’azur, en me logeant de place en place, dans les auberges de la Jeunesse. Tout compte fait, je dois reconnaître que mon éducation à la dure, sans la complaisance de la société des hommes, m‘a préparé à la vie réelle telle que la subissait la majorité des jeunes français.

Mon Père Jankiel avait pour doctrine, que tout le monde était jaloux, dans tous les domaines. Que ce soit pour la beauté des femmes, des vêtements que l‘on arbore, de l’argent que l‘on possède, de belles demeures que l‘on exhibe à ses amis , de réussite professionnelle, de voiture automobile que l’on expose, d’ enfants qui réussissent , de grandiose cérémonie de mariage, etc.…Bref, il ne voyait le monde que par la lorgnette de l‘envie, et ne se sentait observé que par des gens jaloux. Il pensait que ses amis le fréquentaient uniquement par intérêt ou pour obtenir ses faveurs. Il n’hésitait pas à faire des largesses à des œuvres de charité afin que sa réputation soit célébrée auprès de ses coreligionnaires.

Sa culture communiste, datant de son plus jeune âge, me déstabilisait. Il pouvait, au cours d’un même débat, adopter et défendre des positions complètement opposées pourvu qu’il se plaça dans la contradiction de la personne lui faisant face. Il avait un raisonnement rationnel, qui s’approchait de la dialectique de Hegel, plutôt que de celle de Descartes. Il exigeait d’avoir toujours raison et lorsqu’il était à court d’argument, il ne lui restait plus que la mauvaise foi pour le sauver et lui permettre d’interrompre le débat. Mais ce qui était intéressant, c’est que quelques temps plus tard, il était capable, d’adopter les arguments de l’autre en se les appropriant comme si de rien n’était. Jusqu’à la fin de sa vie, il garda une mémoire excellente de son enfance, et c’est lui qui m’a confié les détails de la vie de mon père Moïse et de ma Mère en Pologne et en France , avant et après ma naissance. Il est vrai qu’à ce moment là, ma Mère était décédée depuis 1995, ma tante Paulette depuis 1996, et qu’il n’avait plus de raisons de garder nos secrets de famille, et surtout, il n’avait plus grand monde à qui les faire entendre.

Mon Père Jankiel devait décéder le 21 Octobre 2001, à l’âge de 83 ans , dans des souffrances atroces dues à un diabète dévastateur. Habillé du costume ancestral hébraïque et drapé dans un linceul orné de l’étoile de David, brodée en fils d’or selon le rite religieux juif ashkénaze, il fut enterré avec tous les honneurs de la communauté juive de Paris en présence de toute sa famille et de tous ses amis et selon ses dernières volontés, il repose auprès de sa femme dans le caveau qu’il avait fait construire dans le quartier réservé au cimetière de Bagneux près de Paris.

Le texte du sermon du Rabbin fut très émouvant. Il y rappela assez brièvement ce que le défunt accomplit sur cette terre des hommes, après qu’il eut connu la tragédie de la Shoah mais il ne pu malheureusement pas formuler le vœux que la paix soit enfin l’aspiration des peuples de bonnes volontés pour les générations futures.

Maria

Au mois d’Avril 1947, durant les vacances de Pâques, j’étais en pleine révision des cours de religion, en hébreux, avec le rabbin, à préparer ma bar mitzva, programmée pour le 13 Mai suivant, lorsque la mauvaise nouvelle tomba. Un agent de Police vint frapper à la porte pour nous annoncer qu’un accident de la circulation avait eu lieu, et que ma mère avait été transportée à l’Hôpital Saint Louis. Mon Oncle Jankiel cessa immédiatement son travail à la machine à coudre et se précipita à la suite du policier pour aller retrouver ma mère. Je restais ébahi, sans voix, imaginant le pire. L’Agent avait été peu loquace ce qui ne put me rassurer et l’affolement de mon Oncle Jankiel n’était pas là pour me consoler.

Les idées les plus noires vinrent à mon esprit. Et si maman venait maintenant à disparaître, qu’adviendrait il donc à ma sœur Annette et à moi? Ma sœur allait avoir 5 ans le 24 Mai prochain, qui pourrait bien la prendre en charge si le malheur s‘acharnait sur notre famille ? Pendant que je ruminais ces inquiétudes , ma sœur vint me rejoindre et me poser des questions auxquelles je ne pus répondre.

-- Qu’est il arrivé à Maman?
-- Je ne sais pas !
-- Où est maman ?
-- A l’Hôpital !
-- Où est Papa ?
-- Il est parti la rejoindre avec l’agent de Police!
-- Qui va s’occuper de nous?
-- Je ne sais pas !

Ma sœur se mit à pleurer. Je la pris dans mes bras, et tout d’un coup je me rendis compte , que, si le destin devait s’acharner sur nous, je devrais prendre la responsabilité de ma petite sœur. Je la consolais de mon mieux. J’imitais les grandes personnes en feignant de lui faire croire que ce n’était pas grave, alors que j‘étais plongé dans l‘ignorance la plus complète. Je lui racontais que moi aussi j’avais été dans un Hôpital et que l’on s’occupait de nous avec attention. Que l’on se retrouvait dans une grande salle avec des grands lits blancs et que des infirmières très gentilles prenaient soin de nous. J’essuyais ses larmes avec mon mouchoir, et, j’avoue que je ressentis un certain plaisir, un peu trouble, à prendre de l’importance dans l’avenir de ma petite sœur qui s’accrochait maintenant à moi, comme à une bouée de sauvetage. Je me mis à jouer avec elle, et, ce qui est formidable chez les enfants, c’est qu’ils oublient vite les malheurs qui leur tombent dessus, et comme je proposais de jouer à cache-cache dans notre immense appartement, le sourire revint sur son visage et l’on se mit à courir à travers toutes les pièces et couloirs de l’appartement.

