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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Andes équatoriennes

 

Note de lecture :

UNE GROSSESSE DIFFICILE

Aujourd'hui encore, pour tenter de préciser mon sentiment sur la situation politique actuelle de l'Equateur, je m'appuie sur le témoignage d'un journaliste. Il s'agit de Jorge Vivanco Mendieta, qui a publié une chronique dans la revue bimensuelle Vistazo du 14 février 2008, intitulée "¿Vinculo o cordón umbilical?", qui fait le point sur l'avancement des travaux de l'Assemblée nationale constituante (ANC).

Vivanco est éditorialiste et sous-directeur du quotidien guayaquilénien "Expreso". Il est aussi un journaliste particulièrement respecté du fait de son âge (81 ans), de sa très longue expérience professionnelle (il a passé par la plupart des grands quotidiens équatoriens), de son engagement politique (à gauche, en faveur de la démocratie), et plus que tout, pour son courage et ses prises de position critiques sur les grands problèmes du pays, sans pourtant renoncer à l'équilibre, à l'humanisme et à l'éthique. Rafael Correa, le président, aurait du mal à lui reprocher d'écrire des "cochonneries", comme il l'a fait, au cours de sa 56e émission de radio hebdomadaire, à propos de la publication d'un sondage défavorable envers l'Assemblée, dans un autre quotidien de Guayaquil.

LIEN OU CORDON OMBILICAL

Le peuple équatorien, au cours des quatre dernières élections - depuis le premier tour de l'élection présidentielle - a réalisé une prouesse démocratique unique dans la vie républicaine et rarement constatée dans l'histoire politique latino-américaine, rien moins qu'une révolution légale, pacifique, par les urnes, énonçant le mandat de restructurer l'Etat, prisonnier de groupes politiques qui se répartissaient le pouvoir pour le corrompre par l'intermédiaire du système dit partidocratique, fleur du néolibéralisme. Une entreprise qui vise à restaurer un véritable état de droit et implique des réformes substantielles dans tous les domaines. Non des changements, mais des transformations en vue de récupérer la démocratie, tout en conservant les libertés. Mais il semble que ce mandat ne soit ni bien compris, ni bien interprété, même par ceux qui l'ont reçu.

Cette transformation profonde doit être menée à bien par l'Assemblée constituante qui a deux objectifs spécifiques du fait des pleins pouvoirs : édicter une nouvelle Loi fondamentale et réaliser une réforme institutionnelle. Pour accomplir cette tâche, on lui a accordé un temps limité, qui doit être utilisé à fond, sans délais ni gaspillages. Mais, deux mois de sessions [en réalité, on s'approche des trois mois] ont passé et le travail est plus que restreint, presque mesquin : des résolutions administratives cédant aux désirs du président Correa pour congédier des hauts fonctionnaires et nommer leurs remplaçants ; l'approbation d'une loi aussi importante que la loi fiscale, en appliquant une procédure surprenante, qui a empêché une véritable discussion ; la formulation de deux mandats constitutionnels comme ils appellent l'exercice de la fonction législative qu'ils ont assumé, dont l'un présentait de telles erreurs qu'il a été nécessaire de les réparer, mais, ce faisant, ils ont réintroduit les intérêts mêmes qu'ils voulaient limiter. Pendant ce temps, l'on ne parle presque pas de la nouvelle constitution, ou l'on en parle tout bas et par fragments, avec comme condition qu'elle, en tant que loi cadre, au sein de laquelle les autres lois doivent s'harmoniser, soit soumise à un référendum d'approbation.

Pourquoi ce pas de tortue de l'Assemblée qui dispose d'une majorité gouvernementale aussi écrasante, sans aucune opposition ?

Plusieurs aspects peuvent nous expliquer cette curieuse situation, l'un d'entre eux est que l'Assemblée est empêtrée dans sa propre majorité, elle est devenue un organisme éléphantesque aux mouvements lents et maladroits. Elle ne peut pas surmonter cette déficience, malgré la présence de constituants de grandes classe et expérience, au sommet, Alberto Acosta [président] et Fernando Cordero [premier vice-président], au niveau inférieur, Maria Paula Romo [membre de Ruptura de los 25] et Leon Roldos [ex-vice-président de la République, ex-candidat à la présidence en 2007], magnifiquement accompagné par Rafael Esteves [affilié, jusqu'à ces derniers jours, à Société patriotique, le parti de l'ex-président Lucio Gutierrez].

