jacques le goff

JACQUES LE GOFF

RÉFÉRENCE POUR LES CITATIONS #1 à #31 :

Auteur : Jacques Le Goff
Titre : Pour un autre Moyen Age : Temps, travail et culture en Occident : 18 essais
Année de la 1e parution : 1977
Éditeur : Gallimard



1- " e ne réclame aucun monopole pour les historiens scientifiques. Les dilettantes et les vulgarisateurs de l’histoire ont leur agrément et leur utilité ; et leur succès témoigne pour le besoin qu’éprouvent les hommes d’aujourd’hui de participer à une mémoire collective. » préface, p.7


2- « Nourrir la mémoire des hommes demande autant de goût, de style, de passion que de rigueur et de méthode. » préface, p.7


3- « Or la longue durée pertinente de notre histoire – pour nous en tant qu’hommes de métier et hommes vivant dans le flux de l’histoire – me paraît ce long Moyen Age qui a duré depuis le IIe ou IIIe siècle de notre ère pour mourir lentement sous les coups de la révolution industrielle – des révolutions industrielles – entre le XIXe siècle et nos jours. Ce long Moyen Age c’est l’histoire de la société préindustrielle. En amont c’est une autre histoire, en aval c’est une histoire – la contemporaine – à faire, ou mieux à inventer, quant aux méthodes. Ce long Moyen Age est pour moi le contraire du hiatus qu’ont vue les humanistes de la Renaissance et, sauf rares exceptions, les hommes des lumières. C’est le moment de la création de la société moderne, d’une civilisation moribonde ou morte sou ses formes paysannes traditionnelles, mais vivante par ce qu’elle a créé d’essentiel dans nos structures sociales et mentales. Elle a créé la ville, la nation, l’État, l’université, le moulin et la machine, l’heure et la montre, le livre, la fourchette, le linge, la personne, la conscience et finalement la révolution. Entre le néolithique et les r évolutions industrielles et politiques des deux derniers siècles elle est – au moins pour les sociétés occidentales – non un creux ni un pont mais une grande poussée créatrice – coupée de crises, nuancée de décalages selon les régions, les catégories sociales, les secteurs d’activité, diversifiée dans ses processus. » préface, p.10


4- « [Le Moyen Age] est la période qui nous permet le mieux de nous saisir dans nos racines et nos ruptures, dans notre modernité effarée, dans notre besoin de comprendre le changement, la transformation qui est le fonds de l’histoire en tant que science et en tant qu’expérience vécue [...] – ce passé primordial où notre identité collective, quête angoissée des sociétés actuelles, a acquis certaines caractéristiques essentielles. » préface, p.11


5- « [...] trop souvent l’historien, par mépris de la théorie, est le jouet inconscient des théories implicites et simplistes [...] » préface, p.14


6- « [...] je ne me lançai pas dans une recherche théorique pour laquelle je ne me sens pas de dons et où je crains de me laisser entraîner dans ce que je crois, avec et après beaucoup d’historiens, la pire ennemie de l’histoire, la philosophie de l’Histoire. » préface, p.14


7- « Pour essayer de comprendre comment fonctionne une société et – tâche toujours constituante de l’historien – comment elle change et se transforme, regarder du côté de l’imaginaire est nécessaire. » préface, p.15


8- « Le Moyen Age, qui a prolongé jusqu’à nous sur les fresques, aux tympans des églises, l’appel des trompettes du Jugement, qui sont d’abord celles du réveil, a trouvé en Michelet celui qui sut le mieux les faire sonner. » Les Moyen Age de Michelet, p.20


9- « Il ne faut jamais oublier cette double lecture simultanée qu’il [Michelet] fait de l’histoire passée et de l’histoire contemporaine. L’anti-cléricalisme de Michelet s’affirme tout au long de la monarchie de Juillet. L’inspiration centrale du Moyen Age en est atteinte. » Les Moyen Age de Michelet, p.33


10- « [...] Michelet, bien qu’il s’efforce de demeurer, comme dans l’épilogue de La Sorcière, l’homme de l’aube, du progrès, de l’espoir, toujours en attente de merveilles et de transfigurations, est angoissé par l’univers mécanisé qui tend à tout submerger. » Les Moyen Age de Michelet, p.40


11- « [...] le dédain des médiévistes vient peut-être de l’ignorance du texte de Michelet, d’un parti pris positiviste, d’un préjugé antilittéraire. Je ne crois pas que le temps soit venu – au contraire – où la méconnaissance de l’historiographie, le mépris pour l’imagination et le style feraient le bon historien. » Les Moyen Age de Michelet, p.41


