Nouvelles du Petit Paradis en Equateur
La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes
Note de lecture :Rêve de pays, pays de rêve
Depuis le 26 novembre 2006, l'Equateur est entré dans une période de transition dont nul ne peut prédire l'aboutissement. Ce jour-là, Rafael Correa a été élu président de la République avec 56,67 % des votants contre 43,33 % à son adversaire du second tour, Alvaro Noboa, l'homme le plus riche de l'Equateur (une façon simpliste, quoique globalement juste, de le présenter).
Mais qui est Rafael Correa ? Il y a vingt mois, pas grand monde n'aurait pu répondre à cette question, avant qu'il n'ait été nommé ministre de l'Economie et des Finances. Comme il n'est resté qu'à peine quatre mois dans ce poste, on aurait pu l'oublier aussi facilement que les quatre ou cinq autres qui l'ont suivi au cours des 20 mois qu'a duré le gouvernement intérimaire du président Palacio, s'il n'avait pris une décision, qui a certainement été déterminante pour sa fulgurante ascension : affecter un fond d'excédents pétroliers, destiné au remboursement de la dette publique, au paiement de ce qu'on appelle ici la "dette sociale" : l'éducation, la santé, l'aide sociale. Mesure iconoclaste dans un pays qui s'est toujours plié, au moins en apparence, aux recommandations du Fonds Monétaire International.
Né à Guayaquil il y a 43 ans, d'origine modeste, c'est un militant catholique et un catholique militant - il est contre la légalisation de l'avortement -. Economiste de formation, il a fait une partie de ses études à l'Université de Louvain où il a rencontré son épouse - de nationalité belge, et qui l'est restée -, avec laquelle il a eu trois enfants. Il a passé la plus grande partie de son existence professionnelle dans des postes universitaires d'enseignant ou de direction.
Il est chaleureux, souriant - parfois un peu trop -, direct, franc, sincère. Un "muchacho" comme dit Hugo Chávez, un jeune homme. Il fait en effet beaucoup plus jeune que son âge, non seulement à cause de son apparence physique, mais en raison de son énergie et de son dynamisme juvéniles. Charismatique, il n'a pas encore l'étoffe d'un homme d'Etat, mais il pourrait ne pas tarder à le devenir grâce à son intelligence, sa connaissance des dossiers, sa capacité d'analyse, de synthèse et de vision à long terme. Une de ses grandes faiblesses est liée à son talent pour l'improvisation verbale qui l'amène trop souvent à faire des déclarations excessives, brutales ou maladroites, au moins de l'avis de ceux qu'elles visent. L'adjectif "pendeciero" (querelleur, bagarreur) ou "lenguaraz" (grossier, insolent) est associé ici à ce trait de comportement. Il reste à espérer que cette intempérance, qu'il partage avec deux de ses prédécesseurs malheureux (Bucaram et Gutiérrez), n'est que verbale et non caractérielle, car elle ne sied pas à un homme politique qui se doit représenter dignement son pays et son peuple.
Circonstance exceptionnelle chez un politicien équatorien non indien, il a passé un an à Zumbahua, une communauté indigène du Cotopaxi et a appris des rudiments de quichua - la langue indigène la plus répandue en Equateur -. C'est à cette communauté qu'il est retourné la veille de sa prise de pouvoir, le 14 janvier 2007, pour une cérémonie d'intronisation indigène à laquelle il a invité ses amis Hugo (Chavez) et Evo (Morales). Autre caractéristique rare, il détient un titre de PhD en économie de l'Université de I'llinois. S'il critique avec virulence le système états-unien, c'est donc en connaissance de cause.
Il ressemble passablement au portrait que j'ai tracé de l'homme providentiel qui pourrait faire sortir l'Equateur de son tragique enlisement : "[...] le surgissement d'un acteur du changement, d'un leader national, charismatique, doté de la volonté politique de revenir à l'état de droit et au respect de la Constitution et des lois, capable de s'imposer à un Congrès, même lumpen, dans les cent premiers jours de son mandat, et de trouver un appui populaire authentique pour forcer ce dernier à céder [...]" ("L'Equateur, un Haïti continental").
On a beaucoup rapproché Correa de Chávez et de Morales, principalement pour lui nuire. Il partage certainement avec eux une revendication nationaliste et souverainiste, - en particulier sur le plan de l'appropriation des ressources naturelles -, des positions nettement anti-néolibérales et la même vision de la réunification de l'Amérique latine. Je doute par contre qu'il ait des positions idéologiques aussi marquées, autant sur le plan bolivarien que socialiste, bien qu'il se laisse parfois entraîner à des déclarations qui vont dans ce sens. L'on ne peut d'autre part exclure qu'il durcisse ultérieurement son discours et ses actes face à des adversaires politiques malintentionnés ou sous la pression de certains de ses alliés. Il me semble cependant que la meilleure façon de comprendre les fondements de son action aujourd'hui est de les rapprocher de la doctrine sociale de l'Eglise. Malgré de tels parrains, il faut espérer qu'il saura préserver une ligne de pensée et un style de gouvernement authentiquement démocratiques. Il ne faudra pas attendre longtemps avant de savoir si ce n'est qu'un vœu pieu de ma part.
Correa s'est appuyé pour sa campagne électorale sur un mouvement qui réunit des groupements d'inspiration politique, ethnique, de genre, syndicale, etc. appelée Alianza Pais, pais ayant deux sens : pays et un acronyme Pátria Altiva I Solidaria, patrie fière et solidaire.
