TITRE I. LE DOMAINE DE LA DETERMINATION DU PRIX
La détermination du prix est régie à
la fois par les réglementations et par la jurisprudence.
La réglementation intervient de plusieurs façons:
soit elle fixe directement les prix et met les particuliers hors du champ
de la détermination de celui-ci, soit elle pose des limites tels
que le principe de la déterminabilité et laisse les parties
prendre la décision...
Les réglementations en matière du prix peuvent
avoir deux origines: elle peut être des mesures de l'Etat français,
elle peut aussi être des dispositions des traités internationaux
applicables en France (Chapitre I).
En droit français, la jurisprudence a joué
un rôle très important, C'est elle qui interprète les
réglementations en matière de détermination du prix
(Chapitre II).
Chapitre 1. La réglementation du prix
En droit français, nombreux sont les textes qui
concernent la détermination du prix, mais les plus importants restent
les deux ordonnances de 1945 et de 1986. Ces deux textes ont une portée
générale et témoignent la variation de l'intervention
des pouvoirs publics.
Au plan international, les accords conclus par l'Etat
français dans le cadre de la CEE méritent la plus grande
attention. Les dispositions en matière de la fixation du prix sont
nombreuses et parfois aussi rigides que les mesures prises au niveau national.
La Convention de Vienne contient aussi des dispositions sur la détermination
du prix, notamment celles relatives aux relations entre la validité
d'une vente internationale et la détermination du prix.
Section 1. La réglementation du prix en droit
français
L'intervention des pouvoirs publics dans le domaine des
prix n'est pas un nouveau phénomène. Déjà au
lendemain de la Révolution française, l'Assemblée
constituante avait voté une loi visant à geler les prix du
pain et de la viande(l). Depuis le début de notre s siècle,
l'Etat a multiplié les mesures en la matière. ON peut citer
la loi du 19 août 1936 établissant le système des prix
surveillés (2), le décret-loi du 9 septembre 1939 organisant
le régime des prix bloqués(3),
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(1) Loi du 19-22 juillet 1791.
(2) D.P. 1936, 4, p. 287.
(3) D.P. 1939, 4, p. 464.
l'ordonnance de 1945 instaurant le blocage des prix (l),
et l'ordonnance de 1986 qui a de nouveau proclamé la liberté
en matière de la fixation des prix(2).
§ 1) L'ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945
Cette Ordonnance a été adoptée juste
après la seconde Guerre mondiale, au moment où le pays était
menacé de la pénurie et de l'inflation., Les méthodes
traditionnelles étaient insuffisantes, pour freiner la hausse des
prix. C'est pour cela que l'ordonnance de 1945 était caractérisée
par une grande rigidité, et un large champ d'application.
A- La réglementation rigide des prix
L'article 16 de l'ordonnance de 1945 disposait que:
"Les prix de tous les produits et services sont et demeurent
bloqués, soit au niveau qu'ils avaient atteint au 1er septembre
1939, soit au niveau qui résulte des décisions prises depuis
cette date". Pour les entreprises qui ne vendaient pas ces produits ou
services à cette époque-là, les prix seraient ceux
usuellement pratiqués pour les produits ou services identiques par
des entreprises similaires"(Art. 17). Ces dispositions "gèlent"
les prix et préparaient la fixation ultérieur de ceux-ci
par l'administration.
Après que les prix aient été bloqués,
une remise à niveau était possible par des décisions
administratives, c'est à dire, par arrêtés du ministre
de l'Economie nationale, par des arrêtés préfectorals
ou par des décisions de certains organismes sur délégation
du Ministre délégation du Ministre de l'Economie
---------
(1) D.P. 1945, p. 137.
(2) D. 1967, 1, p. 3.
nationale (Art.1).
Par ailleurs, l'administration avait la faculté
d'utiliser des moyens plus souples, tel que le "prix limité" qui
formait un maximum ou un minimum, voire même la limitation de marge
bénéficiaire (Art. 2). Dans ces cas, les agents économiques
retrouvaient une liberté pour fixer le prix de leurs produits ou
service à l'intérieur de ces limites, mais ceci n'atténuait
pas de manière significative la rigidité du principe de la
fixation autoritaire du prix, ni l'étendue de son champ d'application.
