Contes
Sarcastiques
-
fragments érotiques -
(fragment...)
Que pouvais-je
faire avec les femmes en dehor de baiser? Lorsqu'elles étaient
cultivées, elles m'ennuyaient à mourir, tout simplement.
Je ne sais si certains parmi vous ont déjà forniqué
avec une femme cultivée ou quelque chose d'équivalent. Regards
mystérieux et entendus, petite citations à chaque instant,
caresses dédaigneuses mesurées par de petites mains savante,
discours intempestifs sur l'éphemère des plaisirs, mais
ce que ces salopes aiment l'argent! L'une d'elles, Flora, une avocate,
une fille superbe, trente ans, le derrière blanc comme neige et
la peau lisse comme une baie de jaca, citait Lucrèce tout en me
caressant les couilles et en pressant ma queue contre ses joues translucides:
"ô Crassus! (jusqu'ici c'est son texte, et la suite, Lucrèce).
L'homme qui voit clair s'écarte des affaires et s'applique avant
tout à comprendre la nature des choses". Quant à la nature
de son vagin, elle la comprenait fort bien. Il lui fallait ma pine là-dedans
pour la satisfaire quelque trois fois par nuit. Et avant cet effort il
lui avait également fallu ma pauvre langue frénétique
à l'intérieur de sa vermillonne et suintante caverne. Elle
inondait les draps. Je devais chaque fois l'éponger avec une serviette
de toilette moelleuse et absorbante avant de l'enconner. Au moment de
jouir elle éclatait de rire.
ça, ce
n'est pas normal, Flora.
petit crétin!
Ça, c'est la vie, la joie, l'amour est une chose gaie, mon petit
Crassus.
Experte et hystérique,
elle poussait de petits cris et de rapides hululements, puis, une fois
tout terminé, s'asseyait, continente, au bord du lit:
elles prennent
un temps, mon petit Crassus, ces affaires judiciares, tu aurais un peu
de liquide sur toi? Dès que mês clients m'auront réglée,
promis, je te rembourse. Son seul client c'etait moi, et je réglais
évidemment. Cela ne me faisait du reste pas de mal, tout compte
fait, d'entendre Lucrèce de temps à autre, dans la mesure
où l'actrice récitante étai par ailleurs propriétaire
de cette chatte avide et Qui mouillait si généreusement.
Les femmes soi-disant cultivées ne sont pas toutes des emmerdeuses.
J'en ai eues de raffinées et originales en même temps. Mais,
Dieu, quel boulot! Je me souviens en particulier de Josette. Inoubliable
Josette! Inoubliable pour plusieurs raisons. Mais surtout à cause
de ses goûts exotiques en matière de sexe et de nourriture.
Elle adorait les grives servies avec des asperges. Et les feuilletés
aux huîtres. J'étais obligé de téléphoner
une semaine à l'avance aux chefs des restaurants susceptibles de
proposer ces mets. Des grives?! Ils hésitaient, ne sachant jamais
s'il s'agissait d'un oiseau ou d'un poisson. Je me dis aujourd'hui qu'elle
devait finir par manger des merles. Avec des asperges. Le feuilleté
aux huîtres, c'était plus facile. Mais les vins pour accompagner
ce festin! Josette s'y connaissait en vins, à se demander si sa
mère ne l'avait pas mise au monde dans un vignoble aux environs
d'Avignon. Après cet enfer, il fallait encore que nous allions
danser parce que c'est si délicieux, amour, de danser avec toi...
Il te reste bien un peu de temps...
j'ai tout le
temps du monde, chérie (je l'avais peut-être, mais pas tellement!)
Elle adorait
un air: You've changed, et c'etait cette scie sirupeuse jusque
vers deux heures du matin, où j'avais, à ce moment-là,
déjà plongé mês doigts à plusieurs reprise
dans son huître succulente. Dans les boîtes, discrète
et élégante, elle écartait les jambes sous la table
tout en avalant goulûment ces vins hors de prix. Elle lâchait
en souriant un petit rot étouffé d'huîtres et de grives
à l'abri de deux doigts, tandis que des miens (de doigts, naturellement)
je lui mignotait le con. Beaucoup de chatouilles, beaucoup de doigté,
jusqu'à ce qu'elle jouisse en dissimulant son orgasme et en m'emplissant
le creux de l'oreille comme si elle me confiait un secret de son haleine,
de gémissements et de salive. Je disais, mon membre dur à
l'étroit dans mon pantalon:
allons-nous-en,
dis, chérie?
c'est si bon,
amour
je sais, Josette,
mais regarde un peu ma queue
ne sois pas grossier,
Crassus
Sur quoi je devais
tout reprendre à zéro, non sans auparavant l'entendre commander
les desserts et les liqueurs. Après avoir joui une bonne dizaine
de fois entre les merles, les entremets et les alcools les plus raffinés
du monde, et qui me coûtaient la peau des fesses, elle se levait
souveraine, Spartacus avant la reddition finale, ou tout comme. Je suivais
derrière, moitié trébuchant mais toujours sur ma
soif. Un certain Ezra Pound, un poète nord-américain, était
la coqueluche de Josette. Répugnant, le type. Un imposteur. Inventé
de toutes pièces par des lettrés pédantesques. Je
me souviens, lui dis-je, la première fois qu'elle me cita ledit
poète, que mon oncle Vlad, quand j'étais môme, piquait
des crises lorsqu'il reconnaissait sa voix à la radio italienne.
Le type était
un fasciste bon teint, tu le savais?
bobards, mon
petit Crassus, cet homme était génial.
Je lui demandais,
histoire de lui faire plaisir, de me prêter un livre de ce Pound.