Le 22 novembre 2006, quatre jours avant le second tour des élections, Alianza Pais a publié sur Internet un document de 77 pages intitulé Plan de Gobierno de Alianza Pais 2007 - 2011 (plan de gouvernement) sur le site de Rafael Correa, auquel ont contribué de nombreuses personnes et mouvements, recensés à la fin de ce document. Le statut de ce texte n'est pas complètement transparent dans le sens où son ou ses rédacteur(s) ne sont pas identifiés et qu'il n'est pas signé par le candidat à la présidence. On peut cependant présumer que Correa a validé son contenu et se sent engagé par rapport à lui. Par contre, il est spécifié que ce texte est collectif et évolutif : propuesta en construcción colectiva (proposition en construction collective).
Cette démarche est tout à fait inaccoutumée en raison de la présentation de la philosophie du plan, précédant des propositions spécifiques basées sur une analyse de la situation, alors qu'en général c'est la propagande électorale - le plus souvent simpliste et accrocheuse - qui sert de base à la future politique du candidat. Elle est en outre inusuelle par son mode collectif de rédaction et par sa diffusion sur Internet. C'est peut-être les raisons pour lesquelles peu d'allusions sont faites dans les médias à ce document.
Il me semble important de le prendre au sérieux, ce qui aura l'avantage de permettre ultérieurement une évaluation, fondée sur des données objectives, de l'action du nouveau président et de son gouvernement, une pratique quasi-inexistante en Equateur où la reddition de comptes a surtout le caractère d'un exercice de propagande a posteriori.
Je présente dans une première note sur ce texte la traduction du chapitre introductif "El país que soñamos", qui offre une approche générale des changements à opérer. J'assume la responsabilité de la traduction et des commentaires entre [ ] et en italiques, ainsi que de ceux qui suivent le texte. I. Le pays dont nous rêvonsEn route vers la célébration du bicentenaire du processus de l'Indépendance de l'Equateur [le 10 août 2009], nous, qui avons l'esprit jeune et une attitude généreuse, nous proposons une révolution citoyenne pour opérer les changements radicaux que notre pays requiert et dont ont rêvé nos hommes illustres et nos patriotes. Avec la participation civique des campagnes et des villes, nous réaliserons un grand accord national pour offrir des opportunités à tous et à toutes, où primera l'intérêt général sur le particulier et où les citoyens et les citoyennes verront garantis leurs droits à une bonne vie, à prendre part activement à la société et aux décisions qui nous affectent, à une société équitable et solidaire, où l'honnêteté et les mains propres seront la base de la nouvelle démocratie. Nous voulons une patrie fière et souveraine dans laquelle tous et toutes pourront vivre bien et lutter pour ce dont nous avons rêvé pour nous, nos fils et nos filles, et leur descendance, sans devoir émigrer vers d'autres pays, nous éloignant de nos familles et de nos amis. Mais cela, nous ne l'obtiendrons pas par des actions insignifiantes et des doutes. Pour construire cette patrie nouvelle dans la conjoncture actuelle, nous devons faire un grand effort national visant à cristalliser une véritable révolution démocratique. Nous devons construire tout de suite une démocratie radicalement participative. La considération fondamentale pour construire le nouveau pays est d'incorporer toute la population dans la définition de son présent et de son futur. Nous n'acceptons pas que ce soit seulement une fraction de la société qui organise la vie nationale. Cela signifie garantir un accès adéquat à la prise de décision pour tous les habitants du pays et cela passe par l'atteinte d'un niveau de bien-être qui réponde à leurs nécessités de base minimales et à leur intérêt de développement. Cela exige leur conversion en citoyens et citoyennes. Aujourd'hui, ce défi est beaucoup plus difficile et complexe, si l'on considère le processus de globalisation international et l'ouverture de l'économie nationale, ainsi que la crise prolongée qui affecte l'appareil de production. De fait, cet effort entraîne l'établissement d'une nouvelle stratégie de développement. Pour penser un pays différent, nous devons construire un Equateur où se pratiquent les valeurs fondamentales telles que la démocratie, la solidarité, la justice, l'éthique, et particulièrement l'équité dans tous les domaines : social, économique, environnemental, ethnique, de genre, intergénérationnel. C'est seulement à partir de la mise en vigueur de ces valeurs qu'il est possible de penser à une patrie digne et souveraine. Nous sommes un pays composé de peuples et de cosmovisions distincts et divers, mais nous partageons des besoins et des rêves communs. Notre pays se caractérise par des contingents collectifs dont les identités sont différenciées : indigènes, métis, afroéquatoriens, blancs. Cette diversité n'est pas un obstacle, sinon une force, mais, pour qu'elle s'exprime de la meilleure manière, il faut compter sur des mécanismes authentiquement démocratiques. Sur cette voie, il est nécessaire de renforcer les espaces politiques démocratiques et la participation des citoyens ; la présence de la société civile est indispensable, aussi bien que celle de véritables partis politiques capables de recevoir les demandes et les aspirations de la société. Nous requérons des pratiques qui favorisent une interculturalité ["la reconnaissance et le respect mutuel des valeurs ethniques et culturelles. C'est le droit de toute personne, quelle que soit son origine, sa culture, sa langue, ses traditions, sa spiritualité, etc. à être reconnu et respecté comme tel." Ecuador : su realidad 2005-2006] à double sens, qui respecte et valorise l'autre, en même temps qu'il l'intègre avec ses