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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Ande équatoriennes

 

Note de lecture :

La révolution en... cinq axes : révolution constitutionnelle, révolution éthique

C'est la seconde note que je consacre au programme de gouvernement d'Alianza Pais (voir Rêve de pays, pays de rêve. Il est recommandé de lire la première note avant celle-ci.

Le chapitre IV traite des "cinq axes programmatiques pour la transformation radicale de l'Equateur". Il représente plus des deux tiers du total du document. Ces cinq axes ont servi de base à la propagande électorale de la campagne présidentielle de Rafael Correa, mais d'une manière sommaire, se limitant à des slogans et à la mise en évidence des mesures les plus aptes à séduire l'électorat populaire.

Les auteurs du chapitre soulignent son caractère propositionnel et perfectible. Son contenu est fondé sur des éléments recueillis au cours d'un processus participatif dont les résultats ont été analysés, disent-ils, à l'aide d'une méthodologie rigoureuse (techniques de planification, analyse multicritère). Le but recherché était de fournir des solutions concrètes et réalisables aux problèmes rencontrés par la population, mais le processus lui-même est également important en tant qu'expérience d'une nouvelle manière de concevoir la démocratie.

Ce chapitre contient également sept encadrés, insérés dans trois des axes, qui commencent tous par le terme "Dale" (vas-y ou donne-lui) : donne-lui du travail, du crédit, de l'environnement, du logement, de éducation, de la santé, du développement. Ces textes doublent la rédaction assez formelle du texte initial, en fournissant des données plus concrètes, souvent chiffrées, qui résument les promesses, offertes par le candidat Correa au cours du second tour de l'élection présidentielle.

L'essentiel des campagnes électorales en Equateur, hors de ce qui se passe dans les médias, qui ne concerne qu'une petite fraction de l'électorat, se déroulent sur le terrain, dans les quartiers populaires ou les communautés rurales, qui représentent le plus gros de la population. Cela consiste en une caravane de véhicules, principalement des camionnettes, sur le pont desquelles s'entassent le candidat et ses assistants et, derrière la camionnette-amiral, un nombre plus ou moins grand de partisans, qui brandissent des drapeaux de couleur (verte pour Alianza Pais) et des panneaux, en chantant ou en criant des slogans. Cette coutume électorale explique l'origine de l'expression "subirse a la camioneta" dans le sens d'adhérer ou de soutenir une cause ou un personnage.

On distribue des cadeaux, le plus souvent des casquettes ou des t-shirts publicitaires. Les plus hardi(e)s s'approchent du candidat pour lui serrer la main, lui dire deux mots ou l'embrasser. La caravane s'arrête de temps en temps sur la place du quartier ou du village et le candidat fait un discours musclé. Un des conseillers de Correa a trouvé le slogan "Dale Correa", qui a le double sens de "Vas-y Correa !" ou "Donne-lui une raclée !", par référence à une pratique encore répandue en Amérique du sud qui consiste à fouetter les enfants trop turbulents avec une ceinture en cuir. Sur le pont de sa camionnette, Correa brandissait sa ceinture pour fouetter, non les enfants, mais les corrompus, la partitocratie, etc., et son adversaire, Alvaro Noboa, qui, lui, distribuait des fauteuils roulants aux infirmes et des ordinateurs à l'école du coin, à côté d'autres menus cadeaux.

Avant de refermer cette parenthèse, je signale que je n'ai retenu du contenu de ces encadrés que les données chiffrées les plus importantes.

Il me reste à préciser que ce chapitre IV est hétéroclite, il résulte d'un collage de plusieurs contributions de personnes non identifiées, mais dont on peut penser qu'elles faisaient partie de l'entourage direct de Rafael Correa, parmi lesquels plusieurs futurs ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement actuel. J'ai renoncé à tenter d'harmoniser la présentation des différents apports, et me suis contenté de réduire au minimum les considérations doctrinales ou idéologiques, déjà présentées dans le chapitre I du document, pour me concentrer sur les propositions.

Voici un résumé des axes 1. Révolution constitutionnelle et démocratique et 2. Révolution éthique : combat frontal contre la corruption, accompagné, chaque fois que cela me paraît nécessaire, de mes commentaires.

AXE I : REVOLUTION CONSTITUTIONNELLE ET DEMOCRATIQUE

Cette révolution doit s'effectuer selon deux lignes de travail principales.

1. Réforme politique à travers une Assemblée nationale constituante

Par l'organisation d'une consultation nationale, les électeurs doivent pouvoir se prononcer sur la convocation d'une Assemblée nationale constituante, dotée des pleins pouvoirs.

Les conditions de la convocation de cette assemblée sont définies par un statut électoral spécial, qui prescrit l'équité de genre et intergénérationnelle, la nécessité de recueillir des signatures de soutien pour toutes les candidatures, y compris celles émanant de partis politiques.

Le but de cette Assemblée est de démocratiser la société par la modification des institutions politiques, par la participation active des citoyens, non seulement à l'élection des députés, mais aussi à la discussion des grands thèmes nationaux, puis à l'application de ce qui aura été décidé. Il faut que la démocratie devienne un exercice normal de la vie politique nationale.

Pour réaliser cette transformation profonde du pays, il convient d'impulser la réforme politique afin d'aller au-delà de la démocratie formelle et construire une démocratie participative radicale, incluante, qui respecte et renforce les droits humains, qui confronte et dépasse le corporatisme et la désinstitutionalisation de l'Etat grâce aux dispositifs suivants :

