Basé sur des personnages crées par
Chris Carter
The X.Files / Aux Frontières Du Réel
Jour après jour,
il faudra que nous nous souvenions
des choses que nous avons faites.
Pendant toute l'éternité.
Prologue
Emergeant d'un rêve absurde où quelque chose le poussait à
cueillir le plus de fleurs possible - lui qui était allergique
à leur pollen - Hank repensa avec satisfaction à ce qu'il avait
fait la veille.
Pas mal pour un débutant. Cela faisait à peine
deux mois que Mr Symon l'avait pris sous son aile, et il avait su
se rendre indispensable. Eliminer les gens trop curieux. Se
charger des transactions. Cela payait beaucoup plus que les
agressions sur les parkings.
Et en apprenant qu'il avait trouvé
acquéreur pour les bijoux du casse - six mois que cette affaire
traînait - le patron serait encore plus satisfait de ses
services.
Fier de lui, Hank décida de l'appeler tout de suite.
Mais quelque chose clochait. Il pouvait à peine bouger, et en
ouvrant les yeux, ne voyait absolument rien. Il crut d'abord à
une paralysie, mais il pouvait remuer les membres, dans la limite
de l'espace où il était enfermé. Ses mains rencontrèrent
frénétiquement une paroi en bois brut à laquelle il
s'écorcha. Il la frappa avec force, trop terrifié pour
ressentir la douleur. Il fallait qu'on le sorte de là!
Il s'arrêta subitement lorsque de la terre, s'écoulant de la
cloison supérieure, tomba sur son visage. Il ne comprenait rien.
Il avait passé la soirée au Jelly Fish, comme d'habitude, et
l'avait quitté un peu ivre, comme souvent... Il écouta
attentivement. Peut-être que tout ceci n'était qu'une blague.
Grangy ou Murray voulaient tester ses réactions.
Non loin de
là, déçu par le silence, Jack brancha la radio. Une chanson
qu'il avait déjà entendu. Avec un refrain rassurant.
If it
makes you happy...
It can't be that bad...
If it makes you happy...
Then why the hell are you so sad?
Hank Jamielson retrouva son énergie et se démena en hurlant.
Presque aussi fort que la chanteuse. Jack aimait que ses clients
laisse libre cours à leur épouvante. C'était si agréable de
voir des gens comme Mr Jamielson souffrir à leur tour... De
bonne humeur, Jack déversa de nouvelles pelletés de terre dans
le trou.
Chapitre I
Washington DC, 18h00. 11 Novembre.
Le fumeur posa le portable sur son bureau et prit une bouffée de
tabac salvatrice. Il ne ralentissait sa consommation de nicotine
que pour parler, et comme d'habitude, Skinner lui avait donné du
fil à retordre... Enfin, l'affaire était réglée : le
département des affaires non classées du FBI irait enquêter du
côté de Longster pour une vague affaire de disparitions. Le
fumeur sourit. Un de ses collègues avait été chargé de
trouver où envoyer Mulder et Scully. Il avait quelques travaux
à effectuer à Washington. La dernière chose dont il avait
besoin, c'était d'avoir les deux agents dans les pattes. Il
plissa les yeux pour mieux voir les volutes s'élever. Dire qu'il
lui avait fallu près de dix minutes pour convaincre Skinner
d'exiler pour un temps double pattes et patachon! Il était
navrant de constater que plus le temps passait, plus ces
trois-là devenaient ennuyeux...
* * *
Banlieue de Longster, Montana. 16h00, 12 Novembre.
Mulder conduisait machinalement. Vu la saison, il s'était
attendu à trouver de la neige, mais il pleuvait des cordes.
Temps qui réduisait considérablement sa vision et son moral. La
radio diffusait des chansons des Supremes, trop sirupeuses à son
goût. Mais elles meublaient le silence plein de reproches de
Scully. En plus de se retrouver dans ce coin perdu sur ordre
exprès de Skinner, il s'était trompé de route à deux
reprises. Il était pourtant familier des circuits aéroport /
poste de Police. De son côté, Scully fixait la première page
du dossier qui les amenait dans la région. Une curieuse affaire
où des repris de justice disparaissaient mystérieusement,
laissant derrière eux quelques symboles indigènes. Détail qui
avait semblé assez pertinents à Skinner pour qu'il juge bon de
les expédier dans ce patelin. Selon ses propres dires, qu'il
s'agisse de poltergeists balayant la ville où d'extraterrestres
jouant avec leurs nerfs, il fallait résoudre cette affaire.
