La Langue Arabe
Aux environs du IVe siècle de l’ère chrétienne, et jusqu’au début du VIIe siècle, l’arabe était l’idiome de quelques tribus nomades pour la plupart, errant dans les immenses déserts de l’Arabie, et dont seule une petite fraction s’était sédentarisée dans des oasis ou des villes comme La Mecque, grand centre marchand. Or, brusquement, au début du VIIe siècle, débordant ses déserts primitifs, cet idiome obscur allait, en l’espace de quelques décennies, se trouver porté jusqu’aux confins d’un immense empire recouvrant le Proche-Orient, l’ensemble de la bordure méditerranéenne de l’Afrique, l’Espagne, la Sicile, Malte...
Au cours des siècles suivants, intégrant l’héritage des vieilles civilisations proche-orientales, véhiculant les vestiges de la littérature hellénique, l’arabe devenait la langue d’innombrables écrivains et savants qui devaient jouer un rôle des plus importants dans la formation de la culture moderne.
Cette remarquable et soudaine expansion de l’arabe est liée à la naissance en Arabie, autour de 620, d’une religion qui allait se révéler vraiment dynamique s: l’islam. L’avance de l’islam, porté d’abord par une conquête militaire, s’est accompagnée partout de l’avance de l’arabe, langue dans laquelle s’est faite la Révélation consignée dans le Coran. Il en résulte que, même dans les régions où il n’a pu s’instaurer comme langue parlée aux dépens de celles qui y étaient alors en usage, l’arabe s’est imposé comme langue de culture, à tout le moins comme langue religieuse. Aussi a-t-il conquis, à ce titre, de vastes régions du monde, comme la Turquie, l’Indonésie, le Pakistan, parmi les quelque 200 millions d’individus qui confessent l’islam.
Le Sud Arabique
Le sudarabique nous est connu par un grand nombre d’inscriptions localisées pour la plupart sur les côtes sud et sud-ouest et aussi, pour certaines des plus anciennes, plus au nord dans le Hedjaz. Ces inscriptions, qui selon la chronologie prévalente remonteraient au VIIIe siècle avant J.-C., peut-être en fait jusqu’au IVe seulement, et qui s’étendent jusqu’au VIe siècle de l’ère chrétienne, illustrent d’abord un certain nombre de variétés d’une langue unique: le minéen , auquel par la suite se substituèrent sur son propre domaine, dans le Yémen, le sabéen , et, plus à l’est, l’awsanique , le qatabanique et le hadramoutique .
En dépit de leur abondance, ces inscriptions, par leur caractère stéréotypé et leur brièveté, ne permettent pas d’établir la grammaire et le lexique du sudarabique dans tous les détails utiles. Elles suffisent cependant pour le caractériser assez clairement par rapport à l’arabe du Nord, dont il diffère par des traits structuraux importants.
Après l’islamisation, le sudarabique a été pratiquement supplanté par l’arabe du Nord et ne subsiste aujourd’hui que sur quelques points entre le Hadramout et l’Oman, ainsi que dans quelques îles côtières. On distingue le mehri , le harsusi , le botahari ; dans l’île de Soqotra et quelques autres, on parle le soqotri . La relation au sudarabique ancien de ces parlers mal explorés demande à être précisée. Apparemment, ils semblent procéder de dialectes sudarabiques autres que ceux qu’atteste l’épigraphie.
L’arabe du Nord
Les Inscriptions
L’arabe Ancien
Ces deux groupes d’inscriptions ne semblent pas illustrer le même type d’arabe. Communément, les premières, lihyanites, thamoudéennes, safaïtiques, sont appelées "proto-arabes", tandis que les autres sont réputées relever de l’"arabe ancien". Cette dernière désignation ne soulève pas d’objection, mais le terme de "proto-arabe" est à rejeter dans la mesure où il peut faire supposer un état commun primitif par rapport à l’"arabe ancien". Il semble en fait s’agir de dialectes différents, mais qui ne procèdent pas l’un de l’autre. Que représente au juste l’"arabe ancien"? Ici, il est nécessaire de se référer à une documentation bien postérieure, mais qui permet d’éclairer le problème.
Arabe de l’Ouest et arabe de l’Est
Ce type d’arabe n’est d’ailleurs pas attesté par d’autres textes. à quoi rapporter alors l’arabe tel que nous le connaissons par la littérature dite précisément "arabe"?
