Site hosted by Angelfire.com: Build your free website today!
 

Chapitre 2. Evolution de la jurisprudence
 

La détermination du prix en matière de la vente n'a jamais été un sérieux problème. Les juges ont appliqué d'une manière constante les articles 1591, 1592 et annulent systématiquement les contrats de vente dans lesquels le prix fait défaut.
 

La question est moins évidente lorsqu'il s'agit d'un contrat que l'on ne peut pas aisément qualifier de vente. Tel est le cas par exemple des contrats de fourniture exclusive.
 

La Cour de cassation a été hésitante. Elle a d'abord appliqué les articles 1591, 1592 aux contrats de fourniture exclusive dans les arrêts de 1971, puis en 1978, elle a substitué l'article 1129 aux articles 1591, 1592. Récemment, la haute juridiction semble vouloir modifier sa jurisprudence et écarter l'application de l'article 1129 de certains contrats.
 

Section 1. Le champ d'application des articles 1591, 1592
 

En principe, les articles 1591, 1592 du Code civil ne s'appliquent qu'à la vente, les autres types de contrats ne sont pas soumis à l'exigence de la détermination du prix. La question essentielle était donc de savoir si les contrats de fourniture exclusive entrent dans la catégorie de la vente.
 

La plupart des auteurs refusaient de considérer les contrats de fourniture exclusive comme des ventes, du moins comme ses ventes au sens strict du terme. C'est pour cela que les décisions de la Cour de cassation qui ont censuré ces contrats à la base des articles 1591, 1592 ont suscité de vives critiques.
 

§ 1) Application des articles 1591, 1592 aux contrats de fourniture exclusive
 

Les contrats de fourniture exclusive sont divers, une analyse de leurs caractéristiques communes permet de les définir comme une convention par laquelle une partie s'engage à ne pas s'approvisionner que chez son cocontractant pendant une durée déterminée, en contrepartie des avantage accordés par ce dernier, à l'instar des prêts de matériels, des aides financières, etc. Ce type de contrat est né au début de notre siècle. Les premiers litiges portés devant la Cour de cassation dataient des années 30. Depuis les années 60, la doctrine commençait à étudier la nature de ces contrats. A partir de 1971, la Cour de cassation a élargi l'application des articles 1591, 1592 aux contrats de fourniture exclusive.
 

A- Les contrats de fourniture exclusive
 

Les contrats de fourniture exclusive sont d'abord apparus dans les relations entre brasseurs et cafetiers. Dans leurs relations bilatérales, le cafetier s'engage à s'approvisionner uniquement chez le brasseur. Ce dernier accorde au cafetier une certaine assistance. La durée du contrat peut varier entre quelques années à plusieurs dizaines d'années.
 

Les premières questions juridiques soulevées par ce type de contrat connu sous le nom du "contrat de bière" concernaient sa validité. Dans un arrêt du 17 février 1931(l), le cafetier demanda la nullité du contrat pour violation du principe de la liberté du commerce posé par une loi des 2-17 mars 1791. La Cour de cassation refusa la demande en disant que la clause d'exclusivité était valable dès lors qu'elle était limitée dans le temps. Plus tard, la validité de la clause d'exclusivité ne semblait plus problématique puisqu'une loi votée le 14 octobre 1943(2) dispose que: " Est limitée à 10 ans la durée maximum de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objet semblable ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur."
 

Reste la question de savoir quelle était la véritable nature de ces contrats, seraient-ils des contrats nommés ? si oui, à quelle catégorie appartiennent-ils? La question était devenue d'autant plus importante que les contrats de fourniture exclusive étaient étendus dans d'autres domaines, notamment entre compagnies pétrolières et pompistes.
 

--------

(1) Ch. req. 17 févr. 1931: D.H. 1931, 1, 141.
(2) J.O. 15 oct. 1943.
 


B- Élargissement de l'application des articles 1591, 1592
 

Les contrats de fourniture exclusive étant ignorés du Code civil, il revenait à la jurisprudence et à la doctrine de trouver une solution pour la qualification de ces contrats.
 

La jurisprudence était hésitante au début. Dans un arrêt du 24 mars 1965, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a appliqué l'article 1591 à un contrat de fourniture exclusive de matériels, l'a censuré pour défaut de prix. La Chambre commerciale a relevé la qualification donnée par la Cour d'appel de Paris en affirmant que :" ce contrat était une vente." (l)
 

Toutefois, dans un autre arrêt daté du 20 décembre 1960, concernant un contrat de bière, la Cour de cassation a énoncé que:" la clause sus-relatée (d'exclusivité) constituant l'une des conditions essentielles non point d'une convention de vente de meubles... "(2). L'assimilation du contrat de pompiste à la vente a également été refusée par la Chambre commerciale dans un arrêt du 29 janvier 1968 (3), de même qu'un arrêt du 27 janvier 1971(4) concernant un contrat de bière.
 

