Chapitre 2. La détermination indirecte du Prix
La détermination indirecte du prix joue un rôle
important dans les relations contractuelles. Plusieurs raisons poussent
les parties au contrat à recourir à ce mode de fixation du
prix: soit pour avoir une plus grande impartialité, soit pour la
raison de la dépréciation monétaire ou lorsque des
éléments du prix n'apparaîtront qu'ultérieurement.
La détermination du prix peut être réalisée
par l'intervention d'une tierce personne ou des références
objectives.
Section 1. La détermination du prix par un tiers
Selon l'article 1592, le prix peut être laissé
à l'arbitrage d'un tiers. Ce mode de détermination du prix
pose deux problèmes importants: celui de la qualité du tiers,
et celui des pouvoirs et des obligations du tiers.
§ 1) La qualité du tiers
Le mot "arbitrage " qui est utilisé dans l'article
1592 du Code civil nous invite à réfléchir sur la
qualité du tiers. Les rédacteurs du Code civil entendaient-ils
exiger que ce tiers ait la même qualification qu'un arbitre d'une
clause compromissoire?
La doctrine fait la distinction entre le tiers et un arbitre.
Selon celle-ci, la mission confiée par l'article 1592 à ce
tiers est "d'une nature tout à fait différente de celle qui
est stipulée dans une clause générale d'arbitrage
"(1). " La mission du tiers, selon ce texte, est limitée à
l'estimation, 1'évaluation de la chose vendue. Or, d'une façon
générale, la mission d'arbitrage n'a pas pour objet d'assurer
la conclusion du contrat à négocier, mais seulement de régler
les désaccords susceptibles de naître lors de sa conclusion"(2).
J. GHESTIN a exprimé d'une manière brève et nette
cette idée:" D'une façon générale l'arbitre
désigné, par une clause d'arbitrage, même lorsqu'il
est amiable compositeur, exerce essentiellement une mission juridique,
et non une mission d'expertise ou d'évaluation."(3)
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(1) Ch. JARROSSON," La notion d'arbitrage Ed. LGDJ, 1987,
n°298.
(2) J. GHESTIN, "Traité de droit civil, Les obligations,
Le contrat: Formation'' Ed. LGDJ, 1988, p.582.
(3) Idem, p. 583.
La Cour de cassation, dans un arrêt de principe
daté de 1862(l), avait refusé de considéré
ce tiers comme 1'arbitre dans une clause d'arbitrage.
Le tiers n'est pas l'arbitre, il n'est non plus un expert.
Ph. MALAURIE a dit ceci : " il ne s'agit d'expertise, bien que ce soit
parfois le langage des arrêts; car un expert a pour office de donner
au juge des avis consultatifs, tandis qu'ici l'évaluation faite
par le tiers est définitive"(2). Ce point de vue fut confirmé
par l'arrêt de la Chambre commerciale du 12 novembre 1962 (3).
L'opinion dominante semble considère le tiers comme
un mandataire commun à la fois du fournisseur et de l'acquéreur,
la doctrine et la Cour de cassation semblent toutes deux d'accord sur ce
point(4).
La qualité du tiers étant le mandataire commun des deux parties du contrat, elle n'est soumise à aucune forme particulière (5). Le tiers peut être une personne physique ou une personne morale(6), il peut même être le fabricant de la marchandise, chose vendue par le fournisseur à l'acquéreur(7), à condition qu'il soit indépendant des parties du contrat et désigné expressément par celles-ci.
Reste à savoir quel est le rôle du juge:
Peut-il être désigné comme tiers ? Peut-il désigner
le tiers à la place des parties ?
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(1) Req. 31 mars 1862: D.P. 1862, 1, 242,
(2) "Droit civil, Les contrats spéciaux" Ed. CUJAS,
1991, p.149.
(3) Civ. sect. com. 12 nov. 1962: D. 1963, som. 63.
(4) Juris-Classeur, Contrat des attributions - Vente
commerciale, Ed. Techniq. 1983, Fasc. 260; Ph. MALAURIE," Droit civ. :
Les contrats spéciaux" précité; Civ. 1, 26 oct. 1976,
Bull. civ. I, n°305.
(5) Civ. 1, 26 oct. 1976, précité.
(6) Com. 25 mai 1981: Gaz. Pal., 26 janv. 1982, panora.
(7) Civ. 1, 8 nov. 1983: JCP, 1985. Il. 203,73.
La réponse à la première question
est affirmative, la Cour de cassation a eu l'occasion de valider la désignation
d'un président du tribunal comme tiers(l).
En revanche, le juge ne peut désigner d'office
le tiers, sauf si le contrat a prévu cette faculté(2). Autrement
dit, si les parties n'arrivent pas à désigner le tiers et
n'ont pas confié cette désignation au juge, le contrat sera
nul pour défaut de prix.