Arabe Littéraire Ancien
Mais il nous est aussi parvenu une abondante littérature, des poésies surtout, et de courtes chroniques en prose, attribuées à l’ère du paganisme antéislamique. Sans doute ces pièces, livrées aux hasards de la transmission orale jusqu’aux premiers siècles de l’islam, ne furent-elles fixées par écrit (peut-être non sans quelques manipulations parfois) que par les philologues de l’époque classique. Elles n’en conservent pas moins une grande valeur documentaire sur la forme de la langue littéraire au moment où commence la prédication de Muhammad (Mahomet).
Cette langue apparaît d’emblée comme fixée dans une forme hautement élaborée, avec des constructions morpho-syntaxiques précises et un vocabulaire d’une surprenante richesse. Elle était à coup sûr l’aboutissement d’une histoire déjà longue. Peut-être faut-il supposer avec Wellhausen qu’elle avait constitué depuis des siècles le véhicule de la propagande et de la vie culturelle du christianisme qui, surtout sous sa forme nestorienne, était déjà largement répandu dans diverses régions de l’Arabie.
La nature et l’origine de cette langue de la littérature antéislamique ont donné lieu dès les débuts de la philologie arabe, au Moyen âge, à des recherches particulièrement poussées. C’est que le problème prenait, dans la perspective des auteurs musulmans, une valeur proprement religieuse et théologique.
La langue du Coran
à cette thèse encore répandue aujourd’hui s’opposent cependant les données linguistiques que nous possédons sur les dialectes de l’Ouest. Ceux-ci ne peuvent avoir fondé la langue littéraire, dont ils diffèrent par des traits nombreux et essentiels.
En réalité, au moins pour ce qui concerne les philologues médiévaux, la théorie explicite n’apparaissait pas comme tout à fait contraignante dans la pratique scientifique. Dans leur investigation d’une norme linguistique, ce sont en général des informateurs étrangers à La Mecque qu’ils prenaient pour arbitres. Cette attitude contradictoire n’impose évidemment pas qu’on rejette le caractère hedjazien de la version reçue du Coran, la Vulgate othmanienne. Elle n’exclut pas que le Coran ait pu avoir une version originale en hedjazien, version qui par la suite aurait été retouchée et harmonisée avec la langue littéraire commune. D’autant que la tradition autorise, pour plusieurs passages coraniques, des lectures divergentes dont certaines semblent marquées par des traits proprement hedjaziens. Ces lectures porteraient ainsi témoignage d’un état antérieur différent de celui que nous connaissons.
C’est la thèse à laquelle sont parvenus quelques linguistes occidentaux. Elle est fondée, à vrai dire, sur des indices si ténus qu’elle ne saurait emporter la conviction générale. Au demeurant, dans les conditions sociales qui prévalaient en Arabie avant l’Islam, le parler mecquois, parler des sédentaires, ne pouvait sans doute pas jouir d’un grand prestige aux yeux des populations nomades; et il semble bien en fait être resté confiné dans des limites géographiques étroites. à quelle sorte de rayonnement aurait alors pu prétendre le message coranique qui, dès le début, a explicitement proclamé sinon son universalité, du moins son caractère panarabe – le Prophète se présentant lui-même comme l’Envoyé à tous les Arabes – s’il avait été énoncé en un dialecte dépourvu de force d’expansion et sans vocation affirmée au rôle de langue véhiculaire? Or nous n’avons nulle indication que la Prédication se soit jamais heurtée, du vivant de Muhammad ou après, à quelque obstacle d’ordre linguistique. La seule conclusion autorisée par notre documentation (dont il faut d’ailleurs reconnaître l’indigence) est que le Coran n’a pu être prêché que dans une langue intertribale ou supratribale accessible à l’ensemble des Arabes. Le texte n’est certes pas entièrement indemne de traits hedjaziens. Mais il n’y a rien de surprenant que les usages particuliers du Prophète aient pu transparaître dans quelques dialectismes.
Quoi qu’il en soit, que le Coran ait été retouché en fonction d’un usage normatif ou articulé d’emblée selon cet usage, le problème demeure: quelles étaient les bases concrètes de cette norme? En particulier, s’agit-il d’un dialecte unique promu à la dignité de langue littéraire, d’un mélange de dialectes, de la langue d’une cité ou d’une tribu prestigieuses?