--------

(1) Ch. com. 24 mars 1965: JCP. 1965, 11, 14378.
(2) Ch. civ. sect. com. 20 déc. 1960: D. 1960, 355.
(3) Ch. com. 29 janv. 1968: D. 1968, 345
(4) Ch. com. 27 janv. 1971: D. 1972, 536
 


On aurait pu croire que cette jurisprudence était devenue classique (l) s'il n'y a pas eu revirement survenu le 27 avril 1971(2). La Cour de cassation, en une seule journée, a censuré une dizaine de contrats de pompiste de marque, sur la base des articles 1591, 1592 du Code civil pour indétermination de prix. Cette jurisprudence qui fut ensuite étendue aux contrats de bière (3) n'a pas échappé aux critiques.
 

§ 2) Les critiques de la doctrine
 

L'assimilation des contrats de fourniture exclusive à la vente s'est heurté à l'opinion dominant de la doctrine.
 

René RODIERE et Claude CHAMPAUD, dans leur article publié en 1966, soulignèrent que : " une pareille convention ne peut être assimilée à aucun contrat connu, pas même à une vente à monopole, pour la raison évidente qu'elle ne constitue pas une vente"(4). Paul DIDZER, à la même époque, remarqua aussi que :" Malgré les apparences, cette obligation de quotas ne constitue pas, dans l'intention des parties, une promesse de vente ou d'achat." Et il ajouta que:" L'absence de prix ne rend pas nul une telle obligation ni la convention qui la contient."
 

--------

(1.) J. GHESTIN, D. 1972.. 537.
(2) Bul. civ. IV. n°106, p. 98.
(3) Ch. com. 12 févr. 1974: D. 1974. 415.
(4) "A propos des 'pompistes de marque'", JCP. 1966. 1. 1988.
 


Selon lui, le contrat de pompiste "impose à chacune des parties des obligations spécifiques dont l'ensemble ne se retrouve dans aucun autre contrat, notamment dans aucun des contrats régis et nommés par le code civil" (1).
 

Dans son commentaire des arrêts du 27 avril 1971, J. GHESTIN remarqua : " Qu'il s'agisse d'une obligation négative ou positive de s'approvisionner exclusivement chez un fournisseur désigné, celle-ci ne s'analyse pas, directement du moins, en une vente... A priori une telle obligation n'est ni une vente, ni une promesse de vente."(2).
 

Si le contrat de fourniture exclusive n'est pas une vente, serait-il une promesse de vente, ou une combinaison de promesse d'achat et de vente (3) ?
 

J.-M. MOUSSERON et A. SEUBE refusèrent cette opinion :

"Les contrats de fourniture étudiés sont, par conséquent, irréductibles à la vente ou même la promesse de vente."(4).
 

----------

(1) "A propos du contrat de concession: la station-service ", D. 1966, chron. p. 56.
(2) D. 1972,p. 358.
(3) Pierre VOIRIN, note de l'arrêt du 17 février 1931, D.H. 1-931, 1, 41.
(4) " A propos des contrats d'assistance et fourniture ", D. 1973, chron. p. 199.
 
 



 

L'obligation du fournisseur ne semble pas pouvoir être réduite à une simple promesse de vente, car il est également tenu d'autres obligations telles que les aides financières et matérielles. Lequel de ces éléments est déterminant ? La promesse de vente ou les aides ? La réponse n'est pas évidente. On observe toutefois que l'on peut légitimement supposer que dans certains cas, les aides financière et matériels du fournisseur représentent une importance majeure pour son cocontractant : le fait de demander l'annulation du contrat après avoir tiré profit ce ces aides pourrait prouver cette intention; pour certains acquéreurs qui n'ont pas un capital suffisant pour installer le magasin, les aides financières et matérielles sont préalables à l'achat des produits; Enfin, il serait difficile de concilier la thèse de la promesse de vente avec les aides financière et matérielle en ce sens que une promesse de vente doit laisser un droit d'option à l'acheteur, or dans notre hypothèse, l'exécution anticipée des aides financières et matérielles contraint l'acquéreur à exécuter son obligation à lui. Il est en fait privé du droit d'option. On n'est plus en présence d'une promesse, mais d'un contrat à exécution immédiate.
 