  • Indépendance et coresponsabilité entre les fonctions de l'Etat
    La fonction judiciaire doit être autonome, indépendante et protégée de l'influence des partis politiques et surtout de celle des groupes économiques.
    La fonction législative doit récupérer la capacité de légiférer, contrôler et représenter les intérêts populaires, hors de l'influence des groupes de pouvoir et de la "partitocratie" liée au pouvoir oligarchique.
    La fonction électorale doit être une instance de justice, et non de représentation des partis.
  • Restructuration et renforcement des organismes de contrôle
    Restructuration des surintendances des banques et des compagnies, des services du Contrôleur général de l'Etat et du Procureur général de l'Etat.
    Création de nouvelles instances de contrôle, par exemple dans le domaine de l'environnement.
  • Restructuration et renforcement des entités de l'Etat
    Il s'agit des entités financières, des ministères et des entreprises publiques, en conformité avec les exigences d'une société moderne, qui requiert efficience et efficacité, et surtout défendre le bien public à court et long terme et favoriser le développement de la société.
  • Révocation du mandat
    Toute fonction publique implique la responsabilité et la reddition de comptes. Il est nécessaire de renforcer les mécanismes qui rendent possible le contrôle des citoyens sur leurs représentants, au moyen de la révocation du mandat de toute autorité élue, y compris le président et le vice-président de la République, qui ne devra pas être un simple énoncé comme maintenant.
  • Participation des citoyens
    Il convient de stimuler, et de créer des mécanismes de participation des citoyens, tels que les budgets participatifs, le contrôle social des travaux publics, la vérification citoyenne.
  • Planification démocratique
    Instauration d'un système local, régional, national de planification participative, bien coordonné et articulé pour la réalisation du projet "le pays dont nous rêvons".
  • Transformation du système électoral
    Les campagnes électorales doivent garantir un accès équitable de la société aux espaces de communication, en établissant non seulement un plafond des dépenses, mais en assurant aussi un minimum à tous les candidats, parmi beaucoup d'autres réformes, qui devront aboutir à un processus de "départitisation" et de "décorporatisation" des instances d'exécution et d'action électorales.
    L'accès équitable devra être appuyé par un comportement éthique et moral des candidats et des fonctionnaires publics ; tous ceux qui se portent candidat ou exercent une fonction publique devront démontrer qu'ils ne sont pas en instance de jugement ou condamnés pour violence de genre, discrimination, non paiement de la pension alimentaire.

COMMENTAIRES

A. Constitution et Constituante

La proposition d'une Assemblée constituante représentait l'une des principales promesses électorales de Rafael Correa. Il s'était engagé à ce que le second décret présidentiel qu'il signerait, concerne la consultation populaire sur la convocation d'une Assemblée constituante. Il a tenu parole, puisque ce décret a été signé le jour même de sa possession en tant que président de la République.

De nombreux Equatoriens pensent que la Constitution actuelle, qui date de 1998, est responsable des énormes difficultés du pays. Cependant, si cette constitution était celle, par exemple, d'un pays du nord de l'Europe, son application ne poserait aucun problème, à part le fait que ce type de constitution, bavarde et explicite, est contraire à l'esprit constitutionnel, qui vise avant tout à jeter les bases du pacte fondamental qui unit les citoyens d'une nation, mais non à préciser les détails qui règlent leur vie commune (c'est pour cette seule raison que j'ai voté contre la constitution européenne !). Cette impression erronée vient sans doute de ce que les difficultés du pays se sont encore accrues, peu après qu'elle est entrée en vigueur.

Pourtant, sa première partie, qui définit les droits humains, individuels et collectifs, des habitants est exemplaire, et le pays qu'elle dessine ressemble fort à celui rêvé par Alianza Pais. Cette étrange contradiction vient de ce que, soit les lois antérieures n'ont pas été adaptées à la nouvelle constitution, soit les lois ultérieures, votées par le Congrès et entérinées par les présidents successifs, ont trahi systématiquement cette intention.

La partie organique, qui définit les rouages de l'Etat et leur fonctionnement, présente des contradictions, des imprécisions, mais surtout une manière compliquée de régler les rapports entre les trois pouvoirs, qui provient probablement du désir des constituants de 1998 de rééquilibrer l'augmentation du pouvoir présidentiel en accordant un certain nombre de prérogatives au pouvoir législatif. Or, aucun des présidents élus depuis la mise en vigueur de la constitution actuelle, n'a disposé d'une majorité, même limitée, au Congrès. Rafael Correa est dans une situation encore plus délicate, puisque, ayant refusé de présenter des candidats au Congrès, une institution qu'il a vigoureusement attaquée pendant toute la campagne, il ne peut compter que sur environ trente députés, plus ou moins proches d'Alianza Pais (sur cent).

Encore une fois, ce n'est pas une situation exceptionnelle pour une démocratie du nord de l'Europe, où, dans un cas semblable, on ne répugne pas à instaurer un gouvernement de coalition. Il en va tout autrement en Equateur.

D'abord parce que presque tous les grands partis équatoriens, depuis le retour à la démocratie en 1979, ne se constituent pas autour d'une idéologie, comme les anciens partis libéral et conservateur qui ont longtemps dominé la vie politique, mais autour d'un leader qui représente un mixte d'intérêts sociaux, économiques et régionaux. Quelques partis ont certes une base idéologique (Mouvement Populaire Démocratique communiste, Parti Socialiste) et/ou se fondent sur un collectif (Pachakutik, bras politique de la Conaie), mais ils sont peu représentés au Congrès (pour les trois partis cités, 10 députés dans le Congrès actuel).

Les partis dominants aujourd'hui, situés à droite, PRIAN (28 députés), Société Patriotique (23 députés), Parti Social Chrétien (13 députés) sont des machines électorales, dont le principal objectif est d'attirer un maximum d'électeurs, et donc de faire élire un maximum de députés au Congrès, afin de favoriser leurs intérêts sectoriels : importateurs, exportateurs, pétroliers, grands producteurs agricoles, grandes entreprises industrielles et commerciales, médias, banques, détenteurs de la dette équatorienne, intermédiaires, etc.

Une autre caractéristique du fonctionnement du Congrès lié au système des partis est la majorité mobile. Les coalitions changent constamment en fonction des thèmes abordés et le soutien à un vote est obtenu par un échange de faveurs, qui concernent en particulier les principaux postes de l'Etat : "Tu me donnes les douanes et je te file le Procureur général de la nation". C'est en général plus compliqué que cet exemple, car il existe des acteurs mineurs qui font parfois dévier les tractations ou basculer une majorité, et l'intrication des intérêts croisés ou des exigences contradictoires est telle qu'elle fait capoter les arrangements. C'est ainsi que le précédent Congrès n'a jamais pu se mettre d'accord en quatre ans sur la nomination d'un nouveau Contrôleur général de la nation, laissant dans ce poste, essentiel pour la lutte contre la corruption publique, un remplaçant sans aucune légitimité.

