Nouvelles du Petit Paradis en Equateur
La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes
(Le Petit Paradis est situé à San Antonio de Ibarra, Imbabura, Equateur.) Tous les ans, le 13 juin, San Antonio de Ibarra fête la date de sa fondation religieuse, probablement en 1566, soit la 439e fois en cette bonne année 2005, ainsi que ses 181 années en tant que paroisse rurale du canton d'Ibarra. Ce n'est que tous les sept ans que le 13 juin tombe sur un samedi, jour du "Cortège de la joie", dont la création est récente. Et le soir même, a lieu l'élection de la Reine de San Antonio. Un peu d'histoireLe nom indigène de San Antonio est Tuarriquí, qui n'évoque plus grand-chose aujourd'hui. A part les noms de lieux-dits, il ne reste en effet nuls vestiges des différents peuplements qui se sont succédé sur son territoire, depuis environ mille ans, qu'ils aient été ensevelis par les coulées de lave ou de boue du volcan Imbabura ou détruits par la négligence des habitants des époques postérieures. Il ne reste rien non plus de la première église, qui devait être un édifice bien humble, car il s'agissait d'une communauté indienne très pauvre et peu nombreuse, comme l'étaient les franciscains eux-mêmes. A cette époque, San Antonio faisait partie de la encomienda de l'Espagnol Diego Méndez de los Rios et était une "parcialidad" (regroupement) rattachée à Caranqui. La fondation civile de San Antonio a lieu 84 ans plus tard, en date du 24 mars 1650, en tant que San Antonio de Carengue, dans des limites qui vont perdurer jusqu'en 1935. Il s'agit d'une paroisse rattachée au Corregimiento de San Miguel de Ibarra, fondé le 28 septembre 1606. Enfin, le 25 juin 1824, selon la loi territoriale de la Grande Colombie, San Antonio devient une paroisse rurale du canton d'Ibarra. Et l'est restée jusqu'à aujourd'hui, sa dernière tentative de cantonalisation ayant échoué (cf. Un pont qui se fait attendre). San Antonio a traversé l'histoire de ces quatre siècles et demi de manière plutôt anonyme et discrète. Elle n'a donné son nom qu'à la bataille de San Antonio, le 27 novembre 1812, un des derniers épisodes de la guerre de libération, marquant un arrêt très temporaire de la reconquête espagnole, puisque les patriotes vont être écrasés le 1er décembre 1812 à la bataille de Yahuarcocha, qui met fin à la première révolte de Quito. Le héros cubain de l'Indépendance, Francisco Calderón, qui conduisait les troupes insurgées, va mourir fusillé quelques jours plus tard. Un monument, sinistre et mal entretenu, lui a été élevé sur la place principale de San Antonio, dont j'ai sauvé ce buste qui lui ressemble peut-être. Les Espagnols ne seront définitivement chassés de la région qu'après la bataille de Pichincha, le 24 mai 1822, au cours de laquelle le fils de Francisco Calderón, Abdón, va s'illustrer tout particulièrement (cf. Les noms de rues et l'histoire), et celle d'Ibarra, le 17 juillet 1823, gagnée par Simón Bolívar contre les dernières troupes royalistes, dirigées par Agustín Agualongo, le héros indigène de Pasto. La place que San Antonio n'a pas trouvée dans l'histoire, l'art et l'économie vont la lui offrir. A la fin du 19e siècle, un certain nombre d'artisans du bois - tailleurs, sculpteurs, ébénistes - vont se faire connaître pour leur production de meubles, statues et objets religieux destinés aux communautés et aux églises catholiques, dont le plus connu, Daniel Reyes, fonde une institution de formation des artisans, peintres et sculpteurs. Au fil des décennies et en raison du succès obtenu également auprès d'une clientèle laïque, l'offre va se diversifier. Dans les années 70 et jusqu'à la dollarisation, en 2000, San Antonio est un centre de production et de commercialisation très actif, grâce en particulier aux touristes colombiens. Le passage du sucre au dollar et l'augmentation importante des coûts et des prix que cela a entraîné, a porté un coup très dur à l'économie locale, dont elle se remet trop lentement, faute d'union entre les différents protagonistes, commerçants et artisans, faute aussi de dynamisme et d'esprit d'entreprise. Autour du noyau de création des artisans du bois, se sont également joints les artisans de la pierre - sculpteurs et tailleurs - et les peintres, grâce à Victor Mideros, un des représentants les plus connus de la peinture équatorienne du 20e siècle et, plus récemment, à Gilberto Almeida, un de nos voisins, âgé de 77 ans. L'Institut technique supérieur d'arts plastiques Daniel Reyes, toujours installé à San Antonio, a un rayonnement national.