Mettre un terme à cette épuration. Et il ne voulait pas
entendre parler d'embarras à servir la cause des criminels. Ils
avaient une mission à remplir. Point final. Prière de laisser
leurs états d'âme derrière...
Les premiers immeubles de la ville se découpaient enfin à
l'horizon ; Diana Ross narguait maintenant le conducteur avec
"Do You Know Where You Are Going To ?", lorsqu'il fit
une embardée dans le fossé.
- Nom de Dieu! s'exclama Mulder.
Les feuilles du fichier s'éparpillèrent alors que Scully
s'accrochait au tableau de bord.
- Qu'est-ce qui te prend? demanda-t-elle une fois la voiture
arrêtée.
- Je veux bien rencontrer toutes les Suprêmes
sur-le-champ si on ne vient pas de crever!
Mâchoires serrées, il sortit du véhicule. La pluie eut tôt
fait de le tremper. Pensant à ce qui pourrait encore arriver, il
se passa une main dans les cheveux.
Le pneu arrière gauche était à plat.
Il se tourna sur l'autoroute déserte. Avec leur déveine, il
leur faudrait un miracle pour qu'une voiture passe par ici et
accepte de dépanner une splendide Ford Magenta. Il ouvrit le
coffre pour prendre le cric et se mit au travail.
Scully le rejoignit, armée d'un parapluie..
- Ca va aller? demanda-t-elle.
- Il faudra bien, dit-il, jetant dans le fossé le bout de métal
pointu, cause de leur infortune. Mais je me demande ce que tu as
encore fait pour offenser les dieux à ce point...?
Scully était contente qu'il reprenne le dialogue.
- Que penses-tu de cette affaire?
Accroupi, Mulder leva les yeux une fraction de seconde avant de
reprendre sa réparation.
- Pas grand-chose. Cette région n'est pas réputée pour ses
bizarreries. Je n'ai aucune théorie. Rassurant, non?
Dana fit la moue. Si elle n'aimait pas que son collègue profite
de la moindre enquête pour échafauder des théories douteuses,
elle n'appréciait pas non plus qu'il se désintéresse des
affaires qui lui étaient imposées.
- Il y a les symboles trouvés chez les premières victimes,
continua-t-elle. Ces ronds et ces flèches sur des supports en
pierre...
- Des Shurigas, expliqua mollement Mulder. Des tablettes
sacrées, dessinées par les Aborigènes d'Australie. Elles sont
censées représenter une menace de mort. Je n'en sais pas plus,
Skinner ne m'en n'a pas laissé le temps. S'il avait pu nous
parachuter ici, il l'aurait fait. Et tu vois, c'est ça qui
m'agace le plus.
Scully ne releva pas l'allusion. Son esprit avait fait tilt :
Symon, un des noms mentionnés dans le dossier, était d'origine
australienne.
Longster, centre ville, 17h16
Brenda Hagen s'était réfugiée dans le petit bar situé en face
du poste de police. D'abord, parce qu'il continuait de pleuvoir
et ensuite, parce que c'était un endroit stratégique pour voir
qui entrait au poste. Dire qu'il y avait quelques années son
goût de la justice l'avait poussée à ouvrir une agence de
détective! Chose qui semblait lucrative dans les séries
télévisées, mais qui elle, l'avait ruinée. Maintenant qu'elle
était au service de ceux-là mêmes qui lui avaient mis des
bâtons dans les roues, elle vivait beaucoup mieux. Et c'était
un plaisir de travailler pour Mr Symon. Plus le portefeuille de
ses clients se faisait gros, plus elle se faisait consciencieuse.
Ici, elle avait pour tâche de repérer - et d'éliminer - la ou
les personnes qui décimaient les rangs du redouté Irving Symon.
Une voiture se gara sur le trottoir d'en face. Un grand type qui
avait pris la pluie en sortit, accompagné d'une petite rousse
tenant une mallette. Il s'agissait soit des représentants du FBI
dont elle avait entendu parler, soit de représentants tout
court.
Dès qu'ils eurent disparu à l'intérieur du bâtiment, Brenda
se faufila hors du bar pour laisser un petit cadeau dans leur
Ford. Pourquoi sillonner les quatre coins de la ville si le FBI
pouvait lui mâcher le travail?
Le hall d'entrée était surchauffé, mais trempé comme il
était, Mulder apprécia. Leurs cartes, affichées sur leurs
pardessus, leur permit d'accéder au bureau du maître des lieux,
l'inspecteur Lee Weston. Ceci dans la plus grande indifférence.
- On n'a pas fini de rigoler, murmura Mulder pour sa collègue.
Au moment où Weston ouvrait la porte, un brouhaha les arrêta.