Une autre critique portée contre la constitution de 1998 est qu'elle est néolibérale. Il est vrai qu'une référence est faite à l'économie sociale de marché, mais il n'y en a qu'une, et, pour le reste, les linéaments du système économique proposé laissent toujours ouverte les solutions à rechercher : le choix entre public et privé doit répondre avant tout à des principes d'efficacité, de solidarité, de durabilité, de qualité, bref, encore une fois, nous ne sommes pas si éloignés du rêve de pays d'Alianza Pais. Par ailleurs, dire que l'Equateur est soumis à un ordre économique néolibéral est une contre-vérité flagrante : le secteur public est surdimensionné, il y a eu peu de privatisations, le rôle de l'Etat reste prépondérant, les subventions absorberont en 2007 le 20 % du budget prévisionnel. La dollarisation n'a pas été une décision inspirée par une référence dogmatique, mais par la panique. Ce qu'il faut incriminer est que cet Etat-là s'est mis au service d'intérêts privés et s'est soumis aux institutions financières multinationales. La Constitution n'a rien à voir dans cette situation, mais bien l'usage détourné qui en a été fait.

Il reste enfin à signaler, que, par un sentiment de remords (?) ou une tentative de dissimulation, les acteurs politiques qui violent le plus l'esprit de la Constitution sont aussi les plus acharnés à démontrer qu'ils la respectent, en proposant des interprétations qui s'appuient uniquement sur sa lettre, lue le plus souvent de manière biaisée. Je ne sais pas s'il y a en Equateur des constitutionnalistes chevronnés, car ils ne se manifestent pas beaucoup. Il est par contre de notoriété publique qu'une telle qualité n'est pas nécessaire pour faire partie du Tribunal constitutionnel, car le Congrès, qui nomme ses membres, peut assez facilement y obtenir une majorité qui soit favorable aux grandes manœuvres de la partitocratie et de l'oligarchie.

C'est dans un tel contexte que Rafael Correa se trouvait après le 15 janvier pour faire passer son projet de consultation sur la convocation de l'Assemblée constituante, car bien que le Congrès ait été renouvelé à 85 %, il a immédiatement repris les magouilles qui caractérisaient le précédent : nomination d'un procureur général de la nation déconsidéré, changements de majorité à vue, manœuvres dilatoires pour retarder une décision sur la consultation pour l'Assemblée constituante, proposition d'augmentation de la rémunération des députés au bout d'une semaine de session.

Pour y faire face, le président avait le choix entre deux stratégies :

  1. La campagne étant terminée, cesser ses attaques contre le Congrès et le Tribunal suprême électoral et tenter de trouver un terrain d'entente avec ces deux acteurs importants afin d'arriver à un large accord national sur l'Assemblée constituante. Une telle stratégie est évidemment contraire à son tempérament de battant et d'autre part,à sa conviction que l'affrontement violent est payant.
  2. S'appuyer sur l'article 1er de la Constitution qui stipule que "la souveraineté réside dans le peuple, dont la volonté est la base de l'autorité", l'article 104.2 qui lui permet d'organiser des consultations sur des questions transcendantales et l'article 171.6 qui lui donne le pouvoir de convoquer des consultations populaires, pour ordonner au Tribunal suprême électoral d'organiser une consultation sur la convocation d'une Assemblée constituante, en court-circuitant le Congrès.

Or, Rafael Correa a choisi de ne pas ignorer le Congrès, tout en continuant à l'attaquer. Il semble avoir cautionné la recherche d'un accord discret, sinon secret, avec la Société patriotique, en contradiction totale avec son engagement de transparence, tout en critiquant durement son président, Lucio Gutierrez. D'autre part, le statut électoral qui accompagne le décret 002 favorise nettement la partitocratie : scrutin de liste, exemption de la récolte de signatures (1 % des inscrits au registre électoral), alors que cette obligation est imposée aux autres organisations de la société civile. Des lacunes importantes sur le mode de scrutin, des dispositions contestables comme le 50 % de constituants de moins de 45 ans, irréalistes comme le financement de la campagne, des erreurs de calcul, des fautes de frappe, donnent l'impression que ce document a été bâclé ou remanié à la va-vite, alors qu'il n'était pas indispensable de le joindre au décret 002, qui est une simple consultation des électeurs sur la convocation d'une Assemblée constituante, en leur demandant de répondre par oui ou par non.

Un second décret présidentiel a apporté des modifications allant dans le sens des demandes des mouvements populaires. On peut se demander si ce qui paraît être des incohérences et des contradictions dans le comportement du président et le fonctionnement de son gouvernement ne sont pas volontaires, résultant d'une stratégie de mystification de l'adversaire pour le confondre et le discréditer : d'un côté, le "méchant" ministre de l'Intérieur qui pactise avec les représentants de la partitocratie, de l'autre, le "gentil" président qui défend les intérêts du peuple, en répondant à sa demande majoritaire : l'assemblée constituante. Mais peut-être n'est-ce que chercher des excuses à un excès de précipitation et un manque de préparation, inquiétants s'ils devaient se reproduire.

Cependant, les ambiguïtés du président ont eu comme effet d'indisposer aussi bien les alliés d'Alianza Pais, qui se sont sentis trahis, que les députés, en particulier ceux opposés à l'Assemblée constituante, qui ont traîné les pieds pour aborder cet objet. Rafael Correa a tenté de regagner le terrain perdu en exhortant ses partisans à descendre dans la rue et à faire pression sur le Congrès. Comme toujours dans ce cas-là, les manifestations prétendument pacifiques dégénèrent et certains ont profité de cette invitation pour régler d'autres comptes. Il en est résulté une période de tensions et de désordres, avec la présence d'une police d'abord indolente devant les débordements, ne sachant pas s'il lui fallait rétablir l'ordre ou obéir à la consigne présidentielle de ne pas maltraiter les manifestants. Ce n'est qu'au bout d'un mois qu'un résultat partiel a été atteint, l'accord du Congrès sur l'organisation de la consultation, sans toutefois que les problèmes soulevés par le statut électoral aient été résolus dans leur totalité. Dans l'intention probable de gêner le président, le Congrès a décidé d'annuler la disposition du 1 % de signatures de soutien, ce qui pourrait déboucher sur la présentation de milliers de candidats à la Constituante, dont rien ne garantirait la représentativité et la compétence à exercer cette fonction, ainsi que sur un blocage du processus électoral.

