erich fromm

ÉRICH FROMM

Référence pour les citations #1 à #73 :

/FROMM / LA PEUR DE LA LIBERTÉ (1941)/
traduction : C.Janssens / Buchet/Chastel / Paris / 1963/



1- " i nous voulons nous défendre contre le totalitarisme, nous devons comprendre celui-ci. Couper la mauvaise herbe sans l’extirper, ne nous aidera guère. Réciter un bréviaire démocratique se révélera aussi inadéquat et inutile que le rituel d’une danse indienne pour faire tomber la pluie. » chap. 1, p.13


2- « Encore qu’il n’existe pas de nature humaine fixe, nous ne pouvons pas la considérer comme étant malléable à l’infini et capable de s’adapter d’elle-même à n’importe quel genre de conditions, sans avoir à développer un dynamisme propre. Elle est le produit de l’évolution historique, mais elle possède certains mécanismes et des lois inhérentes dont la découverte est l’honneur des psychologues. » chap.1, p.21


3- « Notre lien avec le monde peut être noble ou trivial, mais même le plus sordide est immensément préférable à la solitude [morale]. » chap.1, p.25


4- « Mais toute compréhension théorique du processus historique est bloquée si on insiste sur la continuité et qu’on minimise les différences fondamentales existant entre les sociétés [...] » chap.3, p.39


5- « Cette dichotomie – soumission aux forces supérieures et domination des forces intérieures – est caractéristique du caractère autoritaire. » chap.3, p.66


6- « La quête de certitude, telle que nous la trouvons chez Luther, n’est pas l’expression d’une foi authentique, mais du besoin de vaincre un doute insoutenable. La solution de Luther est du genre de celles dont nous relevons la présence chez beaucoup de nos contemporains qui ne pensent pas en termes psychologiques. » chap.3, p.67


7- « [...] le développement d’une activité frénétique et l’aspiration à faire quelque chose. Dans ce sens, l’activité revêt une qualité de contrainte : l’individu doit être actif pour vaincre ses doutes. Cette forme d’action n’est pas dictée par une force interne ; c’est une tentative désespérée d’échapper à l’inquiétude. » chap.3, p.78


8- « L’impulsion [sociale] qui transforme l’homme en son propre esclave, ne gêne pas ses qualités. » chap.3, p.80


9- « Luther et Calvin ont dépeint cette rancune qui imprégnait la société. Non seulement ces deux hommes appartenaient personnellement à la cohorte des grands haineux de l’histoire ; ce qui est le plus important, c’est que leurs doctrines portaient les couleurs violacées de la colère et ne pouvaient qu’attirer une classe secrètement animée par un même esprit. » chap.3, p.81


10- « Mais alors que l’hostilité envers les autres est souvent conscientes et peut s’exprimer ouvertement, l’animosité à son propre égard est habituellement latente (sauf dans les cas pathologiques) et se montre sous des déguisements rationalisés et indirects. Un de ces travestis est l’obsession de sa faiblesse et de son exiguïté ; un autre porte le masque de la Conscience ou du Devoir. » chap.3, p.83


11- « L’agressivité dans quoi sont enracinées ce genre d’humilité et ce sens du devoir explique également une contradiction apparemment déconcertante : que cette humilité aille de pair avec le mépris pour autrui, et que la droiture envers soi, la fidélité à ses propres principes remplace l’amour et la pitié. L’abnégation authentique et le véritable devoir envers ses semblables ne peuvent engendrer le dédain ; mais l’humiliation de soi et une « conscience » qui se nie elle-même, ne sont que l’avers de l’hostilité dont le revers est le mépris et la haine d’autrui. » chap.3, p.84


12- « [...] nous avons cru que la liberté d’opinion était le dernier pas sur le chemin de la liberté triomphante. Nous avons constaté plus tard que les opinions de l’homme moyen sont celles de M.Tout-le-monde. Il penses et dit la plupart du temps par convention, comme dit et pense tout un chacun. Il a conquis la liberté de s’exprimer, mais il n’a pas acquis, en même temps, la faculté de penser originalement – c’est-à-dire par soi-même [...] » chap.4, p.86


13- « Pour user de termes généraux, nous sommes fascinés par la croissance de la liberté se désentravant des servitudes extérieures, mais nous sommes aveugles devant les contraintes, les injonctions, les peurs intérieures qui tendent à nous dérober toutes les conquêtes que nous avons remportées sur nos ennemis traditionnels. » chap.4, p.86


