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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Ande équatoriennes

 

Note de lecture :

UNE IDEE DOMINANTE ET SOUVERAINE

Voici un autre témoignage sur l'action gouvernementale de Rafael Correa, trouvé dans la presse équatorienne, qui me permet à nouveau de surmonter le syndrome de la feuille blanche (cf. Ni l'un, ni l'autre, mais alors qui ?).

Il vient d'un acteur politique au profil intéressant, César Montufar, professeur à l'Université Simon Bolivar, directeur du Centro Andino de Estudios Internacionales, directeur du mouvement Clave Democratica, analyste politique reconnu. Il a également dirigé Participación Ciudadana, une organisation réunissant des volontaires dans tout le pays, dont l'objet est de promouvoir un leadership démocratique, ainsi que la transparence des activités publiques et des processus politiques.

En tant que candidat à l'Assemblée nationale constituante (ANC) pour le mouvement Concertacion Nacional Democratica, il a été parmi ceux qui ont réuni sur leur nom le plus grand nombre de suffrages individuels et aurait dû normalement se trouver parmi les constituants, si un système électoral, conçu pour favoriser les candidatures gouvernementales d'Acuerdo Pais, n'avait pas donné un poids plus important aux suffrages de liste, éliminant ainsi un certain nombre d'indépendants, dont l'apport aurait pu être très fructueux. On le regrettera d'autant plus aujourd'hui devant le travail décevant fourni par cette même assemblée.

Les partisans de Rafael Correa, d'Acuerdo Pais et de l'ANC remarquent perfidement que les critiques dévastatrices de César Montufar procèdent surtout de la rancœur provoquée par son échec électoral. Même si cela était (en partie) vrai, c'est une manière sommaire et peu élégante de chercher à esquiver une discussion sur le fond de ces critiques.

Cette chronique a été publiée le 23 janvier 2008 dans El Comercio, le principal quotidien de Quito. En voici la traduction, complétée par des commentaires entre crochets et en italiques, dont j'assume la responsabilité. Avec mes excuses pour avoir enfreint l'ordre chronologique, j'aurais dû la présenter avant la contribution précédente.

REVOLUTION CITOYENNE

Après la marche de célébration de la première année du gouvernement de la "révolution citoyenne" [le 19 janvier 2008 à Guayaquil], il apparaît clairement que celle-ci a disparu en tant que concept et en tant que pratique. Si on a pu penser un moment que le "corréisme" pouvait exprimer un processus de mobilisation de la société dans la perspective de transformer les pratiques de la vieille politique et l'Etat, ce qui reste aujourd'hui de ce qui a été une des idées forces de la campagne de Rafael Correa à la présidence, après seulement une année au pouvoir, est réduit à un exercice manipulateur de contrôle et de cooptation étatique de la société, une intervention - et non une révolution - du haut vers le bas.

C'était la vision que le pays pouvait se faire de la marche de samedi passé. Des dizaines, des centaines, des milliers de bus - payés par qui ? - et des milliers de personnes convoquées pour regarder et applaudir le Président. Le plus typique et le plus répudiable du populisme le plus rance, le plus évident manque de respect à une quelconque notion de citoyenneté active, de citoyenneté responsable, laquelle avant d'être mobilisée pour applaudir le gouvernant devrait lui demander de rendre compte de ses actions, lui demander des résultats, exiger de lui une parole et une œuvre fondées sur des principes démocratiques. Mais non, Correa, sur l'estrade, n'a rien fait d'autre qu'un étalage d'antipolitique, que de reproduire des clichés machistes, caudillistes, avec un profond sentiment élitiste et antidémocratique. Exaltation d'antivaleurs qui n'ont rien à voir avec une révolution citoyenne ou, pire, démocratique.

Les disciples de Huntington - il y en a beaucoup dans le gouvernement actuel -, nous diront que ce que nous voyons fait partie d'un scénario préétabli selon lequel le renforcement de l'Etat, la concentration et la centralisation du pouvoir sont les prérequis de la démocratie et du surgissement d'une société civile autonome et forte. Ils embrassent sans pitié ni honte les arguments d'un auteur archiconservateur, pour justifier - se justifier -, l'élucubration selon laquelle un processus de construction démocratique peut provenir de la volonté d'un caudillo, sans citoyenneté ni participation, sans mouvements sociaux autonomes qui donnent un contenu à la transformation. On confond la popularité avec la représentation, et, de cette manière, on élude le principe selon lequel en démocratie le gouvernant ne doit pas seulement être élu, mais qu'il doit aussi rendre des comptes et être responsable. Et rendre des comptes ne consiste pas à mettre en scène de grotesques actes de masse, des célébrations, mais en un exercice systématique de prise de responsabilité pour ce qui a été fait et pas fait. La logique gouvernementale [actuelle] annule l'exercice citoyen et transforme la participation en acclamation populiste.

Bien des gens expliquent que, en dépit des erreurs, de la toute-puissance, des invectives, il y a beaucoup de bonnes choses et d'initiatives, et qu'en outre, il y a des personnes honnêtes et bien préparées. C'est en partie vrai, mais le problème ne réside pas dans les choses bonnes ou mauvaises, mais dans le modèle, le projet que l'on tente de réaliser. En résumé, la version actuelle de la "révolution citoyenne" n'est rien d'autre qu'une caricature qui masque le parcours tragique de notre pays de la partidocratie vers le bonapartisme, du gouvernement de machines électorales sans légitimité ni sens public vers un caudillisme messianique. C'est un changement, oui, mais pas celui que nous recherchons, ni ne méritons. Dans la "célébration" de Guayaquil, il n'a pas été possible de cacher la supercherie.