Lorsque notre Oncle Jankiel revint dans l’après midi ce fut pour nous annoncer que tout allait bien . Il nous expliqua que notre mère avait été renversée rue de Lancry par un camion de livraison, mais qu’elle était bien vivante, qu’elle avait été opérée pour ses nombreuses fractures au bras et à la jambe et qu’elle reviendrait à la maison au plus tard dans une semaine.

Nous étions rassurés, mais à cette époque, les enfants n’étaient pas autorisés à aller rendre visite aux grandes personnes à l’Hôpital . Il nous fallut prendre notre mal en patience et attendre le retour de notre maman, en ambulance, avec des plâtres sur sa jambe et son bras. Après les joies des retrouvailles, la situation à la maison devint compliquée. Ma mère était immobilisée, alitée et donc trop handicapée pour s’occuper de nous tous à la maison.

Mon Oncle Henri suggéra de placer ma sœur en nourrice dans une famille dont il avait eu connaissance par l’intermédiaire d’amis de L’AOIP , où il travaillait depuis son retour d’Allemagne. C’est ainsi qu’il accompagna ma petite sœur Annette chez Madame Roger à Saint M’Hervé dans le département de l’Îlle et Vilaine en Bretagne , dès la fin des vacances scolaires de Pâques.

Moi je retournais à l’école du Cours Complémentaire de la rue Poulmarch et pour alléger le fardeau de mon Oncle Jankiel, on m’inscrivit à la cantine de l’école et à l’étude du soir, ce qui m’obligeais à m’absenter de la maison de huit heures du matin à six heures du soir.

Bien sûr, il ne fut plus question de célébrer ma Bar Mitzva , qui fut reportée aux calendes grecques. Je n’en pris pas ombrage, car je ne comprenais rien aux prières en hébreux, et je sentais bien que mes parents faisaient cela par tradition familiale plutôt que par conviction religieuse.

A la fin du mois de Juin, mes parents décidèrent que je rejoindrais ma sœur en vacances à Saint M’Hervé, chez Madame Roger.Mon Oncle Jankiel , m’accompagna donc à la gare Montparnasse, il me remit le billet de transport, avertit le contrôleur de ma présence et lui demanda de me prévenir , lorsque le train arriverait à la gare de Vitré, afin que je descende y prendre la correspondance du car desservant Saint M’hervé.

Je voyageais comme un Grand, en m’alimentant du casse croûte que m’avait préparé ma maman, un sandwich de pain noir avec du saucisson et du beurre et un autre avec des sardines à l’huile. Le compartiment de troisième classe comprenant huit places était complet et tout le monde m’adressait la parole pendant ce voyage interminable. Le train express s’arrêta à toutes les gares et à chaque arrêt on ouvrait la vitre pour respirer car pendant que le train roulait il fallait la refermer pour éviter les escarbilles de la locomotive à vapeur. Ma mère avait oublié de me donner quelque chose à boire et c’est un des voyageurs bien veillant qui me proposa de l’eau pour éviter que je m’étouffe en mangeant.

En arrivant à Vitré, la surprise fut énorme. Le car pour Saint M’Hervé ne faisait qu’un voyage par jour, le matin en correspondance avec le train de nuit, afin de transporter en même temps le courrier et les journaux, et donc je me trouvais sans moyens de transport . Le Chef de gare me suggéra de prendre un taxi, mais, mes parents ne m’avaient pas donné assez d’argent pour le faire. Je décidais donc de marcher à pied pour me rendre à Saint M’Hervé. Un passant obligeant m’indiqua la route et, avec ma valise , mon courage et assurance, je pris la direction indiquée. La borne kilométrique sur le bord de la route précisait Saint M’Hervé 12 Kilomètres !.

Le ciel était bleu , le soleil de l’après midi frappait encore très fort, je transpirais à grosses gouttes et je m’arrêtais toutes les quelques centaines de mètres, pour me reposer. Soudain une voiture survint et j’eu l’idée de l’arrêter, pour demander au chauffeur si c’était encore loin Saint M’Hervé?. C’est ainsi que pour la première fois de ma vie , je fis l’expérience d’un voyage en auto stop pour me rendre à destination. Il est vrai qu’à l’époque , les transports en commun n’étaient pas encore très développés et que l’usage de l’auto stop se pratiquait plus couramment qu’aujourd’hui.

Quand Madame Roger, me vit elle s’exclama :

-- c’est lui le petit Charlot, le petit frère d’Annette ! Il n’est pas question de le prendre en nourrice chez moi ! Un garçon de 13 ans pensez donc, ce n’est plus un petit enfant. Il y a un mal entendu !

Je restais un moment seul avec ma sœur Annette . Je la trouvais , mal habillée, loqueteuse, vêtue de haillons, les cheveux en bataille, les pieds nus dans des chaussures en cuir sans lacets et trop grandes pour elle, mais souriante et heureuse de revoir son frère. Pendant ce temps madame Roger s’enquérait de me trouver un point de chute. Je repensais à la petite sœur que ma mère cajolait et que j’avais quittée en Avril dernier à Paris, belle comme une poupée, habillée avec soin de robes qu’elle lui confectionnait de ses mains de couturière douée et qu’elle même n’avait pas eues dans sa jeunesse en Pologne. J’avais du mal à la reconnaître dans son accoutrement mais elle avait gardé le même sourire et la même joie de vivre que j’avais en mémoire. Je me gardais bien de lui faire la moindre remontrance, l‘observant avec amour et regrettant que nous soyons séparés de notre maman. La voisine de Madame Roger , Madame Léger, veuve et mère d’une fille de 14 ans, accepta de me prendre en pension pour les vacances d’été. C’est ainsi que je fis la connaissance de Maria.

On m’installa donc dans la chambre de Maria située dans les combles aménagés d’une maison en pierre taillée, avec sa seule fenêtre en chien assis donnant sur la route principale du village. Un petit lit métallique me fut attribué et placé au fond de la pièce., à bonne distance du lit de Maria.