Il aura fallu un troisième décret présidentiel, le no 148, pour que le Tribunal suprême électoral se décide à donner le feu vert à la consultation, à la suite d'un changement à vue de son président, qui a fait basculer la majorité des sept membres du Tribunal, malgré les consignes de la Société patriotique qu'il était censé représenter. Cela a entraîné une cascade de réactions de la majorité du Congrès pour tenter d'arrêter le train : menace de changer la composition du Tribunal, dépôt d'un recours auprès du Tribunal constitutionnel, menace de jugement politique et destitution du président de la République, tandis qu'une proportion toujours plus grande de la population approuve cette consultation.

L'attitude du président, de ses conseillers et de certains de ses ministres est difficile à comprendre sans faire référence à certaines idiosyncrasies équatoriennes :l'incapacité à négocier et à trouver des solutions de compromis qui ne soient pas de compromission ; l'incapacité à traiter les situations complexes, sans verser dans des solutions compliquées, ou, à l'inverse, simplistes ; la tendance à déconsidérer et décrédibiliser, quand ce n'est pas insulter, ses adversaires afin d'imposer plus facilement son point de vue. Bien que l'on doive reconnaître que la plupart des ministres et hauts fonctionnaires nommés par Rafael Correa soient honnêtes et compétents, tout en manquant d'expérience politique, ce premier mois de gouvernement donne une impression de grande continuité : pugilat entre le président et le Congrès, violence dans les rues, attitudes inconséquentes des décideurs, notamment celles du président qui agit comme s'il était toujours en campagne, plus préoccupé de convaincre que d'instruire. Or, ce dont aurait le plus besoin le peuple équatorien en ce moment n'est pas un propagandiste, mais un guide qui montre le chemin à suivre et les dangers à affronter.

L'importance prise par le thème de la constituante donne à penser que celle-ci va résoudre tous les problèmes du pays, malgré certaines voix autorisées qui s'élèvent pour mettre en garde contre cette illusion. Comme ce thème monopolise le temps du président, la communication gouvernementale et l'attention de l'opinion publique, des problèmes bien plus essentiels pour l'avenir du pays sont, ou semblent laissés, de côté.

La question est en fin de compte de savoir si l'Assemblée constituante sert le bien commun et l'intérêt du pays, auxquels Alianza Pais fait si souvent allusion. Je crains que non. Même si Alianza Pais arrivait à disposer d'une majorité au sein de l'Assemblée, qu'est-ce qui garantit que celle-ci ne va pas fonctionner selon les mêmes modalités que celles du Congrès ? Rien. Est-ce par l'intervention du Saint-Esprit que les pratiques actuelles vont changer d'un seul coup ? Sûrement pas. Les mouvements et organisations qui représentent la société civile seraient-ils authentiquement démocratiques et vertueux ? En aucun cas, comme les partis, les députés, les élus, les juges, les fonctionnaires, les policiers, les militaires, ils sont le reflet d'une société en décomposition, qui a perdu ses repères éthiques. Certes, tous ne sont pas également atteints, mais tous sont contaminés. Peut-être aurais-je dû commencer par cette question, mais de toute manière, c'est un combat d'arrière-garde, la bataille est perdue, car, comme on dit ici, "la Asamblea va, porque va" (l'Assemblée marche, parce qu'elle marche).

B. Le contenu de la réforme politique

Bien que l'on ne puisse qu'être d'accord avec les grandes lignes de cette réforme, elles ne constituent qu'un schéma plutôt sommaire. La récente décision de Rafael Correa de confier aux facultés de droit des principales universités la rédaction d'un avant-projet de constitution me paraît être une excellente initiative, qui pourra peut-être obvier aux risques évoqués ci-dessus.

2. Décentralisation de la gestion de l'Etat

Il convient d'établir un processus résolu de décentralisation, de déconcentration et d'autonomisation correcte. Cette tâche passe par la "déprivatisation" de l'Etat actuel, qui devra être soumis à un processus vigoureux de socialisation. Il ne s'agit pas de promouvoir l'indépendance ou le séparatisme, ni de favoriser des caciquats locaux, mais de défendre l'unité de la nation dans la diversité, grâce à la coexistence interculturelle et interrégionale, respectueuse et solidaire. Il faut renforcer les processus de développement local, en promouvant la réalisation de plans participatifs de développement cantonal, qui sont des mécanismes légitimes et positifs pour construire des processus économiques viables et différenciés, qui, articulés à la stratégie de développement national, amélioreront la production et la productivité et simultanément les conditions de vie de la population. Le développement durable, productif, décentralisé, solidaire et redistributif est la voie, en particulier pour décourager l'émigration.

Le thème de la concentration de l'épargne et de la richesse nationales entre quelques mains, y compris au niveau régional, doit également être pris en considération. La société civile doit s'impliquer activement dans les différents mécanismes de reddition de compte et de prise de décision concernant l'utilisation des fonds publics jusqu'au niveau local. La cohésion sociale et la participation des acteurs sociaux et institutionnels locaux doivent permettre de concrétiser des initiatives et favoriser des processus de transformation originaux, incluants et rentables, revalorisant ce qui est "authentiquement équatorien".

COMMENTAIRES

Là encore, il s'agit de principes avec lesquels on ne peut être que d'accord. Mais les mécanismes qui vont permettre de réalisation cette transformation sont à peine esquissés.

Et la démarche permettant de réaliser cet objectif sur le plan local n'apparaît pas non plus clairement, et notamment quelle instance va en être chargé sur le terrain. Alianza Pais est en train de créer des comités familiaux et vise le nombre de 50.000 pour l'ensemble du pays, chacun démarrant avec dix membres. Guayaquil, par exemple, a été divisée en 380 zones de 1000 maisons et il y aurait 3000 dirigeants de quartiers. Seront-ils chargés d'encadrer la population, de développer sa participation active ? De recruter des manifestants pour faire pression sur les organismes ou les dirigeants récalcitrants ? De faire remonter les besoins des communautés locales, de dénoncer les citoyens réticents ou déviants ? Comment sont-ils financés ? Pour le moment, pas de réponse.

Il se peut du reste que la doctrine et la démarche proposées par Alianza Pais sur la décentralisation contrarient les plans et les actions des pouvoirs locaux et provinciaux, plus proches de la population, qui ont déjà mis en place des procédures participatives, y compris sur les choix et les budgets d'investissements, et qui sont en général moins corrompus que le pouvoir central. Ces autorités locales et régionales pourraient entrer en conflit ouvert avec les gouverneurs, représentants de l'Etat, si ceux-ci reproduisaient l'attitude militante d'Alianza Pais sur ces thèmes.