POST-SCRIPTUM

Mes commentaires portent sur trois points.

1. La reddition de comptes

Il est injuste de reprocher à Rafael Correa de ne pas avoir rendu de comptes sur la première année de sa gestion. Il l'a fait le 15 janvier 2008 devant l'Assemblée nationale constituante et un parterre d'invités, de manière en apparence complète, en utilisant une technique de présentation moderne, qui différait agréablement de celle de ses prédécesseurs. Pourtant, sur le fond, l'exercice manquait de transparence, du fait que, comme eux, il s'est longuement arrêté sur les succès de sa gestion ou les projets futurs et a passé comme chat sur braise sur ce qui a failli ou n'a pas été réalisé. D'autre part, s'il s'agissait d'un exercice réussi de transmission d'information à un public trié sur le volet, les aspects pédagogiques et civiques ont fait complètement défaut, en dehors des habituels slogans qui ponctuent ses discours et qui en tiennent lieu.

Sur un point important pour la vie de la nation, l'augmentation du PIB en 2007, Rafael Correa a tenté l'impossible, démontrer qu'un taux probablement inférieur à 2.7 %, qui met l'Equateur au dernier rang des nations sud-américaines, est un bon résultat. Comme presque toujours en Equateur, la reddition de comptes est plus l'occasion d'un exercice d'autosatisfaction ou de propagande qu'une appréciation objective de son action et une manifestation de responsabilité envers les mandants, comme si la reconnaissance de ses lacunes ou de ses erreurs était une atteinte intolérable à sa dignité ou à sa virilité. Rafael Correa ne fait malheureusement pas exception à cette règle : demander, en une phrase finale, pardon pour les erreurs commises, sans s'attarder à les définir, n'est qu'un tout petit pas dans la bonne direction.

2. Les bonnes choses du nouveau régime.

A ce propos, une anecdote personnelle : en 1963, j'ai étudié l'accueil de la petite enfance dans la ville de Leipzig et j'ai été surpris par le niveau d'équipement et la qualité de cet accueil. A la même époque, les jouets est-allemands non mécaniques étaient les meilleurs du monde en terme de qualité et d'esthétique. Deux bonnes choses parmi d'autres, dans le régime le plus répressif et le plus dogmatique des pays communistes de l'Est européen, et le seul qui n'ait pas évolué jusqu'à sa chute. Je suis pleinement d'accord avec Montufar : plus que les bonnes choses, c'est le modèle qui compte.

3. La disparition de la dimension participative

Comme je l'ai remarqué ailleurs, "une autre ligne de force du projet présidentiel apparemment laissée de côté, est la participation citoyenne, qui, pour le moment, se limite aux votations (obligatoires) et à la présence enthousiaste dans les manifestations et fêtes populaires dont Rafael est friand. [...] Alors qu'il m'était apparu que la participation des citoyens était une dimension transversale de l'ensemble du projet d'Alianza Pais, couvrant tous les aspects de la vie quotidienne, et visant à la création d'une citoyenneté active, notamment dans le domaine du contrôle de l'action des autorités et des entreprises publiques".

Huit mois après, César Montufar confirme la disparition de la dimension participative du projet présidentiel et son remplacement apparent par une stratégie de montée au pouvoir d'un seul pour le bien de tous. Ce n'est pas seulement la dimension participative qui trépasse, c'est aussi la révolution qui, comme le remarquait Michelet (Histoire de la Révolution française. Tome II, p. 617, Bouquins 1989) ne peut vivre qu'à travers "une idée dominante et souveraine [...], ravissant les esprits, soulevant l'homme du pesant limon, se créant à soi un peuple, s'armant du monde nouveau qu'elle aurait créé, neutralisant d'en haut l'effort mourant de l'ancien monde". L'idée dominante et souveraine du projet de la révolution citoyenne, c'était la participation active des citoyens. Cette allusion à la Révolution française n'est pas gratuite, puisque Montufar utilise le mot "bonapartisme", et je veux croire qu'il ne le fait pas à la légère, puisqu'il s'agit d'un analyste politique sérieux et bien informé. Or, c'est Bonaparte qui a mis fin à la Révolution française par le coup d'Etat du 18 brumaire.

Les partisans de Rafael Correa ne manqueront pas d'objecter qu'il n'y a qu'un an qu'il est au pouvoir et que l'on ne peut pas tout faire dans un délai aussi court. Cette objection, trop souvent utilisée pour justifier ce qui n'a pas été fait au cours de cette première année, me paraît particulièrement inadéquate dans le cas de la participation populaire, qui constituait l'instrument le plus immédiat et le plus efficace du changement, sinon le plus facile à manier, en mobilisant la population dès l'arrivée de Correa au pouvoir pour l'instauration progressive d'une authentique révolution citoyenne. Une telle démarche, pédagogique, informative et formative, est à l'opposé de la propagande simpliste et mensongère à laquelle le gouvernement recourt abusivement pour tenter de convaincre la population d'adhérer à ses objectifs.

8 février 2008


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