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Nouvelles du Petit Paradis en Equateur

La vie quotidienne dans le nord des Ande équatoriennes

 

Note de lecture :

La révolution en... cinq axes :
3. révolution économique et productive

Voici la troisième note consacrée au programme d'Alianza Pais (voir "Rêve de pays, pays de rêve" et "La révolution en cinq axes : révolution constitutionnelle, révolution éthique").

Cet axe représente 80 % du texte consacré aux cinq révolutions programmatiques. C'est que le nouveau président de la République, Rafael Correa, est un économiste, mais aussi que les problèmes économiques devraient primer sur tout le reste, dès lors que l'objectif principal est de réduire des niveaux de pauvreté et d'iniquité "intolérables", comme il vient de le rappeler.

Contrairement aux deux précédentes révolutions, les propositions contenues dans ce chapitre sont le plus souvent spécifiques et détaillées.

AXE 3. REVOLUTION ECONOMIQUE ET PRODUCTIVE

Le schéma économique du pays privilégie la spéculation financière, qui bénéficie excessivement aux créanciers et qui veille à la moindre exigence de la banque. L'économie est détachée du social et de l'environnemental. Ce schéma doit être radicalement transformé, comme doit l'être la stratégie de développement social. Il faut ôter cet avantage aux spéculateurs financiers, nationaux et internationaux, et aux monopoles privés. Les ressources doivent être destinées à l'éducation, à la santé, au réseau routier, au logement, à la recherche technologique, à l'emploi et à la réactivation productive.

La transformation sociale et économique doit privilégier l'être humain, tous ceux qui créent de la richesse avec leurs mains, leur créativité et leurs capacités.

Pour cela, nous proposons les mesures suivantes.

1. Réactivation productive et création d'emploi

L'Etat doit proposer des politiques actives pour favoriser l'emploi et améliorer le niveau des salaires et les conditions de vie des travailleurs et de leurs familles. Les entreprises doivent, sur la base d'un nouveau pacte social, promouvoir des relations justes et équitables entre employeurs et employés. Les bénéfices ne peuvent être obtenus au prix de la faim et de la misère des travailleurs, ni d'une exploitation impitoyable et irresponsable de la nature.

Etre libre consiste à n'être pas redevable à autrui pour vivre ou survivre. La liberté correspond avant tout à la non-domination, mais pas à la non-interférence, prônée par le libéralisme. La possibilité de régler sa vie librement sera l'objectif de la réactivation productive et de la génération de travail digne.

La politique macro-économique renforcera les entreprises existantes et favorisera l'apparition de nouvelles entreprises à travers l'Institut national de préinvestissement, en liaison étroite avec les entités de planification nationale. L'augmentation de la productivité sera obtenue par l'amélioration des capacités humaines, grâce à une meilleure éducation et formation, à l'innovation et à l'adaptation technologiques, à l'utilisation de sources d'énergie alternatives et à la revalorisation des ressources autochtones. Le pays doit développer d'autres facteurs de compétitivité et ne pas continuer à abuser de sa dotation en ressources naturelles et de sa main d'oeuvre bon marché. La société réclame des salaires dignes pour la réactivation de l'emploi et la création d'un marché interne solide. Le développement démocratique sera fondé principalement sur le travail.

A. Politique de travail intégrale, intégrative et mobilisatrice

Il s'agit d'une politique centrale de l'Etat, basée sur l'équité sociale, économique, de genre, interculturelle, qui articule et mobilise les ressources, l'expérience, la volonté et l'énergie des secteurs privés et publics.

L'emploi est généré à 80 % par les entreprises petites et moyennes du secteur privé, ainsi que par les microentreprises du secteur moderne et du secteur informel. Mais l'Etat doit intervenir pour garantir une rémunération convenable, des conditions de travail correctes et le respect des droits des travailleurs, particulièrement en ce qui concerne les groupes vulnérables : femmes, jeunes, indigènes, pauvres.

B. Politique sectorielle de développement de l'investissement générateur d'emploi

Il s'agit d'encourager l'investissement privé et public dans des secteurs à haut potentiel de génération d'emploi et de liaisons productives internes, ainsi que l'investissement social visant à développer l'employabilité et la capacité entrepreneuriale de la force de travail, en considérant les spécificités de genre et de génération : tourisme communautaire et de nature, sport et culture ; construction et rénovation de logements ; développement rural et agricole ; réorientation de l'investissement public vers les infrastructures productives et sociales ; révolution éducative intégrant les avances technologiques qui permettent l'accès à l'information et à la connaissance.