La Koinè Littéraire Ancienne
Il faut enfin remarquer qu’en dépit de la diversité des opinions lorsqu’il s’agissait de situer le centre même de l’arabicité les choix particuliers ne débordaient pas des limites précises et que, d’un commun accord, certaines tribus étaient exclues. En fait, en confrontant les données disponibles, on s’aperçoit que, mis à part le Hedjaz dont le prestige était dû à des considérations extra-linguistiques, le domaine de l’arabicité couvre en gros le centre-est de la péninsule, essentiellement la région appelée Nedj. Il y a toute chance que la base de l’arabe littéraire, ce qu’on appelle la "koinè poétique", soit un usage linguistique particulier de cette région. La caractérisation de cette langue littéraire par rapport aux dialectes parlés est, chez les grammairiens anciens, essentiellement négative. La bonne langue devait être dépourvue des divers traits propres à l’un ou l’autre des dialectes. Il s’agissait en fait, dans l’ensemble, d’habitudes essentiellement phoniques qui particularisaient les usages dialectaux les uns par rapport aux autres. L’articulation littéraire consistait donc en premier lieu à effacer de telles différences au profit, dans chaque cas, de l’usage plus général. à quoi il fallait ajouter un usage archaïque des désinences flexionnelles, sans doute déjà disparues de la langue parlée, mais connues précisément par la transmission orale des textes poétiques.
La "koinè poétique" ou "littéraire", qui semble donc avoir été essentiellement un usage archaïsant et normatif des dialectes du Nedj, a dû déborder de bonne heure les limites mêmes du Nedj, s’étendre comme langue littéraire commune, et devenir ainsi le véhicule du message coranique qui allait faire son extraordinaire fortune.
L’Arabe Littéraire Classique
Mais si, par sa seule existence, la révélation coranique constituait une norme, encore fallait-il que celle-ci fût explicitée en tant que telle, c’est-à-dire qu’il en fût tiré un corps de règles, une claire description d’un usage devenu coercitif. La tradition impute l’initiative de la constitution d’une grammaire au calife ‘Ali, qui l’aurait ordonnée pour défendre précisément la pureté linguistique du texte sacré contre les risques de corruption que lui faisait courir la manipulation par les nouveaux convertis d’origine non arabe. En réalité, une telle tradition semble bien antidater les faits. Sous le califat d’‘Ali, quelques années à peine après la mort du Prophète, l’expansion de l’Islam en était encore à ses débuts. C’est avec les Omeyyades que l’arabe allait se trouver projeté sur une grande partie du monde civilisé. à partir de la fin du IIe siècle de l’hégire (VIIe s. apr. J.-C.), l’Islam règne sur un immense empire structuré, avec une administration centralisée, dont l’arabe aspirait à se faire l’instrument d’expression. C’est alors que s’est posé avec acuité le problème de la langue et de son adaptation à son nouveau rôle.
Les véritables artisans de cette adaptation furent les grammairiens et philologues du VIIIe siècle après J.-C. Plus qu’une volonté consciente d’organisation de la langue, ce sont des préoccupations d’ordre religieux qui donnèrent l’impulsion à leur recherche. La conception qu’ils se faisaient de l’arabe projetait le caractère sacré du Coran sur la langue même qui en était le véhicule. L’arabe, donné par Dieu au premier homme, corrompu après la Chute, mais restauré par le Coran incarnait une partie. Le devoir musulman était de rétablir le modèle dans son intégrité. De là une vaste enquête qui, dépassant l’analyse grammaticale et lexicale du Coran, se donna pour objet la constitution d’un corpus total de l’arabe. L’inventaire s’étendit non seulement aux "dits" du Prophète rapportés par la tradition orale et à la vieille poésie, mais encore de façon générale à tout le lexique vivant dans les dialectes des tribus réputées de bonne arabicité.
C’est grâce à ce travail qu’en un siècle fut établi l’essentiel d’une grammaire qui constitue l’un des chefs-d’œuvre historiques de la science du langage, et d’une somme lexicale d’une stupéfiante richesse.
à la vérité, si cette grammaire, au moins dans la description qu’elle donnait de la morphologie arabe, est demeurée jusqu’ici la base immuable du bon usage, les premiers recueils lexicaux se révélèrent davantage des témoins fidèles du passé que les instruments de développement dont on avait besoin. L’histoire de la langue, sur ce plan, ne se soumit pas totalement au purisme philologique tourné vers le passé culturel arabe. Il est vrai que déjà ce passé témoignait de contacts avec d’autres langues de civilisation, et les vocabulaires coranique et précoranique avaient absorbé bien des vocables d’origine étrangère. Ainsi, divers termes religieux avaient été empruntés à l’araméen et, surtout, par l’intermédiaire de cette langue, à l’hébreu. Le persan avait fourni des mots liés surtout à la civilisation urbaine, termes culinaires, noms d’objets mobiliers, etc. à l’Inde étaient dus des noms de produits exotiques apportés par les navigateurs. à travers l’araméen et le sudarabique, des mots grecs et latins (ces derniers étant surtout militaires) se trouvaient parfaitement intégrés.
