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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes


L'album de photos du Petit Paradis en Equateur

Environs du Petit Paradis : Le mendiant de
San Antonio de Ibarra

 

(Le Petit Paradis est situé à San Antonio de Ibarra, Imbabura, Equateur.)

Une statuette en bois taillé de quarante centimètres de hauteur est le seul objet qui relie physiquement notre premier petit paradis au second, à part les frigos et la cuisinière, dont la valeur symbolique est assez limitée.

Au début, je ne lui ai pas prêté beaucoup d'attention et ce n'est que tout récemment que je l'ai regardée d'un autre oeil et que je lui ai trouvé du charme et du sens.

Un héritage

L'explication de cette indifférence initiale réside dans le fait que l'objet en question appartenait à l'inventaire hétéroclite que le précédent propriétaire du Petit Paradis I nous avait gentiment laissé. Il m'a fallu quelques semaines pour faire le tri entre ce qui était à donner, à jeter ou à brûler. Et quand le moment est venu de décider du sort de la statuette, je l'ai d'abord dépoussiérée, puis je lui ai passé une couche de vernis incolore, et enfin, malgré ma répugnance pour l'art populaire stéréotypé, genre moines débraillés, "Mutzen" bernois ou petits enfants rigolards, je l'ai définitivement adoptée et je l'ai placée sur l'étagère où vont figurer, quelque mois après, les six poteries indiennes antiques, déterrées par Don Samuel (cf. Don Samuel y el enfermito et Don Samuel II : calvario burocrátrico), notre voisin.

Je n'ignorais pas qu'en lui achetant ces reliques, je commettais un délit de pillage du patrimoine national, mais j'estimais plus important de les lui payer 10 fois plus que ce que lui auraient donné les "guaqueros" (détrousseurs de tombes) locaux. Ce qui est encore peu de chose s'il l'on considère le travail à accomplir :

  • Il faut d'abord repérer l'orifice du tunnel de sortie, une tâche spécialisée qui n'est pas à la portée du premier venu, car il faut bien interpréter des signes presque imperceptibles, faute de quoi on s'expose à creuser pour rien.
  • Puis descendre à plusieurs mètres sous terre pour retrouver les objets qui accompagnaient le mort lors de son dernier voyage.
  • Enfin, il est préférable de faire ce travail seul et loin des regards pour ne pas voir le trésor risquer de disparaître entre les mains d'un autre fouilleur déloyal, une nuit sans lune.

Je n'ai pas d'idée de l'âge de ces poteries, mais elles sont identiques à d'autres, vues dans le musée du Banco de la República de Pasto (Colombie) et de celui du Banco Central del Ecuador à Ibarra : entre dix et vingt siècles. J'gnore aussi leur valeur marchande. Quelle qu'elle soit, cela m'est indifférent. Ce qui me touche profondément est de posséder ces quelques témoignages d'une culture à la fois humble et très ancienne. C'est de les avoir déterrées en compagnie d'un homme, qui est le descendant de ceux qui ont eu ce geste de respect envers le mort. C'est de les avoir dégagées moi-même de leur gangue terreuse, en regrettant qu'elles aient été un peu détériorées au cours de leur extraction. Cependant, dans le cas présent, ce qui pourrait être considéré comme un défaut est ce qui leur donne une touche personnelle unique, car j'ai serré de nombreuses fois la main qui les a marquées involontairement.

Pour revenir à la statuette, elle est restée pendant les cinq ans que nous avons passés au Petit Paradis I, à côté des autres pièces, un peu anonyme, comme un acteur secondaire dont on ne connaîtrait pas la biographie.

Une découverte

Ma façon de voir la statuette a complètement changé après que j'aie trouvé un passage qui la concernait dans un petit livre que j'ai déjà cité ailleurs (Monografia de San Antonio ). A travers ce texte, ma statue avait un nom, le mendiant, et surtout, à défaut d'une biographie, une place dans l'histoire et dans les traditions de San Antonio de Ibarra. Voici le texte en question, dont j'ai assuré la traduction.

Le mendiant

"Nous ne faisons pas référence à la personne qui va de porte en porte pour quémander un quignon de pain. Non. Nous voulons décrire l'effigie de bois taillée par les artisans de San Antonio, avec une grande démonstration d'habileté, en noyer, cèdre, saule ou avocatier.

Expliquons la raison de la présence de ce personnage parmi les objets artisanaux de notre terroir.