C. Politique de la jeunesse

Elle doit être spécialement centrée sur les secteurs les plus exclus de la société et de l'économie, aussi bien dans les campagnes que dans les villes, incluant les groupes ethniques, et fondée sur les droits plutôt que sur l'assistance. La politique améliorera l'employabilité par une éducation respectueuse de la diversité et de la spécificité, mais articulée sur des demandes concrètes, par la génération de microentreprises, la promotion de marchés, par des programmes spécifiques d'appui à l'accès d'actifs de production, de connaissances, d'informations, d'organisation entrepreneuriale, de reconversion productive et de renforcement des institutions publiques chargées de cette mission.

Pour favoriser l'embauche des jeunes, l'Etat offrira des opportunités de stages rémunérés dans le secteur public et encouragera le secteur privé à engager et qualifier des jeunes, il développera des programmes spécifiques destinés à promouvoir des projets de partage de risques, il encouragera la constitution de bourses d'emploi et créera un fond pour la constitution d'une banque de projets.

D. Politique salariale juste et incitative

Elle impose une réforme du cadre juridique du travail. Il s'agit de réguler les entreprises de sous-traitance, de mettre sur pied un code du travail qui réponde aux objectifs de réactivation, d'emploi, de compétitivité, et empêche la précarisation, de donner une continuité et de consolider les espaces de dialogue tripartites pour la définition des salaires et où soient abordés les thèmes de l'indexation salariale à l'inflation, une articulation adéquate des incitations, la formation et la productivité en tant que critères institutionnalisés de politique macroéconomique.

Les salaires seront fixés par rapport à celui du président de la République (basé sur le salaire minimum vital) [170 USD en 2007]. Personne, dans le secteur public, ne pourra gagner plus que le président, tandis que les salaires du secteur privé qui dépassent ce chiffre devront payer un impôt sur le revenu progressif.

E. Stabilité, protection et "dignification" du travail

Il s'agit de lutter contre la flexibilisation du travail par des lois qui garantissent la stabilité du travail, tout en mettant fin aux prébendes excessives dont jouissent certains secteurs restreints, privés et publics ; également établir un mécanisme d'assainissement et de faillite d'entreprises, facilitant des accords justes entre les parties grâce aux arbitrages, contrôler les bénéfices ou les rentabilités excessifs qui génèrent des processus pervers d'enrichissement individuel en faveur d'une politique de contribution à la sécurité sociale et à la constitution de fonds de retraite convenables. Il convient également de viser à une participation croissante des travailleurs dans les instances de direction et de contrôle des entreprises, c'est-à-dire concrètement des mécanismes de cogestion.

La responsabilité sociale des entreprises sera favorisée non pas comme mécanisme de promotion commerciale et encore moins d'évasion fiscale, mais comme une pratique orientée vers une amélioration de la qualité du travail dans l'entreprise, un meilleur accomplissement de l'ensemble de ses obligations envers l'Etat et un développement de relations vertueuses et non prédatrices entre les entreprises et la société, ainsi que la nature.

Un point important de ce processus de dignification du travail réside dans l'établissement de limites inférieures et supérieures pour les salaires publics, et de critères clairs de régulation pour les salaires privés. Les entreprises ne seront pas autorisées à répartir des bénéfices tant que leurs travailleurs n'auront pas atteint le salaire minimum vital. De la même façon, des mécanismes permettront de réaliser une redistribution sociale adéquate des profits extraordinaires - souvent obscènes - qu'obtiennent certains cercles entrepreneuriaux qui jouissent de positions monopolistiques ou oligopolistiques, ou de pratiques rentières qui ne favorisent pas le développement productif et compétitif du pays.

F. Modernisation intégrale de l'Institut équatorien de sécurité sociale (IESS)

Cette modernisation n'implique aucunement la privatisation de la Sécurité sociale. L'Etat doit d'abord payer la dette qu'il a envers la Sécurité sociale afin de la doter d'un financement adéquat, et qu'elle puisse mettre sur pied la Banque de l'affilié, du retraité et du pensionné. On dotera également la SS d'une infrastructure permettant de répondre aux demandes de la société et d'intégrer les avances technologiques, sans que l'Institut perde son caractère d'entité publique solidaire. La composition du Conseil d'administration devra être modifiée afin d'intégrer des représentants des affiliés et des retraités et démarrer une administration efficiente. Les crédits chirographaires seront développés et un plan d'augmentation des pensions permettra non seulement de récupérer le pouvoir d'achat, mais d'augmenter le revenu réel des retraités et pensionnés. La loi de la Sécurité sociale sera transformée en loi organique, ce qui permettra d'assurer la supervision et un contrôle strict des recettes et des investissements.