Le développement de l’Islam et de son empire allait cependant exiger, et produire, une évolution considérable du vocabulaire. Dès le début, le Coran, qui posait les principes d’une éthique nouvelle, se révéla lexicalement insuffisant pour l’expression des concepts théologiques et juridiques qui en découlaient. L’administration du domaine islamique, fondée sur des institutions nouvelles ou étrangères, le puissant accroissement des connaissances scientifiques et culturelles ne pouvaient se contenter de ce qu’offrait la vieille langue bédouine.
Dans de telles conditions, bien que l’emprunt direct ouvert fût toujours considéré avec répugnance, il ne put être entièrement évité. La langue dut admettre des termes, surtout concrets, d’origines diverses. Mais elle eut recours, pour les termes abstraits, et cela grâce en grande partie au travail des philologues, à des adaptations de vieux termes à des significations nouvelles, à des néo-formations par dérivation et à toutes sortes de calques sur des constructions étrangères.
L’Arabe Littéraire Moderne
C’est au XIXe siècle, à la suite de la pénétration européenne, que s’amorce le mouvement de renaissance qui allait aboutir à l’arabe moderne. Le problème que posent au monde arabe les contacts avec la civilisation occidentale est double. Un problème d’épuration d’abord: il s’agit aussi d’adapter l’instrument aux nécessités du monde moderne, ainsi qu’il avait fallu le faire aux temps de l’expansion impériale. Le procédé le plus naturel et le plus direct était de conférer, comme l’avaient fait aussi les philologues médiévaux, des sens nouveaux aux mots anciens. Dans l’immense lexique hérité, une grande partie des vocables – près d’un tiers – n’avait plus aucun emploi. C’est là un trésor figé que la littérature explore et ranime par des glissements ou des mutations de sens.
Cependant, la langue arabe limite par sa structure même la création de néologismes. D’une part sa dérivation, essentiellement radicale, ne permet pas de fonder facilement une forme sur une autre, à moins que celle-ci ne comporte un squelette consonantique de trois ou quatre consonnes. D’autre part, cette langue ne possède pas de procédés de composition; de là naissent des difficultés qui, malgré les efforts des Académies, ne sont pas résolues.
Les problèmes d’ordre syntaxique ne préoccupent pas autant les auteurs modernes. En fait, l’usage actuel diffère sur des points nombreux et importants de la syntaxe classique: développement des formes analytiques de construction, articulation de la phrase sur la subordination, multiplication des procédés pour l’expression du temps aux dépens de celle des diverses modalités de la durée qui caractérisait la langue classique, etc. Cette évolution considérable sur le plan de la syntaxe, plus considérable encore pour ce qui concerne le style, s’est réalisée sans grands à-coups et sans que ses promoteurs en aient une claire conscience. C’est qu’un grand nombre d’entre eux, nourris de culture européenne, formés par des traductions, lorsqu’ils n’avaient pas directement accès aux textes européens, se conformaient d’instinct aux schèmes syntaxiques qui leur étaient devenus naturels.
Mais la responsabilité de l’influence étrangère n’est pas la seule. Si les auteurs qui construisent la langue dans leurs œuvres sont souvent bilingues, ils participent toujours de ce qu’on a appelé la "diglossie". L’arabe moderne n’est que le véhicule de leur expression écrite. Mais chacun d’entre eux a pour instrument de la communication orale ordinaire un dialecte vernaculaire, souvent bien éloigné de la langue littéraire. Ces dialectes, quant à eux, n’ont pas subi d’éclipse; ils ont continué à se développer et par conséquent à résoudre, dans leur évolution, les problèmes qui se posaient à leur niveau. Ils ne pouvaient rester sans influencer dans quelque mesure le langage écrit.
La Formation des Dialectes Modernes
Nous avons une connaissance très limitée de ces usages. Mais l’analyse de la littérature manuscrite de l’époque permet, grâce aux fautes qu’on peut y relever, d’avoir quelque notion de l’usage parlé des scribes qui commettaient ces fautes. Celles-ci en effet laissent transparaître un système sous-jacent dont on a pu faire la grammaire et qu’on définit comme "moyen arabe", par opposition à l’arabe ancien et aux dialectes modernes. Ce "moyen arabe" semble s’être caractérisé par rapport aux dialectes anciens surtout par un développement de la syntaxe analytique. Il ne connaissait pas de flexion casuelle, tendait à fixer le sujet dans une position préverbale, et non plus postverbale comme en arabe ancien, avait développé l’usage, inconnu auparavant, de particules pour introduire le complément du verbe et du nom, et amorcé l’emploi d’auxiliaires verbaux.