14- « L’amour exclusif est une contradiction en soi [...] Il est attendrissant de dire : « Vous êtes mon seul et unique amour. C’est la première fois que j’aime vraiment et après vous je n’aimerai plus [...] C’est émouvant, mais ce n’est pas vrai. L’ardeur qui ne peut être satisfaite que par un seul, est un attachement sado-masochiste bien plus qu’un autre penchant. » chap.4, p.93-94


15- « L’homme moderne agit dans l’intérêt du moi social ; lequel est essentiellement constitué par le rôle que l’individu est supposé jouer dans la société, mais qui est, en réalité, le simple travesti de sa fonction sociale. L’égotisme contemporain n’est qu’une avidité qui exprime toute la frustration du moi réel. » chap.4, p.95


16- « L’apprenti sorcier n’est plus maître des forces qu’il a déchaînées, du monde qu’il a bâti. Au contraire, ce monde l’a réduit en esclavage. Il doit s’agenouiller devant lui, le solliciter, le flatter et s’en accommoder tant bien que mal. L’œuvre sortie de ses mains est devenue son destin. » chap.4, p.96


17- « Le travailleur manuel cède son énergie physique, l’homme d’affaires, le médecin, l’employé leur « personnalité ». Qu’ils écoulent leurs produits ou leurs services, ils doivent avoir une « personnalité ». Celle-ci doit plaire, mais comme son possesseur est obligé de répondre à nombre d’autres exigences, il lui faut, en outre, avoir de l’énergie, de l’initiative, de l’efficacité, du tact ou toute qualité que son emploi peut exiger. Or, comme pour toute marchandise, c’est le marché qui décide de la valeur de ces qualités humaines, oui, de leur existence même. Si on n’a pas besoin des qualités qu’une personne offre, elle n’en a pas ; exactement comme une marchandise invendable [...] » chap.4, p.97


18- « [...] la publicité moderne ne fait pas appel à la raison, mais aux sentiments. Comme tout autre genre de suggestion hypnotique, elle tente d’impressionner le public afin de le soumettre intellectuellement. » chap.4, p.104


19- « Les méthodes d’hébétement du public sont plus dangereuses pour notre démocratie que bien des attaques ouvertement dirigées contre elle. Elles sont encore plus immorales – par rapport à l’intégrité humaine – que la littérature indécente dont nous interdisons la diffusion. » chap.4, p.104


20- « Les programmes [des partis politiques] sont rédigés en termes ambigus que la propagande embrume encore davantage afin de les rendre acceptables à tous. L’électeur ne dispose d’aucune possibilité véritable de prendre la mesure de ceux qui veulent le représenter. » chap.4, p.105


21- « En usant des mêmes méthodes que la publicité commerciale, la propagande politique tend à aggraver le sentiment de nullité de l’électeur. La répétition de slogans et le grossissement d’éléments affectifs qui n’ont rien à voir avec les programmes en présence, engourdissent ses capacités critiques. » chap.4, p.105


22- « Le « style » de notre époque : [...] Cités tentaculaires où l’individu est perdu, édifices aussi hauts que des montagnes, incessant bombardement acoustique par les radios ; journaux aux titres hurlants qui changent trois fois par jour et ne vous laissent pas le choix de décider de ce qui est vraiment important [...] » chap.4, p.107


23- « Évidemment, ce tête-à-tête avec le vertige, tel qu’il est dépeint par les écrivains et qu’il est ressenti par bien des gens dits névrosés, n’est nullement celui dont l’homme de la rue est conscient. Il est trop effrayant pour pouvoir être toléré plus que quelques instants. Le gouffre que nous côtoyons est masqué par la routine quotidienne de nos activités, par l’assurance et l’approbation qu’elles trouvent dans nos relations privées et sociales, par nos succès commerciaux, par nombre de distractions, par « prenons du plaisir », « faisons des amis », « allons voir »... Mais siffler dans l’obscurité n’apporte pas la lumière. » chap.4, p.109


24- « Mais siffler dans l’obscurité n’apporte pas la lumière. » chap.4, p.109


25- « Quand le fardeau de la « liberté négative » devient trop pesant à nos épaules, nous sommes contraints de nous en débarrasser. Si nous ne pouvons pas transformer notre autonomie négative en positive, il ne nous reste plus d’autre voie que celle de nous évader de nous-mêmes. À notre époque, les principales avenues sociales de l’évasion sont la soumission au chef, telle qu’elle s’est produite dans les pays fascistes, ou au conformisme impératif qui règne sur nos propres démocraties. » chap.4, p.109