Enfin, en contradiction avec l'idée générale, défendue ci-dessus, de la recherche d'une structure territoriale rationnelle, Rafael Correa soutient la revendication émise par la péninsule de Santa Elena de se séparer de la province de Guyas, qui inclut Guayaquil, et contre l'avis des dirigeants économiques et politiques de cette ville. La future province de Santa Elena, la 23e, - si toutefois le Congrès ratifie le décret présidentiel -, comprend Salinas, la principale station balnéaire de l'Equateur, et quelques autres, qui constituent le terrain de jeux et de diversion des deux millions d'habitants de Guayaquil. Bien qu'il reconnaisse que cette décision est contraire à sa propre conception de l'organisation de l'Equateur de demain, il estime qu'il ne peut pas s'opposer à la volonté populaire. Comme les habitants de Santo Domingo de los Colorados, la troisième ville du pays, ont décidé par référendum de se séparer de la province de Pichincha dont Quito est la capitale, il y aura probablement une province no 24.

Un comportement aussi erratique ne peut se comprendre qu'en revenant sur ce qui a déjà été dit plus haut sur l'importance de l'Assemblée constituante pour la stratégie politique de Rafael Correa. Depuis sa prise de pouvoir effective, il n'a rien fait d'autre que de rechercher d'abord une majorité lors de la consultation en faveur de la Constituante, qui semble acquise, et surtout la majorité absolue de députés à l'Assemblée constituante, soit la moitié plus un égale soixante-six, et plus si possible, afin de garantir les changements profonds auxquels il aspire pour le pays. Le doublement du bon de développement humain, lui assure, comme nous l'avons vu, la faveur de près de quatre millions d'Equatoriens. Son soutien aux aspirations séparatistes des habitants de la péninsule de Santa Elena et de Santo Domingo lui apporte près d'un million supplémentaire, qui naturellement ne sont pas tous des électeurs. Il faut y ajouter une partie des 3.517.600 électeurs qui ont voté pour lui au second tour et de nombreux autres qui auront été convaincus par ses démonstrations véhémentes en faveur du changement lors de nombreuses réunions au cours desquelles le président se mêle à la foule et participe aux fêtes et bals populaires. Il a adapté la pratique des réunions ministérielles décentralisées inventée par Alvaro Uribe, en ajoutant à la partie sérieuse de nombreuses rencontres informelles, il a également repris l'idée de Hugo Chavez d'un contact hebdomadaire direct entre le président et le pays, à travers la radio chaque samedi matin de 10 h à midi.

Ses attaques contre l'oligarchie et la partitocratie enchante les milieux populaires, qui réagissent un peu comme les enfants des matinées quand Guignol bastonne ses compères : en criant de joie. Et les médias équatoriens dont la plupart se spécialisent dans la dénonciation de scandales, vrais ou inventés, se délectent dans les retransmissions des insultes échangées par les protagonistes, sans se rendre compte apparemment qu'ils servent ainsi les intérêts du président, car seule une minorité des Equatoriens est rebutée par ses attitudes populistes.

Grâce à sa ténacité et son inépuisable énergie, grâce à sa stratégie d'enveloppement de ses adversaires, il est donc probable qu'il parviendra à ses fins, sauf si ceux-ci décidaient de mettre fin à la partie en donnant un coup de pied à l'échiquier pour disperser les pièces. On ne peut exclure une telle issue, sans bien voir qui pourrait les aider dans cette entreprise. Car Rafael Correa va aussi faire augmenter les salaires des militaires et des policiers et pourra donc compter sur une certaine reconnaissance des bases. Quant à la haute hiérarchie, elle a été décimée par des mises à la retraite anticipées.

Dans ces conditions, l'instauration des provinces no 23 et 24 pourrait n'être qu'une petite concession temporaire en faveur de la réalisation d'un objectif beaucoup plus vaste. Mais la fin justifie-t-elle vraiment toujours les moyens ?

AXE 2. REVOLUTION ETHIQUE : COMBAT FRONTAL CONTRE LA CORRUPTION

Le fonctionnement satisfaisant d'une société dépend de la confiance mutuelle et de l'utilisation de normes implicites et explicites respectées par l'ensemble de la population. La corruption constitue un obstacle au renforcement de la confiance en l'autre, aussi bien dans la sphère publique que privée. D'où l'engagement d'avoir les mains propres dans la campagne électorale et au gouvernement.

Le combat contre la corruption peut également être envisagé sous l'angle d'une source de financement supplémentaire : on estime en effet à 10 % du budget de la nation [environ dix milliards USD en 2007] le montant des ressources détournées par la corruption, l'évasion fiscale représente 6 fois le montant de la corruption dans le service public, soit 40 % du budget [les comptes ne jouent pas ! Pour un budget de 10 milliards, cela représente 60 %]. La transparence et la reddition de comptes doivent être respectées par les fonctionnaires publics du plus haut niveau, y compris le président de la République.

Voici les mesures destinées à y parvenir.

1. Révocation du mandat présidentiel

Si le président ne respecte pas les engagements qu'il a pris pour obtenir le soutien des électeurs, il sera démis de sa fonction.

2. Garantie de l'application des droits civils et politiques

La planification des politiques publiques, l'exécution des processus de développement local et la réalisation des plans participatifs s'effectueront à travers les structures territoriales (quartier, commune, paroisse, canton), en tant que mécanismes efficaces et effectifs de la gestion des fonds publics ainsi que pour approfondir la démocratie, la transparence et la reddition de comptes, en se basant sur la vision et les principes des droits humains intégraux.

3. Combat radical contre la corruption

L'action se fondera sur la transparence, la participation et la reddition de comptes. Un projet de réforme du Code pénal déterminera des peines plus sévères contre les personnes qui utilisent des fonds ou des informations publics pour s'enrichir. Un service public de lutte contre la corruption sera constitué qui comptera des professionnels bien préparés et bien rémunérés. Les contrôles des services du Contrôleur général de l'Etat, ne seront pas seulement ex post mais préventifs, avec l'appui de la Commission civique du contrôle de la corruption et de toutes les vérification citoyennes nécessaires qui constitueront une sorte de service de contrôle civil. Les services du Contrôleur de l'État devront fournir une amélioration significative de leurs prestations, afin de rattraper le retard de ses interventions, qui varie entre 3 et 6 ans, couvrant à peine 30-40 % des budgets.