B- Le champ d'application de l'ordonnance
L'ordonnance de 1945 s'appliquait à tous les produits
et services(Art. 17) notamment au blé, aux établissements
classés comme hôtels de tourisme, aux locations autres que
celles partant sur des immeubles (Art. 60-1). Quelques exceptions étaient
prévues, l'ordonnance n'était pas applicable: aux tarifs
des chemins de fer et des services routiers(Art. 60-II), à l'achat
et la vente des véhicules d'occasion(l), aux produits dont le prix
relève des lois spéciales ou des traités internationaux
applicables en France.
L'ordonnance a été modifiée, complétée
par de nombreux textes ultérieurs: l'arrêté n°
16985(2) accordait aux organismes syndicaux la liberté de fixer
eux-mêmes leurs prix sur avis favorable de l'administration.
---------
(1) L. 16 juillet 1947, B.L.D. 19470 p. 577.
(2) B.O.S.P., 24 janv. 1947.
§ 2) L'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre
1986
Entre 1978 et 1981, le prix de nombreux produits et services
ont été libérés. En 1982, le gouvernement a
du revenir sur le blocage général des prix et de marges(l),
mais il a fallu attendre jusqu'en 1986 pour arriver à un nouveau
système de la liberté.
L'Ordonnance de 1985 a supprimé la grande majorité
des dispositions de l'ordonnance de 1945, abrogeant le régime général
du blocage.
A- La libre détermination des prix
L'ordonnance de 1986, dès son premier article,
a énoncé que "les prix des biens, produits et services "sont
librement déterminés par le jeu de la concurrence".
Désormais, il appartient à chaque agent économique
de fixer les prix en fonction du coût de son produit ou service et
du marché. Le rôle capital ayant été confié
à la concurrence, le bon fonctionnement du marché est plus
que jamais nécessaire. C'est pour cette raison que le rédacteur
de l'Ordonnance a mis l'accent sur la protection de la concurrence. Cinq
chapitres sur sept y sont ont été consacrés (2).
L'intervention du gouvernement dans le domaine de la fixation
du prix n'est plus interdite, mais elle est strictement limitée
à des circonstances extraordinaires. Ces circonstances sont précisées
dans l'article 1, alinéa 2 et 3 qui disposent que le gouvernement
peut prendre "contre des hausses excessives de prix, des mesures temporaires
motivées par une situation de crise, des
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(1) Arrêtés du 14 et 28 juin 1982.
(2) Vu que la protection de la concurrence relève
d'un autre problème, nous nous limitons à ce simple rappel.
circonstances exceptionnelles, une calamité publique
ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur
déterminé". Ces mesures doivent être prises sous forme
de décret en Conseil d'Etat après consultation du Conseil
de la concurrence(Art. 1, al. 2). La durée de la validité
ne doit pas excéder six mois(Art.1, al.,3).
Ces secteurs sont prévus par le décret
d'application de l'Ordonnance de 1986 et par des textes spécifiques.
Le décret d'application du 29 décembre 1986(1)
a fourni une liste des secteurs qui échappent au principe de la
liberté des prix. Ce sont: l'électricité, le gaz,
l'édition des livres, certains secteurs de la médecine et
de la pharmacie, le taxi, la communication téléphonique,
les cantines scolaires publiques, les transports public urbains de voyageurs,
certains domaines des ports maritimes, etc. Le prix de ces biens, produits
et services demeurent régis par les arrêtés qui sont
toujours en vigueur.
Outre cette liste, le prix du papier de presse reste soumis
aux dispositions de l'Ordonnance de 1945 (2); le prix du livre est réglementé
par la loi du 10 août 1981; les honoraires des offices
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(1) T.O. 30 déc. 1986.
(2) Ord. 1986, art.61.
ministériels, les tarifs des opérations
de banques et d'assurances, les loyers commerciaux sont aussi régis
par des textes spécifiques. Enfin, les prix qui relèvent
des traités internationaux ne sont non pas non plus du champ d'application
de l'Ordonnance de 1986.
Section 2. La réglementation du prix en droit
international
Parmi les accords internationaux concernant notre matière,
les plus importants sont les traités européens et la Convention
des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises
de Vienne.