Un paravent en tissus séparait nos deux lits et donnait un peu d’intimité à cette jeune fille que je découvrais avec curiosité et un certain plaisir inavouable. Je fis rapidement le tour de la propriété. Elle se composait de la bâtisse en pierre d’un seul niveau, avec une cave à demi enterrée, et d’une étable à l’arrière où se reposait une seule vache, en train de ruminer son déjeuner sur l’herbe de la matinée. Un champ attenant à la maison ne devait certainement pas suffire à nourrire cette vache unique. mais cela permettait à la famille Léger d’avoir du lait tous les jours. Un potager , bien entretenu, les approvisionnait en légumes de toutes sortes et quelques poules autour du poulailler leur fournissaient chaque soir les quelques œufs qui leur étaient nécessaires, alors que l’on en trouvait encore si rarement à Paris, dans cette période de rationnement d’après guerre.

Maria , fille unique, suivait ses études à Vitré. Elle se retrouvait en vacances d’été chez sa mère, à la fois pour l’aider dans ses travaux des champs et pour se reposer. Mon arrivée impromptue , la ravit et elle me prit tout de suite en sympathie. Dès cet instant , nous formâmes un binôme et nous ne nous quittâmes plus.

Les activités ou réjouissances dans ce coin perdu de la Bretagne, étaient réduites au strict minimum pour des adolescents de 13 et 14 ans. Nous passions donc notre temps à nous promener dans les champs, à ramasser des pissenlits, à pêcher au bord d’un étang entourés de roseaux sauvages, de petits poissons que sa maman nous préparait en friture. Lorsqu’il faisait trop chaud, nous nous allongions sur l’herbe à l’ombre d’un gros arbre et nous nous racontions des histoires sans queue ni tête. Notre amitié grandissait de jour en jour et nous devenions inséparables.

Comme il n’y avait pas assez d’herbe dans le Champ de Madame Léger, nous emmenions la vache brouter l’herbe verte du fossé de la route en la tenant par une corde glissée autour de son cou . Un jour Maria me fit savoir qu’elle devait amener la vache au taureau et elle me proposa de l‘accompagner.! Quelle ne fut pas mon étonnement lorsque s’étant approché l’un de l’autre, je vis le taureau se hisser sur le dos de la vache !

Il est difficile d’admettre que j’étais suffisamment innocent et ignorant des choses de la vie pour questionner Maria, aussi je lui demandais ce qui leur arrivait ?. Elle fut prise d’un éclat de rire et gentiment elle m’expliqua que c’était pour lui faire un petit veau que le taureau l’avait « engrossée « !

-- Et tu sais c’est la même chose avec les gens !

J’avais plus appris en cinq minutes qu’en 7 ans de fréquentation de l’école communale. Il est vrai qu’à la campagne on est plus près de la nature , et, à moins d’être aveugle il n’est pas possible de ne pas remarquer le fonctionnement de la reproduction naturelle. Je me préparais à raconter à mon retour à Paris, les lacunes de l’éducation nationale!

Un après midi, alors que la maman de Maria était partie à Vitré pour effectuer des formalités administratives, nous nous retrouvâmes Maria et moi seuls, dans notre chambre. Le matin même j’avais cueillis des marguerites au bord de la route et je me suis amusé à en arracher les pétales un à un près de son lit en lui faisant des déclarations qui l’amusèrent. Mystérieusement, nos deux corps se rapprochèrent soudain et pour la première fois de ma vie, je compris le sens véritable de ce que sous entend le mot Amour .

Cette expérience physique ne se renouvela pas car Maria avait trop peur de tomber enceinte, mais notre complicité ne fit que de se renforcer et notre amitié platonique aurait pu se poursuivre si les circonstances de la vie en avaient décidés ainsi. Nous nous quittâmes à la fin des vacances et communiquâmes par courrier pendant plusieurs mois jusqu’à ce que l’adage: « loin des yeux, loin du cœur « , m’entraîna vers de nouveaux horizons .

Mais l’image de Maria restera toujours gravée dans ma mémoire , l’image d’une jeune fille à part qui demeurera dans mon jardin secret , comme étant celle qui me fit traverser la première, la passerelle de l’enfance à l’adolescence. Mentionner son souvenir ici m‘apporte, encore aujourd’hui, quelques frissons, le sentiment d’un agréable plaisir partagé et la nostalgie de ma jeunesse. Le repos du guerrier que je n’étais pas. Mais quel apaisement !.

Plus tard mes parents, ainsi que mon oncle Henri , ma tante Paulette et leur fille d’un an, Yvette, nous rejoignirent pour des vacances de deux semaines de congés payés, au mois d’Août . Ils prirent pension dans l’auberge de Madame Roger, à coté de la maison de Madame Léger, et malheureusement je délaissais pendant la journée Maria pour me consacrer à mes parents qui faisaient des randonnées dans la campagne environnante.

Lorsque ma mère m’annonça qu’elle attendait un bébé pour le mois de septembre, je compris immédiatement qu’elle était enceinte. Je caressais son gros ventre et me réjouissais que la famille s’agrandisse. J’avais vécu trop longtemps seul pour ne pas apprécier d’avoir des frères et sœurs. J’espérais d’ailleurs que ce serait un petit frère, que je pourrais protéger et à qui plus tard je pourrais me confier . Évidemment, ce fut encore une autre sœur, mais, j’étais heureux tout de même et d’ailleurs, sur ma recommandation, on choisit pour elle le prénom de Martine, en hommage à la célèbre Martine Carol , qui faisait fureur dans toutes les salles de cinéma , au lieu de Malka, le prénom de ma grand mère paternelle, décédée au camp d’extermination de Treblinka.

Les deux semaines, passèrent rapidement. Ma connaissance des paysans du coin facilitèrent les relations pour l’achat de beurre que l’on se procurait Kilos par Kilos pour finir avec un stock de 20 Kilos que l’on transportait dans le landau d’Yvette, ma cousine germaine alors âgée de plus d‘un an. Bien sûr nous devions partager entre les deux familles, mais il n‘en demeure pas moins que l‘on avait fait des provisions pour tout l‘hiver.

