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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes

 

Note de lecture :

LA RÉVOLUTION CITOYENNE...
SANS CITOYENS

Un des slogans mille fois répété par Rafael Correa, et Alianza Pais, le mouvement qui le soutient, pour décrire le régime actuel est la "révolution citoyenne". Sur sa première page de couverture du nº 176 (17 février 2009), la revue Vanguardia représente une dizaine de personnes dont les traits du visage sont gommés, sous le titre "La révolution sans citoyens".

A l'intérieur, l'article de fond est intitulé "La société civile a cessé de croître" et pose quelques grandes questions : Pourquoi dans la révolution citoyenne le seul qui parle est le président ? Pourquoi les groupes sociaux se sont-ils évanouis ? Correa a-t-il inauguré la révolution citoyenne sans citoyens ?

Comme cet article est long et nécessiterait de nombreux compléments d'information, je ne me propose pas de le traduire, mais plutôt de mettre en exergue ses points essentiels.

1. Avant Correa, il y avait une société civile vigilante

Il y avait des groupes de citoyens qui se mobilisaient, qui marchaient sur le palais présidentiel, qui présentaient leur thématique dans les médias, qui se constituaient en partenaires incommodes du pouvoir politique. Les manifestations de rues ont contribué à la chute de trois présidents, ont créé une instabilité permanente pendant dix ans et ont donné à l'Equateur la réputation d'un pays ingouvernable.

En réalité, plus que la société civile, ce sont des groupes sociaux minoritaires qui ont agi pendant cette période. Certains d'entre eux remontent aux années 1970. Ces groupes s'opposaient à une droite conservatrice, qui les a placés dans une perspective de gauche.

Rafael Correa est issu de cette même mouvance.

2. L'accession de Correa à la présidence a permis à ces groupes d'opposants d'arriver au pouvoir

Cette partie réduite de la société civile qu'on peut qualifier d'organisée est entrée au gouvernement, à l'invitation de Correa, mais tous les groupes n'ont pas franchi le pas. Par exemple, Participación Ciudadana.

3. Ceux qui l'ont fait ont vendu leur droit d'aînesse pour un plat de lentilles

Correa leur a en quelque sorte mis le marché suivant en main : je vous représente, je recueille vos demandes, je les intègre aux structures du pouvoir, mais cela a un coût - vous vous démobilisez -.

4. Ils ont abandonné un concept fort de représentation pour un concept de délégation

On a délégué à un groupe politique - Alianza Pais - des tâches que la société civile elle-même aurait dû accomplir. La société civile est privée d'une ligne d'auto gouvernement, de prise en charge par elle-même (empowerment) et de coresponsabilité dans la gestion des affaires publiques. La société civile a perdu son rôle principal, elle n'a plus la possibilité de s'impliquer dans la gestion gouvernementale.

5. La satisfaction des droits réclamée par ces groupes est entre les mains de l'Etat

Ces droits ont été introduits et amplifiés dans la nouvelle constitution, mais la participation est maintenant une prérogative exclusive de la fonction exécutive : le régime est hyperprésidentialiste.

Les groupes de citoyens n'ont plus à exprimer leurs revendications spécifiques puisque l'Etat les assume désormais. Déjà au cours de l'Assemblée constituante, ils les ont échangées contre un discours macro et de gauche, promu et encouragé par le président. Ils se sont également pliés à la logique idéologique de l'exécutif qui impliquait de serrer les rangs face à la droite.

6. L'Etat s'est converti en agent de changement

Le processus de changement assumé par l'Etat suit une dynamique très différente de celle qu'auraient proposée les citoyens. Les esquisses de construction citoyenne ont été classées.

7. Rafael Correa est un héritier de José Maria Velasco Ibarra (*)

Une fois encore, on délègue à un groupe, conduit par un personnage charismatique et paradigmatique, la construction de la citoyenneté. Ce personnage ne se voit pas comme un sujet politique, mais comme un simple véhicule de ce que lui demande le peuple. Correa emprunte à Velasco les concepts de participation et de mobilisation, qu'il mêle à l'idée d'insurrection, propre à la gauche, pour réaliser ce que la société n'a pas pu faire.