§ 1) Le droit communautaire
En matière de la détermination du prix,
le droit communautaire est marqué par deux particularités:
D'un côté, le droit européen reconnaît le principe
de la libre circulation des marchandises; de l'autre côté,
la fixation des prix au niveau de la communauté est de plus en plus
fréquente.
L'article 30 du Traité de la CEE dispose :"
Les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes
mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres."
La réglementation des prix fait partie des "mesures d'effet équivalent",
donc si cette réglementation nationale met en cause le prix d'un
produit importé, elle pourrait être sanctionnée par
la Cour de justice de la Communauté européenne. C'est le
cas par exemple de l'affaire du "Prix de l'essence". La Cour de justice,
dans son arrêt rendu le 29 janvier 1985(l), a condamné la
France pour violation de l'article 30 du Traité de CEE. "Un système
national de fixation d'un prix minimal pour la vente au détail des
carburants, défavorise les produits importés en les privant
de la possibilité de tirer des, avantages concurrentiels auprès
du consommateur d'un prix de revient plus favorable." A-t-elle ainsi motivé
sa décision.
Dans un autre arrêt concernant le "Prix fixe du
livre" du 10 janvier 1985(2), la Cour de justice a sanctionné la
Loi Lang du 10 août 1981 sur le prix du livre. L'article premier
de cette loi dispose que: "Les détaillants doivent pratiquer un
prix effectif au publique compris entre 95% et 100% du prix fixé
par l'éditeur ou l'importateur." Pour tenir compte la décision
de la Cour de justice, une autre loi du 13 mai 1985 est venue modifier
la loi de 1981: les obligations relatives au prix de vente au détail
ne s'appliquent pas "aux livres importés en provenance d'un Etat
membre de la CEE."
B- La fixation des prix au niveau communautaire
Les trois traités européens CEE, CEEA) prévoient
des possibilités de fixer directement le prix de certains biens,
produits ou services par les autorités de ces trois instances. Sont
concernés les produits agricoles, des transports, le charbon et
l'acier, les minerais, les matières brutes et matières fissiles.
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(1) Affaire 231/83, Recueil-1985, p. 305.
(2) Affaire 229/83,. Recueil 1985, p. 1.
- Les produits agricoles.
L'article 39 du Traité de CEE énonce: "La
politique agricole commune a pour but: e) D'assurer des prix raisonnables
dans les livraisons aux consommateurs." En effet, les prix des produits
agricoles tel que la viande bovine, le sucre, le lait, les céréales,
sont fixés dans le cadre des organisations communes de marché.
Cette fixation reste au stade de la production et du commerce de gros,
la fixation des prix au stade du détail demeure à la compétence
des Etats membres.
- Des transports.
L'article 75 du Traité de CEE confie au Conseil
la mise en oeuvre de la politique commune des transports. Celui-ci, dans
le règlement du 30 juillet 1968(l) stipule: "Les prix pour un transport
déterminé peuvent être librement établis entre
la limite supérieure et la limite inférieure du tarif à
fourchette correspondant." Ici, les transports sont ceux de marchandises
par route entre les Etats membres.
- Le charbon et l'acier.
Selon l'article 61 du Traité de CECA, la Haute
Autorité (la Commission, après la fusion des "effectifs"
des trois Communautés) peut fixer des prix maxima ou minima à
l'intérieur du marché. Elle peut également dresser
aux entreprises toute recommandation appropriée, prend toute mesure
pour éviter des perturbations du marché.
- Les matières fissiles.
L'article 69 du Traité de CEEA énonce: "Le
Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission,
peut fixer des prix."
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(1) Règlement 1174/68,- J.O.C.E., L194 du 6.8.68,
P. 1.
§ 2) La Convention de Vienne
La Convention des Nations Unies sur les contrats de vente
internationale de marchandises, faite à Vienne le 11 avril 1980(l),
est entrée en vigueur en France à compter du 1er janvier
1988. C'est une convention qui a un champ d'application plus large que
les traités européens, mais qui contient moins de règles
substantielles.
En matière de la détermination du prix,
la Convention de Vienne tentait vainement de trouver un compromis entre
la vision représentée par la France, et celle représentée
par la Grande-Bretagne.
A- Les deux visions différentes
Tel que nous avons présenté plus haut, le
régime français exige que le prix de la vente soit déterminé
ou déterminable, sous peine de nullité. Les Pays-Bas, la
Belgique et l'Espagne ont adopté le même principe.
