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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes

 

Note de lecture :

QUI A LE DROIT DE VIVRE ?

Dans son numéro du 13 avril 2008, le quotidien quiténien "Hoy" a publié une chronique d'Omar Ospina Garcia, intitulée "De l'avortement et de l'hypocrisie" qui fait preuve d'un courage certain, dans un pays où il est tabou de regarder en face la terrible réalité que vivent les femmes équatoriennes confrontées à une grossesse non désirée.

Les constituantes d'Acuerdo Pais sont allées jusqu'à mettre en sourdine leurs revendications concernant les droits sexuels de la femme, dont le droit à l'avortement, pour ne pas gêner le projet présidenciel et mettre en danger l'approbation de la nouvelle constitution.

Dans sa rédaction actuelle, celle-ci permettrait aux défenseurs de la vie à n'importe quel prix, de s'opposer à toute loi qui autoriserait l'avortement, même pour des raisons thérapeutiques.

DE L'AVORTEMENT ET DE L'HYPOCRYSIE

En ce qui concerne l'avortement, il semblerait que nous vivons dans deux pays distincts : l'un, irréel, celui des secteurs ultraconservateurs, dans lequel l'avortement tout simplement n'existe pas. On le nie ou on le cache hypocritement comme si en l'ignorant ou en l'escamotant il disparaîtrait de la conscience de ces âmes angéliques pour lesquelles la négation de la preuve entraîne sa disparition.

Dans ce pays idéal, les adolescentes ne tombent pas enceintes, parce que les relations sexuelles ne commencent pas avant que les jeunes filles se marient en tout bien tout honneur, il n'y a pas de gamines violées par des parents ou des amis, et naturellement, chaque enfant naît dans une famille normale - et toutes le sont - et se voit garantir tout au long sa vie une attention médicale complète et efficace, ainsi qu'une bonne éducation et le bien-être.

Et les mères, évidemment, ne courent jamais de risques inutiles au cours de l'accouchement, parce que celui-ci se déroule dans les meilleures conditions d'asepsie et de contrôle de leur état de santé. Seuls les esprits mal tournés ou les pécheurs peuvent croire que l'avortement puisse exister dans un tel pays. Tous les accouchements se terminent bien et la famille chrétienne, ce pilier de la société, est une famille dans laquelle des grossesses non désirées ne se produisent pas, car tous les pères et mères s'appliquent à avoir le nombre d'enfants que Dieu leur donne.

Mais, contrairement à ce que voudrait ce groupe de personnes, ce pays n'existe pas. Dans l'autre, le pays réel, dans lequel nous nous débattons quotidiennement pour survivre - et il y a des gens qui n'y réussissent pas parce que leur existence est misérable et que leurs efforts ne suffisent pas pour arriver à mener une vie digne d'être vécue -, c'est exactement le contraire qui se produit. Les gamines et les adolescentes sont violées par des copains, des familiers ou des criminels non identifiés, et beaucoup d'entre elles doivent recourir à l'avortement clandestin pour ne pas mettre au monde des êtres qui ne seraient pas aimés parce qu'ils n'ont pas été désirés. Et ceux qui survivront n'auront aucune chance de mener une vie digne et décente. Ici, dans le pays réel, beaucoup de filles bien, lorsqu'elles tombent enceintes à cause d'une imprudence lamentable, vont à l'étranger se faire avorter, dans un hôpital ou une clinique privée, ou y résider assez longtemps pour mener la grossesse à terme dans de bonnes conditions, faire adopter l'enfant ou l'élever comme un neveu aimé. Les autres, celles qui ne sont pas bien, risquent leur vie dans des cliniques clandestines sans hygiène, ni aucune protection.

Il y a des dizaines de milliers de mères qui meurent chaque année à cause d'avortements se déroulant dans ces conditions. Ces mères n'ont pas la moindre importance pour les chrétiens à la bonne conscience habitant l'autre pays, utopique et inexistant, bien qu'elles aient déjà eu d'autres enfants à élever. Mais qu'importe la vie de cette mère pas si bien, puisque le droit à la vie depuis la conception est garanti !