C'est sûrement parce que règnent la médiocrité de la majorité, son inexpérience et sa hâte. [Les constituants] donnent l'impression de ne pas mesurer leur responsabilité.

Mais un autre facteur, peut-être déterminant, est que le lien naturel qui doit exister entre l'Exécutif - moteur infatigable des campagnes électorales qui a ouvert le chemin à la majorité -, [et l'Assemblée], s'est transformé en un cordon ombilical enroulé autour du cou de l'assemblée et qui l'étrangle. Le sens commun indique que cela ne devrait pas se produire, mais cela s'est produit, et il y en a des preuves très éloquentes.

L'interdiction de toucher au cas Dayuma [une protestation populaire qui s'est attaquée à des installations pétrolières], la proposition [d'accorder] des amnisties et des grâces, qui a mis l'Assemblée devant un dilemme délicat, dans un contexte de travail totalement inadéquat. Le Palais de l'Assemblée, inauguré avant d'être achevé, présente des déficiences tout à fait évidentes, l'enceinte des sessions n'est rien moins qu'un grand appentis, les bureaux des constituants ressemblent aux pupitres d'une école pauvre, le système audio fonctionne très mal, et ce n'est que prochainement que l'on pourra enregistrer les sessions, [enregistrement] qui en constitue la justification légale (Entre parenthèses, nous n'avons pas constaté que les actes des séances aient fait l'objet d'une approbation, sans laquelle ils n'ont pas d'existence légale).

Et le temps passe inexorablement.
Ou est-ce qu'il n'y aurait pas un "travail d'avance", particulièrement en ce qui concerne la rédaction de la Constitution ? C'est ce qu'on dit et c'est ce qu'on soupçonne, ce qui serait très grave, car, s'il n'y a pas de discussion publique et sereine de la Charte politique, et si elle est approuvée en vitesse, comme la loi fiscale, de graves problèmes se profilent dans un avenir proche, parmi lesquels l'ingouvernabilité et l'instabilité.

Dans ces circonstances, il n'y a rien d'autre à faire que d'accorder sa confiance au discernement, à la responsabilité historique du président Correa, ainsi qu'à un groupe important du bloc de la majorité pour qu'ils réagissent à temps et sous une forme adaptée aux circonstances. Il est impossible de croire qu'une surprise pourrait être en train de se préparer.

POST-SCRIPTUM

L'image à laquelle recourt Jorge Vivanco est cruelle : si un gynécologue expérimenté n'est pas présent pendant l'accouchement, l'enfant à naître risque de mourir étouffé ou d'être gravement handicapé.

Certes, l'Assemblée ne manque pas d'"accoucheurs", reste à savoir s'ils sont compétents ? Il y a d'abord Rafael Correa, un père abusif, qui la détourne de sa tâche essentielle - rédiger une nouvelle constitution - pour qu'elle contribue à asseoir son projet de révolution citoyenne ou de socialisme du XXIe siècle. Il y a Alberto Acosta, son président, qui oscille entre la loyauté envers Correa et le maintien d'un semblant de fonctionnement démocratique. Il y a Augusto Barrera, qui exerce la fonction, floue et suspecte pour l'observateur extérieur, de "coordinateur de contenus" entre elle et le gouvernement et enfin, Ricardo Patiño, ministre coordinateur de la Politique, dont le rôle s'apparente à celui d'un commissaire politique, chargé de maintenir une certaine cohérence et la discipline dans les rangs de la majorité d'Acuerdo Pais.