Une vague de femmes, habillées très court pour la saison,
traversait la pièce en injuriant tout ce qui bougeait.
- Du calme Mes... dames! cria quelqu'un.
- La faune locale... soupira l'inspecteur. De taille moyenne, il
portait des cheveux courts, une moustache grisonnante et des
lunettes rondes.
- Il y en a de dangereuses dans le lot, commenta Mulder après
deux spécimens particulièrement colorés.
- Vous m'étonnez, je vous signale que ce sont des hommes...
Agents Mulder et Scully, je suppose? demanda-t-il en souriant.
Entrez, on m'a prévenu de votre arrivée.
Le défilé criard disparut par la porte d'entrée, que referma
un homme d'une patience désabusée.
- C'est ton type? se moqua Mulder, se courbant légèrement vers
sa collègue, qu'il avait surprise à regarder l'inconnu.
- Tu es vraiment en forme, répondit-elle, suivant Weston.
L'inspecteur haussa les sourcils en s'asseyant.
- L'affaire qui vous amène est loin de se tasser,
commença-t-il. Mr Symon - notre petit Al Capone à nous, et
employeur du beau monde que vous venez de voir - a signalé une
nouvelle disparition après qu'un dénommé Jamielson n'ait plus
donné signe de vie depuis une semaine. Malheureusement, il est
très difficile de prouver que ces personnes ont véritablement
disparu. Vous comprenez, ils sont victimes de leurs propres modes
de vie.
- Comment ça? demanda Scully.
- Vous croyez que les tueurs, violeurs de tous poils, ont des
agendas remplis, sagement posés près du téléphone? On
n'arrive même pas à trouver des personnes pour parler de leur
emploi du temps. Comment voulez vous avancer dans ces
conditions...
- Il y a pourtant une explication à tout ceci, fit-elle
remarquer sans se démonter.
- Certes, reprit l'inspecteur. Quelqu'un se substitue à la
justice, et vous êtes là pour me relever dans cette enquête.
Tenez, voilà ce qu'on a pu réunir sur la dernière victime
supposée.
Scully prit le dossier et l'ouvrit.
Elle lut que selon les affirmations de Symon et le courrier
laissé dans la boîte aux lettres, Hank Jamielson aurait disparu
il y a neuf jours.
- J'ai pris sur moi de vous réserver deux chambres à l'hôtel
Jefferson, poursuivit Weston. Les dernières encore vacantes
depuis l'arrivée de ces foutus journalistes en quête de
sensationnel. On a pratiquement autant de monde qu'en 76.
- 76? s'enquit Mulder, essayant de se rappeler ce que lui faisait
à cette époque.
- Une télé allemande était venue pour une série de reportages
sur l'abandon des mines. On leur a vendu des tas de tee-shirts de
John Travolta en souvenir de notre beau pays!
- Qu'est-ce que c'est? coupa Scully, soulevant une pochette en
plastique..
Elle contenait quelques cheveux blonds ou blancs, ( difficile à
dire ), alors que le disparu était brun.
- Ah, fit Weston, on a retrouvé ça chez Jamielson. On devrait
avoir le rapport du labo de Great Falls d'ici un jour ou deux,
j'espère... Nous n'avons pas accès à des services aussi
rapides ou pointus qu'au FBI.
- Merci, cela va nous être d'une grande utilité, fit Mulder
pour l'apaiser. Auriez-vous également une liste des principaux
criminels de la ville? Longster n'est pas si grand que ça, et
vous devez avoir vos habitués...
Weston hocha la tête, avec ce petit sourire qui semblait ne
jamais le quitter.
- Je vais vous imprimer ça.
* * *
Au retour des deux agents, Brenda laissa tomber le Theodore
Sturgeon qu'elle lisait.
- Il est tout juste 18h00, commença Mulder. Puisqu'il faut bien
commencer quelque part, on pourrait faire un saut chez l'un des
disparus.
- Si tu veux. Pirelli, 907 Edmond Street, ça te va? C'est le
premier de la liste.
Mulder démarra.
- Tu sais, commença-t-il, parler avec cet inspecteur m'a ouvert
l'esprit. Un flic intègre ferait un suspect idéal.
- Tu soupçonnes Weston?
- Non, pas lui personnellement. J'essaie juste d'imaginer qui
voudrait faire disparaître des criminels...
Tout le monde, pensa Scully. -... Et je ne vois qu'un maniaque de
la justice pour agir ainsi.
- Tu as sans doute raison. On va encore tomber sur un dingue,
soupira Scully.
- C'est mieux que des Extraterrestres, non? Elle sourit.