§ 2) Les pouvoirs et obligations du tiers
En principe, le tiers une fois désigné,
n'est pas révocable(3), sa décision lie les parties. Toutefois,
si le tiers ne fait que de proposer un prix minimum et un prix maximum,
et si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur l'un des deux
prix proposés, la vente est nulle(4).
Le tiers peut refuser sa mission, mais s'il accepte, il
est tenu de certaines obligations. Il doit prendre en compte les conditions
indiquées par les parties. Par exemple, s'il s'agit de déterminer
le prix de bois sur pied, le tiers ne doit pas indiquer le prix de ce bois
après enlèvement(5). Il ne doit non plus sortir de sa mission,
en modifiant les conditions d'exigibilité convenues directement
entre les parties par exemple(6).
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(1) Com. 25 mai 1981: JCP. 1981, Ed. G., IV, p.286.
(2) Ph. MALAURIE." Les contrats spéciaux ", précité.
(3) ROBDEDANT, AP,- LEREBOUES-PIGEONNIERE,"Cours de droit
civil français" Ed. 1938, Tome Xi, p.84.
(4) Juris-Classeur,. Contrat de distribution, Vente commerciale,
Fasc. 260, précité.
(5) Req. 14 mars 1870: D.P. 1872, 5, 463.
(6) Com. 20 janv. 1970: Bull. civ. IV, n027.
De manière générale, le prix fixé
par le tiers s'impose aux parties mais aussi au juge. Ce dernier ne peut
intervenir parce que le prix lui semble exagéré ou trop faible
(1). L'intervention du juge n'est possible que dans deux cas: quand le
tiers a outrepassé sa mission de mandataire, autrement dit, en cas
d'excès de pouvoir; ou bien "lorsque l'expert désigné
contractuellement par les parties pour fixer le prix de vente d'un bien
a commis une 'erreur grossière', lesdites parties sont fondées
à demander en justice une nouvelle expertise en vue de déterminer
ce prix "(2).
Section 2. La détermination du prix par références
La détermination du prix par référence
est un mode de fixation du prix à l'aide des éléments
objectifs indépendants de la volonté des parties au contrat.
Grâce à ces éléments, le prix peut être
né sans que son chiffre soit exprimé dans le contrat. Ce
mode de détermination du prix est assez répandu et sous formes
diverses.
1) Les conditions de la validité des références
Les références doivent être précises,
objectives et légales. Il a été jugé qu'une
référence "en moyenne et au maximum " aux prix pratiqués"
par l' ensemble du négoce sérieux dans l'arrondissement est
trop
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(1) Bastia 3 avril 1839: S. 1840, 2, 195.
(2) Com. 9 avril 1991: JCP 91, IV, 226.
vague pour permettre la détermination du prix (1).
Il faut par ailleurs que les références
soient extérieures aux parties. C'est l'exigence de l'article 1174
du Code civil.
Par ailleurs, l'ordonnance n°58-1374 du 30 décembre
1958 interdit formellement les indexations générales sur
le SMIC, sur le niveau général des prix et des salaires,
sur l'or (sauf si l'objet du contrat ou l'activité d'une partie
s'y rapporte) et les devises dans les contrats nationaux. Est même
interdit un indice qui n'a pas de relation directe avec l'objet du contrat(2).
La Cour de cassation surveille de près l'application de cette Ordonnance(3).
De telles mesures sont justifiées par le souci
de "briser le cercle vicieux que risquait de constituer l'indexation de
tout sur tout"(4), ainsi que l'exigence du principe de nominalisme monétaire
que pose l'article 1895, afin d 'assurer la confiance dans la monnaie nationale.
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(1) Civ., 111, 18 mai 1978: Gaz. Pal., 9 sept. 1978, Panorama.
(2) JCP 1959, Ed. G, 24160.
(3) Civ. 111, 24 juin 1971: JCP 1972, Ed. G., II, 17191;
Com. 3,nov. 1988: Bull. civ. IV, n0287.
(4) De VAULX, "La détermination du prix dans le
contrat de vente", JCP 1973, 1, 2567.
§ 2) Les clauses de référence
De nombreuses clauses de détermination du prix
par référence ont été inventées dans
la pratique, nous nous bornons à en présenter quelques-unes.
A- Clause "prix taxé"
Lorsque le prix d'un produit fait l'objet d'une taxation
de la part des pouvoirs publics, les parties au contrat peuvent se référer
à la réglementation en vigueur au jour de la livraison ou
au jour de la conclusion du contrat(1). Dans ce cas, les volontés
contractuelles se rencontrent sur le prix établi par les pouvoirs
publics(2).
La référence peut même être
implicite, ainsi a été jugé déterminable une
clause par laquelle l'exploitant d'un dépôt de pain s'oblige
à n'y proposer que la production d'un boulanger déterminé,
dès lors que cette stipulation n'indique pas à quel tarif
celui-ci vendra son pain à son cocontractant(3).