Le mendiant, improprement nommé ainsi, est un motif sculpté, qui est devenu l'exemple le plus représentatif de notre production artisanale, le plus apprécié par les touristes nationaux et étrangers. C'est un homme de plus de quarante ans, blanc, aux traits réguliers, le nez et la bouche de type européen, à la longue barbe. Sur la tête, il porte un grand chapeau pour se protéger du soleil ; sur le dos, un sac ou un paquet, avec ses affaires, ses espadrilles, etc., c'est-à-dire qu'il transporte sa maison avec lui. Une de ses mains s'appuie sur un bâton, une branche d'arbre quelconque, et l'autre tient une écuelle qui lui sert pour manger et demander des aliments ou de l'eau, partout où il va. La plupart du temps, il est représenté avec un chien, le fidèle et loyal compagnon de son aventure et d'un long voyage qui se perd dans le temps.

Cette pièce s'est implantée à San Antonio pour la raison suivante. Notre bourg se trouve sur le chemin d'Ibarra, et, en d'autres temps, il constituait le passage obligé des passants à pied ou à cheval, en train ou en voiture. Aujourd'hui, la route panaméricaine, goudronnée, évite la localité, ce qui change le panorama de jadis, parce que la majorité des voyageurs se déplacent dans d'élégants véhicules, voitures ou autobus. Ceux qui attirent le plus l'attention sont les marcheurs.

Il y a une quinzaine d'années, la place centrale de la paroisse était entourée de petites maisons, en général basses, presque toutes avec une galerie sur le devant, dont l'ample avant-toit de tuiles était soutenu par des piliers de bois. Des bancs de pierre étaient adossés aux parois de la galerie qui la convertissaient en un lieu de réunion pour les gens du village dans les nuits silencieuses, mais, surtout, ils proposaient une halte généreuse aux marcheurs surpris par l'obscurité. Notre terre natale offrait un hébergement gratuit et accueillant, appliquant sans doute les préceptes chrétiens qui recommandent de fournir au pèlerin un logement, à l'assoiffé de l'eau et à manger à l'affamé. Le chemineau s'installait dans la galerie et les bancs lui servaient de lit. Il demandait un peu d'eau, et parfois, de la nourriture. Le jour suivant, il rangeait ses affaires et commençait une nouvelle journée de marche. C'était un vagabond à la recherche de son destin. Dans d'autres circonstances, c'était un homme qui passait d'un village à un autre pour faire des achats, travailler, se livrer à des activités diverses. Il voyageait entre Otavalo et Ibarra ou vice-et-versa, ou beaucoup plus loin.

Pendant que ce mouvement routinier se déroulait, beaucoup de jeunes gens, de disciples, apprenaient le métier de sculpteur dans les ateliers du village. Ce personnage pittoresque, poétique, un sujet social, avait retenu leur attention : un sort secret, un espoir incertain, une angoisse cachée, un sourire de remerciement pour le geste généreux manifesté dans la localité qui lui offrait l'hospitalité. Ils le trouvaient attirant et ils le façonnèrent en bois pour exprimer leurs préoccupations d'apprentis, à l'insu du maître qui pensait que la sculpture devait uniquement représenter des personnages vertueux, religieux et bibliques. Ce fut probablement dans l'atelier de Don Mariano Reyes qu'apparut, pour la première fois, cette figure, lorsqu'un aide désireux de changer de thèmes, tailla d'une manière exceptionnellement précieuse le personnage du chemineau ou du vagabond. Les touristes le trouvèrent joli et l'achetèrent, mais, en le baptisant du nom de mendiant, ils commirent une erreur, un préjudice à l'égard de notre petite patrie, de ses objets artisanaux, de ses artistes, à la suite d'une confusion.

Comme c'est une figure en mouvement et comprenant des éléments variés, elle se prête à une diversité de formes et de dimensions. Elle apparaît chargée de toujours plus d'objets, comme des instruments de musique - guitare, flûte, flûte de pan, violon - qui augmentent son charme et donne un air plus romantique et bohême au mendiant.

Mais cette dénomination malheureuse se propagea facilement et les touristes recherchent le "mendiant". Les artisans multiplient les versions de ce motif et, de manière spontanée, le mendiant devient l'expression de l'artisanat de San Antonio. Il y en a de toutes les qualités. Certains, d'un réalisme attrayant, sont réalisés par ceux qui ont longtemps étudié avec de bons maîtres tailleurs. D'autres sont le résultat de l'aptitude manuelle d'un individu, qui s'est lancé dans la sculpture sur bois, en recourrant à l'observation, la spontanéité et le désir de dominer le sujet et qui compte à cet effet sur un petit outillage et un morceau de bois.

Ceux qui sont bon marché ou de moins bonne qualité se trouvent dans les villes du pays et du monde. Du fait que le "mendiant" est un personnage universel, on le découvre dans toutes les villes de la terre comme l'expression d'un problème social. Sous sa forme artisanale, on le confond et on l'interprète mal, en recourrant toujours plus au nom erroné de mendiant ou de vieux.