- Avec un temps pareil, je rêve d'une enquête sur le vaudou
dans les bayous de la Louisianne.
- Je connais ça. En été je fantasme sur l'Himalaya et ses
Yétis.
Dana regarda son partenaire et fut déçue de son air sérieux.
- C'est vous les dingues... chuchota Brenda en suivant le FBI à
distance.
Banlieue de Longster.
Assis sur un matelas proche de la décomposition, Jack leva la
tête vers le bruit qui l'avait fait sursauter. A vivre comme un
reclus, il avait peu d'occasions de voir des gens en chair et en
os et ne se lassait jamais des visites. Il abandonna la lance
qu'il se faisait un devoir de sculpter minutieusement, et observa
les deux silhouettes qu'il distinguait à travers les trous du
plafond. Des gosses qui chahutaient. Ils aimaient bien venir ici.
Ce qu'il appréciait toujours, même s'ils n'étaient plus aussi
assidus que dans le passé. C'étaient eux qui, en référence à
Halloween, lui avaient donné son surnom : Jack. Cela lui
plaisait.
Il observa son ombre, à peine visible, mais noire comme sa
haine. Il savait déjà qui serait sa prochaine victime, et
comment la coincer. Chose qui devenait de plus en plus difficile.
La vermine avait peur et se faisait prudente.
Qu'importe, bientôt il entendrait de nouveau les cris,
ressentirait de façon quasiment physique le désarroi de sa
proie. Tout cela était si doux, si rassurant... Le vacarme du
dessus le ramena à la réalité, à l'ampleur malsaine que son
obsession prenait. Mais il ne pouvait plus s'arrêter, plus
maintenant...
Il retourna calmement dans son antre et aperçut son visage dans
le seul miroir qu'il possédait. Tout était plongé dans
l'obscurité car ses yeux ne supportait pas la lumière. Mais il
distingua parfaitement ses traits crayeux et ses cheveux aussi
blancs que les toiles d'araignées qui décoraient ses murs. Il
aimait à se dire que si la mort avait un visage, elle lui
ressemblerait. Elle était si impassible, si efficace...
Edmond Street, 18h15.
Après l'épreuve d'un ascenseur en panne, les agents se
retrouvèrent dans l'appartement de Pirelli. Tout était
impeccablement rangé, indiquant qu'aucune scène de violence
n'avait eu lieu ici. Mulder commença par le salon, à la
recherche de photos identifiant les amis du locataire, et Scully
par la salle de bain.
Elle revint au bout de dix minutes, munie d'une publicité
vantant les mérites d'une soirée au Blue Jelly Fish. Groupes
Techno, piercing et tatouages à volonté.
Mulder semblait fasciné par une table basse, en grès ocre.
- Une tache douteuse?
- Beaucoup mieux. A quoi ressemble notre cher disparu?
- La trentaine, cheveux noirs frisés, répondit-elle, se
remémorant la photo du casier judiciaire.
Il glissa sa trouvaille dans un sachet en plastique : des cheveux
blonds - ou blancs.
- Intéressant, fit Scully. Et avec l'assistance du labo
d'analyse microscopique de Quantico, nous pourrions faire
l'analyse de toutes les fibres qui se trouvent ici...
- Tu connais le Bureau, il faudrait au moins qu'on attente à la
vie des grands d'Hollywood pour bénéficier d'une telle
technologie.
- On trouvera peut-être l'heureux possesseur de ceci à cet
endroit,alors, ajouta-t-elle, montrant la publicité.
Mulder échangea le dépliant contre son sachet.
- Hum, fit-il, découvrant la photo centrale, qui promettait deux
heures avec des danseuses topless du vendredi au dimanche. Enfin
quelque chose de bien dans cette ville. ( Il regarda sa montre. )
Pourquoi ne pas y faire un tour?
- Pourquoi pas, en effet... répondit Scully l'air maussade.
Hôtel Jefferson, 19h00.
Scully se dirigea vers sa chambre, contrariée. Cette affaire ne
s'annonçait pas plus difficile qu'une autre et ils ne manquaient
pas d'endroits à visiter pour progresser, mais elle ne se
sentait pas à l'aise. Probablement parce qu'ils n'avaient encore
aucune idée de ce qui se passait ici, ou encore parce que Weston
se déchargeait complètement sur eux. Habituellement, lorsque le
FBI descendait en ville, l'accueil s'il était froid, suscitait
la concurrence, pas l'abandon. Cet effet de répulsion devenait
lassant. Le FBI résonnait comme une maladie dangereuse,
empêchant souvent tout contact avec d'autres personnes. Le
Bureau avait son petit monde d'agents, qui sortaient pour ennuyer
le reste de la population. En plus cette fois ils devaient servir
la cause de la pègre. Chaque fois qu'il y avait un sale travail
à faire, c'était pour eux...
