ALBERT CAMUS |
/CAMUS / LE MYTHE DE SISYPHE [1942] /
1- « e n’ai jamais vu personne mourir pour l’argument ontologique. » L’absurde et le suicide, p.15
2- « […] ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir. » L’absurde et le suicide, p.16
3- « C’est l’équilibre de l’évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d’accéder en même temps à l’émotion et à la clarté. » L’absurde et le suicide, p.16
4- « Cet exil est sans recours puisqu’il est privé de souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’homme de sa vie, l’acteur de son acteur, c’est proprement le sentiment d’absurdité. » L’absurde et le suicide, p.18
5- « Mais on suppose à tort que des questions simples entraîne des réponses qui ne le sont pas moins et que l’évidence implique l’évidence. » L’absurde et le suicide, p.19
6- « La ténacité et la clairvoyance sont des spectateurs privilégiés pour ce jeu inhumain où l’absurde, l’espoir et la mort échangent leurs répliques. Cette danse à la fois élémentaire et subtile, l’esprit peut alors en analyser les figures avant de les illustres et de les revivre lui-même. » L’absurde et le suicide, p.23
7- « Les grands sentiments promènent avec eux leur univers, splendide ou misérable. Ils éclairent de leur passion un monde exclusif où ils retrouvent leur climat. » Les murs absurdes, p.24
8- « Le sentiment de l’absurdité au détour de n’importe quelle rue peut frapper à la face de n’importe quel homme. Tel quel, dans sa modernité désolante, dans sa lumière sans rayonnement, il est insaisissable. » Les murs absurdes, p.24
9- « […] un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères. » Les murs absurdes, p.25
10- « Car les méthodes impliquent des métaphysiques, elles trahissent à leur insu les conclusions qu’elles prétendent parfois ne pas encore connaître. » Les murs absurdes, p.26
11- « De même et pour tous les jours d’une vie sans éclat, le temps nous porte. Mais un moment vient toujours où il faut le porter. » Les murs absurdes, p.27
12- « […] le sentiment inconscient de l’homme devant son univers : il est exigence de familiarité, appétit de clarté. Comprendre le monde pour un homme, c’est le réduire à l’humain, le marquer de son sceau […] Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain. » Les murs absurdes, p.32
13- « Tant que l’esprit se tait dans le monde immobile de ses espoirs, tout se réflète et s’ordonne dans l’unité de sa nostalgie. Mais à son premier mouvement, ce monde se fêle et s’écroule : une infinité d’éclats miroitants s’offrent à la connaissance. » Les murs absurdes, p.33
14- « S’il fallait écrire la seule histoire significative de la pensée humaine, il faudrait faire celle de ses repentirs successifs et de ses impuissances. » Les murs absurdes, p.34
15- « Entre la certitude que j’ai de mon existence et le contenu que j’essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. Pour toujours je serai étranger à moi-même. » Les murs absurdes, p.34
16- « Je ne comprends que si je puis par la science saisir les phénomènes et les énumérer, je ne puis pour autant appréhender le monde. Quand j’aurai suivi du doigt son relief tout entier, je n’en saurai pas plus. » les murs absurdes, p.36
17- « A partir du moment où elle est reconnue, l’absurdité est une passion, la plus déchirante de toutes. Mais savoir si l’on peut vivre avec ses passions, savoir si l’on peut accepter leur loi profonde qui est de brûler le cœur que dans le même temps elles exaltent, voilà toute la question. » les murs absurdes, p.38
18- « L’absurde n’a de sens que dans la mesure où l’on n’y consent pas. » les murs absurdes, p.50
19- « […] nous voulons tout rendre clair. Si nous ne le pouvons pas, si l’absurde naît à cette occasion, c’est justement à la rencontre de cette raison efficace mais limitée et de l’irrationnel toujours renaissant. » les murs absurdes, p.55
20- « L’absurde, qui est l’état métaphysique de l’homme conscient, ne mène pas à Dieu. Peut-être cette notion s’éclaircira-t-elle si je hasarde cette énormité : l’absurde c’est le péché sans Dieu. » les murs absurdes, p.60
21- « Ce n’est point le goût du concret, le sens de la condition humaine que je retrouve ici, mais un intellectualisme assez débridé pour généraliser le concret lui-même. » les murs absurdes, p.69
21b- « Le philosophie abstrait et le philosophe religieux partent du même désarroi et se soutiennent dans la même angoisse. » les murs absurdes, p.69