Des problèmes pourraient se poser lorsqu'une modification
de la réglementation en vigueur fait disparaître la détermination
administrative du prix à laquelle se référait le contrat,
celui-ci devient caduc, c'est à dire nul à partir de cette
modification (4).
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(1) Cass.,. civ. 28 fév. 1950: JCP. 1950,, C.I.,
II, 5599.
(2) Com. 28 janv. 1953: Bull. civ. 1-11, n°47.
(3) Cass. civ. 111., 7 déc. 1977: Bull. civ. in,
n0439.
(4) Com. 30 juin 1980 : Bull.. civ. IV, n°281, p.227;
coma. 9 mai 1985: Bull. civ. IV, n°146, p. 125.
B- Clause "prix de marché"
C'est une clause par laquelle le prix sera fixé
en se référant au prix du cours général des
produits concernés de mêmes qualité au moment de la
livraison. Cette clause n'est valable que s'il existe un cours objectif.
Si le contrat prévoit que le prix sera celui du cours officiel pratiqué
un jour déterminé alors qu'aucune marchandise de même
nature ou de même qualité n'a été en réalité
cotée à la date convenue, la vente est nulle pour indétermination
du prix(l).
La jurisprudence ancienne était plutôt favorable
vis-à-vis de cette clause(2), aujourd'hui, elle est plus exigeante
(2). "Pour la Cour de cassation, le seul fait de l'existence d'une concurrence
même vive ne suffit pas pour caractériser un prix objectivement
déterminable, en l'absence d'un cours proprement dit constaté
par un organisme étranger aux parties"(3). Ainsi, est trop vague
une clause prévoyant la fixation du prix "en hausse au en baisse
suivant les tendances du marché"(4). Par contre, est déterminable
le prix fixé selon les tarifs pratiqués par des concurrents
réels et déterminés du fournisseur. Le prix indexé
sur les tarifs des trois plus importantes sociétés concurrentes
du vendeur(5).
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(1) Req. 24 janv. 1922: Gaz. Pal.,1922, 1, 387.
(2) Req, 5 fév. 1934: Gaz. Pal. 1934. 2. 331;
Com. 28, janv. 1953: Bull. civ. III, n°47, p.153.
(3) R. HOUIN, note D. 1979, p.138.
(4) Com. 7 déc. 1981: D. 1982, IR, p. 95.
(5) Com. 21 juin 1977: Bull.civ., IV, n°178 et 179,
C- Clause se référant à la chose
Le prix peut être fixé en fonction de la
quantité de la qualité, du coût ou de la rentabilité
de la chose.
Les parties peuvent insérer une clause référant
à la quantité ou à la qualité de la chose.
Dans le contrat, seul est fixé le prix unitaire ou le prix de base,
le prix définitif sera calculé à la livraison, le
moment où les éléments objectifs du calcul, à
savoir la qualité ou la quantité, peuvent être appliqués.
Ainsi dans une vente de plaque d'étanchéité, est déterminable
le prix se référant aux dimensions et au poids des feuilles(l).
Les parties peuvent en outre adopter une clause se référant
au coût de la chose. Par exemple, elles peuvent décider que
le prix de base serait soumis "à l'incidence des variations des
prix des matériaux de la main-d'œuvre et des frais généraux(2).
La clause se référant à la rentabilité
est fréquente en matière de la cession de brevet, de fond
de commerce, etc., bien qu'elle soit souvent critiquée car la rentabilité
n'est pas toujours indépendante de l'une des parties. Par exemple,
l'acheteur peut dans une certaine mesure augmenter ou diminuer cette rentabilité(3).
Mais récemment, la Cour de cassation a reconnu valable une fixation
de prix liée aux bénéfices d'un fonds de commerce(4).
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(1) Com. ler avril 1981: Bull. civ. IV, n°178.
(2) Com. 4 juillet 1972: Bull. civ. IV, n02l7.
(3) Civ. 1, 12 nov. 1974: Bull. civ., I, n°301.
(4) Civ. 1, 28 juin 1988: D.S. 1989, 121.
D- Clause d'offre concurrente
Cette clause donner à l'acquéreur la possibilité
de demander au fournisseur de rajuster son prix s'il reçoit d'un
concurrent du fournisseur une offre plus avantageuse, ou de donner au fournisseur
la possibilité d'augmenter son prix si une hausse des cours du produit
considéré peut être objectivement constatée.
Cette clause est en principe valable puisqu'elle ne dépend
pas de l'une des parties du contrat (1). La Cour de cassation a rejeté
un pourvoi "non pas en raison de l'adoption par les parties d'une clause
d' offre concurrente, mais du fait que les modalités prévues
pour sa mise en œuvre ne permettaient pas sa détermination"(2).
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(1) J. GHESTIN, "Traité de droit civil, le contrat:
la formation", précitée p. 609.
(2) Com. 14 juin 1988: D.S. 1989, 89.