valeurs et ses propositions. C'est à travers ces mécanismes que nous devons aussi créer des stratégies propres et nouvelles de développement équitable et respectant les différences. Pour cristalliser l'Equateur du futur, qui se réalise dans le présent, nous devons récupérer notre passé. Pour y parvenir, il nous faut revaloriser notre histoire dans tous les domaines. Nous devons récupérer et fortifier nos identités, ainsi que les idéaux des leaders de notre indépendance, des luttes prolongées de résistance, des multiples rébellions populaires et civiques. Mais par-dessus tout, nous considérons comme cruciale l'application du principe de diversité culturelle, en prenant en compte la continuité historique des peuples originaires, acteurs fondamentaux de la vie nationale, qui se sont érigés, principalement au cours des deux dernières décades à travers le mouvement indigène, en défenseurs de la démocratie et en digue contre l'avancée déprédatrice du néolibéralisme. Cela nous conduit à remettre en question les fondements du modèle de développement actuel : excluant, marginalisant, inéquitable, raciste, prédateur de l'économie, de la société et de la nature. Jusqu'à aujourd'hui, les rêves des peuples de l'Equateur se sont vus brisés par les gouvernements successifs, par la "partidocratie" [expression qui désigne l'ensemble des partis traditionnels, pour la plupart de droite et d'inspiration néolibérale qui dominent la vie politique depuis des décades], par l'oligarchie et sa recherche démesurée de rentes, et aussi par les exigences étrangères. Tout cela nous a conduit à toucher le fond, nous a amené à nous plonger dans les pires conditions de pauvreté, d'inégalité, de décomposition sociale et de dégradation de l'environnement. Mais ce qu'ils n'ont pas réussi à faire, c'est nous ôter la capacité de rêver, d'oser rêver, pour faire de nos rêves un exercice collectif de libération et de changement radical. Mais il faut aussi reconnaître que nous ont manqué la cohérence historique et l'unité politique ; diviser pour régner, telle a été la stratégie des groupes dominants, qui maintiennent le pays dans ces conditions déplorables. Assumant toutes ces limitations, nous nous sommes convoqués à rêver d'un Equateur différent de l'actuel. C'est pourquoi nous rêvons d'un développement équitable et égalitaire, respectant les spécificités de notre société diverse. Nous rêvons d'un pays aux mains propres, aux comportements publics et privés respectueux de l'éthique, dans lequel règne la transparence de l'information et la reddition de comptes. D'un pays dont la société concrétise le message du Libérateur, Simon Bolivar, qui dit : "Sans l'égalité, toutes les libertés, tous les droits périssent". Nous rêvons d'un pays dans lequel se vit un état social de droit démocratique, qui trace un horizon commun, qui garantit aux citoyens sécurité et justice, avec des institutions de contrôle indépendantes et sans affiliation partisane, une sécurité comprise non seulement comme l'absence de violence criminelle, mais comme la garantie d'une vie sans sursauts provoqués par la désintégration sociale, par le manque de moyens économiques et surtout de travail, par les agressions à la nature ; la sécurité ne doit pas garantir uniquement la propriété, mais aussi le droit à la vie et au travail digne. Etant conscients des éléments de vulnérabilité de l'environnement de notre merveilleux pays, nous croyons qu'il est possible de prévoir beaucoup des menaces existantes, et même que nous sommes capables, quand se produisent des désastres naturels, de les affronter avec des réponses solidaires et immédiates, à longue échéance, à partir de plans de prévention élaborés de manière adéquate et opportune - et pas simplement des rafistolages passagers -. Nous rêvons d'un pays dans lequel se pratique une démocratie délibérative et consensuelle, une démocratie représentative qui approfondit toujours plus ses traits participatifs, grâce à une profonde démocratisation des partis politiques et de toutes les organisations sociales des campagnes et des villes, accompagnée d'une participation active et responsable de tous les individus. Nous rêvons d'un pays dans lequel la vie en commun entre Equatoriens et Equatoriennes s'appuie sur une plateforme solide de droits humains, civils, économiques, sociaux, culturels, environnementaux et sexuels. Un pays dans lequels ces droits humains ne soient pas le point d'arrivée, mais le point de départ. C'est-à-dire un pays qui se pense à partir des droits humains dans tous les domaines, un pays dans lequel les défenseurs de ces droits, hommes ou femmes, ne doivent pas seulement aller mesurer leur non accomplissement dans les prisons, les hôpitaux ou les morgues, mais soient présents et participent activement à la construction de ce pays nouveau, et, bien sûr, à la définition et à l'application des politiques qui le rendront possible. Nous rêvons d'un pays dans lequel l'expérience de la condition pluriculturelle soit une expression permanente autant de la diversité que de la continuité historique qu'implique la pluriculturalité ["le principe qui reconnaît l'existence de peuples et de nationalités au sein de l'Equateur et qui promeut l'interculturalité pour harmoniser leurs relations" op.cit.], comprise comme une construction différenciée de la réalité sociale. Un pays qui a appris à préserver la valeur de la diversité et de la différence, mais qui bannit l'inégalité et l'iniquité. Un pays qui comprenne qu'il est nécessaire de visualiser toutes les inégalités existantes pour pouvoir les combattre activement. Un pays dans lequel les gens vivent plus longtemps et mieux, dans lequel ils peuvent échapper à la morbidité évitable, ils peuvent être bien alimentés, et ils peuvent être capables de lire, écrire, communiquer, participer à des