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PAS DE DEUX
by Christophe Conte
(from Les Inrockuptibles, 25 September 1996)


Lorsqu'on le compare à Lenny Kaye, John Parish baisse timidement les yeux et, humblement, s'en défend. Pourtant, il tient depuis une décennie le premier rôle masculin de toutes les aventures musicales de PJ Harvey : après avoir été tour à tour son découvreur, confident, guitariste ou producteur, mais toujours dans l'ombre, il partage aujourd'hui avec elle le haut de l'affiche sur leur rugueux album Dance hall at louse point.

Depuis quelques années maintenant, mon itinéraire musical est étroitement lié à celui de Polly Jean Harvey. J'ai collaboré à la plupart de ses albums comme percussionniste, guitariste ou producteur, mais c'est la première fois que nos deux noms figurent à parts égales sur la pochette d'un disque. Au départ, Dance hall at louse point était destiné à n'être qu'un album instrumental, que j'avais écrit pour une chorégraphie. Lorsque je lui ai fait écouter les bandes, Polly a adoré l'atmosphère qui s'en dégageait et a lancé l'idée d'un disque dans la même veine, que nous pourrions écrire ensemble. Ça l'amusait de devoir écrire des textes sur la musique de quelqu'un d'autre, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Elle avait envie de commencer tout de suite, avec ces musiques-là. Pour ma part, j'étais plus circonspect : je me demandais comment elle parviendrait à caser des paroles sur ces morceaux conçus comme des instrumentaux. Je lui ai laissé une cassette avant que nous partions en tournée l'an passé. Elle écrivait un bout de texte entre deux concerts et, lorsqu'on avait un jour de libre, on se retrouvait pour voir si ce projet pouvait tenir la route. Avant même la fin de la tournée, tout était finalement écrit, prêt à être enregistré.

Avec Polly, nous n'avons guère besoin de discuter pendant des heures pour savoir comment doit sonner tel ou tel titre. Nous sommes si proches l'un de l'autre depuis tant d'années que nous avons appris à laisser agir nos instincts respectifs. Nous voulions réaliser un disque qui fonctionne sur un registre émotionnel fort, notamment en ce qui concerne les parties vocales, pour lesquelles Polly s'est engagée à fond. Notre entente a souvent reposé sur cette communion exceptionnelle que nous arrivons à atteindre lorsque nous travaillons côte à côte. Sans doute est-ce un album plus brut et intimiste que ceux enregistrés jusqu'ici par PJ Harvey. Il donne l'impression d'avoir été réalisé à la maison : certains titres ont été mis en boîte sur un vulgaire ghetto-blaster, d'autres sur 2 ou 4-pistes et, pour les morceaux les plus high-tech, nous nous sommes offert le luxe d'aller dans un petit studio 16-pistes ! PJ est habituée à travailler comme ça et je pense pour ma part que les titres qu'elle enregistre le plus vite, avec les moyens les plus modestes, sont souvent les meilleurs. En même temps, je n'éprouve pas d'intérêt pour la musique lo-fi. Je ne trouve pas particulièrement romantique le fait d'enregistrer sur un walkman, mais parfois ce sont les chansons qui l'exigent. C'était le cas ici.

J'ai rencontré Polly il y a maintenant dix ans. Je me rappelle le jour avec précision, puisque c'était son anniversaire. Un ami commun m'avait invité à venir jouer avec mon groupe de l'époque, Automatic Dlamini, pour les 17 ans de cette fille que je ne connaissais pas. On m'avait dit que la fille en question était sympa et que sa maison était vraiment agréable, alors j'avais fini par accepter - même si j'avais d'autres ambitions pour mon groupe que de jouer les amuseurs publics. Et puis finalement, le jour venu, notre batteur - qui est devenu plus tard le premier batteur de PJ Harvey - est tombé malade et nous avons dû annuler le concert. Je suis donc allé seul à l'anniversaire, mais seulement en invité, soulagé de ne pas devoir être l'attraction. Et au détour d'une conversation, elle m'a avoué qu'elle écrivait des chansons. J'étais le musicien de la soirée, ça a eu pour effet de briser tout de suite la glace entre nous. Je lui ai proposé de m'envoyer des cassettes, par politesse mais aussu avec une certaine curiosité. Je me demandais quel genre de chansons une aussi frêle personne pouvait écrire. Lorsque j'ai reçu la première cassette, je n'ai pas été déçu. Comme je cherchais quelqu'un pour chanter au sein d'Automatic Dlamini, j'ai aussitôt pensé à elle. C'est ainsi qu'a démarré notre collaboration. J'ai eu la chance de la rencontrer au moment précis où s'opérait chez elle une véritable mutation, à la fois physique et artistique. Sa voix changeait, sa musique aussi, elle était en train de grandir en même temps que ses chansons. C'était très intéressant à observer : en quelques mois, Polly a transformé ses timides chansons folk de teenager en de véritables brûlots, ceux-là mêmes qu'on retrouve sur Dry et qui l'ont rendue célèbre. Evidemment, il n'était pas question pour elle de s'éterniser au sein d'un groupe. Je l'ai encouragée à se jeter seule dans le grand bain, en sachant qu'elle pourrait toujours compter sur moi.