Dans cette même ligne de réflexion, on tendra à améliorer les conditions de vie des habitants du troisième âge sans retraite, en améliorant substantiellement le bon qu'ils reçoivent [de 11,50 à 30 USD], en ouvrant des hébergements sociaux et en leur garantissant une attention médicale satisfaisante. La Sécurité sociale paysanne sera renforcée et étendue. Un traitement particulier sera réservé aux retraités des différentes branches, comme, par exemple, le secteur des télécommunications.

G. Promotion des initiatives propres de l'économie populaire, liées au développement local

Une politique active d'appui au développement des micros et petites entreprises, aux coopératives et entreprises associatives et communautaires promouvra la création et la consolidation de marchés locaux, de services spécialisés dans ce secteur, y compris les services financiers, fondé prioritairement sur l'encouragement et le renforcement d'un vaste système de microfinances appuyé sur les coopératives d'épargne et de crédit.

Elle créera des regroupements de petites entreprises afin d'obtenir des gains d'échelle et atteindre de meilleurs niveaux de compétitivité et de coopération. Elle promouvra des mécanismes d'accès à d'autres marchés nationaux, telles que les acquisitions publiques, et aux marchés internationaux, par le biais du commerce équitable, directement du producteur au consommateur, en évitant les intermédiaires. Elle articulera les efforts individuels et ceux des corps de métiers avec les stratégies de développement territorial afin d'obtenir des synergies qui mobilisent et optimisent les ressources publiques et privées.

H. Promotion de l'autonomie économique des femmes et du contrôle sur leurs ressources

Des politiques d'emploi, de génération de ressources, d'initiatives productives, d'accès à des crédits à bas taux d'intérêt, de titularisation de terres et de logement seront orientées vers les femmes, ainsi que la parité dans l'embauche, le principe d'un salaire égal à travail égal, des garanties ou facilités spécifiques pour la maternité et l'allaitement, des garderies et des sanctions en cas de discriminations.

On suscitera des politiques de conciliation et de compensation au travail gratuit des femmes ou aux formes de néo-esclavagisme qui exploitent le travail des employées domestiques. L'universalisation de l'affiliation des femmes à la sécurité sociale intégrale et diverses actions affirmatives en leur faveur feront partie de la promotion de leur autonomie économique. On soutiendra également des politiques spécifiques d'assistance sociale aux femmes du secteur informel.

I. Promotion des entreprises petites et moyennes (PME)

On encouragera l'accès direct des micros, petites et moyennes entreprises aux acquisitions publiques de l'Etat, soit pour commencer le 30 % des 3 milliards USD destinés à cette fin. On leur proposera des programmes de formation sur la gestion des marchés, on les orientera sur l'exportation, on établira des mécanismes d'accès au crédit et aux services financiers en cherchant à améliorer leur compétitivité, ainsi que des programmes d'avantages fiscaux et douaniers pour l'importation de machines et de technologies. On articulera les productions locales, régionales et nationales de façon à créer des mécanismes de multiplication synergique.

J. Promotion du tourisme alternatif et durable

Grâce à une stratégie basée sur la diversité de la nature et des cultures, on cherchera à intégrer le plus grand nombre des habitants du pays dans les avantages procurés par cette activité. On évitera les projets gigantesques qui ne sont pas attrayants pour un tourisme respectueux de l'environnement et des cultures et on favorisera le tourisme communautaire, écologique, artistique, éducatif, sportif dans lesquels les gouvernements municipaux prendront une part active.

COMMENTAIRES

Ces dix mesures, dont certaines se recoupent, constituent un dispositif impressionnant, qui conduirait, s'il était appliqué dans sa totalité, à une amélioration significative du taux d'emploi et du niveau de vie d'une proportion importante d'Equatoriens. Son caractère systémique et intégral me paraît particulièrement valable, bien que le succès ne soit pas nécessairement garanti, en raison de la complexité de sa mise en œuvre.

Reste, en effet, à élaborer un plan de mise en place de ces mesures, puisque, à l'évidence, toutes ne pourront être menées à bien en même temps, et donc à définir l'accomplissement d'objectifs prioritaires, sur une période d'au moins dix ans.