21c- « De même que la raison sut apaiser la mélancolie plotinienne, elle donne à l’angoisse moderne les moyens de se calmer dans les décors familiers de l’éternel. L’esprit absurde a moins de chance. Le monde pour lui n’est ni aussi rationnel, ni à ce point irrationnel. Il est déraisonnable et il n’est que cela. » les murs absurdes, p.70
21d- « Et qu’est-ce qui fait le fond de ce conflit, de cette fracture entre le monde et mon esprit, sinon la conscience que j’en ai ? Si donc je veux le maintenir, c’est par une conscience perpétuelle, toujours renouvelée, toujours tendue. » la liberté absurde, p.74
21e- « […] il s’agit de s’obstiner. A un certain point de son chemin, l’homme absurde est sollicité. L’histoire ne manque ni de religions, ni de prophètes, même sans dieux. On lui demande de sauter. Tout ce qu’il peut répondre, c’est qu’il ne comprend pas bien, que cela n’est pas évident. Il ne veut faire justement que ce qu’il comprend bien. » la liberté absurde, p.74
21f- « Le thème de la révolution permanente se transporte ainsi dans l’expérience individuelle. Vivre, c’est faire vivre l’absurde. Le faire vivre, c’est avant tout le regarder. Au contraire d’Eurydice, l’absurde ne meurt que lorsqu’on s’en détourne. L’une des seules positions philosophiques cohérentes, c’est ainsi la révolte. Elle est un confrontement perpétuel de l’homme et de sa propre obscurité. » la liberté absurde, p.76
21g- « [La révolte] est cette présence constante de l’homme à lui-même. Elle n’est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n’est que l’assurance d’un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l’accompagner. » la liberté absurde, p.77
22- « A sa manière, le suicide résout l’absurde. Il l’entraîne dans la même mort. Mais je sais que pour se maintenir, l’absurde ne peut se résoudre. Il échappte au suicide, dans la mesure où il est en même temps conscience et refus de la mort. » la liberté absurde, p.77
23- « Cette révolte donne son prix à la vie. Étendue sur toute la longueur d’une existence, elle lui restitue sa grandeur. Pour un homme sans oreillères, il n’est pas de plus beau spectacle que celui de l’intelligence aux prises avec une réalité qui la dépasse. Le spectacle de l’orgueil humain est inégalable. Toutes les dépréciations n’y feront rien. » la liberté absurde, p.78
24- « Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu’il y a d’irréductible et de passionné dans un cœur humain les anime au contraire de sa vie. Il s’agit de mourir irréconcilié et non pas de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. » la liberté absurde, p.78
25- « Savoir si l’homme est libre ne m’intéresse pas. Je ne puis éprouver que ma propre liberté. » la liberté absurde, p.79
26- « Pour parler clair, dans la mesure où j’espère, où je m’inquiète d’une vérité qui me soit propre, d’une façon d’être ou de créer, dans la mesure enfin où j’ordonne ma vie et où je prouve par là que j’admets qu’elle ait un sens, je me crée des barrières entre quoi je ressere ma vie. » la liberté absurde, p.82
27- « […] l’indifférence à l’avenir et la passion d’épuiser tout ce qui est donné. » la liberté absurde, p.84
28- « La morale d’un homme, son échelle de valeurs n’ont de sens que par la quantité et la variété d’expériences qu’il lui a été donné d’accumuler. » la liberté absurde, p.85
29- « Car l’erreur est de penser que cette quantité d’expériences dépend des circonstances de notre vie quand elle ne dépend que de nous […] A deux hommes vivant le même nombre d’années, le monde fournit toujours la même somme d’expériences. C’est à nous d’en être conscients. Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c’est vivre et le plus possible. » la liberté absurde, p.87
30- « Si l’homme doit rencontrer une nuit, que ce soit plutôt celle du désespoir qui reste lucide, nuit polaire, veille de l’esprit, d’où se lèvera peut-être cette clarté blanche et intacte qui dessine chaque objet dans la lumière de l’intelligence. » la liberté absurde, p.90
31- « J’ai vu des gens mal agir avec beaucoup de morale et je constate tous les jours que l’honnêteté n’a pas besoin de règles. » l’homme absurde, p.94
32- « Il n’est qu’une morale que l’homme absurde puisse admettre, celle qui ne se sépare pas de Dieu : celle qui se dicte. Mais il vit justement hors de ce Dieu. Quant aux autres morales (j’entends aussi l’immoralisme), l’homme absurde n’y voit que des justifications et il n’a rien à justifier. Je pars ici du principe de son innocence. Cette innocence est redoutable. » l’homme absurde, p.94
