Les lutins
Des personnages « qu’il vaut mieux ne pas avoir à ses trousses », selon l’expression de Victor Morin, ce sont les lutins. Non pas qu’ils soient « malfaisants », comme l’affirme Jos Violon, ou « méchants », tels les loups-garous ou les feux follets, « au point de causer des blessures ou de mettre en péril ceux à qui ils s’attaquent ». Ceux qui en ont vu, Jos violon en tête, vous dirons « que si c’est pas des démons, c’est encore moins des enfants-jésus ». Ce sont « des petits bouts d’hommes de dix-huit pouces de haut, avec rien qu’un œil dans le milieu du front, le nez comme une noisette, une bouche de ouaouaron fendue jusqu’aux oreilles, des bras pis des pieds de crapaud, avec des bedaines comme des tomates et des grands chapeaux pointus qui les font r’sembler à des champignons de printemps ». Ils sont espiègles et s’amusent à jouer des tours « qui sont pas drôles ». Jos Violon se rappelle encore de « c’te jeune mariée qu’ils ont promenée toute la nuit de ses noces, à cheval, à travers les bois, pour la ramenée toute essoufflée et presque sans connaissance à cinq heures du matin ». Au grand désespoir du nouveau mari, est-il besoin de le préciser!
Le
plus souvent, ils s’en prennent aux bêtes, aux chevaux surtout. Pain d’Épices
Lanouette peut jurer « sur sa grand’conscience » qu’il a vu en
plein jour de l’an, alors qu’il était à la chasse, filer Belzémire chargée
de lutins, « par-dessus les âbres, comme si le Diable l’avait emportée ».
D’ailleurs, le lendemain, Zèbe Roberge a remarqué que la pauvre jument,
encore tout essoufflée, avait la crinière et la queue tressées tellement serré
qu’il a eu toutes les misères du monde a les dénouer. Si, au moins, les
« lutines »n’étaient pas
si rares. Car celui qui réussit à attraper un lutin femelle peut l’échanger
contre un plein baril d’or. Tout le monde sait ça, dirait Jos Violon!
Mais
le pire avec les lutins, tant ceux qui s’amusent à fatiguer les chevaux
pendant la nuit que ceux qui sont capables de prendre une vache ou de cacher
sous un meuble un objet pour le rapporter quelques jours plus tard, c’est
qu’il n’existent aucune formule pour les conjurer. Il faut donc s’en
accommoder… ou surveiller les pendards,
qui n’hésitent pas à s’introduire dans les écuries, en soirée, et à
atteler les chevaux pour aller visiter « les filles ». Demandez à
Pain d’Épices Lanouette.
Références :
Gignac, Rodrigue, Gingras, Line,
Ruette, Daniel, Verreault, France, Nord no7, Contes et légendes, ©NORD, Éditions
de l’Hôte, 1977, 188 pages.