Section 2. La substitution de l'article 1129 aux articles 1591,1592
 

Les critiques de la doctrine auraient-elles influencé la haute juridiction ? Peut être, en tout cas, la jurisprudence de la Cour suprême a changé dans les trois arrêts rendus en octobre 1978. Dans ces décisions et dans les arrêts ultérieurs, la Cour de cassation se référait à l'article 1129 du Code civil pour fonder et maintenir l'exigence de la détermination du prix. La substitution de l'article 1129 aux articles 1591, 1592 n'a pas pour autant apaiser les critiques de la doctrine, au contraire, ce revirement de jurisprudence a reçu un accueil défavorable presque à l'unanimité.
 

§ 1) Le revirement de 1978
 

Le 11 octobre 1978, la Chambre commerciale a rendu trois arrêts importants relatifs à des contrats de bière. Dans le premier arrêt, la Chambre commerciale a écarté le recours à l'article 1591; Dans les deux autres arrêts, elle a censuré plusieurs contrats de bière pour indétermination de prix sur la base de l'article 1129 du Code civil(l).
 

Rappelons les dispositions de cet article: "Il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée."
 

Avec la substitution de l'article 1129 aux articles 1591, 1592, on est sorti du système de la vente. L'article 1129 a une portée beaucoup plus étendue que celle des articles 1591 et 1952. Car d'une part, il s'applique à tous les contrats, d'autre part, il concerne l'objet et non seulement le prix.
 

--------

(1) Ch. com. 11 oct. 1978: Gaz. Pal, 1979. 1. 83.( 2 esp.); JCP. 1979. 11. 19034.
 



 

C'est ainsi qu'ont été mis en cause d'autres contrats de fourniture(1): contrat d'entretien du téléphone (2), contrat de licence de brevet(3), des conventions d'exclusivité(4) et de franchisage (5). Dès lors qu' une obligation met en cause le versement d'une somme d'argent, le montant doit être déterminé ou déterminable.
 

La Cour de cassation a manifestement voulu détacher le régime des contrats de fourniture exclusive de celui de la vente(6). Ce faisant, la Cour pourrait maintenir l'exigence de la détermination du prix sur une base plus large qui lui permettait d'éviter d'entrer dans les débats sur l'assimilation des contrats de fourniture exclusive au contrat de vente.
 

Cette substitution de l'article 1129 aux articles 1591, 1592, si elle est passable, doit par ailleurs être défendable au plan théorique. Or ce fondement est très contesté par la doctrine qui y voit une application inadéquate de l'article 1129.
 

--------

(1) Farine: Com. 21 mars 1983: Bull. civ. IV. n° 110.  Laine: Cam. 11 juin 1981: Bull.civ.IV.n°268
(2) Com. 1er déc. 1981: D. 82. I.R. 95.
(3) Com. 22 fév. 1967: Bull.civ.III. n°83,
(4) Com. 11 juin 1981: Bull.civ. IV. n°268.
(5) Com. 12 déc. 1989: JCP. I. 19518.
(6) A. de MARTEL,"L'art. 1129 du Code civil et l'annulation des contrats de bière..." JCP. 1980. 11. 13316.
 



 

§ 2 L'application contestée de l'article 1129
 

L'article 1129 du Code civil est un régissant l'objet de l'obligation. La "chose" en question dans cet article est au sens large du terme et on peut considérer qu'elle inclut une somme d'argent (le prix). C'est l'argument principal de la Cour de cassation.
 

Toutefois, la doctrine refuse de considérer que l'objet du contrat de fourniture exclusive consiste pour le débiteur de payer une somme au créancier.
 

D. de MARTEL remarqua que: " En aucun cas, au stade de la conclusion de l'accord d'achat exclusif, le paiement du prix ou le montant de celui-ci ne saurait être considéré comme constituant cet objet pour aucune des parties. "(1). J.SCHMIDT précisa que:" L'objet du contrat-cadre, au sens d'opération économique envisagée, est d'organiser l'approvisionnement d'une entreprise en facilitant la conclusion de contrat de vente et en uniformisant leur contenu."(2). Pour Ph. MALAURIE, les contrats de pompiste de marque étaient des contrats-cadre qui "ne font pas naître une obligation de livrer et de payer le prix, mais de faire." (3). De même que F. GORE qui, à propos des contrats de bière, dit que: "Ce sont des obligations de faire et non des obligations de donner."(4). Pour R. HOUIN, l'obligation du débitant de boissons a un double objet: "En premier lieu, il s'agissait d'une obligation de ne pas faire: ne pas se fournir auprès d'un autre brasseur [...]
 

