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Daniel Boucher devient c'qu'il a voulu


Article par Sylvain Cormier, chroniqueur de variétés au quotidien Le Devoir



C'est comme s'il avait répondu à ses propres questions. Celles qu'il pose dans sa chanson-clé « Deviens-tu c'que t'as voulu? » : « Deviens-tu c'que t'aurais pu ? / T'as-tu fait c'qu'y aurait fallu ? / Mais qu'est-ce que t'es-tu, mais qu'est-ce que t'es ? » On pourrait dorénavant répondre que Daniel Boucher, c'est une certaine manière de sourire. Je parle du sourire qu'on a vu partout le lundi 6 novembre dernier, au lendemain du Gala de l'ADISQ. En plan énorme dans les quotidiens, dans l'œil de toutes les caméras de télé. Son drôle de sourire un peu croche, qui lui confère le charme crasse des p'tits malins. Sourire de vainqueur qui jouissait pleinement de sa victoire mais avec juste assez d'ironie dans le faciès pour éviter l'enflure. >P> Sourire parfaitement justifié, remarquez. Au gala, disons-le carrément, Daniel Boucher a volé le show. Pas seulement pour avoir empoché les plus importants Félix de la soirée, celui de la révélation de l'année et, surtout, le Félix de l'auteur ou compositeur de l'année présenté par la SOCAN, mais pour sa morgue. Sa vitalité. Cette énergie et ce sourire d'affamé qui ont porté sa performance de « La Désise » comme un appel aux armes, soulevant le Saint-Denis - et le Québec entier. C'était comme une grande et vivifiante claque là où ça compte : « Ma gang de malaaaades / Vous êtes donc oùùùùùù? »

Transcendant, le presque trentenaire d'Hochelaga-Maisonneuve l'était tout autant au podium, tel un prédicateur charismatique, exaltant la chanson d'auteur : « Sans créateurs de chansons, il n'y aurait pas de shows, pas de disques, pas de gala de l'ADISQ. C'est en écrivant des chansons à notre goût qu'on va finir par faire avancer les affaires... » Il y avait dans ces mots-là toute une vie passée à colporter des paroles et des musiques, tous ces Cégeps en spectacle, Cégeps Rock et autres Rock sans frontières traversés au sein d'un tas de groupes (Louise et les Gentils Meussieux, Le Temps des tourmentes, Shagall), tout ce parcours du combattant chansonnier seul au fond de tranchées déguisées en cafés et bars.

Il y avait aussi le versant positif de cette vie de créateur, l'espoir enfin récompensé, cette première bataille gagnée au Festival en chanson de Petite-Vallée en 1997, puis la signature chez GSI Musique, les premières apparitions remarquées (tout seul en première partie de Claude Gauthier au Corona : j'y étais, bouche bée), l'enregistrement du premier album Dix mille matins, la dithyrambe unanime de la critique, le formidable premier spectacle en tête d'affiche au même Corona, le prix Félix-Leclerc remporté aux dernières FrancoFolies, jusqu'à ces Félix fièrement brandis.

Tout cela en une profession de foi, la même qu'il réitère en entrevue. « Le focus, quand tu fais de la chanson, c'est toujours la toune. Y a rien d'autre que ça. » Le reste, la reconnaissance, le succès, la gloriole, sont pour ce fan avoué d'Elvis Presley sujets de fascination et d'interrogation. « L'an dernier, j'arrivais. Cette année, j'arrive encore pour certaines personnes, mais pour d'autres, je suis déjà arrivé. Ça change le rapport entre les humains. Est-ce que t'es obligé de changer parce que les gens te perçoivent autrement, parce que tu gagnes des trophées ou que tu vends des disques ? Je n'ai pas changé de mode de vie. J'ai la même philosophie. » À savoir : que l'homme est maître de son destin. « C'est toute l'idée du disque. On est responsables. Tous les problèmes des humains, c'est les humains qui les ont amenés. »

Cet automne, avant le gala, il a passé un gros mois en retraite fermée, au fin fond des bois en Gaspésie. Pour mesurer. Pour garder le contrôle. « Je veux comprendre ce qui se passe quand on devient c'qu'on a voulu. On est tous pareils, mais toi t'es en avant et t'as ton trophée entre les mains. Pourquoi? La seule chose qui est sûre, c'est que le lendemain du gala, tous ceux qui sont vivants vont continuer à faire de la musique. Gagnants ou perdants. Même ceux qui n'étaient pas en nomination. » Là-dessus, Boucher peut témoigner. De nouveaux « bouts de chansons » ont surgi du fond des bois, assure-t-il. Sourire crasse aux lèvres.