activités artistiques, sportives, littéraires, scientifiques, etc. Nous rêvons d'un pays dans lequel l'Etat soit solidaire, moderne, dont la gestion publique soit efficiente, efficace et décentralisée, dans lequel l'Etat réponde aux exigences d'un processus de développement équilibré des régions, fortifie la démocratie, contribue à la transparence de cette gestion, et surtout tend à renforcer son caractère national. Un pays dans lequel, à partir d'une réorganisation territoriale, démocratique et solidaire, la force de l'Etat et de ses diverses instances nationales et locales, ne se mesure pas par sa grandeur, mais par la qualité et le caractère humain de ses décisions et la profondeur démocratique de leur conception et de leur application. Un pays, en somme, qui a dépassé la bureaucratisation de ses structures et la centralisation de la gestion publique. Nous rêvons d'un pays qui a atteint une intégration adéquate de ses diverses régions, qui a développé également les villes et les campagnes, en respectant leurs spécificités. Un pays qui comprend et s'occupe également de ses villes intermédiaires et petites, accablées actuellement par les diverses manifestations du centralisme gouvernemental et de la concentration de la richesse. Un pays présentant de vigoureux montages fiscaux, productifs et de consommation, ainsi que des liens sectoriels dynamiques, en particulier de l'agriculture avec l'industrie et des activités d'exportation avec le reste de l'économie. Nous rêvons d'un pays basé sur un système politique capable de résoudre les conflits en fonction des intérêts nationaux. Nous rêvons d'un pays fondé sur un système économique et social capable d'entreprendre des défis véritablement nationaux et à longue portée, sur un système juridique stable, indépendant et juste, sur un système législatif qui présente un niveau élevé et élaboré de débat des affaires publiques et un haut niveau de représentativité et de participation, contrôlé en permanence par les électeurs et les électrices, à partir d'une profonde modification du système actuel de représentation politique. Nous rêvons d'un pays doté d'institutions qui engendrent la confiance, qui soient au service du peuple et un objet d'orgueil pour toute la société. Un pays qui a récupéré sa confiance et son estime de soi. Un pays qui soit fier de ses ancêtres et qui intègre activement tous ses peuples dans la construction d'un futur commun. Un pays, qui, en conséquence, ait la capacité de réécrire son histoire à partir de la vision de ses peuples, et qui puisse en être fier et responsable. Nous rêvons d'un pays dans lequel les moyens de communication présentent de manière objective et indépendante les événements nationaux et internationaux, dans lequel l'analyse de la qualité de vie de la société équatorienne soit la première priorité de l'information, dans lequel la dénonciation de la corruption ne soit pas un simple scandale, dans lequel le respect de l'honneur d'autrui soit une pratique courante. Un pays dans lequel la profession de journaliste ne soit pas des plus risquées en raison des diverses formes d'intolérance manifestées par les instances du pouvoir politique et économique. Un pays dans lequel le respect de l'opinion des adversaires, à la dissidence et à la critique soit garanti. Dans ce pays, les privilégiés d'aujourd'hui, dont beaucoup sont à l'origine de la tragédie nationale auront même le droit à la mémoire nostalgique pour se souvenir de leur passé de privilèges sans fin, ce qui ne pourra jamais se répéter. Nous rêvons d'un pays dasn lequel la société coexiste sans violence, pacifiquement et sans armes, dans lequel les forces de l'ordre soient soumises au pouvoir constitué démocratiquement. Les forces armées et de sécurité, dans un état démocratique et républicain seront effectivement sous le contrôle de l'autorité civile, cette situation résultant d'un profond processus de réorganisation structurelle destiné à renforcer les organes armés de l'état. Notre pays ne sera pas un campement belliqueux afin d'agresser ses voisins ou pour intervenir sournoisement dans les guerres civiles de ces voisins [allusion probable à la Colombie et aux effets induits par le Plan Colombia], mais un pays transformé en un campement pour construire la paix jour après jour. Nous ne serons pas les alliés de la guerre, mais de la paix, reprenant à notre compte le message du Mahatma Gandhi selon lequel il n'y a pas un chemin pour la paix, mais c'est la paix qui est le chemin. Nous rêvons d'un pays sans garçons et filles quémandant du pain dans les rues, sans mendiants, dont les personnes âgées s'intègrent activement dans la vie nationale et qui jouissent d'une vieillesse digne et non solitaire. Nous rêvons d'un pays dans lequel les personnes handicapées soient intégrées culturellement et productivement dans la société. Nous rêvons d'un pays dans lequel les prisons ne soient pas des antres pour se perfectionner dans le crime et violer systématiquement les droits humains, mais des espaces de resocialisation. Nous rêvons d'un pays dont les villes soient accueillantes pour les piétons, les cyclistes, les motocyclistes et surtout pour les enfants et les handicapés. Un pays dans lequel tous les types de violence, et en particulier la violence de genre et intergénérationnelle, ne soient pas la nouvelle quotidienne, un pays dans lequel les droits sexuels de tous ses habitants soient aussi des droits humains. Nous rêvons d'un pays dans lequel le racisme, la xénophobie ainsi que l'homophobie n'ait pas leur place. Nous rêvons d'un pays dont l'économie génère la richesse, mais articulée à des processus de redistribution, incluants et solidaires, qui, à leur tour, favorisent un développement durable et surtout humain. Un pays dont les processus économiques s'opposent au modèle d'accumulation