Le
chien
de
Hilda Hilst
(fragment)
La croix sur la tête
Les données
de ce que j'ai été
De ce que je
serai:
Je suis né
mage, mathématicien
Je sui né
poète.
La croix sur
la tête
Le rire sec
Le cri
Je me découvre
roi
Pailleté
de ténèbres
Les couteaux
lacérant
Le temps et
le bom sens
Dieu?
Une étendue de gel ancrée dans le rire. Voilà ce
qu'était Dieu. Il n'en essayait pas moins de s'accrocher à
ce rien, décrivait des culbutes glacées jusqu'à trouver
le filin retenant l'ancre et il se laissait descendre en direction de
ce rire. Il se tâta. Oui, il étai vivant. Il avait demandé
étant enfant à as mère: et le chien? La mère:
le chien est mort. Alors il s'était jeté sur le sol gluant
jonché de potirons, s'était accroché à l'un
d'eux, cabossé et la tête couler ocre, et il avait hurlé:
comment? comment est-ce qu'il est mort, comment? Le père: femme,
cet enfant est stupide, décroche-le de ce potiron. Il est mort
. L'est foutu, dit le père, en insistant sur le "ou", il replia
les doigts de sa main gauche dans la paume de sa main droite et répéta:
foutu. C'est ainsi qu'avait eu lieu son premier contact avec la mort.
Amos Kéres, quarante-huit ans, mathématicien, arrêta
sa voiture au sommet de la petite colline, il ouvrit la portière
et sortit. Il avait vue d'où il étai sur le bâtiment
de l'Université. Église, État, Lupanars, Université.
Tout se ressemblait. Symposiums, discours, conciliabules, toges, confréries,
vanités, obscénités. Le recteur: professeur Amos
Kéres, il m'est venu aux oreilles certaines rumeurs. Ah oui? Vous
voulez un café? Non. Le recteur enlève ses lunettes. Il
mâchonne doucettement l'une des branches. Vraiment, pas de café?
Non, merci. Eh bien, voyons, je comprends que les mathématiques
pures n'aient que faire des évidences, vous aimez Bertrand Russell,
professeur Amos? Oui. Bien, sachez que je n'ai jamais oublié une
phrase lue dans un très bel ouvrage. Un de mes livres? Vous avez
déjà des livres publiés, professeur? Non. Je parle
d'un livre de Bertrand Russell. Ah. Et la phrase est la suivante: "L'évidence
est l'ennemie de l'exactitude". Évidemment. Eh bien, ce qui me
revient concernant vos cours c'est que non seulement ils ne sont nullement
évidents mais que... pardon, professeur, allô, allô!
évidemment, ma chérie, evidemment c'est moi, oui, là
tout de suite je suis occupé, eh bien, oui, ma chérie, emmène-le
chez le dentiste, je sais, je sais... Amos se passa la langue sur les
gencives. Il serait temps que j'y aille moi aussi (plus que temps, c'est
sûr) chez le dentiste, avec l'âge ça ne va pas s'arranger,
il ne me l'a pas caché la dernière fois, quand était-ce,
peu importe, mais c'est ce qu'il m'a dit, monsieur Amos, cela travaille
dans toute votre mâchoire, le genre de tension d'un responsable
surmené, c'est fou, vous ne vous réveillez pas avec des
douleurs dans la mâchoire? Oui, c'est vrai. Donc, c'est bien cela,
nous allons devoir consolider votre arcade dentaire. Combien? Ah, c'est
un travail délicat. Oui, mais combien? (mais ma chérie,
tu sais combien le petit est capricieux, ne cède pas, les dentistes
aujourd'hui sont de vraies infirmières, passe-le-moi, je vais lui
parler, juste un instant professeur). Faites, faites. Ah, une petite somme
malgré tout, il va nous falloir, voyez-vous, renforcer toutes les
dents du haut et presque toutes celles du bas, et celles du bas sont extrêmement
importantes, il ne faut jamais perdre ses dents du bas, elles sont des
supports pour les prothèses à venir, la vôtre ici
en bas est toute rongée (allô, chéri, écoute,
papa tient absolument à ce que tu ailles chez le dentiste, sois
gentil, oui, c'est promis, je te les achète ces tennis, et des
bonbons, oui, je sais. Et quoi? un short? ah, ça je ne garantis
pas, alors oui, promis, promis, mon petit chéri. Allô, allô?