4. Etablissement de mécanismes de transparence dans l'administration publique

La reddition de comptes sera obligatoire pour tout fonctionnaire. De nouveaux mécanismes de contrôle aussi bien publics (contrôleurs, surintendances) que civils (vérification citoyenne, contrôleurs sociaux) dans des institutions importantes et exposées à la corruption telles que les impôts, les douanes, les permis d'importation et d'exportation, la production et la distribution de l'énergie électrique, l'industrie pétrolière, les télécommunications, les travaux publics, les budgets des entités étatiques, l'endettement.

5. Création d'un système d'acquisitions publiques

Des systèmes transparents d'achat, de passation de contrats et d'adjudication seront établis pour toutes les institutions et entreprises publiques, à travers un système électronique d'appel d'offres, utilisant la technologie informatique et de l'Internet, et offrant à toute la société équatorienne un plus grand accès à l'information. Comme on publie les appels d'offres publiques, les propositions reçues, les résultats des processus d'appel d'offres, ainsi que les résultats des travaux effectués seront diffusées par le même canal de façon à ce que la collectivité puisse fonctionner comme vérificatrice active de tout le processus. De la même façon, on diffusera d'avance les plans d'acquisition de matériel afin que les producteurs nationaux puissent concourir sur le marché interne.

6. Audit intégral de la dette extérieure et des ressources de l'Etat

La destination de la dette extérieure sera soumise à investigation et celle-ci sera remboursée dans la mesure où elle n'affecte pas les priorités du développement national.

La Commission nationale d'audit de la dette extérieure [créée par le président Palacio] sera consolidée par un renfort de la société civile et sera dotée par le gouvernement d'Alianza Pais d'un cadre juridique solide, qui la rendra indépendante des pouvoirs politique et économique, ainsi que des moyens matériels et du soutien politique nécessaires.

7. Audit des décisions prises par les gouvernements antérieurs

Seront soumises à investigation, toutes les décisions prises par les fonctionnaires publics dans lesquelles existent des indices ou des dénonciations d'enrichissement illicite et de préjudice envers l'Etat équatorien et ses citoyens. Par exemple, la "sucrétisation" de la dette externe, le sauvetage bancaire, la dollarisation de l'économie, les contrats pétroliers contraires à l'intérêt national, le rachat de la dette extérieure et l'émission de bons favorisant les créanciers.

Tous ces efforts, à peine esquissés dans ce point, doivent avoir comme visée de base, la récupération et le forgeage de valeurs permettant de cristalliser une société libre de corruption, comprise comme les abus de pouvoir de la part d'individus ou d'organisations, publiques ou privées, exerçant des activités économiques, politiques, sociales, entrepreneuriales, syndicales, culturelles, sportives dont bénéficie directement ou indirectement une personne ou un groupe de personnes.

COMMENTAIRES

1. Les mains propres au gouvernement

Je suis peut-être sévère, mais, de mon point de vue, je trouve que l'arrangement que le président de la République a conclu avec le président du parti Société Patriotique - qui, bien que récent a adopté tous les comportements corrompus de la partitocratie traditionnelle -, arrangement que l'on peut résumer par : "Tu votes pour l'Assemblée constituante au Congrès et je ne récuse pas ton candidat au poste de Procureur général de la nation", n'est pas éthique.

Pourtant, il ne semble pas avoir influencé ni le niveau de confiance, ni le niveau de popularité accordé à Rafael Correa, qui sont au plus haut, pour les raisons déjà évoquées ci-dessus.

2. Sept mesures contre la corruption

A. La révocation du mandat présidentiel

La révocation du président n'est pas prévue dans l'actuelle Constitution. Seuls sont concernés par cette disposition les maires, les préfets et les députés qui doivent présenter leur plan de travail lorsqu'ils inscrivent leur candidature à ces postes. Les deux motifs de révocation sont les actes de corruption et la non réalisation du dit plan de travail. L'initiative pour la révocation doit réunir les signatures des 30 % des inscrits sur les listes électorales de la circonscription respective.

Par contre, l'article 167.5 de la Constitution actuelle prévoit la destitution du président au moyen du jugement politique. Le 167.4 aurait pu être utilisé contre Abdala Bucaram, déclaré fou par le Congrès en 1997. Jamil Mahuad a été déposé par un coup d'Etat militaire, confirmé par le Congrès pour abandon du pouvoir. Quant à Lucio Gutiérrez, il a été déchu, toujours par le Congrès, pour abandon de poste, selon l'article 167.6.

Il sera certainement utile de revoir les dispositions de la Constitution actuelle sur la procédure de destitution du président. Il semble en particulier nécessaire de ne pas la laisser entre les mains du Congrès, qui pourrait chercher à se débarrasser d'un président encombrant, comme Rafael Correa, par un jugement politique, ainsi que la rumeur en a couru, au plus fort de la dispute au sujet de la consultation pour l'Assemblée constituante.

Ces dispositions pourraient être remplacées par la procédure de révocation du mandat. Mais cette procédure est très peu utilisée, à cause de l'obstacle que représente la collecte d'un nombre relativement élevé de signatures, pour un résultat aléatoire, puisqu'il n'est pas sûr que la majorité des électeurs va suivre les initiants. Probablement aussi parce qu'il est toujours difficile de prouver un acte de corruption majeur, en raison des précautions prises par les intéressés, et encore plus la non réalisation du plan de travail. Celle-ci peut provenir de causes extérieures à l'action des élus. Un exemple éclatant est le prix du baril de pétrole sous la présidence de Jamil Mahuad, qui est descendu à 6,50 USD à la fin de l'année 1998, entraînant successivement la crise bancaire, la dollarisation et la chute du président.

B. Garantie de l'application des droits civils et politiques

La rigueur à tous les niveaux de gouvernement, une planification stricte de l'usage des ressources, un contrôle rigoureux de cet usage, la transparence, sont des conditions favorables pour, non pas la lutte contre la corruption, mais la prévention de la corruption. Que fait-on, quand celle-ci existe, pour l'éradiquer ? Va-t-on remplacer tous les fonctionnaires, les employés, les cadres, les policiers, les juges, etc., soupçonnés d'être corrompus ? Par qui ?

Même si ce principe est juste, il est à moyen et long terme et il ne dit rien sur la manière dont on passe d'une réalité sordide à un état idéal.