Ma mère souhaitait que l’on puisse manger des œufs frais à Paris. Elle décida donc, le dernier jour, d’acheter une poule pondeuse. Mon Oncle Jankiel fut obligé de l’enfermer dans la salle de bain de l’appartement de la rue des Vinaigriers à Paris. Mais au bout de 15 jours, après l’avoir cependant bien nourrie , elle dut finir en pot au feu sans jamais avoir pondu un seul œuf.

Au cours d’une promenade , avec mon Oncle Henri, par curiosité je lui demandais par quel hasard avait ‘on atterri à Saint M’Hervé ? Ce village de nulle part ! La réponse était très simple. Mon oncle avait fait connaissance d’ un commerçant juif marié à une chrétienne . Celle ci l’avait caché pendant la guerre dans sa famille paysanne de Saint M’Hervé et c’était elle qui lui avait recommandé l’auberge de Madame Roger, pour y passer des vacances gastronomiques et y placer en nourrice ma sœur Annette.

Mes parents me quittèrent , en emmenant ma sœur avec eux, après leurs deux semaines de congés payés hérités du front populaire. Vers la fin du mois d’ Août, je me retrouvais en tête à tête avec Maria. On se promit de réaliser plein de projets ensemble, et d’abord que l’on correspondrait souvent pour se tenir au courant de nos activités. Que l’on se retrouverait aux vacances de l’année suivante. Lorsque je dus rentrer à la maison, elle m’accompagna au car qui me conduisit à Vitré, et, je rentrais tout seul, comme un grand jeune homme à Paris. Martine vit le jour le 16 Septembre 1947, le cercle de famille ainsi s’agrandit et prit la dimension d’ une famille nombreuse !.

Mon oncle Henri

Mon oncle Henri Freund, de son vrai prénom Aron, naquit le 2 Janvier 1905, à Wisniourzyk, en Galicie, dans le sud de la Pologne, qui devait se trouver rattaché à l’Ukraine après la guerre 39-45. Il avait donc 17 ans en 1922. La France recherchait des bras pour remplacer l’hécatombe de soldats français de la Guerre de 14-18 . La Galicie renfermait de nombreuses mines de sel et de charbons, c’est pourquoi les recruteurs français, à la recherche de main d’œuvre spécialisée et bon marché, se sont intéressés à cette région de la Pologne. C’est donc avec un contrat en bonne et due forme que mon oncle Henri émigra et s’installa en France pour travailler dans les mines de charbon du nord de la France et participer à la reconstruction du pays d ‘accueil. Les conditions, imposées aux candidats par le gouvernement français, n’étaient pas innocentes. Le contrat stipulait que le voyage depuis son domicile en Galicie jusqu’à Dantzig par le train, puis la traversée en bateau jusqu’à Dunkerque étaient payés par la France, mais qu’il devrait en rembourser tous les frais accessoires durant la période de deux ans du contrat le liant aux Charbonnages de France (1 ). Aussi ce qu’il n’avait pas réalisé, c’est qu’il était claustrophobe et qu’il ne supportait pas de se retrouver enfermé à 600 mètres sous terre .

L’administration française lui trouva donc un autre emploi aussi pénible, mais au grand air quelque soit le temps, participer à la reconstruction des voies ferrées entièrement détruites par les combats effroyables dans le nord et l’est de la France.

(1) L’Allemagne ne garantissait pas la traversée de son territoire par les chemins de fer en raison des sabotages exécutés quotidiennement par des révolutionnaires et des anarchistes allemands.

. Mon oncle était jeune et costaud, aussi, soulever des rails de chemin de fer ne lui faisait pas peur. L’ambiance des ouvriers était fraternelle et il ne regrettait pas d’avoir immigrer en France. Il était bien nourri, et sa paye lui permettait de vivre et d’envoyer de l’argent à ses parents restés au pays.

La misère était telle en Pologne à cette époque que tout ce que mon oncle envoyait était apprécié et reçu avec gratitude. Mon oncle qui n’avait pas fait d’études, fit ses classes d’apprentissage directement dans la vie réelle. Un véritable autodidacte plein de bon sens populaire. Il apprit le français avec les camarades de travail et il a toujours gardé un langage très populaire. Rapidement il s’intégra à la culture française et avec des amis il commença à passer ses week end à Paris. Il était jeune, célibataire et il m’a raconté avoir passé du bon temps à la découverte de la vie parisienne. Son contrat accompli, il demanda la naturalisation française et partit faire son service militaire, celui-ci à l’époque n’était pas très important car on venait de subir la grande guerre mondiale et elle devait être la « der des ders« .

Au cours de ses séjours à Paris il a rencontré des gens qui lui ont proposé de travailler dans des entreprises de construction électriques dans la région parisienne , il s’installa donc à Paris. Les années passèrent et une opportunité survint qui lui permit d’être engagé par l’AOIP , ( Association des Ouvriers de l’Instrumentation de Précision ) une société spécialisée au début dans la construction des gyroscopes puis dans les centraux téléphoniques et de tout l’équipement des appareils qui gravitaient autour des transmissions.

C’est ainsi qu’il rencontra ma tante Paulette, la jeune sœur de ma mère au début de 1939.

Je fis sa connaissance au cours d’une de ses visites chez ma grand mère ou je demeurais à l’époque avec ma mère et ma tante. Je sympathisais immédiatement avec lui car il savais raconter des histoires drôles, et je crois qu’il avait un faible pour les garçons, pensant probablement que l’heure était venue de créer une famille et d’avoir des enfants à lui avec de préférence un garçon en premier. Mon oncle Henri et ma tante Paulette se marièrent fin juillet 1939 et partirent immédiatement en voyage de noce à Menton sur la côte d’Azur en Août et revinrent le premier septembre .A leur retour, il trouva sa feuille de mobilisation générale et dû rejoindre aussitôt son régiment stationné sur la ligne Maginot. Pendant ses années d‘activité à l’AOIP il avait établi d’excellentes relations avec ses compagnons de travail et en particulier avec des personnes qui interviendront efficacement dans la survie de ma mère et de ma petite sœur au cours de la guerre. Il s’agit du couple des Redinger et d’un autre couple, d’extrême droite, qui aura l’occasion d’héberger ma mère et ma sœur dans un cabanon de la forêt de villeparisis.