Parmi les raisons de l'improductivité de l'Assemblée, non mentionnées par Jorge Vivanco, il y a aussi, je crois, la hantise d'une désintégration chez cette majorité pachydermique d'Acuerdo Pais, traversée par des courants que j'aurai du mal à définir avec précision, parce que peu d'informations fiables filtrent sur ce qui se passe à l'intérieur. Ce silence s'explique par l'importante loyauté envers Correa et son projet qu'éprouvent les constituants gouvernementaux, et/ou par la conscience que trahir les "secrets" d'Acuerdo Pais entraînerait une expulsion immédiate des contrevenants.

Cette hantise a des effets stérilisants aussi bien sur la majorité, qui ne veut pas prendre le risque de rechercher un dialogue ou une concertation avec la minorité, laquelle risquerait de mettre en danger sa cohésion, que sur la minorité elle-même dont les propositions ou les suggestions sont souvent ignorées ou rejetées par la majorité.

Une autre cause non recensée par Jorge Vivanco est la méthode choisie par la direction de l'Assemblée pour l'élaboration de la nouvelle constitution, qui repose sur la production de neuf commissions, travaillant chacune sur une thématique. Par exemple : droits fondamentaux et garanties constitutionnelles (commision no 1) ; organisation, participation sociale et citoyenne et systèmes de représentation (commission no 2) ; structure et institutions de l'Etat (commission no 3) ; ordre territorial et assignation de compétences (commission no 4) ; ressources naturelles et biodiversité (commission no 5), etc. Ce n'est pas la validité de la méthode que je mets en doute, mais le choix de cette méthode dans les circonstances dans lesquelles l'Assemblée doit travailler.

Comme le remarque Jorge Vivanco, une proportion importante de constituants - que je ne me hasarderai pas non plus à préciser - n'ont pas la maturité, l'expérience, et j'ajouterai les compétences, nécessaires pour construire une constitution en utilisant une méthode inductive. D'autre part, le temps accordé pour une telle démarche, six + deux mois, est insuffisant pour la mener à bien, et cela d'autant plus que Correa semble avoir oublié cette éventuelle période supplémentaire, en fixant au 24 mai, jour de la bataille de Pichincha, la reddition de l'ouvrage. Comme cela a déjà été dit, une partie du temps disponible, qu'un des constituants de la minorité, Pablo Lucio Paredes, évalue à 50 %, est consacrée à d'autres tâches. Et enfin, cette méthode exige un important travail d'intégration et de synthèse des contenus fournis par les neuf commissions pour rendre homogène et cohérent le texte final.

Or, Correa lui-même avait confié au Conesup (Consejo Nacional de Educacion Superior), la tâche de rédiger un projet de constitution, dont on pouvait penser qu'il servirait de base au travail de l'Assemblée. De cette façon, non seulement la productivité de l'Assemblée aurait été améliorée, mais aussi l'information des citoyens, qui auraient eu une connaissance immédiate des thèmes de discussion et des débats qu'ils engendraient, au lieu du secret qui entoure encore aujourd'hui les contenus produits par les commissions. Pour des raisons peu claires, et non exprimées à ma connaissance, ce projet n'a pas été retenu, malgré son coût élevé et les nombreux mois de collecte d'informations et d'analyse fournis par une brochette d'experts universitaires.

Cependant, on ne peut pas reprocher à Rafael Correa de ne pas avoir annoncé la couleur : le 15 janvier 2007, le jour de sa possession en tant que président, il a évoqué "une révolution citoyenne consistant en un changement radical, profond et rapide du système politique, économique et social existant", dont la nouvelle constitution est la fondation. C'est la direction de l'Assemblée qui n'a pas tenu compte de cette exigence présidentielle en choisissant un processus de construction inadéquat. La confiance manifestée par Jorge Vivanco dans la capacité de Rafael Correa de redresser la barre me paraît donc mal placée, sinon par le subterfuge qu'il considère comme impossible : la surprise d'une constitution toute faite. En effet, Rafael Correa a une seconde raison d'être pressé : un niveau de popularité en baisse, qui lui fait craindre que le résultat des prochaines échéances électorales - référendum d'approbation de la nouvelle constitution et élections générales - puisse être serré ou même négatif.