de la richesse entre peu de mains, garantissent un système économique basé sur l'équité, la liberté et la solidarité. Un pays dans lequel existe une véritable appropriation de la richesse par les peuples, garantissant le développement équitable de toutes ses régions. Nous rêvons d'un pays dans lequel fonctionnent les marchés, conçus comme des espaces de construction sociale, organisés en fonction des nécessités de l'être humain d'aujourd'hui et de demain. Nous voyons le marché comme un serviteur et non comme un maître. Un pays dans lequel le social ne soit pas une simple béquille destinée à accompagner les déprédations que provoque l'idéologie du marché. Nous voulons débloquer le faux dilemme entre le marché et l'état, nous ne voulons pas d'un marché désincarné qui engendre un processus de concentration de la richesse entre peu de mains, mais nous ne voulons pas non plus d'un état inefficace qui accorde des prébendes et qui transfère les ressources de tous et toutes à des groupes puissants, comme cela est arrivé dans le cas de la "sucrétisation" de la dette extérieure privée [opération initiée sous la présidence de Jaime Hurtado dès 1982, par laquelle l'état convertissait les dettes en dollars des entreprises privées, en sucres, la monnaie équatorienne d'alors, et en assumait en pratique le paiement aux créanciers], dans le cas des processus d'endettement public et dans le cas des faillites bancaires qui ont conduit à une dollarisation non concertée. Nous rêvons d'un pays compétitif, dans le cadre d'une compétitivité systémique et dynamique qui englobe les micros, petits, moyens et grands producteurs et chefs d'entreprises, sans monopoles ni oligopoles privés. Un pays compétitif qui ne fait pas courir de risques à sa population ni à son environnement. Un pays dont la compétitivité authentique, c'est-à-dire celle qui ne détériore pas les conditions sociales et environnementales, soit un moyen, et non une fin, d'obtenir un pays dans lequel règne le plein emploi. Un pays dans lequel les droits des consommateurs et des consommatrices trouvent leur place à travers de solides processus de citoyenneté. Nous rêvons d'un pays dans lequel les propositions rénovées de politique économique prennent en compte l'être humain, cherchent à positionner le producteur et le consommateur, s'occupent autant de la demande que de l'offre, sans biais dogmatiques qui, en définitive, freinent le développement. Pour cristalliser cette nouvelle économie centrée sur les demandes de l'être humain et sur le respect sans restriction de la nature, nous proposons la construction d'un nouveau cadre institutionnel socialement élaboré et partagé. Nous rêvons d'un pays dans lequel les êtres humains vivent en harmonie avec la nature, avec ses plantes, ses animaux, ses rivières et ses lacs, sa mer, son air, ses sols et tous les éléments et esprits qui rendent la vie possible et belle. Un pays dans lequel la mercantilisation déprédatrice de la nature soit impossible, dans lequel l'être humain ne soit rien de plus qu'une partie d'elle et non un facteur de destruction. Nous rêvons d'une société qui célèbre jour après jour la richesse de la vie, sa grande diversité biologique et culturelle, sa nature partagée harmonieusement en tant que base de communautés démocratiques et libres. Un pays qui favorise, à l'intention de ses habitants et de ses visiteurs, ses merveilleuses régions côtières, andines, amazoniennes et insulaires. Nous rêvons d'un pays dans lequel la solidarité, la complémentarité et la réciprocité soient les bases du fonctionnement de la sécurité sociale et des prestations sociales, ainsi que celles apportées à l'éducation et à la santé publiques. Dans le cas de ces deux dernières prestations, nous sommes particulièrement conscients de la nécessité d'intégrer activement les connaissances et les pratiques ancestrales de nos peuples. Un pays dans lequel soit garantie la sécurité des citoyens des villes et des campagnes, les transports publics, les facilités de crédit, et les autres fonctions qui produisent des biens publics ne répondant pas à la loi de l'offre et de la demande, car tous les acteurs de l'économie, ni toutes les relations sociales sont mobilisés par le profit, et parmi ceux qui le font, tous n'ont pas le même pouvoir de négociation. Nous voulons un pays qui instrumente des politiques publiques multiculturelles explicites. Nous rêvons d'un pays qui ait comme moteur de développement l'éducation, la santé, le travail, des activités qui ne seront pas la dernière priorité politique et budgétaire, comme c'est le cas actuellement. Nous rêvons d'un pays dans lequel le tronc de la vie soit enraciné dans les cultures et les traditions de ses peuples, en tant qu'axe pour la construction d'une modernité propre, capable d'incorporer le meilleur de la culture universelle. Un pays dans lequel l'accès aux instruments de communication les plus avancés du moment, comme l'Internet et le téléphone portable par exemple, soit un droit réel. Un pays dans lequel tous ses habitants puissent s'exprimer librement dans les langues nationales, diffusées et étudiées de manière systématique, incluant toutes les langues qui rendent possible une vie commune dynamique et créative sur le plan international. Un pays dans lequel le sport soit une part active de la vie de la société, dans toutes ses étapes, de l'enfance à la vieillesse. Nous rêvons d'un pays qui jouisse de la souveraineté alimentaire, culturelle, énergétique, monétaire dans le cadre de relations internationales de respect mutuel et de coopération. Un pays qui puisse même penser collectivement la construction d'une souveraineté latino-américaine réalisant le rêve de Bolivar, dans le cadre de la construction de la grande patrie, dans lequel priment le respect et la défense des droits des