26- « [...] une personne qui a du mal à s’adapter à notre société est promptement stigmatisée comme « de peu de valeurs ». Par contre, celle qui fait preuve de grandes capacités d’assimilation est réputée comme étant « de grande valeur ».On en arrive à la conclusion qu’un individu normal, c’est-à-dire souple et bien adapté, est souvent d’une qualité humaine plus médiocre que le névrosé. Car le premier n’est si bien assimilé que parce que, le plus souvent, il a renoncé à être quelqu’un pour devenir quelque chose. » chap.5, p.112-113


27- « Les incitations masochistes sont souvent tenues pour simplement pathologiques ou irraisonnées. Mais le plus fréquemment elles sont déguisées. Une soumission masochiste se travestit en amour ou en loyauté. Un sentiment d’infériorité devient l’expression adéquate d’une insuffisance réelle, et la torture de soi-même s’excuse comme la conséquence d’événements que l’on ne peut changer. » chap.5, p.116


28- « Mais le sadique « aime » vraiment l’être sur lequel il exerce sa tutelle. Qu’il torture sa femme, son enfant, son subordonné, un garçon de café ou un mendiant dans la rue, il éprouve réellement de l’amour et même de la gratitude à leur égard ; il se considère en droit de penser que s’il se mêle à leur existence c’est parce qu’il les aime. En réalité, il ne les « aimes » que parce qu’il les domine. » chap.5, p.118


29- « L’impotent aspire à trouver un homme ou une croyance à quoi se raccrocher. Il ne peut supporter plus longtemps d’être réduit à son chétif individu. Il cherche frénétiquement abri et protection auprès des autres, en leur offrant ce fardeau dont il ne veut plus prendre la responsabilité : soi-même. » chap.5, p.122


30- « L’idée que l’on se fait de la supériorité d’une autre personne est toujours relative. Elle peut être l’image rigoureuse de la vérité, mais, tout autant, la preuve dérisoire de notre faiblesse [...] » chap.5, p.122


31- « Le malheureux locataire, prisonnier d’un incendie, court à sa fenêtre et crie au secours, oubliant totalement qu’il pourrait encore s’échapper par un escalier de service que les flammes commencent déjà à lécher. Il appelle parce qu’il veut être sauvé et, sur le moment, son attitude lui paraît être une promesse de sauvetage – alors qu’elle le rapproche de la catastrophe. » chap.5, p.124


32- « En s’identifiant à un pouvoir incorruptible, éternel et glorieux, on bénéficie de ses vertus et de son rayonnement. On renonce à sa propre force, à sa fierté, à son intégrité et enfin à sa liberté. Mais en retour, on gagne une sécurité et une dignité nouvelles. On conjure le vertige du doute. Peu importe le nom du dieu aux pieds duquel il abdique, Chef, Parti, État, Foi ou Principes, le masochiste est sauvé : il n’a plus qu’à obéir. » chap.5, p.125


33- « Je suggère de nommer le but qui est à la base du sadisme et du masochisme : symbiose. Autrement dit, l’union d’un Moi individuel avec un autre Moi (ou un pouvoir extérieur), dans le dessein de faire perdre à chacun son intégrité et de les faire dépendre complètement l’un de l’autre. » chap.5, p.126


34- « [...] il semble qu’il ne soit pas de preuve d’ « amour » plus transcendante, plus éclatante que le sacrifice et l’abandon total de soi aux pieds de la personne aimée. La froide analyse aura tôt fait de prouver que ces « amours » surhumaines sont essentiellement des aspirations masochistes. » chap.5, p.128-129


35- « Certes, l’autorité qu’on exerce sur les autres est l’expression d’une force supérieure au sens matériel [...] Mais dans le sens psychologique, l’aspiration au pouvoir n’est pas le fils légitime de la force, mais l’enfant abâtardi de la faiblesse. C’est l’aveu de l’incapacité de l’individu à vivre par soi-même ; une tentative désespérée d’accaparer une force de secours quand la sienne défaille. » chap.5, p.129


36- « Le vocable pouvoir possède une double signification. Il entend la possession du pouvoir sur quelqu’un, la possibilité de le dominer. Mais il entend aussi l’aptitude à faire quelque chose. Cette définition n’a rien de commun avec la domination. Elle explique la maîtrise dans le sens de la capacité. » chap.5, p.130


