CHARLES BAUDELAIRE

Référence pour les citations #1 à #91 :

/BAUDELAIRE / L'ART ROMANTIQUE /
Garnier-Flammarion / 1972/



1- « […] ’est que la poésie d’un tableau doit être faite par le spectateur. – Comme la philosophie d’un poème par le lecteur […] La poésie est essentiellement philosophique ; mais […] elle doit être involontairement philosophique. » Partie I, chap.3, p.49


2- « Or, la grande poésie est essentiellement bête, elle croit, et c’est ce qui fait sa gloire et sa force. Ne confondez jamais les fantômes de la raison avec les fantômes de l’imagination […] » Partie I, chap.3, p.51


4- « En effet, la haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, - car il est fait avec notre sang, notre santé, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare ! » Partie I, chap.5, p.58


5- « L’éreintage ne doit être pratiqué que contre les suppôts de l’erreur. Si vous êtes fort, c’est vous perdre que de vous attaquer à un homme fort ; fussiez-vous dissident en quelques points, il sera toujours des vôtres en certaines occasions. » Partie I, chap.5, p.58


6- « L’art qui satisfait le besoin le plus impérieux sera toujours le plus honoré. » Partie I, chap.5, p.61


7- « […] il ne faut forcer la destinée de personne ; de larges ébauches sont plus belles que des tableaux confusionnés […] » Partie I, chap.6, p.65


8- « Si l’idée de la Vertu et de l’amour universel n’est pas mêlée à tous nos plaisirs, tous nos plaisirs deviendront tortures et remords. » Partie II, chap.8, p.71


9- « […] par son principe même, l’insurrection romantique était condamnée à une vie courte. La puérile utopie de l’art pour l’art, en excluant la morale, et souvent même la passion, était nécessairement stérile. Elle se mettait en flagrante contradiction avec le génie de l’humanité. » Partie II, chap.9, p.73


10- « La coquinerie naïve de l’un se fait pardonner ; l’impudence académique de l’autre me révolte. » Partie II, chap.9, p.74


11- « La pauvre et généreuse nature, un beau matin, fait son explosion, le charme satanique est rompu, et il n’en reste que ce qu’il faut, un souvenir de douleur, un levain pour la pâte. » Partie II, chap.9, p.76


12- « Disparaissez donc, ombres fallacieuses de René, d’Obermann et de Werther ; fuyez dans les brouillards du vide, monstrueuses créations de la paresse et de la solitude […] Le génie de l’action ne vous laisse plus de place parmi nous. » Partie II, chap.9, p.81


13- « C’est une grande destinée que celle de la poésie ! Joyeuse ou lamentable, elle porte toujours en soi le divin caractère utopique […] Partout elle se fait négation de l’iniquité. » Partie II, chap.8, p.81


14- « Par les cornes de tous les diables de l’impureté ! Par l’âme de Tibère et du marquis de Sade ! que feront-ils donc pendant tout ce temps-là ? » (à propos d’époux chastes) Partie II, chap.10, p.84


15- « Renier les efforts de la société précédente chrétienne et philosophique, c’est se suicider, c’est refuser la force et les moyens de perfectionnement. » Partie II, chap.11, p.92


16- « Le péché contient son enfer, et la nature dit de temps en temps à la douleur et à la misère : Allez vaincre ces rebelles ! » Partie II, chap.11, p.93


17- « Le goût immodéré de la forme pousse à des désordres monstrueux et inconnus. » Partie II, chap.11, p.93


18- « La passion frénétique de l’art est un chancre [= cancer] qui dévore le reste ; et, comme l’absence nette et juste du vrai dans l’art équivaut à l’absence d’art, l’homme entier s’évanouit ; la spécialisation excessive d’une faculté aboutit au néant. » Partie II, chap.11, p.93


19- « La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit. La création de l’une de ces deux suprématies engendre la sottise, la dureté du cœur et une immensité d’orgueil et d’égoïsme. » Partie II, chap.11, p.93


20- « Le temps n’est pas loin où l’on comprendra que tout littérature qui se refuse à marcher fraternellement entre la science et la philosophie est une littérature homicide et suicide. » Partie II, chap.11, p.94