La première chose que j'ai pensée en entendant sa voix, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une voix de fille de 17 ans. Les textes étaient ceux d'une fille de 17 ans, mais cette voix, cette façon de chanter, non. Il y avait une vraie maturité et même quelque chose de troublant dans cette façon qu'elle avait de poser ses mots dans la musique - et même de les décomposer. C'est un sentiment que j'ai parfois aujourd'hui en l'observant : il est impossible de lui donner un âge. J'ai l'impression d'avoir dix ans de moins qu'elle, parfois dix de plus, c'est assez curieux. Dès l'instant où j'ai entendu cette voix, je n'ai plus jamais pu m'en défaire. Dix ans après, elle me surprend, elle m'épate. Nous avons joué des centaines de fois ensemble et je trouve encore des choses cachées derrière cette voix, des inflexions, des tonalités que je découvre brutalement au détour d'un concert ou d'une prise en studio.

Je suis devenu producteur par accident. Au moment d'enregistrer le premier disque d'Automatic Dlamini, je savais exactement quel son il fallait pour le groupe et j'ai donc décidé de produire le disque moi-même. Par la suite, des amis à moi, les Chesterfields, m'ont proposé de produire leur premier single. Je suis donc devenu producteur par hasard géographique : parce que j'étais le seul type des environs à avoir déjà fait un disque. Par miracle, la chanson en question est devenue un hit dans les charts indépendants et mon nom a commencé à circuler dans le petit milieu de la pop. Des tas de groupes à guitares carillonnantes sont venus me trouver, pensant que j'étais un spécialiste du genre. C'est ainsi que j'ai été amené à produire les Brilliant Corners, Basinger ou The Siddeleys et cela devenait très frustrant pour moi à la longue, car ce n'était pas précisément le genre de musique que je voulais faire. Automatic Dlamini n'avait d'ailleurs aucun rapport avec ça - et ce que je fais aujourd'hui avec Polly non plus.

Au moment de commencer l'enregistrement de To bring you my love, PJ m'a de nouveau appelé. Elle refusait de travailler à nouveau avec Steve Albini, voulait se lancer seule dans la production, avec moi pour conseiller et Flood comme ingénieur. Finalement, nous nous sommes retrouvés tous les trois producteurs. Polly ne s'est jamais montrée farouche ou distante à mon endroit. J'ai conscience d'être un privilégié, car elle n'a pas précisément la réputation de quelqu'un de facile. Elle se referme sur elle-même dès qu'elle a la sensation de faire courir un danger à sa vie privée, ce qui est souvent le cas lorsqu'elle doit affronter des journalistes. Au sein du groupe, c'est un peu la même chose : elle focalise toute l'attention sur elle. Nous, nous sommes de parfaits anonymes à ses côtés. Ce n'est pas une chose facile pour elle, qui ne s'est jamais sentie à l'aise dans cette peau de meneuse, de chef de bande. Entre nous deux, il y a une confiance mutuelle absolue, alors que nous avons deux personnalités très différentes. En musique, par exemple, il y a des choses que j'adore et qu'elle déteste, mais c'est sur les choses que nous aimons tous les deux que notre entente est soudée. Le fait que nous nous soyons rencontrés alors que Polly était encore totalement inconnue m'autorise à porter un jugement parfois sévère sur son travail. Il n'y a pas de fausse pudeur entre nous, nous sommes trop complices pour perdre du temps avec ce genre de coquetteries.