La porte grinça et eut du mal à s'ouvrir à cause de la
moquette trop épaisse. Le reste était classique : grand lit,
table minuscule. Décor neutre, bleu pâle. Parfait pour ne pas
se sentir chez soi.
Après s'être rafraîchi et allongé pour se donner l'impression
que sa journée était finie, Mulder descendit au restaurant de
l'hôtel, qu'il trouva plein. Comme leur avait expliqué Weston,
cette affaire de disparitions avait ameuté du monde. Il s'assit
avec bonheur en face de Scully et desserra sa cravate. Le plat
qu'il avait sous le nez n'avait rien d'appétissant - une sorte
de spaghettis Bolognèse - et le visage de Dana reflétait cette
impression. Mais cela n'entamait pas son plaisir d'être assis au
chaud. Lors de leurs enquêtes, ils devaient trop souvent manger
dehors, sur le pouce.
- Qu'as-tu commandé? se renseigna-t-il.
- Je ne sais pas, dit Scully, soulevant quelques pâtes avec son
couteau. Ils appellent cela plat du jour. Tu veux ouvrir une
enquête?
- Pourquoi, tu crois que c'est en avalant ces trucs que les gens
disparaissent?
Scully haussa les épaules, dépitée, et ils commencèrent à
manger en silence. De façon toute relative, puisque la pièce
résonnait des conversations et bruits de couverts. Mulder se
sentit pris dans une routine agréable : manger comme tout le
monde, sans plus penser à rien. Malheureusement, un inconnu ne
tarda pas à venir gâcher son plaisir.
- Ricky Korda, se présenta-t-il, journaliste free-lance. Vous
êtes bien les agents du FBI, n'est ce pas?
Mulder et Scully s'essuyèrent la bouche et remarquèrent l'effet
de cette phrase sur la salle. Apparemment, personne ne
s'intéressait à eux.
Korda s'installa à leur table, si près qu'on aurait pu croire
qu'il préparait une conspiration.
- Vous avez trouvé des trucs sur Jamielson? murmura-t-il.
Scully l'observa, pour savoir l'éviter par la suite. Taille
moyenne, la quarantaine, un restant de cheveux échevelés et un
visage enflé par l'excès d'alcool. Après le clan de l'homme à
la cigarette, les journalistes étaient ce qu'il y avait de pire.
- Il est évident que vous n'avez jamais eu à faire au FBI,
dit-elle d'une voix glaciale.
L'homme la regarda, surpris.
- Et vous aux journalistes... J'avais pensé qu'on pourrait
s'échanger des tuyaux.
- Même si nous avions des informations, nous ne sommes pas
habilités à les partager avec la presse, dit Mulder jouant la
même carte antipathique que sa partenaire. Scully n'était pas
de bonne humeur et ce serait pire s'il ne l'épaulait pas.
- Ah, vous me la jouez officielle, reprit Korda. Un peu de
monnaie vous élargirait-il l'esprit?
C'est pas vrai, pensa Scully, il nous graisse la patte!
- Mr Korda, dit-elle posément, vous êtes en train de soudoyer
deux agents fédéraux...
- Je fais mon travail, m'dame, fit Korda sans se démonter.
- De toute façon, nous n'avons rien trouvé, l'interrompit
Mulder.
- Et moi, je suis sûr du contraire. A moins d'être les pires
agents que la Terre ait jamais portés. Or je sais que ce n'est
pas le cas, Mr Mulder. D'ailleurs votre présence ici est des
plus intrigantes...
- La vôtre aussi, rétorqua Mulder. Et je suis convaincu qu'un
bon journaliste comme vous a de meilleures sources d'informations
que nous, ajouta-t-il, se levant pour déloger l'intrus.
Korda finit par l'imiter.
- Désolé de vous avoir dérangé, en ce cas. Si vous préférez
avoir les médias sur le dos...
- Nous voilà tranquille, soupira Scully, du moins pour ce
soir. Je suis étonnée par l'intérêt que suscite cette
histoire. Tu nous imagines tous, flics, FBI, journalistes, en
quête de d'indices qui n'existent pas?
- Allons Scully, un peu de passion. Les Shurigas et les cheveux
vont nous mener quelque part. Et plus tôt on aura trouvé, plus
tôt on rentrera chez nous.
- Tu oublies que ces types sont peut-être à des milliers de
kilomètres d'ici, occupés à se refaire une vie.