(*) Voici la brève recension que j'ai écrite dans une chronique sur cet homme qui a influencé la vie de l'Equateur pendant 40 ans:
"Sur ses cinq mandats de quatre ans, Velasco n'en a terminé qu'un, ce qui tendrait à montrer qu'il est meilleur candidat que gouvernant. Pire, sa longue carrière politique de caudillo populiste de droite est plus notable par sa fonction de fusible d'un système dominant à deux têtes - bourgeoisie libérale de Guayaquil, propriétaires terriens de la Sierra - que comme constructeur d'un ordre nouveau ou forgeur d'avenir : plus fauteur de désordre que faiseur de patrie."

8. Les deux se réfèrent à un modèle de démocratie sans institutions intermédiaires

Ce modèle ne fait pas confiance aux institutions des démocraties libérales. Le peuple délègue tout le pouvoir au leader charismatique pour qu'il fasse tout pour la société. Mais Correa a encore amélioré le modèle velasquiste en lui donnant une coloration idéologique - le socialisme du XXIe siècle - qu'il n'avait pas dans sa première version.

9. En ce moment, le peuple observe et espère

Les groupes sociaux pensent avoir obtenu l'essentiel, tout en étant critiques de certains aspects du régime : excès verbaux et attitudes autoritaires du président, absence de suivi et de contrôle des contrats publics, de l'action des ministres, abus électoraux, etc.

La question cruciale de l'application des droits obtenus reste ouverte, mais elle n'est pas un objet de débat.

10. La société n'a pas à produire une pensée politique

Elle n'a pas à participer à des débats, car les médias ne sont plus, aux yeux du régime, des médiateurs.

Cependant, les groupes sociaux ont mauvaise conscience. Certains d'entre eux ont de fortes critiques à exprimer contre le régime, mais ils ne les ventilent pas publiquement, car celui-ci a divisé la société entre partisans et opposants.

11. La nouvelle constitution ne repose pas sur un pacte social

Elle ne concrétise pas les règles du jeu politique, mais serait plutôt un programme devant être appliqué. Elle neutralise et dépolitise la société, qui n'a plus rien à faire, puisque tout est déjà écrit. Le rôle de la société se limite à surveiller que les autorités politiques respectent la constitution.

12. Les canaux de participation sont définis dans la constitution

Le thème de la participation est transcendantal dans la constitution, car les articles 85 et 100 définissent que toutes les instances publiques et politiques à tous les niveaux comprendront des processus de participation citoyenne. Cependant, l'incarnation suprême du contrôle citoyen n'est pas entre les mains de la citoyenneté, mais dans celles du cinquième pouvoir, le pouvoir citoyen (après les quatre pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et électoral), représenté par "Consejo de participacion ciudadana y control social", antinomique de ce que devrait être la conception de la participation libre des citoyens dans les affaires publiques.

13. L'Assemblée nationale a perdu la faculté de désigner les organes de contrôle

Cette faculté est confiée dans la nouvelle constitution au Conseil de participation (cf. point 12.), composé de sept personnes, censées représenter la citoyenneté. Le processus de choix de ces sept personnes, et de leurs suppléants, a été mené par deux membres de la Commission législative, issue de l'Assemblée constituante, avec une incompétence telle que certains ont pensé - à tort ou à raison - qu'il s'agissait une fois de plus d'une désignation intéressée de personnes proches d'Alianza Pais ou facilement influençables.

Le débat politique passera de la future Assemblée nationale à ce Conseil peu représentatif, non élu par le peuple, au risque qu'il finisse par se dérouler dans la rue.

