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Sophie


Dès que je le vois sortir, je fais comme tout le monde, je hurle son nom. Mais ça ne fait rien, il ne me distingue pas plus qu'une autre dans la foule de cris. Aussi, changement de technique, je me tais et me décide à le fixer du regard...

Il arrive à ma hauteur. A moitié penchée sur la barrière, programme et stylo à la main, mes yeux s’accrochent au chanteur. J'ai une envie folle de croiser ces yeux bleus, miroirs d’une âme que je devine exceptionnelle. Mais je crains aussi un refus ou une absence d’attention pour une signature banale et précipitée. Toutefois, ce qui est le plus fort est la volonté intense de ne pas manquer cette occasion unique de l’approcher.

Garou, au pas de course, arrive près de moi. Pas un geste, pas un cri, mes yeux seuls commandent, je continue à le fixer. Il est en face de moi, de profil, entouré de ses anges gardiens. Je me l’imagine déjà, de dos, poursuivant sa fuite sur le petit chemin, le perdant de vue dans la pénombre. Passé devant moi, son visage aurait gardé la même attitude fixe, de profil, sans un regard. Réveil. Le grand loup m’a dépassé. Pourtant, j’ai cru avoir deviné chez lui un léger mouvement de tête dans ma direction, lorsqu’il passait à ma hauteur. Je n’y crois pas. Mais je dois rapidement me mettre à l’évidence : ce n’était peut-être pas un mirage causé par une imagination trop forte. Car le beau Québécois viens de s’arrêter dans sa fuite. Comme s’il regrettait quelque chose, il revient sur ses pas.

Il s’approche, contourne l’arbre qui me dissimule à moitié, s’avance. Un rêve. Garou, sourit, les yeux rivés sur moi. Il a délaissé un instant ses gardes du corps et marche, seul, dans ma direction. Je suis tout aussi isolée que lui, entre mon arbre et ma barrière, sans personne à mes côtés. C’est, pour une fois, comme j’avais pu le rêver : ses yeux se posent sur moi, j’y plonge... Ce n’est plus la star inaccessible, mais bien le jeune homme qui est face à moi.

" Vous êtes trop jolie à me regarder comme ça. " Déconnexion. Mes oreilles, stupéfaites par ce qu’elles viennent d’entendre, font cesser l’emprise de la vue sur moi. Je sors de mon hypnose. Il se tient devant moi, tout sourire, ses grands yeux bleus rieurs. Je n’en reviens pas. Comment ? Garou est là, devant moi ? Il ne s’est arrêté rien que pour moi ? La stupéfaction qu’exprime alors mon visage le fait sourire de plus bel, ce qui le rend encore plus irrésistible. Les paroles à l’accent fleuris qu’il vient de prononcer résonnent encore en moi tandis que je lui tends programme et stylo qu’il me prend gentiment. Je le regarde griffonner rapidement le précieux document. Il sourit. Un sentiment d’immense fierté me traverse. Je vois, au-dessus de ses épaules, la foule amassée de l’autre côté du chemin qui regarde, envieuse, dans notre direction. Et moi, seule, triomphante, à ses côtés.

 

Sur le moment, ma seule réaction a été d’ouvrir des yeux ébahis et de sourire à celui qui venait de me parler ainsi. Moi qui jusqu’ici avais gardé le visage fermé, trop préoccupée à me concentrer sur mon regard, je laissai apparaître au grand jour tout mon bonheur. En effet, quelle joie d’obtenir, de celui dont on rêve, qu’il vienne jusqu’à vous pour vous parler personnellement. Moi qui, au départ, espérais simplement être remarquée par le chanteur, voilà que j’en étais complimentée !

Décidément, l’émotion est trop forte. Je n’ai aucune réaction, si ce n’est de contempler Garou signant mon autographe. La besogne faite, le grand loup me tant la précieuse signature. Je la reçois, le sourire jusqu’aux oreilles. Un seul mot sort de ma bouche. " Merci ". C’est tout ce que j’arrive à lui dire mais c’est en fait ce qui résume le mieux tout ce que j’aurai pu lui dire. Merci d’avoir pris le temps de ne vous arrêter rien que pour moi. Merci d’avoir eu ses mots si touchants à mon égard. Merci d’être vous…

Je sors de ma stupeur. J’ai dans les mains le programme du festival. À côté de la photo officielle du chanteur, un gribouillis noir à peine lisible comme pour prouver que je n’ai pas rêvé. En face de moi, personne. Le loup a déjà repris sa fuite. Il s’engouffre dans une tente, je le vois, au loin. De peur de les oublier, je retranscris sur le programme les paroles du Québécois. Je roule soigneusement le précieux document qui ne quittera plus ma main de la soirée...

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