personnes, des communautés, des peuples et des états. Nous rêvons d'un pays joyeux, optimiste, capable de faire des propositions. Un pays dans lequel chacun ait un avenir. Nous rêvons d'un pays dans lequel nous récupérerons le rire [Lenin Moreno, le nouveau vice-président de la République, dirigeait une fondation consacrée à la promotion de l'humour en tant que source de santé et de bien-être émotionnel]. Un pays qui se dépasse et ait un sens pour toutes et tous. Un pays solidaire et engagé envers les souffrances de ses habitants au-dedans et au-dehors de ses frontières, ainsi qu'envers les défis de l'humanité. Un pays qui comprenne son rôle historique, actif dans le concert international. Pour cristalliser ce rêve collectif, nous ne partons pas de zéro. Nous ne proposons pas de suivre des leaders messianiques. La construction d'un nouveau pays n'implique pas la création d'un nouveau régime de domination. C'est une tâche qui vise à amplifier les libertés à partir de toujours plus d'équité dans tous les ordres de la vie. Cela n'est pas une tâche d'experts. C'est matière à discussion et à décision de la société dans son ensemble et de personnes concrètes impliquées dans ce processus de changement. Les gens ne sont pas seulement les bénéficiaires passifs de cet effort, ils seront les porteurs actifs de leur propre émancipation. C'est pourquoi, nous invitons à travailler pour réaliser nos propres processus d'organisation et concevoir nos propres programmes de vie, sans s'en tenir à des messages et à des normes édictées par quelqu'un qui prétend assumer le rôle d'un illuminé [possible allusion à Alvaro Noboa, qui se définit comme un envoyé de Dieu]. Nous ne croyons pas aux leaderships individuels qui conduisent à la constitution de structures verticales et "caudillesques", mais dans des leaderships collectifs s'appuyant sur l'autocritique, la prise collective de décisions, sur le respect des autres opinions et l'humilité. Nous avons la capacité de le faire et de rêver à un monde d'égalité et de liberté pour tous et toutes, qui commencera à être viable à partir du prochain gouvernement. Nous devons comprendre que ce rêve collectif ne sera possible qu'avec l'action collective et unitaire de tous et toutes, et nous devons être conscients que ceux qui luttent séparément seront toujours vaincus ensemble. Il est temps de récupérer l'héritage des rêves de nos forgeurs historiques et de leurs luttes pour les cristalliser. Le Bicentenaire des processus d'indépendance de notre Amérique nous invite à le célébrer en assumant les tâches historiques accumulées et pendantes, en luttant pour notre libération, en construisant nos rêves. COMMENTAIRESJe présente ci-dessous des réactions personnelles à certains contenus ou passages du texte.1. Remarque préalable : une victoire électorale certes, mais relativeDans l'euphorie de la victoire, les partisans d'Alianza País comme Rafael Correa et ses ministres, ont tendance à annexer la totalité de la population équatorienne à leur façon d'envisager l'avenir dans des expressions telles que : le peuple équatorien, les treize millions d'Equatoriens, veulent, réclament, attendent, etc., ceci, cela. C'est une réaction naturelle et très répandue chez les politiciens du monde entier. Certains ont l'habileté de dire que désormais, ils parlent au nom de la nation tout entière, même s'ils ne défendent en réalité que les positions de leurs électeurs. L'avenir dira si c'est la façon de faire de Correa et de son mouvement. Si l'on regarde les résultats de ces élections de plus près, on constate d'abord que Correa a été élu par un peu moins de 6 électeurs sur 10, ce qui est un résultat très honorable dans un temps où les marges se réduisent souvent à un ou deux pour cents - voir le cas récent du Mexique -, ou sont même négatives, comme dans le cas de la première élection de George Bush. Mais si l'on rapporte ce chiffre à celui des inscrits, cette proportion tombe à un peu moins de 4 électeurs sur 10 (en ajoutant les abstentions, les votes nuls et blancs), phénomène d'autant plus frappant que le vote est obligatoire en Equateur et que l'abstention sans raison valable expose les électeurs à des sanctions. A cela s'ajoute le fait qu'une proportion difficile à estimer, mais certainement significative, des électeurs équatoriens n'ont pas voté en faveur de Correa, mais contre son adversaire, afin d'éviter son accession au pouvoir qui aurait été - sans nul doute - une nouvelle catastrophe pour une grande partie de la population. On peut donc affirmer que, pour le moment, la gauche n'est pas majoritaire dans le pays. Dans ces circonstances, le nouveau président devrait avoir la sagesse de chercher avant tout à créer une large adhésion à sa vision du nouvel Equateur plutôt que de l'imposer par la force à la manière d'un Chavez. Cela n'est pas l'avis d'une partie des mouvements qui le soutiennent, lesquels manifestent des positions que l'on pourrait qualifier de revanchardes : la droite a gouverné à sa guise depuis le retour à la démocratie en 1979, maintenant, c'est à notre tour de le faire. 