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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes

 

Note de lecture :

EQUATEUR, PATRIE DE TOUS

Dans son édition du 19 avril 2008, le quotidien Hoy a publié deux chroniques sur le même sujet, l'une intitulée "Actitud sospechosa" (Attitude suspecte) et l'autre, que j'ai choisi de traduire, "Encarcelados por ser negros" (Emprisonnés parce qu'ils sont noirs), car elle est écrite par un membre de la communauté afroéquatorienne, Juan Montaño Escobar, un écrivain et universitaire originaire de la province côtière d'Esmeraldas.

Le titre de cette note n'est pas repris du slogan gouvernemental - La patrie appartient déjà à tous - (cf. Assez, assez) ), c'est celui d'un manuel de civisme destiné aux classes de baccalauréat, dont l'auteur est l'historien réputé, Enrique Ayala Mora (Ecuador patria de todos, Corporacion Editora Nacional, Quito, 2004). Un chapitre de cet ouvrage est consacré aux Afroéquatoriens, dont voici la conclusion :
"Les Afroéquatoriens sont une expression remarquable de la diversité de notre pays. L'Équateur leur a donné peu ou rien, mais, en maintenant leur culture et en réclamant la reconnaissance de leur identité, ils ont réaffirmé leur attachement à un projet national commun. Les positions ethnocentristes sont marginales chez les noirs, pour ne pas dire inexistantes. Ils ont souffert comme personne de l'exploitation et de la discrimination, mais ils sont joyeux. Et cette gaieté se communique à la culture équatorienne, en lui donnant un de ses visages les plus positifs".

Ne serait-ce pas ce trait culturel qui indispose les métis de la Sierra ? Voici les faits. L'autre dimanche, une opération de police s'est déroulée dans le parc La Carolina, le terrain de jeu des habitants de Quito qui n'ont pas les moyens de sortir de la ville. A cette occasion, vingt-trois noirs ont été arrêtés sans aucune raison valable, et ont été maintenus en détention pendant trois jours. Seul délit, courant dans le métro parisien (mais pas seulement là), celui de faciès.

EMPRISONNES PARCE QUILS SONT NOIRS

"Définissez une attitude suspecte". Avec cette demande de clarification conceptuelle, le journaliste d'Ecuavisa [la principale chaîne de télé équatorienne] abrégea un temps interminable de justifications provenant d'autres fonctionnaires gouvernementaux, violateurs habituels [des droits] des Afroéquatoriens, hommes et femmes. Gêné par le micro implacable, ce commissaire trouve la réponse parfaite : "C'est quelque chose de subjectif." Zut alors, selon la logique de ce fonctionnaire du gouvernement (ce n'est pas le seul), croire que toute personne de couleur vraie est un criminel fait partie de l'inconscient collectif d'un secteur de la société équatorienne. Cette croyance prétend excuser le racisme institutionnel et social. Quelle découverte ! Nous autres, les Afroéquatoriens, nous devrions retirer notre argent des banques équatoriennes. Vous savez pour quelle raison. C'est aussi "quelque chose de subjectif". Chaque fois que le président de la République informe le pays sur l'économie, il devrait aussi lire quelques lignes pour savoir si l'âme d'une partie des Équatoriens continue à être pourrie par le racisme. Cela provient de l'éducation sans aucun doute, espérons qu'un de ces jours, Rafael Correa change de ministre et que ces thèmes finissent par arriver dans la salle de classe.