33- « La certitude d’un Dieu qui donnerait son sens à la vie surpasse de beaucoup en attrait le pouvoir impuni de mal faire. Le choix ne serait pas difficile. Mais il n’y a pas de choix et l’amertume commence alors. » l’homme absurde, p.94
34- « L’absurde ne délivre pas, il lie. Il n’autorise pas tous les actes. Tout est permi ne signifie pas que rien n’est défendu. L’absurde rend seulement équivalence aux conséquences de ses actes. Il ne recommande pas le crime, ce serait puéril, mais il restitue au remord son inutilité. » l’homme absurde, p.94
35- « Toutes les morales sont fondées sur l’idée qu’un acte a des conséquences qui le légitiment ou l’oblitèrent. Un esprit pénétré d’absurde juge seulement que ces suites doivent être considérées avec sérénité. Il est prêt à payer. Autrement dit, si, pour lui, il peut y avoir des responsables, il n’y a pas de coupables. Tout au plus, consentira-t-il à utiliser l’expérience passée pour fonder ses actes futurs. […] tout en lui-même, hors sa lucidité, lui semble imprévisible. » l’homme absurde, p.95
36- « Ce ne sont donc point des règles éthiques que l’esprit absurde peut chercher au bout de son raisonnement, mais des illustrations et le souffle des vies humaines. » l’homme absurde, p.95
37- « Il en est [des expériences] qui servent ou déservent l’homme. Elles le servent s’il est conscient. Sinon, cela n’a pas d’importance : les défaites d’un homme ne jugent pas les circonstances, mais lui-même. » l’homme absurde, p.96
38- « Tout être sain tend à se multiplier. » le Don Juanisme, p.98
39- « […] ces artistes qui connaissent leurs limites, ne les excèdent jamais, et dans cet intervalle précaire où leur esprit s’installe, ont toute la merveilleuse aisance des maîtres. Et c’est bien là le génie : l’intelligence qui connaît ses frontières. » le Don Juanisme, p.98
40- « Faust réclamait les biens de ce monde : le malheureux n’avait qu’à tendre la main. C’était déjà vendre son âme que de ne pas savoir la réjouir. » le Don Juanisme, p.99
41- « Il y a ceux qui sont faits pour vivre et ceux qui sont faits pour aimer. » le Don Juanisme, p.101
42- « […] il y a plusieurs façons de se suicider, dont l’une est le don total et l’oubli de sa propre personne. » -CAMUS- le Don Juanisme, p.101
43- « […] ceux qu’un grand amour détourne de toute vie personnelle s’enrichissent peut-être, mais appauvrissent à coup sûr ceux que leur amour a choisis. » le Don Juanisme, p.101
44- « Mais de l’amour, je ne connais que ce mélange de désir, de tendresse et d’intelligence qui me lie à tel être. Ce composé n’est pas le même pour tel autre. Je n’ai pas le droit de recouvrir toutes ces expériences du même nom. Cela dispense de les mener des mêmes gestes. L’homme absurde multiplie encore ici ce qu’il ne peut unifier. » le Don Juanisme, p.102
45- « […] une nouvelle façon d’être qui le libère au moins autant qu’elle libère ceux qui l’approchent. Il n’y a d’amour généreux que celui qui se sait en même temps passager et singulier. » le Don Juanisme, p.102
46- « Dans l’univers que Don Juan entrevoit, le ridicule aussi est comprit. Il trouverait normal d’être châtié. C’est la règle du jeu. Et c’est justement sa générosité que d’avoir accepté toute la règle du jeu. » le Don Juanisme, p.103
47- « Aimer et posséder, conquérir et épuiser, voilà sa façon de connaître [à Don Juan] » le Don Juanisme, p.103
48- « Car la conscience va vite et se replie. Il faut la saisir au vol, à ce moment inappréciable où elle jette sur elle-même un regard fugitif. » le Don Juanisme, p.106
49- « L’homme quotidien n’aime guère à s’attarder. Tout le presse au contraire. Mais en même temps, rien plus que lui-même ne l’intéresse, surtout dans ce qu’il pourrait être. De là son goût pour le théâtre, pour le spectacle, où tant de destins lui sont proposés […] L’homme absurde commence où celui-ci finit, cessant d’admirer le jeu, l’esprit veut y entrer. » la comédie, p.106
50- « De toutes les gloires, la moins trompeuse est celle qui se vit. » la comédie, p.107
51- « Non, la distance n’est pas si grande qui le sépare [le comédien] des êtres qu’il fait vivre. Il illustre alors abondamment tous les mois ou tous les jours, cette vérité si féconde qu’il n’y a pas de frontières entre ce qu’un homme veut être et ce qu’il est. A quel point le paraître fait l’être, c’est ce qu’il démontre, toujours occupé de mieux figurer. » la comédie, p.109
