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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes equatoriennes

 

Chronique

La panne

Depuis plusieurs mois, j'ai l'impression d'avoir perdu l'élan et l'inspiration qui ont présidé à ce projet de "bouteille à la mer" que constitue ce site, et au maintien cahin-caha d'une présence sur le Web depuis plus de sept ans.

 

Le principal symptôme de cette panne me paraît être le fait que ma dernière chronique remonte à plus d'un an. Or, dans ma vision initiale, la CHRONIQUE était l'axe du site pour deux raisons : les thèmes abordés participaient de ma vie quotidienne dans cette région des Andes et j'y exprimais mes impressions de "gringo" face aux réactions exotiques de ses habitants - qu'ils soient colombiens ou équatoriens - et aux caractéristiques de mon environnement social et naturel. Puis sont venues s'ajouter d'autres aspects complémentaires : l'histoire, les institutions dans les Notes de lecture, l'illustration photographique dans les Albums, les contes de Lunita, etc.

Or, ces deux dimensions - la vie quotidienne et ma position décalée - me paraissaient constituer la raison d'être du site. J'étais un voyageur immobile, et pas un touriste de passage, et mon centre d'intérêt était la vie de tous les jours, la relation avec les êtres qui m'entouraient, et non ce qui attire les vacanciers et les envoyés spéciaux dans un pays.

En réfléchissant aux raisons de cette perte de centre de gravité, j'ai commencé par penser que c'était un effet de l'âge, une certaine lassitude, un rétrécissement de ma capacité à m'intéresser à ce qui m'entoure. Cette impression n'est pas totalement fausse. Par exemple, le choix d'avoir abandonné un 4 x 4 incommode pour une voiture de ville réduit beaucoup, dans un pays andin comme l'Equateur dont le réseau secondaire est en mauvais état, mes possibilités de découverte, notamment des communautés indigènes et de coins de nature encore sauvage.

Puis, il m'est apparu évident que le facteur temps était fondamental pour cette évolution. J'avais bien fait une sorte de bilan trois ans après mon installation, que je n'ai pas reconduit lors des cinq ans. Et voilà que j'ai entamé ma neuvième année de présence en Amérique latine. Je sais bien que je suis - et serai toujours - un gringo, mais tellement intégré à l'espace culturel colombo-équatorien que je ne peux plus honnêtement revendiquer ma différence. Un autre indice d'intégration est mon acceptation inconditionnelle du climat équatorial et son absence de cycles, qui me paraissait au début le comble de l'exotisme, au point que je vis mal l'arrivée de l'automne lors de mon séjour annuel en Europe.

Comme je l'écrivais récemment à l'un de mes correspondants "[...] je ne déplore plus le fait de m'être habitué à côtoyer la misère des autres, mais sans l'insulter par l'exhibition de mon opulence - toute relative, car en Europe, je ne serais aussi qu'un pauvre ! -. J'ai fini par accepter l'expression de cette religiosité superstitieuse parce qu'elle est le seul espoir qui brille dans la vie de la majorité des gens. Ne fréquentant pas les "élites", je m'épargne le spectacle de leur vanité, de leur pauvreté spirituelle et intellectuelle et de leur vide [...]". Mais en fin de compte, comment ne pas reconnaître aussi que je suis devenu complice d'un mode de vie de privilégié, dont je ne peux pas dire qu'il me convient vraiment, mais qui ne me paraît plus ni étrange, ni choquant. Cette complicité ne m'empêche pas évidemment d'exprimer de vigoureuses positions critiques et éthiques par rapport aux dysfonctionnements criants de la société créole, comme le font de nombreux Colombiens et Equatoriens.

J'ai ressenti profondément cette intégration au cours de la très grave crise juridico-politique qu'a traversée l'Equateur entre décembre 2004 et avril 2005, sur le fond de laquelle je ne reviens pas, mais qui m'a mis dans une position ambiguë et a absorbé beaucoup de mon énergie. A cette occasion, j'ai pris conscience d'une forte loyauté envers ce pays et ce peuple, mais sans possibilité de l'exprimer concrètement, d'une part à cause de mon statut d'étranger et d'autre part, parce que les NPP ne constituaient pas un support adéquat pour le faire. Cette situation de crise nationale et personnelle a constitué un facteur supplémentaire de stérilisation de créativité, dont je ne me suis rendu compte qu'après ce que j'ai appelé la révolution d'avril.

Cet état de flottement m'a amené entre janvier et mars 2005 à m'investir dans une tâche, qui m'est rapidement apparue être une impasse : le référencement du site des NPP. De quoi s'agit-il ? De prendre un certain nombre de dispositions pour augmenter la fréquentation d'un site web, de définir une action de marketing, plutôt paradoxale dans le cadre d'un site qui n'a rien à vendre. Le milieu du Web exerce une forte pression en faveur d'une approche concurrentielle et quantitative, qui reflète naturellement les théories économiques dominantes. Je suis convaincu que si je me suis laissé entraîné dans cette opération, c'est précisément en raison de la phase de désorientation, de perte d'une vision claire des objectifs que je traversais alors. Pourtant, je ne cacherai pas que j'ai éprouvé une certaine exaltation le jour où j'ai battu mon record de fréquentation : 576 visiteurs et 2100 pages, le 17 mars 2005, et quand j'ai découvert que mon rang mondial était le 4.316.173ème (sur 100 ou 200 millions de sites ?).

Reste un point essentiel : faut-il continuer et comment ? Il y a au moins deux façons d'aborder la réponse à ces deux questions : du point de vue des utilisateurs du site et du mien. Je suis sûrement le plus mal placé pour m'exprimer au nom de ces utilisateurs, tant ils me paraissent hétérogènes et tant définir leurs besoins me semble être une entreprise hasardeuse. En me contentant de l'opinion de ceux qui prennent la peine de se manifester, ce travail n'est sûrement pas inutile, mais c'est une toute petite minorité.

Pour ma part, je suis tenté par cette métaphore de la bouteille à la mer. Beaucoup de mes correspondants m'ont fait savoir qu'ils avaient trouvé les NPP par hasard. Cela me convient parfaitement : je trouve en effet préférable de laisser au destin une rencontre possible entre ce que j'ai envie d'exprimer et ce que certains internautes ont envie de lire.

Le fond de ma pensée, c'est que j'ai besoin d'échapper à l'institutionnalisation imposée par le poids du site et sa relative notoriété et de m'autoriser à retrouver la liberté d'expression qui m'a enchanté au début de cette expérience de communication : Vive la marginalité !

10 juin 2005


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