Alors, on se tourne vers nous pour nous demander : pourquoi de si nombreux mendiants ? Pourquoi cet objet artisanal reproduit une figure qui constitue un fléau social ? Pourquoi tant de personnes ont oublié l'histoire de son origine et les autres l'ont ignorée ?

En réalité, le mendiant est le chemineau ou le vagabond. Ces lignes clarifient et rectifient l'erreur dont le tailleur de bois n'est pas responsable et moins encore la statue. Le vagabond est le produit de l'observation et de l'interprétation d'un motif différent de ceux qui étaient imposés pour l'apprentissage de la statuaire religieuse.

Désormais et pour toujours, nous devons utiliser l'unique appellation chemineau ou vagabond. Il s'est tellement popularisé que sa qualité a beaucoup baissé. Les théoriciens et les praticiens de l'artisanat, comme les touristes, l'ont traité de manière dévalorisante.

Ce singulier échantillon de notre travail artistique n'est pas, comme on le croit, étranger à la réalité de notre lieu d'origine, il est partie de la vie paisible et tranquille qui a capté son apparence, l'a transposé dans un bout de bois et est restée en lui comme un membre de plus de cette admirable famille.

La femme n'est jamais représentée sous cette forme. Nous supposons que c'est en raison de son éducation morale et des conditions naturelles, car bien sûr, elle ne part pas sur les chemins de village en village à cause des dangers que cela représente. Ainsi, l'artiste n'a pas eu de modèle pour celle qui aurait pu être la compagne du chemineau dans cette œuvre sculptée.

Le vagabond est l'expression d'un thème incluant la réalité et le rêve, le paysage et l'enchantement, la partie et le tout, l'idée et la présence. En fin de compte, le chemineau est l'homme de passage et l'hôte familier de la vie artistique de San Antonio."

D'abord, un commentaire terminologique

Le mot de "mendigo" est suffisamment présent dans notre réalité d'aujourd'hui pour le traduire tout simplement par mendiant. Il n'en va pas de même pour "caminante", utilisé par les auteurs à la place de mendigo, qui a plusieurs sens. L'actuel est marcheur ou piéton. L'historique, qui nous renvoie, en Europe, à un lointain passé, est celui de chemineau - à ne pas confondre avec cheminot ! - l'individu qui chemine, ou celui de colporteur, lequel transporte sur son dos un assortiment de marchandises utiles comme les allumettes ou les almanachs. Et aussi celui de vagabond que l'on remplace plus volontiers aujourd'hui par sdf ou clochard, mais qui avait autrefois le sens d'aventurier, de voyageur, de juif errant.

Ensuite, quelques éclaircissements

Il n'est pas inutile de préciser que cette monographie a été publiée en 1989. Et qu'elle a probablement été écrite par des enseignants déjà âgés dont les références culturelles devaient remonter au début du 20e siècle.

Ceci pour signaler que le mendiant n'est plus aujourd'hui l'objet artisanal le plus représentatif ou le plus coté de la production de San Antonio. Vous en verrez encore, à côté des moines, des don quichotte, des sancho panza et des statues peintes des archanges Gabriel, Raphaël et Michel, ainsi que des copies de la fameuse vierge de Quito, sculptée par Bernardo de Legarda dans la première partie du 18e siècle, laquelle, selon Alexandra Kennedy Troya (dans un livre d'histoire publié en 1990), "trouve encore de fervents admirateurs nationaux et étrangers". Elle parle aussi des "léthargiques ateliers de San Antonio" et du "continuisme colonial dont la production ira en se détériorant dans un processus logique d'épuisement".

Pourtant, il en faut du talent pour réaliser une copie de la vierge danseuse dont la reproduction géante (et laide) a été posée au sommet du Panecillo à Quito. J'en reparlerai un jour quand j'aurai fait le pas d'en acheter une, car elle m'a totalement séduit dès notre première rencontre.

Bien que le 80 % de la production de San Antonio appartienne au genre des souvenirs de voyage, il y a quand même des créateurs parmi les sculpteurs locaux, qu'il faut savoir découvrir dans le parcours du combattant que représente la visite de dizaines de magasins qui ont survécu, tant bien que mal, à la crise de la dollarisation. Le plus connu est la galerie Luis Potosí, située sur la place principale, dont les sources d'inspiration vont des motifs incas à l'art non-figuratif.

Présentation

Il est peut-être temps de vous le présenter, mon… - comment vais-je dire ? - mon Vagabond anonyme, c'est le terme que je préfère, même s'il est un peu péjoratif et pratiquement synonyme de mendiant.