Dès que mon oncle fut mobilisé, la Société AOIP proposa à ma tante de venir travailler en remplacement de mon oncle et ainsi de pouvoir toucher les salaires qui lui étaient destinés . Ma tante avait 21 ans en 1939 . Elle n’avait passé qu’un mois avec son époux avant cette séparation qui allait durer plus de quatre ans .Ce fut pour elle une grande frustration et un douloureux déchirement de voir partir à la guerre son jeune époux et peut être y risquer sa vie .

Mon oncle, stationné à l’arrière de la ligne Maginot, fut fait prisonnier, après le 17 juin 1940, à la suite de l’ordre donné par le Maréchal Pétain de cesser le combat entendu à la radio lors de son discours du 17 juin quarante.

Au cours de vacances passées ensemble à Arcachon en 1949, j’avais alors 15 ans, mon oncle me raconta son épopée militaire et m’avoua son peu de considération pour les officiers et l’état major français en général. Tout d’abord dès que l’offensive allemande débuta dans les Ardennes, en mai 40, les officiers qui avaient un peu de jugeote comprirent immédiatement qu’ils allaient être pris à revers, par l’arrière, alors que toute l’organisation stratégique des plans militaires de l’armée , établie par l’état major français , était d’arrêter l’armée allemande sur le Rhin, donc sur l‘avant. Rien n’avait été prévu pour une attaque par l’arrière! Mieux, l’armée française , était organisée comme une armée de défense du territoire et non pas comme une armée d’agression .

C’est pourquoi , il ne s’est pratiquement rien passé entre septembre 1939 et le printemps 1940 sur le front de la ligne maginot.

Or c’est la France qui a déclaré la guerre et engagé les opérations militaires sur le front du Rhin. Mais il y’a plus grave , pour des raisons à la fois politique et embarrassante au niveau diplomatique, on n’a pas voulu révéler que de nombreux officiers avaient déserté dès qu’ils avaient compris que la bataille était perdue car ils étaient tiraillés depuis le début du conflit. N’oublions pas que c’est la France et l’Angleterre qui ont déclaré la guerre à l’Allemagne à la suite de l‘agression allemande et soviétique sur la Pologne. Toutefois on s’est bien gardé de déclarer la guerre à l’Union Soviétique alors qu’ à la suite du pacte germano- soviétique signé le 23 Août 1939, on aurait pu considérer que ces deux États étaient alliés si non complices. Les officiers français, militants ou sympathisants du parti communiste français, se retrouvaient dans la position inconfortable de livrer bataille à une alliée de l’URSS , contre leurs convictions personnelles. Pire, sans déclarer la guerre, à l’URSS, la France a envoyé des conseillers techniques et des armes à la Finlande dès les mois de février et mars 1940 pour combattre les forces d’agression soviétiques. C’est donc que, curieusement , mon oncle s’aperçut que de nombreux officiers avaient disparus discrètement dès les premiers jours de Juin 40. Mais comme aucune activité militaire n’avait lieu cela ne désorganisait pas vraiment l’unité opérationnelle. C’est par conséquent sans surprise que les ordres des officiers, demeurés à leur postes, leur ordonnant de se rendre à l’armée allemande ne souleva aucune objection de la majorité de la troupe.

Une fois fait prisonnier, mon oncle se souvient de la longue marche à pieds pour rejoindre le stalag de son camps de prisonnier de guerre en Allemagne de l‘Est.

Pour lui et ses compagnons d’armes, la guerre était finie, et, égoïstement, il était malgré tout heureux d’être toujours en vie et de pouvoir écrire à sa jeune épouse. Il resta quelque temps dans ce camps de prisonniers de guerre jusqu’à ce qu’un officier allemand, à l’occasion d’un interrogatoire de routine, apprenne que dans le civil il travaillait dans une société de téléphone. Il fut donc muté en Allemagne dans une entreprise allemande qui entretenait les lignes téléphoniques.

Mon oncle fut agréablement surpris de la réception chaleureuse de la population allemande à son égard. L’entreprise des télécommunication allemandes, l’employait pour la maintenance des lignes téléphoniques. Il réparait les lignes des réseaux endommagés le long des routes, ou bien de l’installation de nouveaux téléphones chez les paysans. Lorsqu’il se faisait tard, et qu’il se trouvait loin du stalag, on lui permettait d’être hébergé par l’habitant et il partageait le repas avec ses hôtes qui ne manifestaient aucune attitude hostile à son égard.

Il m’avouait même des détails croustillants que la décence, vis à vis de la mémoire de ma tante, m’interdit de mentionner dans ce récit. Ses discussions avec les femmes allemandes ou les vieillards, les hommes valides étant presque tous mobilisés, étaient surprenantes. En effet n’ayant pas fait d’études, ayant commencé à travailler très jeune, il ne connaissait de l’Histoire de l’Europe que ce qu’il avait appris par l’école de la vie, et par ses compagnons de travail débordant de haine pour l‘Allemagne. C’est ainsi qu’il découvrit que l’Allemagne profonde supportait majoritairement Hitler. Après tout, lui faisait- on remarquer, Hitler ne fait rien d’autre que poursuivre l’action de réunification des peuples germaniques entrepris par Bismarck au siècle dernier. De quel droit la France revendiquait‘elle l’Alsace et la Lorraine?, parce que le Prince de Saxe Stanislas Leczinsky les lui avait données en héritage en 1766 ? Ce n’était que justice que ces territoires de culture germanique reviennent à la mère patrie !