Mais la défaillance la plus grave de la direction de l'Assemblée se trouve dans les insuffisances de la communication avec les médias et l'ensemble de la société équatorienne. Les choses avaient pourtant bien commencé : la transmission intégrale de la cérémonie de translation d'une partie des restes d'Eloy Alfaro à Montecristi et celle de l'inauguration de l'Assemblée avait coïncidé avec les débuts de la chaîne publique Ecuador TV, relayée par les télés privées. Malheureusement, lorsqu'on habite, comme moi, une province pourtant pas si éloignée (moins de deux heures de Quito), la télé publique n'est pas encore accessible, et l'accès au site web de l'Assemblée (avec un modem 56k, le seul disponible) n'est ni facile, ni rapide, et encore plus difficile depuis un mobile. Le contenu du site est riche et diversifié, mais il n'est pas hiérarchisé, et l'essentiel n'y figure pas jusqu'à aujourd'hui : des compte-rendu réguliers sur le traitement des thèmes par chaque commission, présentant le fond de son travail, et pas seulement son organisation. Dans ces conditions, rassembler des informations pertinentes sur le travail de l'Assemblée Constituante et ses répercussions dans le pays, puis les analyser, serait un travail à plein temps, hors de la portée d'un citoyen lambda comme moi.

Enfin, pour en terminer sur ce grave dysfonctionnement de la communication entre le pays et l'Assemblée, le fait que celle-ci ait assumé la fonction législative du Congrès, suspendu temporairement, a occulté sa fonction essentielle, produire une Constitution. Le caractère contestable de cette attribution et des lois examinées et votées par l'Assemblée a créé un climat de polémiques incessantes qui, non seulement a influencé négativement l'image de l'Assemblée, mais a aussi contribué à son évident manque de productivité.

Cela me ramène à deux critiques de Jorge Vivanco : la hâte et l'impréparation qui ont contaminé tout le processus, aussi bien de construction de l'infrastructure de l'Assemblée (la première pluie importante a inondé tout le bâtiment administratif ; les conditions matérielles de travail des constituants sont déplorables), que ses conditions de production, notamment intellectuelle, et la communication de cette dernière à toutes les couches de la population pour que s'engage un dialogue et une confrontation des idées au plan national.

Il semble cependant que les nombreuses critiques émises par les médias, les corps constitués, les mouvements, les experts non gouvernementaux, ainsi que celles de la minorité des constituants, aient fini par être entendues par la direction de l'Assemblée. Les relations avec les médias se sont récemment améliorées. Le coordinateur de contenus, Augusto Barrera, a transmis un document qui constitue la table des matières de la future Constitution, dont la paternité n'est pas claire, mais exhibant de nombreuses convergences avec le projet d'Alianza Pais. La commission no 9 a publié un concept de la souveraineté, accepté - il faut le souligner, car c'est la première fois que cela se produit -, à l'unanimité de ses membres, majorité et minorité confondues. Cependant, il ne faut pas non plus exagérer la portée de cet événement : ce texte compte 10 lignes et 105 mots, et il a déjà, comment le précédent, suscité une vive polémique sur la validité des concepts présentés. Il me semble prématuré d'exprimer une opinion sur ces documents qui ne sont que des esquisses de l'esquisse de la future constitution.

Même si l'image qu'utilise Jorge Vivanco est peut-être une dramatisation excessive de la situation, je ne crois pas faire preuve d'un pessimisme exagéré en répétant ma phrase d'ouverture : sans un virage à 180º, qui ne fait que s'amorcer timidement, la nouvelle constitution court le risque d'être mort-née ou gravement handicapée.

Le 26 février 2008

UNE INVITATION

Aux demi-vérités véhiculées par un déluge de propagande gouvernementale - et comme le dit si bien Rafael Correa "une demi-vérité, c'est un double mensonge" -, il faut préférer la campagne civique "Souris, Equateur, nous sommes des gens aimables", menée par le vice-président de la République, Lenin Moreno, qui me rappelle celle d'Antanas Mockus, maire de Bogota, pour la récupération de l'espace public dans cette ville.

N'est-ce pas ainsi que devrait commencer la véritable révolution citoyenne ? En tentant de changer d'abord les comportements individuels : si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même.


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