C. Combat radical contre la corruption

Ce qui a le plus manqué dans les gouvernements qui ont précédé celui-ci, c'est la volonté politique, le courage de prendre des décisions qui pouvaient affecter des personnes ou des organisations puissantes, parfois en phase avec les options gouvernementales, et donc courir le risque de voir son mandat ou sa carrière politique compromis par cette attitude résolue. Même si la législation anti-corruption est imparfaite et lacunaire, elle offre des possibilités qui n'ont jamais été utilisées jusqu'au bout par les présidents successifs et leurs collaborateurs.

Le mot radical est donc approprié pour montrer la différence entre ce que fera peut-être ce gouvernement et ce que n'ont pas fait les précédents. Changer les articles du Code pénal est un premier pas, mais le second est de s'assurer que le système judiciaire les appliquera avec rigueur, détermination et équanimité, sans tenir compte de la position sociale des accusés. Il s'agit de nouveau d'un changement à 180 º du comportement des acteurs, avec les mêmes questions que celles posées sous B.

La création d'un Secrétariat de lutte contre la corruption, rattaché à la Présidence de la République, fait partie de la panoplie proposée par Alianza Pais. Plutôt que de créer un organisme nouveau, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux renforcer le statut, l'autonomie et les moyens de la Commission de contrôle civique de la corruption dont les propositions de sanction ne sont souvent pas relayées par les services du Contrôleur général ou du Ministère public, les seuls à avoir le pouvoir de les transmettre aux tribunaux.

Le texte qui annonce cette création prévient cette objection en précisant que le Secrétariat coordonnera ses actions avec la Commission et le Contrôleur. Il semble aussi que ses objectifs sont définis de manière plus large puisqu'il ne s'agit pas seulement de détecter les cas de corruption et d'effectuer un suivi, mais aussi de faire des suggestions en matière de politique anticorruption, d'élaborer des stratégies nouvelles pour la détection des cas de corruption et d'approuver les projets de lutte présentés par les organismes publics.

D. Etablissement de mécanismes de transparence dans l'administration publique

Un des principaux obstacles à la transparence dans l'administration et les entreprises publiques est leur caractère vertical et hiérarchique : les ordres, les informations descendent et ce qui remonte du terrain est en général limité à des statistiques dépourvues de caractère qualitatif. Comme personne ne demande de réunir des données sur la corruption, celle-ci n'est à l'évidence jamais mesurée. Il y a de nombreux cas d'exécutants qui se sont vus mis à pied ou sanctionnés pour avoir dénoncé des faits relevant de la corruption. Souvent, par exemple dans la police, les agents de rang inférieur sont obligés par certains de leurs collègues à se livrer à des actes de corruption pour que tout le monde soit également mouillé et ne soit pas tenté de les dénoncer.

Cet objectif de transparence ne peut être atteint que par une transformation profonde du système administratif, antinomique de la culture bureaucratique, séculaire, de ces organisations. Les usagers peuvent aussi jouer un rôle important dans la production de ces informations sur la corruption, à condition que quelqu'un doté de pouvoir à l'intérieur de l'organisation les écoute et sanctionne les comportements déviants.

E. Création d'un système d'acquisitions publiques

C'est une excellente proposition, qui est plus qu'une proposition, puisque ce système d'information a déjà été mis en place au niveau national, mais il est partiel et peu ergonomique.

Comme cela est proposé, il faudra veiller à ce que tout le processus soit porté à la connaissance du public depuis le plan d'acquisition de l'entité pour la période budgétaire en cours jusqu'aux éléments qui ont motivé le choix du fournisseur ou prestataire retenu sur un objet. Même pour une ville moyenne, cela représente une lourde somme de travail administratif, qui ne se justifie que si le contrôle civique est effectif. Et il ne peut l'être qu'à la condition que l'on investisse aussi dans la l'information et la formation du public.

Il faudra également mettre en place des procédures de contestation des décisions d'un organisme public et de dénonciation d'éventuels fraudeurs, plus accessibles qu'une plainte devant un tribunal administratif. Faute de quoi, cet important effort de transparence restera sans effet.

F. Audit intégral de la dette extérieure et des ressources de l'Etat

Rafael Correa a longuement analysé dans son discours de possession du 15 janvier 2007 le thème de la dette extérieure de l'Equateur, et plus généralement de celle des pays en voie de développement. Il a fréquemment fait allusion au concept de dette illégitime et a proposé la création d'un Tribunal international d'arbitrage de la dette souveraine, qui trancherait les conflits entre créanciers et débiteurs de manière impartiale et juste. Cette proposition n'a pas soulevé beaucoup d'intérêt, mais on peut lui faire confiance, il la représentera certainement à une autre occasion.

Ce qui me paraît contestable et inopportun est le ton utilisé pour attaquer les prêteurs, pays ou organisations financières, en laissant sous-entendre que la plupart des dettes sont illégitimes, parce ce sont les plus forts qui les imposent aux plus faibles. Ce sont les annonces tonitruantes du président et de son ministre de l'Economie et des Finances, du genre : "le remboursement de la dette passera après les besoins sociaux, éducatifs et de santé de la population", qui ont plu aux partisans de Correa, mais qui ont donné aux milieux financiers internationaux l'impression que le pays ne respecterait pas ses engagements. Du coup, le risque pays s'est envolé, mais le ministre a déclaré que cela ne l'empêcherait pas de dormir. Ce genre de déclarations provocantes, et plutôt dérisoires, renforce les préjugés à l'étranger sur le côté république bananière de l'Equateur, un pays instable, peu fiable, peu crédible, peu sérieux et bien éloigné de l'image de la "patrie fière et souveraine". Dommage, d'autant plus qu'à l'occasion du premier remboursement de l'année, d'un montant de 135 millions de dollars, le ministre, après avoir annoncé qu'il recourrait au délai de grâce de 30 jours, a fini par payer la totalité de la somme avec un retard de 48 heures.