37- « [...] mieux l’étudiant apprend et moins grande est la distance qui le sépare de son professeur. Il se rapproche de plus en plus de son maître. En d’autres termes, la relation d’autorité tend à se dissoudre d’elle-même. Mais quand la supériorité sert de cravache à l’exploitation, la distance s’aggrave avec sa durée. » chap.5, p.132


38- « Du Protestantisme à la philosophie Kantienne, l’évolution de la pensée moderne peut positivement être caractérisée par le détrônement des royautés extérieures et leur remplacement par un roi non-couronné, mais plus rigide et omni-présent : la Conscience. » chap.5, p.133


39- « [...] nous découvrons que bien loin de disparaître, l’autorité s’est rendue invisible. Sur le vieux trône de l’Église, des Princes, et de la Conscience, règne maintenant l’Anonyme, l’autorité qui n’ose pas dire son nom, qui prend le masque de Tout-le-Monde, , se drape dans un manteau de couleur de muraille et se présente à vous tantôt sous le nom de l’Opinion publique, du Bon Sens, de la Conscience universelle, de la Science, du Progrès, de la Santé morale et physique, de la Règle du jeu, de l’Avenir. » chap.5, p.134


40- « La philosophie du caractère autoritaire et son attitude dans la vie sont déterminées par ses impulsions émotives. Tout ce qui assigne des frontières à la liberté humaine flatte son tempérament. Il aime à être soumis au destin. » chap.5, p.136


41- « Dans les relations amoureuses, le fait qu’on élise telle ou telle personne pour partenaire, sert de preuve qu’elle est aimée justement parce que c’est « elle » ou « lui ». » chap.5, p.140


42- « Dans les cas les plus extrêmes, la vie de certaines personnes est gaspillée presque complètement en tentatives de charmer le sort. Les gens ne diffèrent que par les moyens dont ils usent pour amadouer le destin. Les uns utilisent l’obéissance, les autres croient à la bonté ou à la soumission, l’entregent, la persévérance, le manque de scrupules, etc. Plus aucun acte, aucun sentiment, aucune émotion ou pensée qui ne s’amorce ni ne termine sans une prière à Sainte Chance. » chap.5, p.141


43- « Cette dépendance [à la « Chance »] est la conséquence d’une paralysie de la spontanéité, mais loin de la guérir, elle l’aggrave. La croyance à la Chance, au Sort, au Hasard, qui ne sont que les prénoms familiers du grave Destin, nous procure un bien-être passager, un coup de fouet. » chap.5, p.141


44- « Mais le besoin de se sentir relié à un représentant de l’autorité ne résulte pas de la prolongation de l’attirance sexuelle initiale exercée par la mère ou le père, mais du refoulement de l’expansivité de l’enfant, et de l’inquiétude qui en est la séquelle. » chap.5, p.143


45- « Lorsque je me compare avec le monde, je me sens effroyablement exigu [...] L’anéantissement du monde est donc la tentative désespérée de me sauver du vertige de mon propre néant. » chap.5, p.143


46- « La vie possède son propre dynamisme intérieur. Comme un arbre, elle veut pousser ses racines et ses branches, s’élever, s’étendre, faire éclater la force de sa sève. Si son expansion est contrariée, la sève de la vie se corrompt et devient une toxine de mort. » chap.5, p.146


47- « [...] la conviction qu’ont les autres de n’être pas des marionnettes est, dans la majorité des cas, une illusion flatteuse mais dangereuse, parce qu’elle leur interdit toute amélioration [...] C’est la comédie du Bien-portant Imaginaire. » chap.5, p.148


48- « L’amateur de peinture moyen ne regarde pas un tableau célèbre, il l’admire. Si nous analysons son jugement, nous découvrons que cette toile n’éveille aucun écho particulier chez lui, nulle affinité intérieure. Cependant, il la trouve belle parce que c’est une vérité établie, reconnue, patentée [...] » chap.5, p.153


49- « Et combien de touristes, les yeux écarquillés devant un site fameux, ne voient que l’image qu’ils en ont vue cent fois en carte postale, au cinéma ou dans la presse ? Ils croient avoir « vu-de-mes-yeux-vu », alors qu’entre eux et le paysage s’est interposé, comme un écran déformant, une façon traditionnelle de voir. » chap.5, p.153