Nota bene : dans le pays réel, l'avortement devrait être considéré par la loi pour ce qu'il est en réalité, un problème de santé publique que l'État devrait prendre en charge afin qu'il soit réalisé dans les meilleures conditions d'hygiène et de respect pour la vie de la mère, l'être qui existe déjà et qui a des obligations familiales à remplir, ainsi que le droit à vivre, elle aussi.

POST-SCRIPTUM :

C'est la troisième fois depuis que je vis en Amérique du sud que j'aborde le thème de l'avortement. C'est peu en raison de la gravité qu'il revêt à mes yeux.

En avril 2001 - il y a juste sept ans -, j'écrivais les lignes suivantes à propos d'un article de la revue Cambio qui condamnait vigoureusement la tentative - avortée, c'est le cas de le dire - de l'Église catholique colombienne de faire interdire la pilule du lendemain, jugée abortive :
"[...] Il me semble important de faire connaître une des rares prises de position écrite, sinon la seule, sur une des plus graves violations des libertés individuelles qu'est la criminalisation de l'avortement. Mon sentiment de déjà vu, déjà lu, déjà entendu se réfère à mon indignation de jadis devant les arguments de mauvaise foi - c'est le cas de le dire - qui avaient déjà accueilli la proposition de loi autorisant l'avortement, présentée par Simone Weil en 1976. Combien de siècles faudra-t-il attendre avant qu'un autre pape s'excuse envers les millions de femmes que cette erreur aura condamnées à la stérilité ou à la mort ?"

En décembre 2004, en pleine nuit néolibérale, c'est un article de la revue bimensuelle équatorienne "Vistazo" qui retenait mon attention sur le même sujet, la pilule du lendemain, mais cette fois l'Eglise a obtenu ce qu'elle voulait, son interdiction. Je concluais alors ainsi :
"Ce n'est cependant pas la première fois que l'Eglise, et certains de ses représentants, mentent sciemment pour imposer leurs vues sur le dogme et la vie sociale, sans tenir compte des dommages collatéraux sur les corps et les âmes de ses membres et de ses ouailles, sans tenir compte non plus de ce que pense les fidèles dans leur grande majorité et leur façon concrète d'agir, fort éloignée des préceptes de l'Eglise."

Je n'a pas changé d'avis dans l'Équateur de la révolution citoyenne de 2008, j'éprouve le même sentiment d'indignation et d'impuissance, et aussi la reconnaissance envers un chroniqueur - il n'est pas le seul -, qui a le courage de dénoncer cette curieuse conception du respect de la vie, qui consiste à faire passer une croyance - la vie humaine commence quand l'ovule est fécondé par le spermatozoïde - sans aucun fondement scientifique, avant le droit de toute femme de choisir sa vie et de ne pas la perdre.

Ospina cite le chiffre de dizaines de milliers de décès dus à l'avortement clandestin chaque année. Dans un autre article de du quotidien "El Comercio" (¿Pro Vida? Grace Jaramillo du 24.11.2007), le chiffre avancé était de 15.000 décès d'adolescentes. A vrai dire, personne n'en sait rien, car le manteau d'hypocrisie qui recouvre ce phénomène social interdit de l'évaluer avec précision, et moins encore d'estimer l'ampleur des conséquences qu'il entraîne pour les familles concernées et la société dans son ensemble.

Un régime qui se refuse à traiter ce problème dans le respect des droits de la moitié de la population du pays et s'allie de facto aux secteurs les plus réactionnaires peut-il vraiment s'intituler démocratique et citoyen ? Je ne le pense pas. Et encore moins révolutionnaire. Mais dans une récente conférence de presse, le Mouvement des femmes de l'Equateur ne paraît pas se résigner à un tel déni de justice. Qui va l'emporter dans les calculs électoraux de Rafael Correa ? Les dés ne sont pas encore jetés.

18 avril 2008


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