14. La contradiction entre les droits définis par la constitution et la manière de gouverner de Correa

La constitution promeut tout un ensemble de droits, ainsi qu'une rhétorique sur la révolution citoyenne, qui sont peu compatibles avec le style de Correa, autoritaire, "caudilliste" et populiste. En Equateur, les secteurs populaires sont enclins à se soumettre à ce type de leadership, et applaudissent le régime sans chercher à distinguer les réussites des échecs. Cette dynamique de domination politique pourrait se maintenir pendant un temps assez long, au vu de précédents tels que Fujimori et Chavez.

15. La dynamique vers une révolution sans citoyens semble irréversible

Le surgissement d'une société indépendante et autonome, capable de dialoguer avec le régime, est improbable. Le président s'est spécialisé dans la fermeture de tous les espaces de dialogue. Il ne veut pas d'un régime perfectible grâce à la contradiction et la polémique. Son modèle centré sur sa personne et la fiction de la participation citoyenne démontre qu'il n'y a aucune volonté politique d'opérer un quelconque virage. La consolidation ou l'implosion du modèle dépendront des effets de la crise mondiale sur l'Equateur.

Les efforts de Correa semblent orientés à perfectionner l'héritage velasquiste qui requiert une haute dose d'esprit messianique pour faire fonctionner une révolution sans citoyens.

COMMENTAIRES

Il faut encore une fois taper sur le clou de la participation citoyenne.

C'est la quatrième fois que j'aborde la question fondamentale pour le régime actuel en Equateur : la participation démocratique des citoyens.

Première contribution

Elle figure dans l'analyse de l'introduction du projet d'Alianza Pais (Pays de rêve, rêve de pays ), au moment même où Rafael Correa s'installait au pouvoir (23 janvier 2007).

Mais d'abord, une courte citation de la partie initiale de ce taxte (les soulignements sont les miens) : "[...] Pour construire cette patrie nouvelle dans la conjoncture actuelle, nous devons faire un grand effort national visant à cristalliser une véritable révolution démocratique. Nous devons construire tout de suite une démocratie radicalement participative. La considération fondamentale pour construire le nouveau pays est d'incorporer toute la population dans la définition de son présent et de son futur. Nous n'acceptons pas que ce soit seulement une fraction de la société qui organise la vie nationale. Cela signifie garantir un accès adéquat à la prise de décision pour tous les habitants du pays et cela passe par l'atteinte d'un niveau de bien-être qui réponde à leurs nécessités de base minimales et à leur intérêt de développement. Cela exige leur conversion en citoyens et citoyennes. [...]"

Peut-on définir d'une manière plus fondamentale l'exigence d'une authentique participation des citoyens pour la fondation d'une société véritablement démocratique ?

J'y opposais toutefois les arguments suivants :
"[...] L'idée de construire tout de suite une démocratie radicalement participative me paraît singulièrement irréaliste, comme celle d'incorporer toute la population dans ce processus, comme celle de convertir tous les habitants en citoyens et citoyennes. De tels objectifs seraient utopiques dans un pays de démocratie participative avancée comme la Suisse. Mais en plus, je ne crois pas qu'il soit souhaitable de les atteindre, car ils ne peuvent l'être que par des processus autoritaires qui violeraient pour le coup les droits humains auxquels il est fait constamment allusion dans ce document.

S'il s'agit vraiment d'ériger un système authentiquement démocratique, de tels changements ne peuvent être obtenus que par des actions éducatives généralisées, à longue échéance, qui doivent laisser la liberté aux individus d'adhérer ou non, de participer ou non, de s'impliquer ou non.

Pour un Français marqué par la devise nationale - liberté, égalité, fraternité (=solidarité) -, il est frappant de constater la faible fréquence du mot liberté dans l'ensemble du texte. Il n'apparaît que 23 fois, au singulier ou au pluriel. Or, le droit d'être libre - de choisir sa formation, sa profession, son lieu de vie, son travail, ses déplacements, ses préférences sexuelles, de s'exprimer, de ne pas être d'accord, etc. - me paraît être un droit fondamental, qui ne doit pas, bien sûr, s'exercer aux dépens des autres droits, comme le veut la doctrine néo-libérale. Sans ce droit, on débouche sur des régimes comme ceux des anciennes démocraties populaires, de Cuba et bientôt peut-être, du Venezuela et de la Bolivie. Est-ce de cette démocratie-là dont rêve la majorité du peuple équatorien ? [...]"

