Mon arrière-grand-père fut témoin de ce fait. C’est ma mère qui me l’a raconté. Le tout se passe vers 1895 dans une paroisse de la rive sud.
Le
premier de l’an au matin, un voisin s’amène chez mon bisaïeul. Il est tout
désespéré et dit que sa fin est proche. Après l’avoir calmé un peu, mon
ancêtre réussit à avoir des explications. Le pauvre a bien raison d’avoir
peur. Il raconte que, dans sa famille, on se transmet de père en fils un moyen
très simple et infaillible de connaître l’année de sa mort. Le jour de
l’an il suffit de se lever dès
l’aube et, à la lueur de la lampe ou de la chandelle, d’observer l’ombre
projetée au mur par sa silhouette. Si elle est incomplète, la mort surviendra
dans l’année. Or, ce jour même, à l’ombre de cet homme, il manquait la tête.
Jugez de son effroi. Il recommence à trembler. Il affirme que son grand-père
et son père sont morts en connaissant tous deux à l’avance que leur fin était
proche. Mon arrière-grand-père lui dit que tout ceci est l’effet du hasard,
qu’il est en bonne santé et qu’à quarante ans, il a encore de nombreuses
années à vivre. Intérieurement, il rit un peu du bonhomme, car lui-même ne
croit pas à ces choses. « Va, lui dit-il, retourne parmi les tiens,
profite de ce jour de fête, tu oublieras vite tout cela ». Peu rassuré,
notre ami s’en va. À peine a-t-il franchi l’allée qui débouche sur la
route qu’un cheval emballé le renverse. Notre homme tombe raide mort. Mon
arrière-grand-père, qui a tout vu de sa fenêtre, accourt. Il n’en croit pas
ses yeux.
Inutile
de vous dire qu’il a mis beaucoup de temps à se remettre de cette aventure.
Il n’a jamais utilisé le secret de son ami. Un doute s’était glissé en
lui.
Murielle
Galarneau (légende apprise de sa mère qui
la tenait de son arrière-grand-père).
Références :
Gignac, Rodrigue, Gingras, Line,
Ruette, Daniel, Verreault, France, Nord no7, Contes et légendes, ©NORD, Éditions
de l’Hôte, 1977, 188 pages.
Sous la direction de Jean-Pierre Pichette.