- Je sens que tu aimerais être à leur place... Mais il se passe
forcément quelque chose de bizarre, Scully. Tu as certainement
remarqué que si les premiers noms sur la liste sont des
individus dangereux, les derniers, comme Jamielson ne sont que de
petits malfrats.
- Cela ne change rien à ma théorie, contra Dana, pourtant
contente que son collègue s'intéresse à leur affaire.
Mulder préféra ignorer cette remarque et continua :
- Je sens que le magicien qui fait disparaître ce beau monde
voit sa matière première se raréfier, et qu'il commence à
s'attaquer à n'importe qui. Pourvu que la personne soit dans
l'illégalité et facile d'accès...
- Symon prendrait donc trop de précautions pour cet individu?
observa Scully, oubliant pour un temps son scepticisme.
- Exactement. Symon est manifestement le dernier gros poisson en
ville, mais il semble être intouchable. Il doit être aussi
protégé que le pape et recommander à tout son personnel de ne
plus sortir seul, ni de nuit. Conclusion : Il est soit du côté
de l'instigateur, soit du côté des victimes, pour une fois...
Et dans tous les cas ces symboles australiens sont liés à lui.
Blue Jelly Fish, 21h30.
Portant sur leur main le laissez-passer du club : le tampon
baveux d'une méduse, les agents furent englouti dans un décor
que n'aurait pas renié Jacques Cousteau : quatre cages, vides,
surplombaient des tables en forme de coquillage, couleur saumon,
et une mousse sable qui tapissait le sol. Les murs azur,
souffraient la présence d'innombrables créatures : étoiles,
hippocampes, crabes...
La salle était bondée, mais la lumière bleue intermittente, en
effaçant les visages, donnait une impression d'absence. Ambiance
très certainement appréciée des clients, occupés à boire ou
à sautiller sur place, au rythme d'un tempo répétitif, sur une
piste où flashait tout le spectre vert.
Une odeur, sûrement qualifiée de «marine», couronnait le
tout, mais rappelait plus à Mulder l'odeur de ses propres
toilettes.
Ils se dirigèrent vers le bar, affublé d'un dauphin sur toute
sa longueur.
Le barman, de plus près, s'avéra être une serveuse peroxydée
ayant mis ses peintures de guerre : Ricil bleu et rouge à
lèvres écarlate. Ils s'assirent sur de hauts tabourets et lui
firent signe.
Agacée par sa lenteur et par l'atmosphère agressive, Scully
sortit sa carte lorsque la femme se présenta enfin.
La barmaid regarda froidement l'agent, évitant soigneusement de
porter les yeux sur la carte.
- Qu'est-ce que je vous sers? demanda-t-elle désagréablement,
mâchant un chewing-gum avec force.
- Nous aimerions vous parler, commença Mulder, jugeant que dans
cette cacophonie sa voix porterait mieux que celle de sa
collègue.
- Peux pas, objecta la serveuse, laconique. ( Elle les toisa.
Look BCBG, qui n'avait rien à faire ici. ) J'ai du travail, mon
joli.
- C'est très important, insista Mulder. Nous enquêtons sur la
disparition d'un de vos clients.
Il montra la photo de Pirelli.
- Ah ouais? La serveuse daigna la regarder, mais détourna la
tête à l'appel d'un consommateur, qu'elle partit servir.
- Charmant endroit, dit Scully, qui se sentait stupide perchée
sur le tabouret.
- Charmante Barmaid aussi, compléta Mulder. Blonde... Mais on
dirait que les danseuses ne sont pas encore arrivées.
Scully regardait pensivement la serveuse discuter avec deux
clients, lorsqu'une main sur son épaule la fit se retourner.
- Je vous offre un verre Mademoiselle?
Dana écarquilla les yeux. Costume cravate impeccable, ...il
s'agissait d'une femme.
- Je ne crois pas, non, dit-elle en se retournant vers Mulder.
Elle fut accueillie par le sourire moqueur auquel elle
s'attendait. Mais son collègue eut la bonté de ne pas en
rajouter.
Il rappela la serveuse, avec plus d'énergie.
- Deux Whisky-Cola, s'il vous plaît.
- Alors comme ça, le FBI se déplace pour un péquenot qui
aurait disparu? critiqua-t-elle en les servant.
- Ce n'est malheureusement pas le premier, poursuivit Mulder.
C'est pourquoi nous désirons parler à quelqu'un qui connaissait
ce Pirelli.
La femme regarda la salle, puis reporta son attention sur les
agents.
- Vous devriez voir Geelong, en ce cas, dit-elle, souriant pour
la première fois. Il doit être en loge, porte 111.