Le clou tient déjà tout seul !

Deuxième contribution

Le 10 juin 2007, dans un bilan au 147e jour de l'accession à la présidence de Rafael Correa, j'écrivais :
"[...] Une autre ligne de force du projet présidentiel apparemment laissée de côté, est la participation citoyenne, qui, pour le moment se limite aux votations (obligatoires) et à la présence enthousiaste dans les manifestations et fêtes populaires dont Rafael est friand. L'action du secrétariat "Peuples, mouvements sociaux et participation citoyenne", dirigée par une proche de Rafael, semble se limiter à la coordination de mouvements populaires, surtout, apparemment, pour appuyer les projets de Rafael et du mouvement Pais. Alors qu'il m'était apparu que la participation des citoyens était une dimension transversale de l'ensemble du projet d'Alianza Pais, couvrant tous les aspects de la vie quotidienne, et visant à la création d'une citoyenneté active, notamment dans le domaine du contrôle de l'action des autorités et des entreprises publiques.[...]"

Le clou s'enfonce un peu plus !

Troisième contribution

A propos d'un article de César Montufar, j'écrivais ceci, le 8 février 2008 :
"[...] César Montufar confirme la disparition de la dimension participative du projet présidentiel et son remplacement apparent par une stratégie de montée au pouvoir d'un seul pour le bien de tous. Ce n'est pas seulement la dimension participative qui trépasse, c'est aussi la révolution qui, comme le remarquait Michelet (Histoire de la Révolution française. Tome II, p. 617, Bouquins 1989) "ne peut vivre qu'à travers une idée dominante et souveraine [...], ravissant les esprits, soulevant l'homme du pesant limon, se créant à soi un peuple, s'armant du monde nouveau qu'elle aurait créé, neutralisant d'en haut l'effort mourant de l'ancien monde." L'idée dominante et souveraine du projet de la révolution citoyenne, c'était la participation active des citoyens. Cette allusion à la Révolution française n'est pas gratuite, puisque Montufar utilise le mot "bonapartisme", et je veux croire qu'il ne le fait pas à la légère, car il s'agit d'un analyste politique sérieux et bien informé. Or, c'est Bonaparte qui a mis fin à la Révolution française par le coup d'Etat du 18 brumaire.

Les partisans de Rafael Correa ne manqueront pas d'objecter qu'il n'y a qu'un an qu'il est au pouvoir et que l'on ne peut pas tout faire dans un délai aussi court. Cette objection, trop souvent utilisée pour justifier ce qui n'a pas été fait au cours de cette première année, me paraît particulièrement inadéquate dans le cas de la participation populaire, qui constituait l'instrument le plus immédiat et le plus efficace du changement, sinon le plus facile à manier, en mobilisant la population dès l'arrivée de Correa au pouvoir pour l'instauration progressive d'une authentique révolution citoyenne. Une telle démarche, pédagogique, informative et formative, est à l'opposé de la propagande simpliste et mensongère à laquelle le gouvernement recourt abusivement pour tenter de convaincre la population d'adhérer à ses objectifs. [...]"

Le clou est à moitié enfoncé !

Avec l'article de la revue Vanguardia présenté plus haut, ne l'est-il pas complètement ?

Ce qui apparaît nettement dans cette rétrospective, c'est la trahison de l'idéal participatif d'Alianza Pais. J'ai longtemps pensé que Rafael Correa en était responsable, en mettant le grappin sur ce projet afin de s'en servir de rampe de lancement pour accéder au pouvoir. L'analyse de Vanguardia met en évidence que les mouvements sociaux proches d'Alianza Pais en sont les complices délibérés.

24 février 2009


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