évidemment c'est moi ma chérie, oui, il va y aller, oui,
je rentre tôt, à tout à l'heure, à tout à
l'heure). Bon, où en étions-nous, professeur Amos? Je réponds:
aux évidences. Ah oui. Il a remis le lunettes sur son nez: vous
ne semblez pas me prendre au sérieux. Comment cela? J'ai remarqué
que vous avez souri d'un air un peu, un air, professeur, dison, condescendant
comme si vous me trouviez... stupide? Vous interprétez, j'étais
seulement en train de me souvenir d'une phrase. Quelle phrase, professeur?
Je dis la phrase: "inventer un symbolisme nouveau et complexe où
rien ne paraisse évident", il trouvait que c'était le mieux.
Qui, il? Bertrand Russell. Ah. Poursuivons, je n'ai pas le temps de m'attarder,
professeur, mais je vous en prie prenez des vacances, une vingtaine de
jours, reposez-vous. Mais vous m'avez bien parlé de certaines rumeurs.
Puisque vous insistez: il y aurait des signes évidents de relâchement.
Vous voulez dire? D'absence, si vous préférez, oui, d'absence
pendant vos cours, des phrases qui restent en suspens, et que vous ne
reprenez qu'après une quinzaine de minutes, quinze minutes, que
je sache, c'est beaucoup professeur Amos, vous perdriez le fil tout simplement.
Je perdrais le fil? Mais ces phrases, c'était quoi? Peu importe,
mais je vous en prie, reposez-vous, prenez des vitamines, des calmant.
Il enlève de nouveau ses lunettes, ramène sa lèvre
inférieure sur sa lèvre supérieure, et pousse un
soupir, il sourit: allons, allons, ne vous inquiétez pas, vous
avez toujours été parfait, excellent même, mais là,
entre nous... Le recteur me prend le bras, il me serre le poignet entre
ses doigts: là, entre nous, ils ne comprennent plus rien, voyez.
Qui, ils? Vos élèves, cher professeur, vos élèves.
Étrange, je rétorque, nous avons portant revus les bases,
les prolégomènes lors du dernier cours... la racine carrée
d'un nombre négatif. Je leur ai cité un mathématicien
du douzième siècle, Bramine Bascara: "Le carré d'un
nombre positif, de même que celui d'un nombre négatif, est
positif. D'où il résulte que la racine carrée d'un
nombre positif est double, positive et négative à la foi.
Il ne peut y avoir de racine carrée d'un nombre négatif,
puisque le nombre négatif n'est pas un carré". Cardan cependant,
au seizième siècle... Le recteur s'est à nouveau
mordu la lèvre inférieure, le coin à droite plus
exactement de sa lèvre inférieure, il m'a regardé
longuement, m'a tendu la main: bonne chance, professeur, et, des vacances!
Je traverse la cour intérieure. Une suite de couloirs, des pelouses.
Au collège, l'année de mon adolescence, la maîtresse
de portugais nous avait demandé de rédiger trois histoires
courtes. Des short stories, mes enfants, vous savez ce que c'est des short
stories? Quelque crétins avaient levé la main. Très
bien, très bien, que ceux qui ne savent pas demandent aux autres.
Deux de mes camarades m'avaient fait lire des petites histoires idiotes,
où il était question de murmures de feuilles, de friselis
dans les branches et de brises légère caressant le visage,
etc. Alors, j'avais écrit:
Première
histoire (vulgairement short story) - Ma petite mère, j'en ai plein
le dos des inepties sur la morale, la famille, que tu nous débites
régulièrement à la table du dîner. Je t'ai
déjà vue plusiers fois en train de sucer la bite de papa.
Fiche-moi la paix. Signé: Junior.
(...)
(L'Obscène
Madame D / Le Chien - France: Gallimard, 1997.)
Traduit du brésilien
par Maryvonne Lapouge-Petarelli.