- J'ai eu peur que vous me proposiez de rencontrer le Bonhomme
Michelin...plaisanta Mulder pour donner un autre ton à leur
conversation.
La serveuse le regarda d'un air blasé. Les blagues de piliers de
bar la rendaient malade.
Scully descendit de son siège, signifiant à Mulder qu'ils
feraient mieux d'y aller.
Les coulisses étaient l'inverse de l'endroit qu'ils venaient
de quitter. Sombres, vieillottes, plutôt sales, mais aussi
fraîches et calmes. Plus dans le genre de ce qu'ils
connaissaient.
Il n'y avait que deux portes numérotées : la 111 et la 222.
Scully, qui ouvrait la marche, frappa à celle qu'on leur avait
indiqué.
- C'est ouvert! hurla un homme.
- Mr Geelong? demanda-t-elle, pénétrant dans une salle
oblongue, puissamment éclairée et peinte, il y a longtemps, en
mauve.
Trois personnes s'y trouvaient, occupées à se farder devant un
long miroir. Une radio diffusait de la Country, qui pouvait bien
être du Dolly Parton.
L'homme le plus proche de la porte, enveloppé dans une épaisse
robe de chambre pourpre, digne d'un double rideau, s'éloigna
vers le fond de la salle.
- Hé, Gee, up! It's for you! cria-t-il.
L'interpellé, uniquement vêtu d'un pantalon à carreaux verts
et rouges, avec un maquillage incongru et de petits cheveux
blancs plaqués en arrière, se retourna. Les agents
échangèrent un regard. Il s'agissait probablement du type
qu'ils avaient vu chez Weston.
- Mr Geelong? répéta Mulder.
- Cela dépend de ce que vous lui voulez, dit-il, sur la
défensive.
- FBI, cita Scully, exhibant sa carte. Nous enquêtons sur les
disparitions qui affectent cette ville. Peut-être pourrions nous
parler dans un endroit plus calme?
Geelong se leva nonchalamment, comme pour s'approcher d'eux, mais
bondit sur la porte de derrière FBI? Mon oeil! Pourquoi le
Bureau les auraient-il envoyés?
Il traversa la pièce où le club entreposait ses accessoires,
faisant tomber le plus de choses possible derrière lui, et
sortit par la porte donnant sur le couloir. Il avait envisagé de
fuir par les cuisines, là, il aurait trouvé de quoi se changer
et passer inaperçu. Mais la femme lui barrait le chemin,
encadrée des folles, deux fois plus grandes qu'elle.
Il n'avait donc qu'une solution : l'issue de secours, qui le jeta
dehors, dans l'allée nauséabonde où le BJF entreposait les
poubelles et se faisait livrer. Ralentis par le froid, ses
poursuivants eurent tôt fait de le rattraper. L'homme le claqua
contre un container, qui, sur roulettes, bougea de quelques
centimètres, le faisant glisser dans la lie qui recouvrait le
sol à cet endroit.
Il s'essuya les mains avec une grimace, puis les leva. Son
maquillage défait donnait l'impression qu'il venait de se faire
tabasser.
- C'est bon, capitula-t-il, pas la peine de m'estropier, non
plus.
- FBI, répéta Mulder, carte à l'appui. Si vous connaissez un
peu la loi, vous avez tout intérêt à collaborer.
Geelong détailla les cartes, incapable de définir si elles
étaient vraies où non. D'un autre côté, il ne voyait pas
pourquoi Symon utiliserait un quelconque subterfuge...
- Vous n'êtes pas envoyé par Mr Symon alors?
- Non. Allez, rentrez, conseilla Mulder.
Dans le couloir, les Queens avaient disparu, mais les agents
préférèrent l'intimité du vestibule pour parler.
Là Geelong s'empressa d'enfiler la première chemise qu'il
trouva. Un truc en velours vert clinquant. Puis se laissa tomber
sur l'unique chaise de la petite pièce.
- Que voulez vous savoir? fit-il, d'un ton défaitiste.
- Quelles étaient vos relations avec Mr Pirelli? commença
Mulder.
Salaud, pensa Geelong. C'était trop facile de le coincer comme
ça. Il haussa les épaules.
- Je ne sortais pas avec, si vous voulez savoir. Dans la maison,
on est tenu d'être aimable avec la clientèle, et Pirelli venait
tous les soirs.
- Mais vous étiez plus lié avec lui que vos collègues, avança
Scully. Sinon la barmaid nous aurait donné un autre nom.