2. Rêver oui, mais raisonnablementCe texte nous présente un pays idéal, comme il n'en existe pas sur terre. En même temps, il nous révèle par défaut sa réalité quotidienne et désespérante. Il a donc une composante utopique qui pourrait être dangereuse, tant les frustrations d'une large partie de la population sont fortes et leurs attentes quasi illimitées. Pour atteindre de tels résultats, il faudrait changer radicalement le fonctionnement économique du pays et mettre fin à des pratiques séculaires comme le gaspillage et la corruption. Il faudrait pouvoir s'opposer à des intérêts sectoriels enkystés dans le tissu social et économique et qui résisteront de toutes leurs forces à la fin de leurs privilèges. Il faudrait en finir aussi avec la tentation de l'armée de se mêler de politique, comme cela a été encore le cas lors de la chute du colonel-président Gutiérrez en avril 2005. Il faudrait aussi changer les comportements individuels, comme je l'ai remarqué dans la note déjà citée (L'Equateur, un Haïti continental), car la corruption n'est pas limitée aux institutions publiques et privées, elle est quotidienne et généralisée, comme le sont les conduites inciviques. L'équilibre n'est pas facile à réaliser entre l'espoir que procure le rêve, "un exercice collectif de libération et de changement radical", et les satisfactions concrètes apportées par des changements réels dans la vie quotidienne de la population. Si le rêve est trop limité ou trop étriqué, il n'est ni mobilisateur, ni dynamisant et c'est pourquoi de nombreux Equatoriens vont le chercher ailleurs, dans des pays développés tels que les Etats-Unis, l'Espagne et l'Italie, sans rien changer à la situation de leur pays d'origine, à part l'équilibre de sa balance des paiement et le maintien de la dollarisation, grâce à l'envoi de fonds à leurs familles. Mais si le rêve est, comme dans le cas de ce texte, un rêve de paradis terrestre, le risque de décevoir les attentes irréalistes d'une grande partie de la population devient énorme. Il faudra certainement des générations pour rapprocher l'Equateur de cet idéal, mais les gens qui souffrent aujourd'hui n'ont plus envie d'attendre aussi longtemps et l'on peut craindre qu'ils ne se lassent et ne se retournent contre Correa et son mouvement, si des résultats rapides ne sont pas atteints dans des domaines tels que le chômage et le sous-emploi, la revalorisation des salaires et des retraites, la qualité de l'éducation et de la santé publiques, la généralisation de la sécurité sociale, le logement social et l'insécurité. Une des erreurs révélées par cet extrait, et d'une façon générale par l'ensemble du document, est de ne pas montrer le caractère progressif des changements et des objectifs à obtenir, de ne pas identifier les étapes de ces changements ou les scénarios probables selon lesquels ils vont se produire. C'est toute l'ambiguïté du mot révolution qui apparaît vingt-huit fois dans le document : il laisse entendre qu'une société peut changer en profondeur dans un espace de temps restreint. Dans la première phrase de son discours de possession, le 15 janvier 2007, Rafael Correa insiste une nouvelle fois sur cette stratégie de changement : une révolution citoyenne consistant en un changement radical, profond et rapide du système politique, économique et social existant. Et pourtant, l'exemple de la résurgence de l'Eglise orthodoxe en Russie, après plus de soixante ans d'un régime athée, démontre la puissance des courants souterrains et profonds d'une société, quels que soient les moyens répressifs utilisés pour en finir avec eux. On pourrait en dire autant du goût pour la propriété privée qui a balayé en quelques années toutes les structures collectives du pays, édifiées au cours des six précédentes décennies. Une révolution imposée - mais ne le sont-elles pas toutes ? - ne modifie que la couche superficielle d'une société. Pour revenir à notre texte, l'idée de construire tout de suite une démocratie radicalement participative me paraît singulièrement irréaliste, comme celle d'incorporer toute la population dans ce processus, comme celle de convertir tous les habitants en citoyens et citoyennes. De tels objectifs seraient utopiques dans un pays de démocratie participative avancée comme la Suisse. Mais en plus, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de les atteindre, car ils ne peuvent l'être que par des processus autoritaires qui violeraient pour le coup les droits humains auxquels il est fait constamment allusion dans ce texte. S'il s'agit vraiment d'ériger un système authentiquement démocratique, de tels changements ne peuvent être obtenus que par des actions éducatives généralisées, à longue échéance, qui doivent laisser la liberté aux individus d'adhérer ou non, de participer ou non, de s'impliquer ou non. Pour un Français marqué par la devise nationale - liberté, égalité, fraternité (=solidarité)-, il est frappant de constater la faible fréquence du mot liberté dans l'ensemble du texte. Il n'apparaît que 23 fois, au singulier ou au pluriel. Or, le droit d'être libre - de choisir sa formation, sa profession, son lieu de vie, son travail, ses déplacements, ses préférences sexuelles, de s'exprimer, de ne pas être d'accord, etc. - me paraît être un droit fondamental, qui ne doit pas, bien sûr, s'exercer aux dépens des autres droits, comme le veut la doctrine néo-libérale. Sans ce droit, on débouche sur des régimes comme ceux des anciennes démocraties populaires, de Cuba et bientôt peut-être, du Venezuela et de la Bolivie. Est-ce de cette démocratie-là dont rêve la majorité du peuple équatorien ? Un autre mot qui me paraît manquer dans ce texte, est celui de pluralisme qui est la coexistence pacifique entre des idéologies et des conceptions différentes. Libertés et pluralisme me semblent être le fondement des démocraties à l'européenne, alors qu'ici, l'accent est mis dans ce texte sur la pluriculturalité, la coexistence pacifique des peuples et groupements de l'Equateur, réunis par une conception commune et unique de la bonne vie. Mais de quelle bonne vie parle-t-on ? Celle des pauvres ? Celle des apparatchiks et fonctionnaires du gouvernement ? Celle de tout le monde ? Voir, à ce sujet, la chronique "Le bien vivre ou le vivre bien ?" 