--------

(1) "L'indétermination du prix Gaz. Pal. 1979. II. p. 654.
(2) "Le prix du contrat de fourniture", D. 1985. chron. p. 177.
(3) "Cours de droit civil, les contrats spéciaux", Éditions CUJAS. 1986. p.122.
(4) "La détermination du prix dans les contrats dits 'marché de bière"', Gaz. Pal. I, p. 84.
 


cette obligation de ne pas faire s'accompagne pour le débitant de boissons d'une obligation positive de se fournir exclusivement auprès du brasseur[...] Mais il s'agit là d'un engagement global qui ne porte ni sur des quantités précises ni a fortiori sur un prix fixé à l'avance, ce qui serait d'ailleurs inconcevable."(1).
 

Ces auteurs de renom dont les opinions divergent parfois, ont tous refusé de considérer le paiement du prix comme l'objet de l'obligation pour ce qui concerne les contrats de fourniture exclusive.
 

--------

(1) Note sous les arrêts du 11 oct. 1978: D. 1979. 137.
(2) Com. 2 juillet 1991: D. 1991, p. 501.
(3) Com. 9 nov. 1987: JCP. 1989, 15506.
(4) Com. il oct. 1978: LCP. 1979, Il, 19034.
 



 

Section 3. L'abandon de l'article 1129 ?
 

Malgré les critiques de plus en plus vives, la jurisprudence élaborée en 1978 a été maintenue par la Cour de cassation jusqu'à une date très récente. Depuis quelque temps, la Cour de cassation a commencé à modifier ses positions. Dans certaines affaires concernant les contrats de fourniture exclusive, l'application de l'article 1129 a été écartée. La Cour de cassation a accepté la qualification de l'obligation de faire dans ces contrats. Cette modification n'est que partielle, car elle ne concerne que certaines catégories de contrats de fourniture exclusive.
 

§ 1) Le nouveau revirement de la jurisprudence
 

La première manifestation de la volonté de modifier la jurisprudence acquise se trouvait dans un arrêt du 9 novembre 1987 concernant un contrat de distribution exclusive. Dans le contrat en question, le fabricant s'engage à n'accorder la distribution de ses produits qu'à son cocontractant. La Cour de cassation a refusé d'annuler ce contrat pour indétermination de prix, au motif que la convention ne s'analyse pas comme une vente, mais comme un contrat comportant une obligation de faire (1).
 
 

---------

(1) Com. 9 nov. 1987: JCP. Ed. E. 1989. Il. 15506.
 


Trois ans plus tard, la haute juridiction a de nouveau refusé le recours à l'article 1129 dans quatre autres affaires, dont l'une concernait un contrat de distribution exclusive(l); les trois autres concernaient respectivement un contrat de location et d'entretien de vêtements de travail(2), un contrat de distribution des matériels(3), et un contrat de franchise(4).
 

Toutefois, la Cour de cassation n'entend pas à généraliser cette jurisprudence tous les contrats de fourniture. Au contraire, elle fait une distinction entre les contrats d'approvisionnement exclusif (en produits déterminés et élémentaires, comme des produits pétroliers, certaines denrées ou des boissons), et les contrats de distribution exclusive qui ont pour objet la diffusion de produits ou de savoir-faire, etc. Selon la Cour suprême, les premiers contrats relèvent de l'obligation de "donner" et les seconds relèvent de l'obligation de "faire", et l'article 1129 ne s'applique qu'aux contrats comprenant l'obligation de "donner".
 

--------

(1) Com. 22 janvier 1991: D. 1991, 175.
(2) Com. 29 janvier 1991: JCP. Ed. G. 1991. 21751.
(3) Com. 2 juillet 1991: D. 1991. 501.
(4 ) Com. 16 juillet 1991: JCP. Ed. G. 1991. 21796.
(5) Conclusion de M. JEOL de l'arrêt du 22 janvier 1991: D. 1991. J, 175. Deux applications de l'art. 1129 dans les arrêts du 12 févr. 1991 et du 26 fév. 1991, inédits, cités dans la note de Ph. MALAURIE, D. 1991, 502.
 


Cette distinction faite par la Cour de cassation n'a pas non plus convaincu la doctrine. Philippe MALAURIE a écrit," L'application de la distinction entre les obligations de donner et les obligations de faire à la théorie du prix est particulièrement difficile lorsqu'il s'agit de contrats de concession ou de distribution commerciale, où généralement chacune des parties est à la fois tenue d'obligation de donner et d'obligation de faire."(1). Georges VIRASSAMY a dit carrément:" Une convention ne peut en aucune façon être qualifiée d'obligation de faire."(2). Denis TALLON a aussi contesté le recours à la théorie de l'obligation de donner. Il a même désapprouvé la nécessité de l'existence de cette théorie. Selon lui, " Dès que l'objet est suffisamment individualisé le transfert s'opère de lui-même, sans aucune intervention des parties... A quoi peut donc encore servir l'obligation de donner ?"(3)...
 