Les fêtes de San AntonioLe slogan de l'affiche des fêtes de 2005 "Art, culture et tradition" n'est donc pas usurpé. Du fait que la date de fondation retenue est celle de la fondation religieuse, les fêtes de San Antonio ont un caractère un peu différent de celles d'autres paroisses, créées pendant la période républicaine. Elles sont en partie consacrées à son saint patron, Antoine de Padoue. Sous l'influence de ma première belle-mère, qui en était une dévote, j'ai longtemps mis une pièce dans le tronc proche de sa statue chaque fois que je visitais une chapelle ou une église qui lui était dédiée. Pour cette raison, et aussi parce qu'il porte un enfant dans ses bras, il m'a toujours paru sympathique, comme François d'Assise dont il était proche. Ma liste s'arrête là. Je ne saurais dire s'il y a un lien entre cette anecdote et ma présence ici depuis bientôt quatre ans... Cette année, les fêtes de San Antonio se sont déroulées entre le 26 mai et le 18 juin. Elles ne comprenaient pas moins de 105 événements que j'ai classés de la manière suivante :
Si l'élément religieux est effectivement prédominant, la diversité est de mise. Pour ma part, je n'ai participé qu'à deux de ces événements. Mais d'abord une vue panoramique de San Antonio où se détachent les deux églises (à l'extrême-droite et l'extrême-gauche).
Une partie de pelote nationale, modalité ventComme j'ai garé ma voiture assez loin de la rue du 27 novembre où a lieu le cortège, je dois traverser la place Eleodoro Ayala, un grand terrain poussiéreux au centre ville, où se déroule la partie de pelote nationale, et où sont installés quelques manèges, qui font partie des festivités. C'est donc le hasard qui m'amène là, ce qui explique, sans le justifier, le peu de chose que j'ai à dire sur ce sport. J'en ai d'autant moins à dire que photographier une partie est extrêmement dangereux. Les limites du terrain sont fluctuantes latéralement, selon l'habileté du lanceur. Comme la balle est expédiée à une bonne centaine de mètres, si elle n'est pas dans l'axe, elle tombe dans la foule des spectateurs, qui sont habitués à ce genre de péripéties et s'écartent à temps. Ce n'est évidemment pas mon cas. Si bien que je n'ai prêté que fort peu d'attention aux règles du jeu et beaucoup à ma protection personnelle. Je suis cependant assez satisfait d'avoir pu saisir la balle au (re)bond en même temps que le joueur. La raquette est une plaque de bois revêtue de grosses pointes de caoutchouc, la balle est également en caoutchouc, probablement plein. Il y a deux équipes de trois (?) joueurs et un arbitre. En dehors des échanges de fond de court - si j'ose dire -, on voit aussi, au centre du terrain, une phase confuse d'échanges rapides à faible distance, dont je suppose que le vaincu est celui qui n'arrive pas à relancer la balle. Cela m'a rappelé les parties de "chaza" de Santa Rosa, à poings nus (les participants n'ayant pas les moyens de se payer une raquette), sur le terrain proche de notre premier petit paradis, qui avaient au moins une caractéristique commune avec la pelote nationale, modalité vent : la grande distance entre les joueurs. Les championnats du monde de chaza ou pelota a mano auront lieu en 2006 à Pasto. Bien que l'on dise ici pelota DE mano, l'Equateur y participera, comme la France et la Belgique ! Le Cortège de la joieJe dois tout de suite faire un aveu assez humiliant : du fait que je n'ai emporté avec moi qu'une seule carte de 64 Mo, je n'ai pu photographier que la moitié du défilé. Conséquence : vous ne trouverez pas les photos du clou de cette manifestation, les candidates à l'élection de la Reine de San Antonio juchées sur leurs chars. J'ai parlé ailleurs du phénomène des reines, et bien que cela concernait la Colombie, les choses ne sont pas très différentes ici, en Equateur. La suite sera pour l'année prochaine ! ¡Si Dios quiere! Il n'y a pas que Dieu de concerné, mais aussi l'organisation du cortège : cette année, la vitesse de marche adoptée est si lente que la voiture de police qui ouvre le chemin est arrivée à ma hauteur à 16 h 45, soit avec trois quarts d'heure de retard. Comme la pluie menaçait (mais elle n'est pas tombée), il commençait à faire bien sombre quand vers 18 heures, j'ai abandonné mon poste d'observation - et il ne me restait que trois photos -. L'avantage de ce pas