[…] - A quelle altitude?

- il y en a officiellement trois à huit cent trente-sept kilomètres, un à neuf cent vingt kilomètres, et un à trente-six mille, en orbite géostationnaire. Rappelez-vous, ce réseau crypte les messages avant de les envoyer sur le satellite, puis les décrypte au retour. Alors, pourquoi le réseau Rita? Probablement parce que ces messages sont émis par une huile à destination d'une autre huile. L'assassinat des Saincené, C'est une affaire d'État. je le précise, au cas où ça vous aurait échappé... Les Saincené ont des documents qui mouillent des dirigeants d'un parti au gouvernement (1), il faut les récupérer coûte que coûte.

(1) Celui d'avant juin 1997.

- Vous avez les noms de ces officiers en... service commandé?

- je vous ai dit il n'y a pas trente secondes que nous enregistrons tout. Et je vous ai aussi expliqué, la dernière fois, que nous conservions tout, t-o-u-t, pendant vingt ans. Minimum.

Visiblement, le général ne le répétera pas une troisième fois. Puis il me demande en contemplant ses ongles :

- Vous savez que les corps des Saincené ont été inversés, lors des expertises médicales?

- Oui. L'inversion est évoquée dans la requête en suspicion légitime contre le juge Guémas déposée par Maître Yves Soulas, le 16 janvier 1995. Du coup, les constatations et conclusions faites sur Fernand concernent Christian et inversement. Mais il y a eu la même embrouille, le même bordel, avec les doigts qui avaient été sectionnés, comme cela se pratique toujours dans le but de comparer les empreintes digitales. Comme on ne savait plus auquel des frères attribuer les doigts, ce qui est un comble, ils ont été purement et simplement détruits. On croit rêver. C'est un prétexte. Il n'y avait aucun intérêt à savoir si telle empreinte appartenait à Fernand ou à Christian puisque tous les deux étaient victimes. En revanche, en les conservant, ce qui aurait dû être fait, on pouvait déterminer si une tierce personne était passée par là. En faisant disparaître les doigts, la justice donne un peu l'impression de ne pas avoir voulu en savoir trop.

- C'est-y pas dommage? ricane le général. On aurait pu essayer de comparer les empreintes des frangins avec celles relevées dans la 106, bien qu'elles soient quasiment inexploitables, à cause de la condensation provoquée par la bâche de protection dont on l'a enveloppée après l'enlèvement des corps. On aurait en tout cas pu comparer les principales caractéristiques des empreintes et s'assurer qu'un intrus ne s'était pas affairé dans la voiture. Que personne n'ait pensé à relever les empreintes avant de remiser la voiture, vous ne trouvez pas ça étrange? Mais il y a plus fort. Les empreintes laissées par Fernand sur le clavier de son ordinateur sont elles aussi inexploitables. Elles sont "écrasées", parait-il. Elles ne sont pas écrasées parce que Fernand tapait dessus comme une brute, mais plutôt parce que quelqu'un a utilisé le clavier après lui avec des gants. Au fait, vous avez interrogé le médecin légiste sur ce bordel de l'inversion des corps et des doigts?

- J'ai essayé. Je ne sais pas si c'est de naissance ou si c'est à force de fréquenter les cadavres, mais c'est une tombe. Il dit "bonjour" et se contente de hocher la tête jusqu'au moment de dire "au revoir".

- Ma thèse sur l'inversion des corps, je vais vous la dire, mais ne la répétez pas, car tous ceux qui ne pratiquent pas nos milieux crieraient "Au fou!". Ce ne sont pas les corps qui ont été permutés. Les toubibs ne sont pas cons au point de confondre le petit mince et le grand balèze. Non. Les étiquettes d'identité ficelées aux orteils étaient les bonnes. C'est le sang qui a été permuté.

J'ai l'air ahuri et, manifestement, cela se voit car le général sourit avec satisfaction. […]