21- « Pour me résumer, je dirai donc que les trois caractères des romanciers curieux sont : I. une méthode privée ; 2. l’étonnant ; 3. la manie philosophique, trois caractères qui constituent d’ailleurs leur supériorité. » Partie III, chap.15, p.108


22- « On dirait que l’Ange aveugle de l’expiation s’est emparé de certains hommes, et les fouette à tour de bras pour l’édification des autres. » Partie III, chap.15, p.111


23- « L’Américain est un être positif, vain de sa force industrielle, et un peu jaloux de l’ancien continent. » Partie III, chap.16, p.113


24- « […] tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme. » Partie III, chap.16, p.115


25- « J’ai remarqué souvent que les poètes admirables étaient d’exécrables comédiens. Cela arrive souvent aux esprits sérieux et concentrés. Les écrivains profonds ne sont pas orateurs […] » Partie III, chap.16, p.125


26- « Il est donc vrai que la sottise humaine sera la même sous tous les climats, et que la critique voudra toujours attacher de lourds légumes à des arbustes de délectation. » Partie III, chap.16, p.130


27- « Les femmes écrivent, écrivent avec une rapidité débordante ; leur cœur bavarde à la rame. Elles ne connaissent généralement ni l’art, ni la mesure, ni la logique ; leur style ondoie comme leurs vêtements. » Partie III, chap.16, p.142


28- « La poésie ne peut pas, sous peine de mort ou de défaillance, s’assimiler à la science ou à la morale ; elle n’a pas la Vérité pour objet, elle n’a qu’elle-même. Les modes de démonstrations de vérité sont autres et sont ailleurs. » Partie III, chap.19, p.188


29- « […] je ne crois pas qu’il soit scandalisant de considérer toute infraction à la morale, au beau moral comme une espèce de faute contre le rythme et la prosodie universels. » Partie III, chap.19, p.189


30- « Ainsi, le principe de la poésie est strictement et simplement l’aspiration humaine vers une beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est un enthousiasme, une excitation de l’âme, - enthousiasme tout à fait indépendant de la passion qui est l’ivresse du cœur, et de la vérité qui est pâture de la raison. » Partie III, chap.19


41- « Il n’y a, dis-je, que les amateurs du hasard, les fatalistes de l’inspiration et les fanatiques du vers blanc qui puissent trouver bizarres ces minuties. Il n’y a pas de minuties en matière d’art. » Partie III, chap.19, p.190


42- « Il sera toujours utile […] de faire voir aux gens du monde quel labeur exige cet objet de luxe qu’on nomme Poésie. » Partie III, chap.20, p.194


43- « La femme qui veut toujours faire l’homme, signe de grande dépravation. » Partie III, chap.24, p.216


44- « […] madame Bovary est restée un homme. Comme la Pallas armée, sortie du cerveau de Zeus, ce bizarre androgyne a gardé toutes les séductions d’une âme virile dans un charmant corps féminin. » Partie IV, chap.25, p.224


45- « […] ce double caractère de calcul et de rêverie qui constitue l’être parfait. » Partie IV, chap.27, p.226


46- « On a souvent répété : Le style, c’est l’homme ; mais ne pourrait-on pas dire avec une égale justesse : Le choix des sujets, c’est l’homme ? » Partie IV, chap.27, p.235


47- « Pour devenir tout à fait populaire, ne faut-il pas consentir à […] se montrer un peu populacier ? En littérature comme en morale il y a danger, autant que gloire, à être délicat. » Partie IV, chap.27, p.240


48- « […] l’écrivain qui ne sait pas tout dire, celui qu’une idée si étrange, si subtile qu’on la supposât, si imprévue, tombant comme une pierre de la lune, prenait au dépourvu et sans matériel pour lui donner corps, n’est pas un écrivain. » -Théophile GAUTIER- (cité par Baudelaire) Partie IV, chap.27, p.241


49- « Il est permis d’avoir quelques fois de l’esprit, comme au sage de faire une ribote, pour prouver aux sots qu’il pourrait être leur égal, mais cela n’est pas nécessaire. » -Théophile GAUTIER- (cité par Baudelaire) Partie IV, chap.27, p.242


50- « Bien que le Vrai soit le but de l’histoire, il y a une Muse de l’histoire, pour exprimer que quelques-unes des qualités nécessaires de l’historien relèvent de la Muse. » Partie IV, chap.27, p.245