12- « Michelet, premier historien des silences de l’histoire. Dans un échec prophétique et éclairant. » Les Moyen Age de Michelet, p.44


13- « Ainsi la subjectivation de la vie psychologique substitue à la seule considération de comportements extérieurs l’appréciation des dispositions intérieures ; les tabous professionnels reculent avec l’affirmation de la conscience individuelle. » Métiers licites et métiers illicites, p.99


14- « Si l’on cherche à dépasser le niveau supérieur, donc superficiel, de l’histoire des idées, pour essayer d’atteindre l’univers des mentalités composés d’idées déformées, d’automatismes psychiques, de survivances et d’épaves [...] » Travail, techniques et artisans, p.108


15- « Je dois donc m’excuser de borner mon étude à deux siècles – les Ve et VIe –, avec quelques incursions dans le VIIe siècle [...] Voici les raisons de ce choix. D’abord, j’ignore un peu moins la littérature de cette époque que celle des siècles qui la suivent. » Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Age (Ve-VIe siècle), p.131


16- « Si la littérature peut être, non sans quelque rhétorique, définie comme un miroir de la société, il s’agit, bien sûr, d’un miroir plus ou moins déformant selon les désirs conscients ou inconscients de l’âme collective qui s’y regarde et surtout selon les intérêts, les préjugés, les sensibilités, les névroses des groupes sociaux qui fabriquent ce miroir et le tendent à la société [...] » Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Age (Ve-VIe siècle), p.132


17- « L’art primitif, et le haut Moyen Age est irruption de divers primitivismes, est abstrait. L’Église remplace le réalisme païen par un univers de symboles, de signes. Elle nie l’essentialité de l’homme face à Dieu et à l’au-delà et impose de nouvelles grilles à la représentation de la société. Ce peut être un dualisme élémentaire : clercs-laïcs, puissants-humbles [...] Ce sont surtout des schémas proprement religieux, déstructurant les images traditionnelles de la société organisée selon des fonctions sociales et les remodelant selon des vocations ordonnées à des fins religieuses. » Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Age (Ve-VIe siècle), p.136


18- « Élimination des étudiants pauvres, constitution d’une caste et de familles universitaires, nationalisation, c’est-à-dire tendance à se limiter, au moins en ce qui concerne les maîtres, à un recrutement local. Quel chemin parcouru en deux siècles, depuis le temps où les universités naissantes accueillaient de tous les horizons européens des étudiants de toutes origines sociales et où on allait acquérir dans les plus célèbres le droit d’enseigner partout ! (c’est-à-dire dans toutes les universités). » Dépenses universitaires à Padoue au XVe siècle, p.154


19- « Il n’y a de prise de conscience d’une situation, individuelle ou collective, y compris une situation professionnelle, qu’à travers une participation, et, au Moyen Age, cette participation ne peut être qu’une participation à un univers religieux, plus précisément à l’univers que leur propose ou leur impose l’Église. » Métier et profession d’après les manuels de confesseurs du Moyen Age, p.164-165


20- « Il est d’ailleurs vraisemblable que cette impuissance des hérésies médiévales entre le XIe et le XIVe siècle à définir une spiritualité et une éthique du travail a été une des causes déterminantes de leur échec. L’inverse sera une des raisons du succès, à l’époque contemporaine, des divers socialismes, et d’abord du marxisme. » Métier et profession d’après les manuels de confesseurs du Moyen Age, p.165


21- « Il n’y a pas de place dans ce monde pour des individus, à l’exception d’êtres vraiment extraordinaires : des saints ou des héros, extraordinaires les premiers dans l’ordre des oratores, les seconds dans celui des bellatores. Le haut Moyen Age occidental n’a en fait connu que deux genres littéraires : l’hagiographie et la chanson de geste. Les autres individus n’ont d’existence que par participation à l’être du héros ou du saint : le biographe qui le loue, le jongleur qui le chante, le forgeron qui forge son épée [...] » Métier et profession d’après les manuels de confesseurs du Moyen Age, p.170


22- « Désormais [au XIIe siècle] on considère moins le péché que le pécheur, la faute que l’intention, on recherche moins la pénitence que la contrition. Subjectivation, intériorisation de la vie spirituelle qui est à l’origine de l’introspection et par là de toute la psychologie moderne en Occident. » Métier et profession d’après les manuels de confesseurs du Moyen Age, p.171