-- Au fatherland, qu’il s’agisse des Sudètes, de l’Autriche, de Dantzig, de la Silésie , ou même de l’Alsace Lorraine et du Jütland au Danemark etc.. Et pourquoi, la France avait elle déclaré la guerre à l’Allemagne ? Parce que l’on était l’alliée de la Pologne ? Et pourquoi alors n’avoir pas déclaré la guerre à la Russie? Le petit peuple allemand reprochait à Hitler les inconvénients de la guerre et le fait que les hommes n’étaient plus là pour s’occuper des travaux dans les fermes et que tous le fardeau retombait sur les femmes. Mais on lui reconnaissait son action sur la crise du chômage et la fin de l’inflation vertigineuse à son arrivée au pouvoir. D’ailleurs ce traumatisme monétaire est resté dans la mémoire collective allemande jusqu’à ce jour. Mon oncle m’avouait que sans les lettres de ma tante, il ne pouvait savoir ce qui se passait vraiment en France, concernant la politique raciste des Nazis, car en Allemagne personne ne lui en parlait. Les années passaient et mon oncle, bien que son sort soit supportable, finissait par trouver le temps un peu long. De plus, les nouvelles du front de l’est en Russie lui suggéraient que l’armée allemande était en déroute, et lui, il avait déjà expérimenté le comportement d’une armée en retraite. Il souhaitait donc rentrer en France et retrouver sa femme . Dans la pagaille qui commençait à se faire jour il entreprit des démarches avec la complicité du médecin français du stalag.

Il avait eu un accident avant la guerre, un éclat métallique lui avait sectionné le cristallin de l’œil gauche. Cela lui avait fait perdre une partie de son acuité visuelle mais pas complètement la vue. Pour les gens qui le regardaient, cela était très impressionnant. De connivence avec le médecin du stalag auquel il était rattaché, il simula une absence totale de la vue, et put ainsi être rapatrié en France au printemps de 1943. Il demeura en observation à l’hôpital militaire Villemain, rue des Récollets dans le 10 eme arrondissement de Paris, pendant deux mois environ et à nouveau avec la complicité du corps médical il fut libéré et renvoyé dans ses foyers.

Son retour auprès de ma tante fut de courte durée car dénoncé par des voisins, la gendarmerie française accompagnée de la feld gendarmerie allemande, se présenta au domicile de ma tante pour arrêter mon oncle.

Heureusement mon oncle avait réintégré son emploi à l’usine de l’AOIP et n’était pas à la maison lors de la visite des policiers. Ma tante, d’un air convaincant et déterminé, sans se démonter, déclara que son mari était prisonnier de guerre en Allemagne et qu’elle ne l’avait pas revu depuis 1939. Une fois la police partie, elle prévint par téléphone mon oncle qui ne remit pas les pieds au domicile et en accord avec la direction de l’AOIP, il fut envoyé en zone, dite, libre à Châteauroux, où l’entreprise avait une usine de production. C’est là qu’il passa le restant de la guerre, jusqu’à la libération de Paris.

Ma tante qui avait suivi, à son arrivée en France en 1934, les cours du soir de l’éducation nationale, parlait parfaitement le français, sans accent . Enlevant son étoile jaune, elle prenait ainsi le risque de se faire arrêter, en rejoignant assez souvent mon oncle à Châteauroux, par le train dont les gares étaient surveillées et contrôlées. Mais son cœur battait à grand coup à chacun de ses voyages en amoureux.

Mon oncle avait une piètre opinion sur les hommes politiques. Il reconnaissait avoir eu dans sa jeunesse des sympathies pour le parti communiste, mais aussi, avoir été déçu par l’antisémitisme pratiqué dans le pays des soviets. Puis par l’attitude de Maurice Thorez qui s’était enfui de France en Russie dès le début de la guerre. Enfin le retournement du secrétaire général du parti communiste français, Jacques Doriot, qui avait rejoint le parti Nazi, que mon oncle insistait pour rappeler qu’il s’agissait du parti National Socialiste Allemand, sans utiliser les initiales, qui avaient été banalisées et diabolisées.

Il était également aigri de voir comment ceux qui avaient traficoté pendant la guerre avec le marché noir ou la collaboration, s’étaient enrichis et tenaient maintenant le haut du pavé. Alors que lui ouvrier, toute sa vie, continuait à vivre une vie modeste. Il aimait me donner des conseils. Il avait perdu toute sa famille en Pologne, dans les camps d’extermination. Il ne lui restait en France que moi, son neveu, des cousins émigrés aux États- Unis et un autre cousin en Israël.

Il eut une première fille en mai 1946, Yvette ma première cousine germaine. Puis une autre en 1952, Michèle. Je crois que ce fut un excellent père quoiqu’un peu trop laxiste à mon sens. Tellement déçu du comportement de la société en général, il était, plus tard, devenu désabusé et amer dans ses réflexions sur le genre humain.

Il avait une affection particulière à mon égard et me parlait comme à une grande personne. Aux vacances de 1946, il m’accompagna en train avec ma petite sœur Annette à Passais la Conception. Un voyage épuisant de plus de 7 heures dans des Wagons de 3eme Classe. J’avais 12 ans et ma sœur 4 ans et il pris soin de nous avec amour, alors qu’il venait d’être père, avec sa première fille Yvette, née le 8 mai 1946.

Nous arrivâmes le 25 Juin et il repartit le 27 comme l’atteste le registre d’enregistrement obligatoire des voyageurs tenu par Gustave Richard, et contresigné par la gendarmerie de Passais.

Il est vrai qu’à cette époque, le ravitaillement à Paris était encore difficile. Les cartes d’alimentation avaient toujours cours. Mon oncle sur les conseils des Richard passa la journée du 26 Juin à visiter les fermes de Passais pour se procurer du beurre, des œufs et de la volaille qu’il emporta à Paris.