d'escargot est que le photographe amateur que je suis aurait tout le temps de se préparer si les naturels n'avaient pas la détestable habitude de se déplacer sans arrêt le long du cortège. Ils m'ont fait rater ainsi plusieurs clichés mémorables. Comme tout défilé qui se respecte, il commence par les autorités. Le seul personnage que j'ai pu identifier avec certitude est le président - barbu, en chemise - de la Junte paroissiale, accompagné de son épouse (en costume rose). Suivent les bastoneras du plus important collège féminin du canton, celui des Demoiselles d'Ibarra. Avant d'arriver en Amérique latine, j'avais toujours trouvé stupide cette coutume nord-américaine, copiée dans le monde entier. Et là, ma foi, j'ai eu du plaisir à voir ces jolies filles, tout au moins celles qui vont devant, les plus grandes et les plus élégantes. L'ordre du cortège est principalement par âge : les jardins d'enfants, les écoles primaires, les groupes d'adolescents, ceux d'adultes, les chars des différents quartiers et des villes voisines, avec leur reine s'ils en ont une, et enfin les chars des candidates à la Reine de la paroisse. Les thèmes espagnols - gitans, courses de taureau - sont très populaires en Equateur et il n'est pas étonnant de les retrouver ici : un torero en herbe qui prend son rôle très au sérieux, et des petits couples andalous. Mais on trouve aussi un Mexique approximatif, vu le manque de moyens. Il n'y a pas de ville en Equateur qui n'ait un ou plusieurs groupes de mariachis. Les thèmes indiens dominent largement, qu'ils soient de fantaisie comme ce groupe mixte d'adolescents ou fidèles à la tradition comme ce groupe de filles d'Otavalo. Invitées d'honneur, les bastoneras du Collège Manuela Cañizares, un des plus prestigieux de Quito, parmi lesquelles cette belle métisse. Chaque groupe est accompagné par une fanfare, qui est de plus en plus souvent remplacée, à mon grand dépit, par une camionnette bourrée d'énormes baffles, portés au maximum de leur puissance, fût-ce aux dépens de la qualité sonore. Mes oreilles ne se sont jamais faites à cette habitude créole qui veut que la musique soit la plus bruyante possible. Il y a heureusement une fanfare de village, précédée d'une danseuse en costume de Zuleta - jupe aux mille plis, blouse blanche brodée aux amples manches -, et suivie de la section des percussions. C'est la charrette de notre quartier, tirée par un cheval, qui ouvre la marche des chars, avec une collection de petits enfants un peu fatigués par la longue attente. Suivent trois chars représentant d'autres quartiers avec leur reine . Le plus souvent attentive au photographe. Il faut préciser qu'ils sont si rares qu'ils sont faciles à repérer, vu le faible nombre de touristes étrangers qui assistent à ce genre de manifestations. La dernière reine est transportée par une locomotive, qui évoquant le train qui a traversé San Antonio pendant une cinquantaine d'années et dont le retour est annoncé comme imminent depuis notre arrivée ici. Il semble cependant qu'un projet concret de remise en service d'un tronçon couvrant toute la province d'Imbabura prend sérieusement forme, grâce à un groupement d'initiative économique appelé Pro Imbabura. Que dire de la "joie" de ce cortège ? Lorsqu'elle se manifeste, elle est entièrement assumée par les participants. J'avais déjà remarqué ce paradoxe lors d'autres manifestations "joyeuses". Les spectateurs, pour leur part, sont extraordinairement passifs : aucune exclamation, aucun cri, aucun applaudissement, aucune émotion, aucune participation apparente. Le seul moment où la foule se mobilise, c'est quand une reine jette les fleurs du haut de son char. Tout se passe comme si les spectateurs ne recevaient quelque chose que s'ils peuvent le tenir entre leurs mains. En tout cas, ils ne se sentent redevables de rien d'autre qu'une simple présence envers les acteurs du cortège pour les remercier de leurs apports et de leurs efforts. Je n'ai pas d'explication à ce curieux phénomène. La suite... l'an prochain ? Pour la documentation sur San Antonio de Ibarra, j'ai utilisé les ouvrages mentionnés sous "Les noms de rues et l'histoire", ainsi que la "Monografia de San Antonio de Ibarra", de B.A. Viteri, O.E. Villalba et C. Montesdeoca (IADAP, Quito 1989.) 27 juin 2005
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