Pour aujourd'hui, il faudra sanctionner les stades [où les joueurs noirs se font insulter], s'aigrir le reste de la semaine quand tu es le seul à être fouillé (expérience vache de ce jazzman), ne pas utiliser les dread locks rasta, parce que sinon le gouvernement te fout au trou pour trois jours ; si tu présentes tes propositions constitutionnelles à l'Assemblée [nationale constituante] de sages gauchistes t'objectent que le "traitement est transversal" et si tu es ministre de la Culture [le premier ministre de la Culture de Correa a été un poète noir], tu es la cible favorite de la corporation de la culture institutionnelle. Ha ! Adaptons une idée de Malcolm X : "Un gouvernement ou un système qui opprime des personnes pour la couleur de leur peau n'est pas moral." Et il recommande : "Tous les Afros et toute la communauté afro de ce pays ont le devoir de protéger leur peuple... contre leurs agresseurs." Et les processus éducatifs ? Voyons, nous avons déjà dit que ce serait pour un autre ministre réellement préoccupé par le "bien vivre" [jargon de la nouvelle constitution pour "vie digne"] des Afroéquatoriens. Qu'est-ce que les enfants équatoriens apprennent sur les ancêtres des enfants afros ? Rien, absolument rien. Le résultat final sera toujours des institutions étatiques soumises à un racisme antiafricain intact.

La diversité dans les médias étatiques ? Sûrement, la supercherie de la "transversalité". Ou alors, la culture afroéquatorienne devra être recherchée dans les recoins de chaque texte ou dans les subjectivités des programmateurs d'Ecuador TV. Le maître percussionniste Lindberg Valencia a exigé sur Ecuavisa que l'on répare l'injustice du parc de La Carolina, mais cela devrait être le début de quoi que ce soit pour mettre fin à ce "quelque chose de subjectif" de la société équatorienne. Je ne sais pas, mais la surveillance tracassière dans les lieux publics affole l'adrénaline de ce jazzman. Par exemple, publions la liste "blanche" des fonctionnaires et des institutions les plus racistes de l'Équateur.

POST-SCRIPTUM

A Ibarra, la Ciudad blanca, la ville blanche (à cause de la couleur des façades des maisons ou de la couleur de la peau de ses habitants ?), l'expression politiquement correcte pour désigner les noirs n'est pas "negro", mais "moreno" (brun), qui normalement devrait aussi désigner les indiens dont l'appellation politiquement correcte est "indigenas" (indigènes). Dans l'émission matinale "Aqui estamos, problemas y soluciones", qui est une des plus écoutées du canton, un des thèmes récurrents des plaintes des maîtresses de maison est le comportement offensant des vendeurs à la sauvette qui semblent le plus souvent être des "morenos".

Pourtant, le canton d'Ibarra comprend une paroisse à dominante afroéquatorienne, le Chota, célèbre pour sa musique (la bomba), son carnaval coangue et ses joueurs de football, qui ont amené l'équipe nationale à participer au Mondial de 2002 pour la première fois de son existence et pour la plus grande fierté du pays tout entier.

A la décharge de la majorité des Équatoriens, il faut préciser que les Afroéquatoriens sont une minorité peu visible par leur nombre : selon le dernier recensement de 2001, ils représenteraient le 2,23 % de la population totale, un pourcentage probablement inférieur à la réalité. En dépit de la cohésion des communautés et du maintien de leurs traditions, la pauvreté est telle qu'elle conduit certains de leurs membres à émigrer vers les centres urbains où, déracinés, ils vont se prolétariser. D'autres arrivent à surmonter ces énormes handicaps. C'est le cas d'un des grands écrivains équatoriens du XXe siècle, Nelson Estupiñan Bass, de sportifs, du ministre déjà mentionné, Antonio Preciado, et, parmi d'autres, de la constituante Mae Montaño, une des voix les respectables de la minorité de l'Assemblée de Montecristi.

Malgré cela, Juan Montaño a probablement raison d'être amer et pessimiste, l'état des choses ne va pas beaucoup changer avec la révolution citoyenne. Aux yeux d'un président obsédé par les échéances électorales, le vote nègre ne pèse pas assez lourd pour que le régime ne fasse quoi que ce soit pour mettre fin à cette injustice. Des articles bien intentionnés dans une Constitution, si progressiste soit elle, ne suffiront pas à modifier des attitudes et des comportements séculaires.

27 avril 2008


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