La jurisprudence actuelle pose deux problèmes importants: quelle est la distinction juridique entre l'obligation de faire et l'obligation de donner ? Est-elle applicable à l'ensemble des contrats de fourniture avec exclusivité ?
 

Historiquement, le droit romain distinguait déjà l'obligation de "faecere" et l'obligation de "praestare", et "L'obligation qui a pour objet le transfert de propriété d'une chose d'espèce ou d'une chose de genre dont on connaît le "quid" (la chose), "quale"(qualité), quantum"(quantité) est l'obligation "certa"(certaine)" (4). L'article 1101 du Code civil français a fait la même distinction.
 

--------

(1) Note sous l'arrêt du 2 juillet 1991: D. 1991. 501.
(2) Note sous l'arrêt du 22 janv. 1991: JCP. Ed. G. 1991. 2167:9.
(3) " Le surprenant réveil de l'obligation de donner ". D. 1992. Chron. p. 66.
(4) J. MACQUERON,"Le droit romain", Faculté Aix-en-Provence, 1971.
 



 

Rappelons que cette distinction entre deux types d'obligations avait été soutenue par certains auteurs pour contester l'application de l'article 1129 aux contrats de fourniture.
 

Ceci étant, il serait intéressant d'aller plus loin, en recherchant les significations réelles de "l'obligation de donner" et de "l'obligation de faire (ou de ne pas faire)". En effet, on pourrait se poser la question de savoir si le prix est une "chose", le paiement de ce prix n'est pas un acte ? Et que "l'obligation de donner" n'est-elle pas aussi "l'obligation de faire" ? Ici, compte tenu de l'étendue de cette question, elle ne fera pas l'objet de plus de développement.
 

Quant à la deuxième question, l'avocat général M. JEOL dans sa conclusion du 22 janvier 1991, n'a pas voulu considérer les contrats de fourniture exclusive comme une même catégorie de contrats. Il a suggéré qu'un contrat de concession exclusive relatif à la commercialisation de machines et de vêtements... soit une convention qui relèverait de l'obligation de faire, alors qu'un accord de fourniture exclusive relatif à la commercialisation des produits pétroliers ou des boissons relèverait de l'obligation de donner.
 

Certains auteurs ont expliqué l'attitude de la Cour de cassation par la volonté de protéger les cafetiers et les pompistes de marque qui se trouvent à une situation de faiblesse (l). Si c'était le cas, la sanction de nullité absolue est bien trop sévère d'autant qu'elle est censée plus pénaliser le débiteur que le créancier (fournisseur).
 

--------

(1) Ph. MALAURIE, note précitée; D. TALLON, note précitée. MOUSSERON, A. SEUBE, article précité. J. GHESTIN, " L'indétermination du prix de vente et la condition potestative ", D. 1973. Chron. p.293; G. VIRASSAMY, note sous l'arrêt de la Ch. com. du 9nov. 1987. JCP. 1989. Ed. E. 15506.
 



 

§ 2) L'état actuel de la détermination du prix

Pour l'instant, la jurisprudence reste évolutive, le problème de la détermination du prix n'est pas totalement solutionné et de nouveaux revirements de la jurisprudence ne seraient pas inattendus. Mais avant que ceux-ci ne soient intervenus, nous nous contentons de faire bilan de l'évolution de la jurisprudence.

- Tous les contrats de vente restent régis par les articles 1591, 1592, et sont soumis au principe de la détermination du prix;

- Les contrats de pompiste de marque restent également soumis au principe de la détermination du prix, mais au titre de J'application de l'article 1129, Les contrats de bière ainsi que les autres contrats jugés comme comprenant une obligation de donner restent soumis à l'exigence de la détermination du prix au même titre que les contrats de pompiste de marque;

- Les contrats comportant essentiellement l'obligation de faire échappent au principe de la détermination du prix. C'est le cas des contrats de mandat, d'entreprise, de louage de choses(l)...

Le champ d'application de la détermination du prix est ainsi tracé: Ce sont les contrats dits comprenant l'obligation de donner: les contrats de vente, les contrats de bière, de pompiste de marque... et dont le prix n'est pas fixé de manière stricte par les pouvoirs publics ni par les organisations internationales.
 

--------

(1) Laurent LEVENEUR, note sous l'arrêt de la Ch. com. du 29 janv. 1991: JCP. Ed. G. 1991. 217.