23- « La conscience que prend de lui chaque homme, il y a parvient à travers l’état auquel il appartient, à travers le groupe professionnel dont il fait partie, à travers le métier qu’il exerce et dont il est membre. Le processus de personnalisation s’opère au sein d’un processus plus vaste de socialisation. Et comme cette conscience ne peut être que religieuse, elle se présente comme une vocation. » Métier et profession d’après les manuels de confesseurs du Moyen Age, p.171


24- « Prise de conscience : problème central et combien difficile de l’histoire ! Il faudrait mener l’investigation par de multiples voies convergentes, définir des domaines privilégiés d’observation – d’expérimentation même -, les outils, les méthodes et finalement reconnaître – peut-être ? – un critère fondamental pour saisir ce phénomène essentiel : l’instant décisif où les infrastructure sont perçues, où le groupe se reconnaît, s’affirme, naît une seconde fois, décisivement, par la conscience de son originalité. » Quelle conscience l’université médiévale a-t-elle eue d’elle-même ?, p.182


25- « Sous les mutations que le temps lui imposera, il est légitime de reconnaître, mutatis mutandis, dans le philosophe du XIIIe siècle l’ancêtre avorté du philosophe du XVIe siècle – ce sceptique religieux qui est l’idéal, par exemple, d’un Charron – et du philosophe du XVIIIe siècle. Type individuel, groupe professionnel et intellectuel, les viri philosophici du Ms.Paris BN Lat.14696 sont bien des préfigurations des philosophes de l’Aufklärung. » Quelle conscience l’université médiévale a-t-elle eue d’elle-même ?, p.193


26- « [...] c’est en grande partie pour des raisons de prestige qu’un nombre croissant de princes et de villes dans la seconde moitié du XVe siècle et au XVIe siècle créèrent des universités [...], mais les intentions utilitaires de ces fondateurs prenaient de plus en plus le pas sur les motifs désintéressés : ces universités devaient avant tout être des pépinières de fonctionnaires, d’administrateurs, de magistrats, de diplomates, de serviteurs du pouvoir public. Le fait [est] d’ailleurs que l’humanisme se développait en partie à l’extérieur des universités [...] » Les Universités et les Pouvoirs publics au Moyen Age et à la Renaissance, p.213


27- « [...] l’attitude, si fréquente chez les collectivités médiévales, de rudoyer un saint (ou sa statue) coupable de n’avoir pas exaucé les prières de ses fidèles, relève bien d’une mentalité « primitive » persistante [...] C’est que la distinction entre le rôle de Dieu et celui des saints – purs intercesseurs – dans les miracles offre à la psychologie individuelle et collective une soupape qui sauvegarde, dans une certaine mesure, la dévotion envers Dieu. » Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne, p.231 (note 22 en bas de page)


28- « [...] la composition de l’histoire et l’habile mise en scène de cet épisode qui, à travers le terrain, le public, les gestes, fait de ce combat [entre saint Marcel et le dragon] un morceau de bravoure où ont dû se délecter un auteur [Venance Fortunat] – formé à Ravenne – et des lecteurs encore nostalgiques des jeux du cirque et des triomphes antiques et lui substituant volontiers ceux d’un théâtre chrétien. » Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon, p.241


29- « Notre texte ne jette-t-il pas une lueur sur cette naissance du bourg de Saint-Marcel ? N’avons-nous pas là un mythe de fondation – chrétienne ou non ? La victoire de Marcel sur le dragon n’est-elle pas l’apprivoisement du « genius loci », l’aménagement d’un site naturel entre les « deserta » de la forêt (« silva »), repaire du serpent chthonien et les marécages du confluent fluvial de la Seine et de la Bièvre (« mare ») où le dragon aquatique est invité à disparaître ? N’avons-nous pas là le témoignage d’un de ces établissements du haut Moyen Age, à la faveur d’un timide défrichement et d’un rudimentaire drainage, sous l’égide d’un évêque-entrepreneur économique en même temps que pasteur spirituel et chef politique ? » Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon, p.257


30- « Ce symbolisme, complexe, semble surtout révélateur, par-delà les apports des diverses cultures préchrétiennes, d’un fonds traditionnel, de nature folklorique. Il apparaît en relation avec un système de comportements mentaux et de pratiques prudentes à l’égard des forces naturelles puissantes et équivoques. On dompte le dragon et, dans une certaine mesure, on pactise avec lui. » Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon, p.259

Retour aux auteurs