50- « [...] la seule question est de savoir si la réflexion est issue de notre propre activité mentale et non pas si elle est juste ou erronée. On peut raisonner de façon parfaitement sensée et ne tenir que des propos dans quoi il n’y a pas l’ombre d’une expression authentique et personnelle. » chap.5, p.154


51- « Que nous nous trouvions devant une pensée travestie ou véridique, nous ne pouvons nous contenter de l’examen de son contenu logique. Il nous faut percer ses dessous psychologiques. La pierre de touche n’est pas de détermine ce que pense une personne, mais pourquoi elle le pense. » chap.5, p.155


52- « L’idée qui est fruit d’une activité mentale est toujours nouvelle et originale. Non pas nécessairement dans le sens que personne n’y a songé avant, mais toujours par le fait qu’elle découvre un élément du monde intérieur ou environnant de celui qui réfléchit. Les sentiments préfabriqués sont faciles à dépister parce qu’ils manquent toujours d’originalité. Ils ne découvrent jamais rien que l’on ne sache de longue date. Ils ne font que rabâcher les préjugés, la prévention existant dans l’individu. » chap.5, p.155


53- « Nul doute que l’enfant serait bien plus satisfait d’avoir le libre choix [entre l’école et le jeu], mais son sens du devoir a déjà été suffisamment développé pour qu’il prétendre désirer faire ce qu’on veut qu’il fasse. » chap.5, p.159


54- « [...] chez beaucoup de personnes, sinon chez la plupart, le Moi authentique est complètement étouffé par un pseudo-Moi. En esprit, en rêve ou parfois quand l’homme a bu [...], un peu de son fond original revient à la surface. Il éprouve des sensations, réveille des souvenirs disparus depuis des années. » chap.5, p.163


55- « Je serai celui que vous désirez que je sois. C’est la farce du Sosie, la Comédie des Erreurs ou la tragédie de l’Homme qui a perdu son ombre. Le titre importe peu, c’est une pièce dans laquelle nous avons tous un rôle à jouer. » chap.5, p.163


56- « Si peu de sympathie qu’un citoyen allemand ressentît pour les principes du nazisme, s’il devait choisir entre la solitude et la communauté nationale, dans la plupart des cas il n’hésitait pas un instant. Il est notoire que des Allemands qui n’étaient nullement hitlériens défendirent le régime contre les étrangers par pure solidarité sociale. » chap.6, p.167


57- « Mais nos droits ne sont que des leurres si nous sommes incapables de nous en servir. L’homme libre n’est qu’une dérisoire marionnette si des ficelles invisibles le meuvent sans qu’il en prenne conscience. » chap.7, p.192


58- « L’amabilité, la fraîcheur de sentiment, la gaieté, le plaisir qu’un sourire suppose, deviennent des réflexes automatiques que l’on allume et éteint comme une ampoule électrique. » chap.7, p.193


59- « Les « bons usages » de la société découragent impérativement l’expression directe des émotions. Alors qu’il est indubitable qu’aucune pensée créatrice – ni aucune autre activité de même qualité – n’est inséparable de l’émotion, on nous recommande, comme idéal, de vivre et de penser sans la montrer [...] La conclusion de ces précieux prétextes est que l’individu « normal » est facile à manipuler parce que son être original est assez affadi et amputé, son cerveau suffisamment appauvri et calibré [...] » chap.7, p.194


60- « Beaucoup de psychiatres et de psychanalystes ont brossé le portrait d’un homme « normal » qui n’est jamais assez triste, ni assez inquiet, ni assez excité. S’ils ne se trouvent pas en présence de personnes conformes au modèle conventionnel de l’individu réputé « normal », ils poussent aussitôt des exclamations : « Fixation infantiles ! Complexes ! Névroses !... » chap.7, p.194


61- « [À l’école], on insiste d’abord sur la connaissance des faits, ou pour mieux dire de l’information. Une superstition pathétique de l’homme moderne est de croire que la connaissance toujours plus grande des faits le conduira au Sinaï et à la Révélation de la Vérité. Des centaines de faits dispersés et sans cohésion sont enfoncés dans la cervelle des étudiants. Ils consacrent leur temps et leur énergie à emmagasiner observations et analyses et on ne leur laisse que peu de loisirs pour réfléchir. » chap.7, p.197