- Soit, et après? A ce tarif-là, si vous aviez demandé à
parler à n'importe qui, Alicia vous aurait toujours envoyé à
moi.
- Vous êtes bien populaire..., remarqua Mulder. Admettons que
cela soit normal. Expliquez nous alors pourquoi vous avez si peur
de Mr Symon? Vous travaillez pourtant pour lui...
Geelong resta silencieux. Et s'il s'agissait d'un piège?
- Mr Geelong? fit Scully.
Il la regarda, perplexe.
- Je... côtoyais aussi Hank Jamielson, et Symon pense qu'il m'a
révélé une information importante avant de disparaître. Mais
je ne sais rien moi! Ces gars ont pour règle de ne jamais parler
avec les employés. Pourquoi auraient-il fait une exception avec
moi?
Les agents lui lancèrent un regard entendu.
Las de sa situation, Geelong se massa le cou et fuit leur regard
en levant les yeux au plafond. Passait encore de se faire
ridiculiser en présence d'autre hommes, mais devant une femme...
Ils sursautèrent tous lorsque la porte donnant sur la loge
s'ouvrit en grand, laissant apparaître une montagne d'homme, qui
semblait même avoir gominé sa barbe noire.
- Hé Geelong! rugit-il. Tu crois qu'on te paie pour faire des
conversations de salon?! Tu as dix minutes pour ramener tes
fesses!
- 'scusez... bredouilla Geelong en quittant la pièce.
Décidément, aujourd'hui, rien ne lui aurait été épargné.
* * *
De retour vers leur hôtel, les agents discutèrent de leur
entrevue avec Geelong, du fait qu'il donnait plus l'impression
d'être une victime qu'un maniaque. Surtout lorsqu'il eut
complété sa tenue de drag queen : mini jupe jaune et orange,
platform boots gigantesques, et panier en osier pour distribuer
des marshmallows... Pathétique. Mais il n'en restait pas moins
que lui aussi avait un type de cheveux pouvant correspondre à
ceux trouvés dans les appartements...
Tout en conduisant, Brenda Hagen jeta un coup d'oeil à
l'horloge de bord. Minuit pile. Un autre regard dans le rétro
confirma son malaise : elle avait l'air affreuse. Cheveux en
bataille, teint blafard et un maquillage qui ne tenait plus la
route. Elle s'était assoupie en attendant que le FBI sorte de
cette maudite guinguette. Heureusement leurs douces voix
l'avaient réveillée, confirmant que Geelong faisait un suspect
idéal. Mr Symon allait apprécier...
Montgomery Square, 00h20. 12 Novembre.
Gordon Flagg vérifia une nouvelle fois qu'il était impeccable.
Costume trois pièces, Church's aux pieds, cheveux attachés par
un catogan. Depuis que le vieux Symon avait des problèmes avec
ses hommes, ses affaires à lui marchaient du tonnerre. Cela lui
permettait de s'offrir un long week-end à Détroit. Qui sait?
Peut-être que, là-bas il rencontrerait un des gars de Symon? Le
vieux criait haut et fort qu'il s'agissait de disparitions. Mais
lui n'y croyait pas. Ces mecs s'étaient fait la malle, et ça
lui mettait du beurre dans les épinards...
Il enfila son pardessus noir, attrapa sa valise et sortit.
Sa voiture était garée un peu plus haut dans la rue. Il
bougonna. Il faisait extrêmement froid et, dans la soirée, le
sol avait gelé. Il marcha prudemment, le col remonté jusqu'aux
oreilles, lorsqu'il eut l'impression de glisser.
Mais il se rendit vite compte qu'il s'agissait d'autre chose,
bien pire. Un idiot avait retiré une plaque d'égout et il
venait de se casser la gueule dans 20 centimètres d'eau croupie,
deux bons mètres sous la surface de la terre. Il jura. La ville
allait en entendre parler! Il attrapa les premiers barreaux de
l'échelle pour remonter, mais un autre incident vint contrer ses
plans : un violent coup à la nuque, qui le renvoya dans l'eau.
Jack s'approcha de l'individu pour s'assurer qu'il était bien
KO, puis remonta lentement à la surface vérifier si Flagg
n'avait rien laissé derrière lui. Il attrapa sans bruit la
valise et les clefs gisant sur le sol.
Un poids lourd roulant avec difficulté éclaira les zébrures
rouges de son visage, le faisant disparaître encore plus vite de
la surface. Il arborait toujours les couleurs de son clan
lorsqu'il partait en chasse. Il remit la plaque métallique de la
bouche d'égout et balança sa proie sur son dos. Cela n'allait
pas être une partie de plaisir de ramener le morceau chez lui...