Elle me passa Du chaos à l'ordre, "Chant XV". Vous n'imaginez
pas. Un cloaque. Digne des chiottes d'un arrêt d'autobus au fond
de la brousse. Si vous ne me croyez pas, écoutez plutôt:
Le grand trou
du cul scabreux chiant des
mouches,
Gargouillant
d'impérialisme,
Dernier urinoir,
fosse à purin, pissoire sans
cloaque.
(.......................)
son préservatif
rempli de cancrelats,
Tatouages autour
de l'anus
Et un cercle
de golfeuses autour de lui.
(Traduction
d'Alien, L'Herne, 1965)
Josette adorait.
Ses petits yeux couler d'une pastille de réglisse frémissaient,
humides. Ses lèvres répétaient lentement (en anglais,
évidemment) ces deux derniers vers du fameux génie: "Tattoo
marks around the anus / and a circle of lady golfers about him". Je
trouvais ça un immondice, mais je ne voulais surtout pas me fâcher
avec cette chatte-lécheuse qui, en action, suçait et quasiment
avalait ma pine.
parfait, Josette,
parfait, si tu aimes... de gustibus et coloribus, etc.
si j'aime, amour?
j'aime tellement que je vais te montrer jusqu'où va ma vénération
pour cet auteur incomparable
Effondré,
je me vis aussitôt en train de gaspiller ces précieux instants
à feuilleter des énormités, en anglais par-dessus
le marché. Nous étions dans l'appartement de Josette. Maintenant,
me dis-je, elle va se lever et m'étaler là, sur le lit,
l'oeuvre entier de ce dégueulasse. Dans ce cas, bonsoir! je m'invente
un malaise et je me sauve. Surprise! Ah, toutes les surprise qu'a
pu me réserver la vie! Josette se coucha sur le ventre et, laconique,
me dit:
Prends la grande
loupe, là, sur ma petite table.
La loupe?
La loupe, oui,
mon petit Crassus.
J'allai prendre
la loupe.
sois gentil,
mon chou, ouvre mon cul, veux-tu.
comment?
oh, Crassus,
mon petit, ce que tu peux être ralenti* cette nuit
et qu'est-ce
que je fais de cette loupe?
la loupe c'est
pour que tu me regardes le trou du cul.
le trou de ton
cul, Josette?
puisque je te
le dis, mon petit Crassus.
Ce fut stupéfiant.
Tatouées autour du cul de Josette, avec un soin infini et une compétence
extrême, je découvris trois dames, revêtues toutes
les trois de charmantes robes à volants. L'une des trois avait
sur la tête un ravissant petit chapeau à voilette avec des
fleurs.
je ne peux pas
croire ce que je vois, Josette, pourquoi, diable, t'es-tu fait tatouer
le trou du cul?
en hommage à
Pound, mon chou
mais ça
a dû te faire un mal de chien!
the courageous
violent slashing themselves with knifes (je traduis: les violents
courageux se blessent avec des couteaux. Chant XV, suite). Broute-moi,
broute-moi le cul, chéri, andiamo, andiamo (tics dudit génie).
Là, je
trouvai vraiment que c'en était trop: "Jamais de la vie, chérie!
J'endommagerais ces ravissantes personnes." Josette se mit à pleurer:
ô, Crassus, tu es le premier homme auquel je montre ce travail superbe,
cet hommage délicat à l'intention de mon poète véneré,
andiamo, andiamo in the great scabrous arsehole (dans le grand
oeil scabreux du cul).
Là, je
me dis: cette maudite folle va se mettre à pleurnicher tout haut
et l'immeuble entier va nous entendre. Je m'armai de courage et en dépit
de ses anglaises ou américaines à voilette et chapeau (who
knows?) je lui écartelai le derrière, non sans naturellement
lui avoir auparavant collé une main sur la bouche, tant j'avais
la certitude qu'elle allait se mettre à brailler comme un âne.
Elle brailla, la voix étouffée, mais je parvins néanmoins
à distinguer quelquesmots. Elle braillait: oh (qu'on lise "aou,
aou": intonation anglaise), Aou, Ezra, aou my beloved Ezra! Je
n'ai jamais compris pourquoi Josette, lorsqu'elle citait Pound, se croyait
obligée de prendre l'accent anglais. Il est vrai que je ne le lui
ai jamais demandé. Le dégueulasse, c'est sûr, était
son Shakespeare.
* Les mots ou expressions composés
en italique et suivis d'un astérisque sont en français dans
le texte.
Traduit
du brésilien par Maryvonne Lapouge-Petorelli
(Contes Sarcastiques
- Fragments Érotiques - France: Gallimard, 1994.)
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Hilda
Hilst
Hilda Hilst (née
en 1930) est l'un des écrivains brésiliens contemporains
les plus important, à l'égal de Clarice Lispector et de
João Guimarães Rosa. Reconnue par le milieu littéraire
pour son oeuvre de poétesse et de dramaturge, elle montre une autre
facette d'elle-même dans des textes de fiction, généralement
courts, d'une extrême audace de ton.
C'est à
cette veine qu'appartiennent les Contes sarcastiques, dont on peut
dire qu'ils constituent la confession d'un homme déjà avancé
en âge et grand amateur de sexe.
Baroque, souvent
obscène, d'une drôlerie burlesque, cette suite de textes
est un fourmillant mélange de toutes les formes littéraires.
Ce qui d'emblée séduit dans cette écriture, c'est
sa vitalité, son incessante pulsation, sa totale liberté.
Imprégnée d'une
immense culture, Hilda Hilst entraîne ici le lecteur dans les rapides
de l'imaginaire sud-américain et du surréalisme européen.
Esprit rationaliste s'abstenir.