51- « La sensibilité du cœur n’est pas absolument favorable au travail poétique. Une extrême sensibilité du cœur peut même nuire en ce cas. La sensibilité de l’imagination est d’une autre nature ; elle sait choisir, juger, comparer, fuir ceci, rechercher cela, rapidement, spontanément. » Partie IV, chap.27, p.249


52- « Il y a dans le mot, dans le verbe, quelque chose de sacré qui nous défend d’en faire un jeu de hasard. Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Partie IV, chap.27, p.250


53- « Tout homme qu’une idée, si subtile et si imprévue qu’on la suppose, prend en défaut, n’est pas un écrivain. L’inexprimable n’existe pas. » -Théophile GAUTIER- (cité par Baudelaire) Partie IV, chap.27, p.251


54- « S’il est un sentiment vulgaire, usé, à la portée de toutes les femmes, certes, c’est la pudeur. » Partie IV, chap.27, p.254


55- « Il en est des vers comme de quelques belles femmes en qui se sont fondues l’originalité et la correction ; on ne les définit pas, on les aime. » Partie IV, chap.27, p.258


56- « Sitôt que vous voulez me donner l’idée d’un parfait artiste, mon esprit ne s’arrête pas à la perfection dans un genre de sujets, mais il conçoit immédiatement la nécessité de la perfection dans tous les genres. » Partie VI, chap.31, p.308


57- « […] pour vraiment limité qu’il soit, le domaine de la poésie n’en est pas moins, par le droit de génie, presque illimité. » Partie VI, chap.31, p.314


58- « Mais l’origine de cette gloire n’est pas pure ; car elle née de l’occasion. La poésie se suffit à elle-même. Elle est éternelle et ne doit jamais avoir besoin d’un secours extérieur. » Partie VI, chap.33, p.319


59- « Le cri du sentiment est toujours absurde ; mais il est sublime parce qu’il est absurde. Quia absurdum » Partie VI, chap.34, p.323


60- « Parmi les innombrables préjugés […], notons cette idée qui court les rues, […] à savoir qu’un ouvrage trop bien écrit doit manquer de sentiment. Le sentiment, par sa nature populaire et familière, attire exclusivement la foule, que ses précepteurs habituels éloignent autant que possibles des ouvrages bien écrits. » Partie VI, chap.34, p.324


61- « L’âme du lyrique fait des enjambées vastes comme des synthèses ; l’esprit romancier se délecte dans l’analyse. » Partie VI, chap.37, p.336


62- « Tout poète lyrique, en vertu de sa nature, opère fatalement un retour vers l’Eden perdu. » Partie VI, chap.37, p.336


63- « Mais si, vraiment ! le poète sait descendre dans la vie ; mais croyez que s’il y consent, ce n’est pas sans but, et qu’il saura tirer profit de son voyage. De la laideur et de la sottise il fera naître un nouveau genre d’enchantement. » Partie VI, chap.37, p.339


64- « […] l’art moderne a une tendance essentiellement démoniaque. Et il semble que cette part infernale de l’homme, que l’homme prend plaisir à l’expliquer lui-même, augmente, journellement, comme si le diable s’amusait à la grossir […] » Partie VI, chap.37, p.339


65- « […] les glapissements de l’ironie, cette vengeance du vaincu. » Partie VI, chap.37, p.339


66- « […] un vrai poète, sérieux et méditatif, à horreur de la confusion des genres, et il sait que l’art n’obtient ses effets les plus puissants que par des sacrifices proportionnés à la rareté de son but. » Partie VI, chap.39, p.350


67- « Action, réaction, faveur, cruauté, se rendent alternativement nécessaires. Il faut bien rétablir l’équilibre. » Partie VI, chap.40, p.357


68- « […] la grammaire sera bientôt une chose aussi oubliée que la raison, et, au train dont nous marchons vers les ténèbres, il y a lieu d’espérer qu’en l’an 1900 nous serons plongés dans le noir absolu. » Partie VII, chap.41, p.362


69- « [Il] insiste avec fureur ; il ne veut pas omettre un détail, ni oublier une confidence ; il ouvre la plaie pour mieux la montrer, la referme, en pince les lèvres livides, et en fait jaillir un sang jaune et pâle. » (à propos de Léon Claudel) Partie VII, chap.41, p.363