Il a des caractéristiques qui le distinguent de ceux évoqués dans le texte cité plus haut. Il va pieds nus, sans chien, ni bâton, ni écuelle, ni violon, ni guitare, mais avec une charge dont l'importance m'intrigue. Une besace sur le devant, plusieurs autres sur les flancs, un sac sur le dos, retenu par une grande couverture repliée et attachée sur le devant, qui lui enserre les bras, ne laissant que les mains libres. Ce curieux dispositif me paraît plutôt inadapté à sa façon de se déplacer : comment se retenir lors d'une glissade intempestive sur les mauvais chemins de l'époque, comment se défendre contre un chien agressif, un ivrogne querelleur, un agresseur malintentionné ? Il est vrai que son beau visage reflète une sérénité qui peut dissuader les importuns et donne à penser que sa prudence lui permet d'évite les imprévus. Qu'y a-t-il dans ces sacs ? Ses effets personnels, des marchandises ? Est-ce un voyageur au long cours, un pélerin, un colporteur ? Il n'y a pas de réponse à mes questions, mais je l'imagine sans peine s'enroulant dans sa couverture sur un des bancs de pierre inconfortables de l'unique galerie qui subsiste encore sur la place de San Antonio, avant de poursuivre son chemin vers une destination que lui seul connaît.

Je l'ai pris en affection, car j'en suis venu à penser qu'il symbolise mon propre destin, qui m'a amené à l'âge adulte à vivre successivement dans quatre pays différents et à me déplacer incessamment, non pas à pied, mais en train, en voiture et en avion, comme je l'ai déjà raconté dans la chronique Pendularité et multiculturalisme. Si, un jour, je devais quitter l'Equateur, je l'emporterais dans ma valise comme le témoin discret de mes nombreuses heures de bonheur en Amérique latine.


Le vagabond vu de face Le vagabond vu de côté Le vagabond vu de dos
Une belle tête Poteries indiennes

Post-scriptum

Maintenant que l'esquisse d'une page sur l'artisanat de San Antonio est commencée, j'ai transféré les photos suivantes, qui ont longtemps été hébergées dans la page Environs de San Antonio : Paysages, où elles n'étaient pas franchement à leur place.

Lunesoleil
Il s'agit d'un très beau motif indien dont je ne connais pas le sens exact, à part le fait bien connu que la lune et le soleil jouent un rôle primordial dans la cosmologie indienne. Nous l'avons fait faire sur mesure : 80 cm de diamètre. Vous n'en trouverez pas de si grands (ni de si beaux) dans les magasins de San Antonio.

Frise pour dessus de voûte
La sculpture sur bois de San Antonio fonde sa tradition sur - et trouve encore son inspiration dans - l'art colonial classique et religieux. Malheureusement, la dollarisation de l'économie équatorienne a considérablement renchéri ce type de production, qui a tendance à être délaissée au profit d'un artisanat de masse, plus facile à écouler au prix que sont prêts à payer les touristes d'aujourd'hui. Vous ne trouverez pas non plus une frise de cette taille et de cette qualité chez les commerçants de San Antonio, il faut la commander à l'artisan.

Frise pour dessus de porte et porte-clés
Par le même artisan que ci-dessus, deux variations plus modestes sur le même thème. J'éprouve du plaisir à voir notre vestibule rempli de ces bois taillés, certes traditionnels, mais pour cette raison même que pendant des siècles ces éléments de décoration ont été utilisés dans la Sierra. La seule nouveauté est la couleur, que nous avons voulue vive.

Lunesoleil Frise de dessus de voûte Frise de dessus de porte Porte-clés

Musa otavaleña

Je suis tombé amoureux de cette muse otavalénienne, dans la galerie d'un peintre, qui n'est pas de San Antonio, mais d'Atuntaqui, une petite ville à quelques kilomètres au sud, par la Pana. Il s'appelle Gavino Dávila, "Li Daros" de son nom d'artiste. Cela faisait des années que je cherchais une oeuvre, qui soit à la fois contemporaine par sa technique et inspirée par la tradition indigène locale. L'union de ces deux dimensions me semble admirablement atteinte dans ce grand tableau (100 x 120 cm).

Si vous passez par Atuntaqui, ne manquez pas de visiter son atelier : Bolívar y Olmedo Nº 13-10, téléphone (06) 2 907 866. Inutile de vous recommander de ma part, vous serez de toute façon bien reçu(e).

Musa otavaleña



21 juillet 2005

Voir également

"Environs du Petit Paradis : Paysages"

"Environs du Petit Paradis : Maisons et églises"

"Environs du Petit Paradis : Un pont qui se fait attendre"

"Environs du Petit Paradis : Les gens et les bêtes"

"Environs du Petit Paradis : Le "Cortège de la joie" des fêtes patronales de San Antonio de Ibarra"


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