Au cours de vacances passées ensemble à Arcachon en 1949, je me rendis compte du plaisir qu’il avait à me donner des conseils de toutes sortes sur tous les aspects de la vie. Il adorait ses filles mais il est clair, qu’il aurait souhaité un fils pour pouvoir se confier et établir un climat de complicité, avec tout ce qu’il avait enduré, en tant que garçon, dans sa jeunesse et les manques d’affection après sa séparation de sa famille en s’expatriant de Pologne. Je suppose qu’il a essayé avec ses filles, lorsqu’elles ont atteint l’age de l’adolescence, mais j’en doute car il avait gardé une timidité envers la gente féminine, qui l’empêchait de s’exprimer franchement, sans excès. Je me souviens du plaisir qu’il avait à me montrer ses performances en natation sur le bassin d’Arcachon. Il m’encourageait tout en prenant soin de moi à plonger d’une plate forme placée sur l’eau à quelques encablures de la plage, et à nager pour regagner la plage de sable.

Ma tante se bronzait au soleil sur le sable fin de cette belle plage d’Arcachon et nous surveillait du coin de l’œil pendant que ma cousine Yvette sommeillait à l’ombre d’une tente parasol. Comment décrire la partie de fou rire à escalader la colline de sable de la Dune du Pilat pendant que ma « tata » Paulette et sa fille nous attendaient en contre bas !

Ma première croisière en bateau de pêcheurs pour traverser le bassin d’Arcachon, et rejoindre le cap Ferret, pour découvrir l’Océan Atlantique avec ses vagues rugissantes qui me rappelaient mon premier séjour à Biarritz.

Puis le retour, assis, dans un petit train miniature qui nous ramena au port d’embarquement. Une deuxième fille, Michèle naquit en 1952. Elle était belle comme une poupée, ma tante toute crachée. Mon oncle n’était pas préparé à élever des filles aussi il confia leur éducation à leur mère. Pourtant il s’en était occupé, comme peu de pères à cette époque le faisaient, en les pouponnant et en les nourrissant tant qu’elles étaient bébés. Par la suite, il se contenta de se consacrer au travail, et surtout à une activité qu’il n’avait pas choisie, en se mettant à son compte dans la confection de vêtements, mais cela lui permit de gagner plus facilement la vie de sa famille. Il regrettait l’ambiance de l’AOIP, et des retrouvailles au bistrot, au coin de l’usine, pour boire l’apéritif et célébrer les moindres évènements de l’usine avec ses camarades de travail.

Ses amis, dont les Rédinger, qui habitaient l’Hay les Roses, et à qui il devait une fière chandelle, pour avoir pris soin de sa femme et de sa belle sœur pendant la guerre, lui manquaient et cela le rendait encore plus amer. Il nous arrivait de leur rendre visite, le dimanche, dans leur pavillon de banlieue à L’Hay les Roses, et je m’interrogeais d’où venait leur surnom d’Avion. En fait tout simplement parce que Monsieur Rédinger avait travaillé dans la société qui avait précédé la création de l’AOIP qui produisait les gyroscopes pour l’armée de l’air après la guerre de 14-18. Il m’avait pris en sympathie, et nous invitait assez souvent.

Les Rédinger n’avaient pas d’enfant, aussi avaient-ils du plaisir à me confier les souvenirs de leurs jeunesses, car ils savaient qu’après eux, leurs mémoires disparaîtraient, à jamais, sans laisser de traces. Mon Oncle Henri fit tous les efforts matériels possibles pour élever ses filles, en leur permettant de faire des études, dont seule Yvette profita. Michèle préféra entrer rapidement dans la vie active et rencontra, pour son malheur, le seul beau jeune homme, qu’elle n’aurait jamais dû connaître. Mon Oncle garda, durant les dernières années de sa vie, le lourd secret de l’intoxication de sa fille Michèle à la drogue. Michèle décéda en 1983 d’une overdose au grand désespoir de ma tante et de mon Oncle.

Mon Oncle en mourut en 1987, terrassé par un cancer cérébral galopant, en ayant gardé le silence sur ce drame advenu à sa fille Michèle. Il vécut ce malheur comme une honte personnelle, et fit l’impossible pour garder le secret dans l’espoir de préserver à tout prix la famille. Ma tante ne s’est jamais remise de cette épreuve douloureuse de sa vie. Mon oncle qui adorait ses filles et qui avait tellement participé à leur éducation ne comprenait pas ce qui était arrivé à sa fille Michèle et en voulait à la société tout entière en la rendant responsable de cette tragédie et de cette terrible injustice. Il nous quitta tristement sans jamais avoir compris ce qui lui était arrivé.

Ma tante fut tellement désespérée que cela lui occasionnât une maladie de cœur et elle ne s ’en remit pas. Elle, qui ne supportait pas la présence des animaux domestiques, prit en charge le petit chien de Michèle, un Yorkshire-terrier enrubanné de rouge. Jusqu’à la fin de sa vie elle s’en occupa comme d’une personne. Elle ne s’en séparait jamais dans tous ses déplacements que ce soit pour nous rendre visite ou pour partir en vacances. Ma tata Paulette voyait dans ce petit chien la réincarnation de Michèle ! Elle lui parlait, et, le chien Romi, la regardait fixement dans les yeux,, en aboyant avec ses moustaches tombantes, ma tante semblait entendre sa fille.

Ma tante Paulette, celle qui m’avait vu naître la première ce fameux dimanche 13 mai 1934, celle qui devait m’élever en cas de disparition de ma mère, celle qui avait toujours un mot tendre à me dire au cours des épreuves que j’ai endurées, celle qui m’a confié les nombreux secrets de famille me concernant, celle qui ne se plaignait jamais, celle qui accepta de survivre après le décès de Michèle pour s’occuper de son chien Romi et de sa fille Yvette toujours célibataire, celle qui acceptait sans broncher les critiques de sa fille Yvette, nous quitta en avril 1996, six mois après le décès de ma mère.

Bernard Levando

Bernard Levando naquit le 17 juin 1924 à Paris 12 eme, à l’hôpital Saint Antoine. Il demeurait au 9, passage Saint Bernard dans le onzième arrondissement de Paris. Au décès de son père en 1932, il demeura seul avec son frère Maurice, de deux ans son cadet et de sa mère Flora. Il était lié à la famille des Szoneck par sa cousine germaine Rachel, la mère de Maxime. Leur ancêtre commun étant le fameux Abraham London, frère de son père, qui lui, avait gardé son nom d’origine Levando. Ainsi donc Rachel, d’une part mais également Adèle d’autre part étaient les cousines germaines de Bernard.