52- « N’est pas « théâtrale » qui veut et ce mot, déconsidéré à tort, recouvre toute une esthétique et toute une morale. La moitié d’une vie d’homme se passe à sous-entendre, à détourner la tête et à se taire. L’acteur est ici l’intrus. Il lève le sortilège de cette âme enchaînée et les passions se ruent enfin sur leur scène. » la comédie, p.110
53- « Choisir entre le ciel et une dérisoire fidélité, se préférer à l’éternité ou s’abîmer en Dieu, c’est la tragédie séculaire où il faut tenir sa place. » la comédie, p.113
54- « La victoire serait souhaitable. Mais il n’y a qu’une victoire et elle est éternelle. C’est celle que je n’aurai jamais. Voilà où je bute et je m’accroche. Une révolution s’accomplit toujours contre les dieux […] » la comédie, p.119
55- « Les conquérants sont seulement ceux d’entre les hommes qui sentent assez leur force pour être sûrs de vivre constamment à ces hauteurs et dans la plein conscience de cette grandeur. » la comédie, p.119
56- « La conquête ou le jeu, l’amour innombrable, la révolte absurde, ce sont des hommages que l’homme rend à sa dignité dans une campagne où il est d’avance vaincu. Il s’agit seulement d’être fidèle à la règle du combat. » philosophie et roman, p.127
57- « Créer, c’est vivre deux fois. » philosophie et roman, p.128
58- « Même les hommes sans évangile ont leur Mont des Oliviers. Et sur le leur non plus, il ne faut pas s’endormir. Pour l’homme absurde, il ne s’agit plus d’expliquer et de résoudre, mais d’éprouver et de décrire. Tout commence par l’indifférence clairvoyante. » philosophie et roman, p.129
/CAMUS / Préface à "Maximes et Anecdotes" de Chamfort /
59- " Il n'y a pas de mépris ni de passion en général. Tout cela demande la connaissance de cause. " p.5
60- " Qu'est-ce qu'un moraliste en effet ? Disons seulement que c'est un homme qui a la passion du coeur humain. " p.6
63- " Je donnerais volontiers tout le livre des Maximes [de La Rochefoucauld] pour une phrase heureuse de la Princesse de Clèves et pour deux ou trois petits faits vrais comme savait les collectionner Stendhal. " p.6
64- " Nos vrais moralistes n'ont pas fait de phrases, ils sont regardé et se sont regardés. Ils n'ont pas légiféré, ils ont peint. Et par là ils ont plus fait pour éclairer la conduite des hommes que s'ils avaient polipatiemment, pour quelques beaux esprits, une centaine de formules définitives, vouées aux dissertations des bacheliers. " p.6
65- " C'est que le roman seul est fidèle au particulier. Son objet n'est pas les conclusions de la vie mais son déroulement même. " P.7
66- " Qu'est-ce que la maxime en effet ? On peut dire en simplifiant que c'est une équation [...] On peut même, et toujours comme en algèbre, tirer de l'une de ces combinaisons un pressentiment à l'égard de l'expérience. Mais rien de tout cela n'est réel parce que tout y est général. " p.7
67- " C'est le lecteur pressé qui, la plupart du temps, étend au coeur humain ce que l'auteur affirme seulement de certaines têtes folles. " p.10
68- " Car la réussite sociale n'a de sens que dans une société à laquelle on croit. " p.13
69- " [Chamfort] est de ceux que poussent à la fois de grandes et éclatantes vertus qui les mettent au point de tout conquérir et cette autre vertu plus amère qui les mène à nier cela même qui vient d'être conquis. " p.13
70- " Que peut faire alors un homme en face d'un monde qu'il méprise ? Si sa qualité est bonne, il prendra sur lui les exigences qui justement ne sont pas satisfaites dans ce monde. Non pour se donner en exemple, mais par simple souci de cohérence. " p.13
71- " Car, en somme, le mépris des hommes est souvent la marque d'un coeur vulgaire. Il s'accompagne alors de la satisfaction de soi. Il n'est légitime au contraire que lorsqu'il se soutient du mépris de soi. " p.14
72- " [...] pas un seul de nos grands romans ne se comprend sans une passion profonde pour l'homme. " p.15
73- " [...] le culte obstiné de l'extrême et de l'impossible [...] C'est cela que précisément on peut appeler le goût à la morale. " p.16-17
74- " Car le métier de moraliste ne peut aller sans désordres, sans fureurs ou sans sacrifices - ou alors il n'est qu'une feinte odieuse. " p.17
75- " [...] Chamfort m'apparaît comme un de nos rares grands moralistes : la morale, ce grand tourment des hommes, lui est une passion personnelle [...] " p.17
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