62- « Un autre moyen propre à paralyser la pensée authentique est de considérer toute vérité comme relative [...] La vérité est réputée être une allégorie entièrement subjective, tout au plus comme une appréciation strictement personnelle, à savoir si le thé est à votre goût ou non [...] Ce relativisme qui se dissimule souvent sous le couvert de l’empirisme ou du positivisme ou qui se recommande d’un usage correct des termes, aboutit à la perte de ce stimulant essentiel que représentent les désirs et les intérêts de la personne qui réfléchit. » chap.7, p.198


63- « L’individu se sent écrasé sous une montagne de données pseudo-scientifiques et attend avec une confiance pathétique que les sorciers de la technologie finissent de lire dans les méninges des cerveaux électroniques et daignent lui révéler à quelle sauce il doit se faire cuire et se laisser manger. » chap.7, p.200


64- « Ce mélange de sarcasmes et de naïvetés est un cocktail très représentatif de l’esprit moderne. Mais son résultat le plus évident est de dégoûter l’homme moyen de se faire une idée, ou de prendre des décisions lui-même. » chap.7, p.199-200


65- « Un autre moyen encore d’éviter que le bon citoyen se fatigue à penser est la destruction de toute représentation du monde cohérente. Les faits perdent la qualité spécifique qu’ils revêtent lorsqu’ils constituent les éléments d’un ensemble intelligible. Ils prennent de plus en plus un sens abstrait, quantitatif et uniforme. L’important n’est plus d’élire ceux qui sont déterminants, mais d’en faire un inventaire complet. Dans ce domaine, la radio, le cinéma et la presse exercent des effets dévastateurs. » chap.7, p.200


66- « La curiosité s’étend à tous les domaines, mais elle est de plus en plus superficielle et assouvies par des « digests » anonymes aussi vite oubliés que parcourus. Elle s’accroche rarement parce qu’elle n’est plus véritablement intéressée par l’information [...] Nous finissons par traiter ce qui se passe dans le monde avec des sentiments blasés et indifférents. » chap.7, p.201


67- « Nous dépensons notre énergie pour obtenir ce que nous voulons, mais la plupart de nous ne se demandent jamais s’il est bien vrai qu’ils désirent cela, à tout prix. Ne seraient-ils pas lancés à la poursuite d’un objectif dont, au fond, ils ne se soucient guère ? Cette idée ne les effleure pas souvent. À l’école, on cherchait à obtenir de bonnes notes. Aujourd’hui, on veut voler de réussite en réussite [...] La boulimie sociale n’est jamais rassasiée. » chap.7, p.202


68- « Notre contemporain est prêt à courir de grands risques pour tenter d’atteindre l’objectif qui est réputé être le « sien ». Par contre, il tremble à l’idée de prendre la responsabilité de choisir sa cible lui-même. Son activité débordante semble être le signe de sa vocation, mais nous savons qu’elle est souvent contrainte et aussi peu spontanée que le jeu d’un acteur ou la démarche d’un sujet sous hypnose. » chap.7, p.202-203


69- « La position de l’artiste est pourtant vulnérable, car en réalité ce n’est que chez l’artiste réputé qu’on respecte l’originalité. Celui qui n’arrive pas à se faire connaître ou à vendre ses œuvres, demeurera pour ses contemporains un doux rêveur, un fantaisiste, bref, une sorte de « névrosé ». » chap.7, p.207


70- « Devant son chevalet ou son écritoire, l’artiste se trouve à peu près dans la même situation que le révolutionnaire devant l’histoire. Que celle-ci le porte au pouvoir et il deviendra un homme d’État consacré, mais s’il échoue il ne sera qu’un dangereux agitateur promis à la réclusion. » chap.7, p.207


71- « Aujourd’hui le problème de la production est résolu – en principe du moins – et nous pouvons prévoir un avenir d’abondance où la lutte pour des avantages matériels ne sera plus commandée par les privations. » chap.7, p.215

N.C. Fromm, qui a su si bien cerner l’homme contemporain, s’égare ici dans ce pronostique utopiste. Mais en 1941, on parlait encore peu du Tiers-Monde.


72- « Aussi captivantes soient-elles, les idées ne deviennent et ne demeurent puissantes que dans la mesure où elles répondent à des besoins humains déterminants dans un caractère social. » Appendice, p.226


73- « [La fonction sociale de l’éducation] est de qualifier l’individu en vue du rôle qu’il aura à jouer plus tard dans la société. Autrement dit, de modeler son caractère de telle sorte qu’il ressemble au caractère social, que ses désirs coïncident avec les nécessités de son occupation. Le système éducatif de toute communauté est basé sur ce principe. » Appendice, p.229

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