3. Réécrire l'histoire ?J'ai peut-être mal compris ce que les rédacteurs du texte ont voulu dire, mais j'ai été choqué par cette expression, qui rappelle fâcheusement les manipulations et les mensonges de l'histoire officielle de l'Union soviétique : "Un pays, qui [...] ait la capacité de réécrire son histoire à partir de la vision de ses peuples [...]". Je ne pense pas que l'histoire de l'Equateur doive être réécrite, ni même réinterprétée. De nombreux ouvrages ont été édités au cours des vingt dernières années, qui présentent l'histoire équatorienne, certes avec un biais idéologique de gauche, mais en prenant en compte les peuples originaires et en décrivant les conditions sociales et économiques de la population depuis les origines jusqu'à nos jours. La seule déviation gênante me paraît être celle qui touche plus à la communication sociale qu'à l'histoire en tant discipline, que je résumerai de manière parodique par la phrase : "Nos ancêtres les Incas". On peut comprendre que, dans un pays dans lequel l'identité nationale est fragile, la revendication d'avoir appartenu à un empire prestigieux, puisse constituer une raison d'être fier de ces racines-là. Il me semble utile de rappeler que, dans l'espace équatorien, les Incas ont été des envahisseurs qui ont traité les peuples originaires de la manière la plus cruelle qui soit, le génocide culturel, en les déportant hors de leur territoire ancestral pour les soumettre définitivement en coupant leurs racines (mitimacuna), sans renoncer au génocide tout court, puisque plusieurs ethnies andino-équatoriennes ont été impitoyablement massacrées. D'autre part, je vois une certaine contradiction entre la dénonciation véhémente, aujourd'hui, de l'impérialisme américain et la revendication de l'héritage de l'impérialisme inca, qui a, sans doute, respecté l'environnement, mais pas les hommes. Au moins deux peuples originaires équatoriens ont lutté à mort contre l'envahisseur inca : les Caranquis qui ont fini par être vaincus à Yahuarcocha, et les Cañaris, qui se sont alliés aux conquistadors espagnols pour défaire l'Inca. Il faut aussi rappeler que les Incas n'ont occupé qu'une petite partie du territoire du futur Equateur (le tiers environ), et cela pendant seulement soixante ans. Ils n'y ont laissé aucun ouvrage de grande importance, à part le site d'Ingapirca - bien modeste au regard du Machu Picchu -, n'y ayant construit qu'un réseau de routes et de forteresses. A la suite de la division de l'empire inca, qui va entraîner sa chute prochaine, Atahualpa, un des deux derniers Incas, dont la mère était la fille du seigneur de Quito, est né et va résider dans cette région, avant d'être assassiné par Francisco Pizarro. C'est tout. A opposer aux trois siècles de l'occupation espagnole et aux 176 années de vie républicaine. Cela dit, pour revenir aux peuples originaires, actuels et disparus, de l'Equateur, auxquels de fréquentes allusions sont faites dans le texte, il me semble par contre tout à fait opportun de réclamer un approfondissement de leur histoire et de leurs cultures, en entreprenant d'importantes recherches archéologiques et ethnologiques. Le très riche patrimoine archéologique de l'Equateur continue à être pillé impunément par les chercheurs de trésors et les restes des civilisations préincaïques sont dans un état d'abandon total. Quelques titres parmi beaucoup d'autres :
4. Une revendication chimériqueUn autre passage m'a fait bondir : "[...] nous croyons qu'il est possible de prévoir beaucoup des menaces existantes, et même que nous sommes capables, quand se produisent des désastres naturels, de les affronter avec des réponses solidaires et immédiates, à longue échéance, à partir de plans de prévention élaborés de manière adéquate et opportune - et pas simplement des rafistolages passagers -". Je ne sais pas à quelle intention correspondent ces affirmations mensongères, mais des exemples récents démontrent à l'envi le contraire : les inondations saisonnières dues au Niño sur la Côte, jusque dans les banlieues pauvres de Guayaquil, avec, comme conséquence sanitaire, les épidémies de dengue ; l'éruption du Tungurahua, qui a mis en évidence de graves lacunes dans la prévention et dans la rapidité de l'aide apportées à la population touchée. Pour preuve, sauf erreur de ma part, le budget national de la Défense civile s'élevait encore en 2006 à cinquante mille dollars. Il est vrai que dans certaines villes, grandes et moyennes, les insuffisances de la Défense civile sont compensées en partie par le bon niveau des organismes de secours tels que les pompiers, le 911 et la Croix-Rouge, mais je croise les doigts pour qu'une catastrophe majeure ne se produise pas avant que le gouvernement Correa n'ait remédié à cette carence fatale. Bien que je vive depuis cinq ans au pied d'un volcan, assoupi certes, je n'ai jamais été informé, ni la communauté à laquelle j'appartiens, des dangers de ce voisinage, bien qu'une équipe de vulcanologues français ait établi, il y a deux ou trois ans, une carte des risques. 5. Le bicentenaire du premier cri de l'IndépendanceParmi les innombrables tâches qui attendent le nouveau gouvernement, figure le bicentenaire du Primer Grito de la Independencia qui a eu lieu le 10 août 1809 à Quito, laquelle ville porte pour cette raison le surnom de "Luz de América" (lumière de l'Amérique). A part la publicité pour le nouvel aéroport de Quito, qui sera inauguré en 2009, le silence règne sur ce sujet qui me semble pourtant central par rapport au renforcement de l'identité nationale et à la fondation d'un nouvel Equateur. Si l'on excepte les phrases initiale et finale du texte ci-dessus, aucune autre allusion n'est faite dans l'ensemble du document à cet événement, qui devrait être un chantier prioritaire en raison de sa valeur historique et symbolique. Il ne se réfère pas à de mythiques ancêtres incas, mais à des personnages illustres, ceux qui ont jeté autrefois les fondations de la République. LISEZ EGALEMENT......la partie médullaire du document, les cinq axes programmatiques du plan de gouvernement :
23 janvier 2007 |