Le bruit a couru que ces palinodies n'étaient pas gratuites ou dues à l'incompétence du ministre, mais que le but de la manœuvre était de renvoyer un tant soit peu l'ascenseur aux détenteurs vénézuéliens de la dette équatorienne. En effet, quand le risque pays monte fortement, les investisseurs qui détiennent des bons de ce pays cherchent à se protéger contre un éventuel défaut en souscrivant une assurance. Or, les banques vénézuéliennes, qui détiennent des quantités importantes de bons équatoriens, sont aussi les principaux fournisseurs de ce type d'assurance. Une première explication veut que quand le risque pays de l'Equateur monte, ces banques vendent plus d'assurances et gagnent plus d'argent. Une seconde veut que ces mêmes banques ont craint, devant la manifestation résolue de Rafael Correa de déclarer un moratoire sur la dette équatorienne, en suivant l'exemple argentin, que se produise un défaut, lequel entraînerait l'obligation, très coûteuse pour elles, de rembourser les détenteurs d'assurance couvrant les bons équatoriens.

Je suis incapable de dire s'il s'agit d'une hypothèse échevelée, d'une invention destinée à discréditer le président et son gouvernement ou d'une information confidentielle vérace, et quelle explication est la bonne. Si cela était vrai, puisque nous sommes dans le chapitre de la lutte radicale contre la corruption, ne serait-il pas logique que le ministre en question soit immédiatement démis de ses fonctions ?

Cela dit, il me paraît opportun de renforcer les pouvoirs et les moyens de la Commission nationale d'audit de la dette extérieure, qui vient de rendre un premier rapport. Il est important d'asseoir les critiques justifiées contre le système de financement des pays en difficulté sur des données incontestables et complètes afin d'établir avec précision ce que sont des dettes illégitimes, puis de les contester, sinon devant un Tribunal arbitral, au moins devant l'opinion publique internationale.

G. Audit des décisions prises par les gouvernements antérieurs

Autant l'analyse minutieuse de la dette actuelle de l'Equateur me paraît justifiée, autant celle des décisions financières prises par les gouvernements antérieurs me paraît sujette à caution.

Une caractéristique des présidents équatoriens est de faire porter la responsabilité de leurs difficultés initiales à leur(s) prédecesseur(s)- ils ne sont pas les seuls, d'où l'intérêt des gouvernements de coalition ! -. A cet égard, il faut mettre au crédit du président Palacio d'avoir organisé une transmission normale du pouvoir à Rafael Correa, chaque ministre fournissant à son successeur un état des lieux complet afin de faciliter la transition. C'était probablement la première fois que cela arrivait, dans toute l'histoire républicaine de l'Equateur.

Mais les présidents équatoriens vont parfois plus loin en cherchant à nuire le plus qu'ils peuvent à leurs alter ego. C'est par exemple le cas de Lucio Gutierrez, dont toute la stratégie, depuis le succès de son parti aux élections d'octobre 2006, vise à mettre en place un dispositif de vengeance à l'égard d'Alfredo Palacio, qui aurait comploté contre lui pour prendre sa place.

Vu cette caractéristique culturelle qui ne concerne pas seulement les présidents, il est difficile de ne pas penser que cet audit va tourner au règlement de comptes ou à la chasse aux sorcières. Or, ce dont a le moins besoin le pays en ce moment, c'est d'un climat de violence et de confrontation, quelles que soient les responsabilités des acteurs impliqués dans ces malversations, et elles existent. Il est au contraire important de rassembler les Equatoriens autour d'un projet positif, partagé, conduisant à un horizon apaisé et prospère.

Le seul intérêt d'une telle démarche me paraît être la meilleure connaissance de l'histoire du pays, qui peut fournir des enseignements pour les générations actuelles, en profitant du fait que certains acteurs importants de cette période sont encore en vie.

Manque-t-il quelque chose à ce dispositif ?

Oui, il manque la prise en compte que la corruption n'est pas le seul fait de l'administration publique de tous niveaux ou des entreprises privées. Son amour pour le peuple, qui serait vertueux et généreux face à la rapacité des possédants, fait oublier à Rafael Correa que la corruption est un phénomène quotidien qui touche toute la population, du haut en bas de l'échelle sociale. Pour autant, les Equatoriens ne sont pas tous immoraux, pourris jusqu'à la mœlle et vénaux, car la corruption, c'est souvent de l'huile dans les rouages grinçants d'organisations repliées sur leurs normes et sur les carcans dans lesquels ils enferment les redevables ou les usagers. C'est un moyen plus facile et plus rapide de résoudre des problèmes que par la voie normale. Ce ne sont pas des millions de dollars qui sont en jeu. Chez mes voisins, c'est une douzaine d'œufs en cadeau, une invitation à partager un repas, pour obtenir un petit passe-droit, un maigre avantage, que même les plus pauvres peuvent s'offrir, en sacrifiant un "cuy" [cochon d'Inde] ou un poulet.

D'où la nécessité d'une action éducative prolongée - la propagande ne suffit pas - qui puisse s'appuyer sur un exemple venu d'en haut et que semble prêt à donner Rafael Correa, pour convaincre la population que s'ouvre un autre chemin, celui de l'efficacité et du service pour atteindre des buts communs, pour le bien de tous. Mais c'est un long chemin qu'il faudra parcourir.

Il manque également un dispositif relativement discret et anonyme, une ligne rouge pour la dénonciation de faits de corruption, sur le modèle de ce que la police a établi pour la dénonciation du trafic de drogue. Bien sûr, en raison de la culture de la délation, plus destinée à nuire à autrui qu'à résoudre des problèmes, qui existe en Equateur, il convient que ceux qui sont à l'autre bout de la ligne prennent des précautions, tout en protégeant strictement l'anonymat des personnes qui dénoncent. C'est ainsi qu'une dénonciation ne devrait aboutir à une enquête que si l'identité du dénonciateur a été enregistrée et vérifiée. L'opportunité de récompenses monétaires pourrait être envisagée pour des cas importants.

Conclusion : Plus que les intentions et les discours, ce sont les faits qui vont parler

Ma connaissance de l'histoire de l'Equateur est insuffisante pour l'affirmer avec certitude, mais je me demande si, parmi les douze présidents équatoriens de la période du retour à la démocratie, il y en a un seul qui n'a pas fait de la lutte contre la corruption l'une de ses principales promesses électorales.

Plus que cet engagement somme toute banal, ce qui va compter, ce sont les résultats obtenus par le gouvernement de Correa. Et, bien entendu, il faudra plus de six semaines pour les apprécier.

Dans leur ensemble, les mesures préconisées constituent un arsenal respectable pour la lutte contre la corruption. Reste l'essentiel : la volonté politique, le courage, quels que soient les risques encourus pour y parvenir.

Prochainement : La révolution économique et productive.

25 février 2007, complété le 7 mars


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