70- « Le suprême mérite de l’art eut consisté à rester glacial et fermé, et à laisser au lecteur tout le mérite de l’indignation. L’effet d’horreur en eut été augmenté. » Partie VII, chap.41, p.364


71- « Beaucoup de gens croient que la satire est faite avec des larmes, des larmes étincelantes et cristallisées. En ce cas, bénies soient les larmes qui fournissent à l’occasion du rire, si délicieux et si rare, et dont l’éclat démontre d’ailleurs la parfaite santé de l’auteur. » Partie VII, chap.42, p.366


72- « Il y a quelque chose de si absolument étrange dans cette tache noire que fait la pauvreté sur le soleil de la richesse […], qu’il faudrait qu’un poète, qu’un philosophe, qu’un littérateur fût bien parfaitement monstrueux pour ne pas s’en trouver parfois ému et intrigué jusqu’à l’angoisse. » Partie VII, chap.44, p.374-375


73- « N’est-il pas utile que de temps à autre le poète, le philosophe, prennent un peu le Bonheur égoïste aux cheveux, et lui disent, en lui secouant le mufle dans le sang l’ordure : « Vois ton œuvre et bois ton œuvre »? » Partie VI, chap.44, p.379-380


74- « La haine d’un homme médiocre est toujours une haine immense. » Partie VII, chap.45, p.382


75- « Eh ! que m’importe à moi la source, si je jouis du génie ! » Partie VII, chap.45, p.384


76- « Pour taper sur le ventre du colosse, il faut pouvoir s’y hausser. » Partie VII, chap.45, p.385


77- « Le propre des sots est d’être incapables d’admiration et de n’avoir pas de déférence pour le mérite, surtout quand il est pauvre. » Partie VII, chap.45, p.385


78- « Villemain obscur, pourquoi ? Parce qu’il ne pense pas. Horreur congénitale de la clarté, dont le signe visible est son amour du style allusionnel. » Partie VII, chap.45, p.385


79- « […] toute phrase doit être en soi un monument bien coordonné, l’ensemble de tous ces monuments formant la ville qui est le livre. » Partie VII, chap.45, p.386


80- « Phraséologie toujours vague ; les mots tombent, tombent de cette plume pluvieuse, comme la salive des lèvres d’un gâteux bavard ; phraséologie bourbeuse, clapoteuse, sans issue, sans lumière, marécage obscur où le lecteur impatienté se noie. » Partie VII, chap.45, p.386


81- « Je vous plains, monsieur, d’être si facilement heureux. […] Arrière les indiscrets qui troublent la somnolence de votre bonheur ! » Partie VII, chap.45, p.411-412


82- « Décadence. C’est un mot bien commode à l’usage des pédagogues ignorants, mot vague derrière lequel s’abritent notre paresse et notre incuriosité. » Partie VII, chap.47, p.414


83- « Quand le diable devient vieux, il se fait…berger. Allez paître vos blancs moutons. » Partie VII, chap.47, p.413


84- « La franchise absolue, moyen d’originalité. » -BAUDELAIRE- Partie VII, chap.50, p.423 [L’Art romantique, G-F, 1968]


85- « […] le grand homme a besoin, pour exister, de posséder une force d’attaque plus grande que la force de résistance développée par des millions d’individus. » Partie VII, chap.50, p.424


86- « Je ne prétends pas que la Joie ne puisse pas s’associer avec la Beauté, mais je dis que la Joie en est un des ornements les plus vulgaires […] » Partie VII, chap.50, p.425


87- « Deux qualités littéraires fondamentales : surnaturalisme et ironie. » Partie VII, chap. p.425


88- « Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité, c’est le génie. » Partie VII, chap.50, p.426


89- « Ivresse d’humanité. Grand tableau à faire. Dans le sens de la charité. Dans le sens du libertinage. Dans le sens littéraire […] » Partie VII, chap.50, p.428


90- « Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère. » Partie VII, chap.50, p.429


91- « Défions-nous du peuple, du bon sens, du cœur, de l’inspiration, et de l’évidence. » Partie VII, chap.50, p.430