En droit belge, les articles 1591 et 1592 du Code civil
sont similaires aux mêmes articles du Code civil français
et prévoient que le prix doit être certain, c'est à
dire déterminé, ou au moins déterminable. Si le prix
n'est pas fixé par le contrat, il faut qu'il existe des éléments
objectifs qui permettent de le fixer. Un prix qui serait laissé
à l'entière discrétion du vendeur ou de l'acheteur
n'est pas un "prix certain"(2).
Le droit espagnol a adopté le même principe.
Selon l'article 1443 du Code civil espagnol, le prix ne peut en aucun cas
être laissé à l'appréciation d'une des parties
du contrat.
--------
(1) J.,O. 27 déc. 1987.
(2) Dossiers internationaux, Ed. Francis Lefebre 1990,
Belgique.
En droit néerlandais, si aucun prix n'a été
convenu, il n'y a pas de vente(NBW VII-1.1.2.).
Le régime des pays représentés par
la G.B. a une notion de la déterminabilité du prix plus souple
que le droit français. Il n'est pas nécessaire qu'il ait
un accord définitif sur le prix pour conclure le contrat(1). En
droit anglais, le "Sale of Goods Act" dispose que : "The price in a contract
of sale may be fixed by the contract, or may be left to be fixed in a manner
agréé by the contract, or may be determined by the course
of dealing between the parties. Where the price is not determined as mentioned
in subsection above, the buyer must pay a reasonable price."(2). C'est
à dire que le prix peut être fixé selon la pratique
entre le vendeur et l'acheteur. Au cas où le prix ne serait déterminable
par aucun des moyens cités dans le texte, l'acheteur doit payer
un prix "raisonnable", c'est au juge de le décider selon les circonstances.
De même, le Code civil italien admet que le prix
soit déterminé en vertu de l'intention des parties ou selon
la pratique courante(Art. 1474). Au cas où le prix fixé par
un tiers serait manifestement erroné, le juge fixera d'office celui-ci(Art.
1349).
En droit danois, la loi de 1905.relative à la vente
prévoit que si le prix n'est pas précisé, l'acheteur
doit payer ce que le vendeur réclame, à moins qu'il ne soit
anormalement élevé(Art. 5).
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(1) Dossiers internationaux, précités, G.B.
(2) J. CORBISIER, "LA détermination du prix dans
les contrats commerciaux portant vente de marchandises", R.I.D.C., 4-1988,
p. 788.
B- Le compromis insatisfaisant dans la Convention de Vienne
Dans la Convention, il y a deux articles qui mentionnent
la détermination du prix. Les articles 14-1 et 55. Le premier dispose
que : "Une proposition est suffisamment précise lorsqu'elle désigne
les marchandises et, expressément ou implicitement fixe la quantité
et le prix ou donne des indications permettant de les déterminer."
Cet article correspond à l'exigence du droit français et
des pays de l'Est (l). En revanche, l'article 55, sous le chapitre des
obligations de l'acheteur, contient des prescriptions différentes:
"Si la vente est valablement conclue sans que le -prix des marchandises
vendues ait été fixé... les parties sont réputées,
sauf indications contraires, s'être tacitement référées
au prix habituellement pratiqué..." Cet article traduit l'opinion
de Commom Law.
Les deux textes étant en désaccord, il faut
déterminer quel est celui qui prédomine. Le professeur GHESTIN,
négociateur représentant le gouvernement français
dans l'élaboration de la Convention, estime que l'article 14 l'emporte
sur l'article 55. Car L'article 14 est une disposition de la formation
du contrat, alors que l'article 55 est une disposition d'application(2).
M. AUDIT propose: "il conviendra donc pour l'application de l'article 55
de se référer au préalable à la loi applicable
au contrat afin de déterminer si cette loi admet que le contrat
soit formé sans que le prix soit déterminé ou déterminable.
"(3). La question reste en suspens. Cette incohérence atténue
sans aucun doute les effets des ces règles.
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(1) J. GHESTIN, "Traité des contrats, la vente",
Ed. LGDJ 1990, p.427.
(2) Idem, p. 428.
(3) B. AUDIT, "La vente internationale de marchandises",
Ed. LGDJ 1990, P. 60.