Après la déclaration de guerre de Septembre 39, la mairie du onzième arrondissement de Paris, leur conseilla vivement de se réfugier en province, et leur assigna la ville d’Auxerre pour y résider en raison des risques de bombardement allemands sur la capitale. Bernard avait alors 15 ans et son frère 13 ans.

Début juillet 1942, les premières rafles, de juifs étrangers eurent lieu à Auxerre. Les circonstances lui permirent d’effectuer son premier acte de résistance passive. Parmi les personnes juives arrêtées, il y avait cinq enfants juifs, de nationalité française car naturalisée à la naissance par les décrets de la loi du sol appliquée en France avant la guerre.

Le commissaire de Police d’Auxerre, dans l’attente d’instructions précises de sa hiérarchie, se demandait comment se comporter avec des juifs de nationalité française? . Il les garda donc en détention provisoire. Mis au courant, Bernard se rendit au commissariat de Police, négocia leur libération en trouvant cinq familles chrétiennes prêtes à recueillir ces enfants juifs. Bernard avait 18 ans ! Sa vie venait de basculer, il ne serait plus jamais le même.

Bernard se rend vite compte que les juifs en France sont en danger, que les autorités françaises ne les protègent plus et veut faire un coup d’éclat avant de rejoindre Londres et continuer la lutte, contre l’armée allemande. Pour acquérir une certaine crédibilité, il décide de cambrioler la Feld Kommandantur 509 à Auxerre.

Surpris en flagrant délit par le Her commandant Fisherbach, dans son bureau, celui ci lui enjoint l’ordre de quitter la ville dans les 24 heures, le laisse filer, sans l’arrêter, ni même lui reprendre les documents que Bernard avait entre les mains. C’est bien plus tard après la guerre, que Bernard réalisa que ce commandant devait être soit un Alsacien, soit un Allemand bien veillant opposé à l’action d’Hitler, et était désolé d‘apprendre qu‘il avait été exécuté à la libération.

Le lendemain au petit matin, Bernard et son frère Maurice, munis de leurs vélos, quittèrent sans plus attendre, Auxerre, par le train en direction de la zone libre, qu’ils jugèrent se trouver après Chalon sur Saône.

Prudents, ils décidèrent de descendre du train une station avant Chalon sur Saône, prévoyant de traverser la ligne de démarcation en vélo pour éviter les contrôles des allemands dans le train!

Malheureusement pour eux ils ne savaient pas que la ligne de démarcation longeait la Saône, à cet endroit et ils furent arrêtés à la sortie de la gare. Emmenés au poste de gendarmerie allemande pour interrogation, ils simulèrent les idiots du village, feignant de ne pas comprendre un seul mot d’allemand, et réclamant à cor et à cri leurs vélos. L’officier allemand les mit dehors, pour s’en débarrasser et l’apprentissage de la clandestinité vint à grande vitesse pour Bernard.

Il traîna sur les quais de la Saône et remarqua une péniche amarrée au bord du rivage. Il prit contact avec le marinier, instinctif sans même savoir s’il n’allait pas le dénoncer, il lui demanda, s’il pouvait les faire traverser le fleuve pour rejoindre la zone libre? Le marinier accepta en leur demandant de revenir dans la soirée. C’est ce qu’ils firent avec leurs vélos, et une vieille femme juive avec son enfant dans ses bras, ramassée au bord du fleuve et qui se désespérait de ne pouvoir rejoindre la Zone libre. Dans la pénombre le marinier les fit monter sur la péniche et à la nuit tombante les fit s’installer dans une petite barque et à la rame les fit traverser la Saône puis les déposa sur la berge de la Zone libre.

Ce fut la première fois qu’il franchissait la ligne de démarcation, mais il ne se doutait pas alors qu’il la franchirait clandestinement au cours de ce conflit vingt et une fois, dans des conditions les plus ubuesques. Tout d’abord il indiqua au téléphone à sa mère restée à Auxerre, comment venir les rejoindre en zone libre, par le circuit du marinier. La mère souhaita sauver sa sœur jumelle, elle retourne à Paris la chercher, puis dans la salle d’attente d’un café avant de traverser la Saône avec le Marinier, elle est dénoncée par une fillette de douze ans, qui avait remarqué l’accent de ces femmes discutant entre elles. Sa mère et sa tante seront arrêtées et internées à Drancy avant de rejoindre les camps de la mort d’Auschwitz fin Juillet 1942.

Bernard qui a gardé les documents allemands, chapardés à la Kommandantur d’Auxerre, les montre à Lyon à des connaissances, qui le mettent en contact avec le réseau de résistance Sud FER. Sa mission sera dorénavant de convoyer des juifs ou des personnes qu’on lui désignera pour le franchissement dans un sens ou dans l’autre de la ligne de démarcation.

Il sera de retour à Paris en Septembre 42, où par l’intermédiaire de sa cousine Adèle, il apprend la déportation de sa mère, et devant sa détermination de se battre, elle l’introduit au mouvement FTP-MOI, ( Main d’œuvre Immigrée) pour sauver des enfants juifs en les faisant rallier la Zone libre. On lui confie en attendant des petits boulots, tels que protéger les jeunes filles qui distribuent des tracts dans les boites aux lettres.

Il demande qu’on lui procure une arme, il se voit répondre : --Démerde de toi!

Sur les grands boulevards, il se retrouve un jour à vouloir se distraire en pénétrant dans une salle de cinéma. Par le pur des hasards, il se retrouve assis derrière un officier allemand qui a retiré son ceinturon avec son pistolet attaché. Il ne réfléchit pas un instant, il s’empare de l ’arme et s’enfuit à toute jambe. Bernard est dorénavant armé.

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