La présence des mêmes traits dans les manuscrits provenant de toutes les régions du monde arabe a conduit à proposer l’hypothèse de l’unité de ce "moyen arabe", qui aurait constitué une koinè "militaire" avant de se fragmenter en parlers divers. Il est bien évident cependant qu’étant donné la nature même de la documentation dont nous disposons, nous ne pouvons déterminer si l’état de langue entrevu constituait une unité ou s’il s’agissait d’un certain nombre de dialectes différents mais partageant des traits communs. Dans leur ensemble ces traits sont conformes à ceux que produit normalement l’évolution des langues et se retrouvent en particulier dans diverses langues sémitiques autres que l’arabe. Il n’est pas invraisemblable qu’ils soient apparus indépendamment en divers points du domaine arabe. D’autant plus que, si les phénomènes constatés sont communs dans leurs tendances, ils se différencient dans le détail de leur réalisation. Les particules et les auxiliaires verbaux, par exemple, ne sont pas identiques dans tous les textes, l’usage des constructions analytiques n’a pas partout la même fréquence. Pour le seul trait qui fut absolument généralisé, l’absence des flexions casuelles, il n’est pas exclu qu’il ait été réalisé dans l’ensemble des dialectes arabiques dès avant l’islam.
En réalité, l’histoire de l’arabisation ne nous est qu’imparfaitement connue, si bien que les processus par lesquels se sont constitués les dialectes actuels nous apparaissent sous des formes très variées, avec des brassages et des mélanges dont les composantes, les rythmes et les produits sont divers. Dans cette arabisation, les substrats sur lesquels s’est développée la nouvelle langue ne peuvent être négligés. Certains dialectes maghrébins sont profondément marqués par l’influence berbère, tandis que les parlers orientaux comportent des traits d’origine araméenne, etc.
Géographie dialectale
L’exploration linguistique de cet immense domaine est loin d’être achevée. On est cependant en mesure d’en distinguer l’articulation essentielle, fondée sur une double frontière. La première est géographique et sépare de part et d’autre du désert de Libye, aux confins de l’égypte et de la Cyrénaïque, les dialectes orientaux des dialectes occidentaux (on verra ci-dessous les discriminants linguistiques sur lesquels se fonde cette distinction). La seconde est de nature sociale; c’est celle qui sépare les dialectes de nomades des dialectes de sédentaires. Elle a son origine dans l’histoire de la formation des dialectes. Les villes, on l’a vu, ont été le lieu de brassages de tribus et de mélanges avec des populations allogènes. Les vagues postérieures des nomades ont installé à travers le monde arabe des populations de constitution ethnique relativement stable et qui ont subi dans une moindre mesure les influences des substrats.
à cette double division, valable dans l’ensemble, il ne faut cependant pas attribuer une valeur absolue. Ainsi, les dialectes orientaux ont pu acquérir des traits maghrébins, par exemple chez les Juifs d’égypte ou chez les Noirs arabisés du Tchad. Mais c’est surtout la distinction entre parlers de nomades et parlers de sédentaires qu’il faut soigneusement préciser.
L’histoire du monde arabe est traversée par un mouvement continu de sédentarisation de populations originellement nomades. Ces populations sédentarisées ont souvent des parlers du type de ceux des nomades. Il arrive même, lorsqu’elles s’installent dans d’anciennes cités, que les tribus bédouines confèrent des caractéristiques "nomades" aux parlers de ces cités. C’est le cas, entre autres, de grandes métropoles comme Bagdad et ou Tripoli. Il en résulte en particulier un phénomène de clivage "ethnique". En effet, dans ces villes, l’influence nomade touche surtout les populations musulmanes. Ce sont celles-ci qui absorbent les éléments bédouins, musulmans aussi, au cours de leur sédentarisation. Les populations non musulmanes (juives et chrétiennes), dans une certaine mesure socialement ségrégées, restent relativement indemnes de cette influence et conservent le vieux parler de type "sédentaire".
Dans les campagnes, surtout au Maghreb, on a reconnu des parlers composites où un fond citadin affleure sous les traits bédouins.
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