L'agenda économique du gouvernement, qui vient d'être présenté par Rafael Correa, est plutôt moins précis sur les mesures, ne fixe pas de priorités autres que générales et reste vague sur les moyens de financer cette partie du programme. Certes, il réaffirme grosso modo les contenus du plan et il fournit une prévision sur la croissance, l'emploi et l'inflation pour 2007, avec une hypothèse haute, au cas où le gouvernement arrive à se procurer les fonds nécessaires, et une hypothèse basse si non.
Scénario actif : croissance 4 - 4,4 % ; chômage 8,9 % ; inflation 3,2 - 3,5 %
Scénario passif : croissance 3,3 - 3,5 % ; chômage 9,9 % ; inflation 2.6 - 2,9 %.
Les chiffres hauts sont proches du niveau moyen de ceux que l'Equateur a atteint ces dernières années.

Face à l'absence de précisions sur le financement global, le gouvernement donne l'impression que, grâce au prix actuel du baril de pétrole, à un partage plus équitable des surplus pétroliers entre l'Etat et les compagnies privées, aux fonds d'excédents pétroliers et à l'aide du Venezuela, tout se résoudra comme par enchantement.

Parmi les chiffres fournis, 260 millions USD seront affectés à tenir une des promesses concrètes du second tour de la campagne : le 555, des crédits allant jusqu'à 5.000 USD, sur 5 ans à 5 % destinés aux microentreprises, en priorité pour les femmes, les jeunes et le secteur informel, qui représente 44 % du total des emplois. L'Etat devra subsidier ce type de prêt, ce qui me paraît en contradiction avec la philosophie du microcrédit. D'autre part, en prenant comme hypothèse un prêt moyen de 500 USD, le nombre de prêts accordés se monterait à seulement 52.000 en 2007, alors que la demande potentielle est certainement beaucoup plus élevée. Il reste à voir si les conditions d'attribution sont aussi ouvertes que ne le dit le discours officiel : la présentation d'un garant, par exemple, n'est pas à la portée des milieux modestes et me semble également contraire à la philosophie du microcrédit. L'effet d'entraînement de cette mesure risque d'être décevant pour l'économie nationale, comme seront déçus ceux qui ne pourront pas y accéder.

Les conditions de rémunération et d'emploi doivent être effectivement modifiées, afin d'améliorer la productivité et la motivation d'une proportion importante de travailleurs du secteur privé. Il est évident qu'un salaire unifié fixé pour 2007 à 197 USD est très bas, quand on le met en rapport avec un panier vital à 317 USD, ce qui signifie qu'il faut 1,5 salaire unifié dans une famille pour qu'elle puisse simplement survivre. Le ministre du Travail a fait un pas dans cette direction par l'Accord ministériel no 23 du 21 février 2007 qui augmente le salaire minimum de trois des catégories de travailleurs les plus défavorisées - le service domestique, les ouvriers des ateliers artisanaux et les membres de la famille employés dans une microentreprise -, en le portant à 120 USD pour huit heures par jour et quarante heures par semaine, ce qui peut représenter, si l'accord est appliqué correctement, une augmentation de près de 50 % du salaire et une diminution significative du temps de travail. Le salaire horaire a été augmenté de 37 % à 1,37 USD.

Cependant, l'Equateur est en compétition, pour de nombreuses de ses productions, avec des pays dont les salaires sont bien inférieurs au salaire minimum équatorien. Le gouvernement semble compter sur une extension du marché intérieur pour ne plus dépendre autant des marchés extérieurs, en ouvrant en particulier les achats publics aux micro, petites et moyennes entreprises (900 millions USD en 2007). Un tel rééquilibrage est délicat et long à obtenir.

De même, il est sans doute nécessaire d'améliorer la protection des travailleurs, notamment en ce qui concerne les emplois dans les entreprises de sous-traitance, mais à condition que les avantages excessifs dont bénéficient certaines catégories de travailleurs, appartenant le plus souvent au secteur public, couverts par des conventions collectives outrageusement avantageuses, soient supprimés. Le gouvernement qui réussira un tel exploit est sûr de passer à l'Histoire.

Rafael Correa a signé le jour même de sa possession le décret no 003, qui réduit sa rémunération mensuelle à 25 fois le salaire minimum, soit 4250 USD en 2007, et stipule qu'aucun autre fonctionnaire de son gouvernement ne pourra gagner plus que lui. Cette mesure populiste, qu'avait déjà prise un de ses prédécesseurs, Lucio Gutierrez, ne concerne en fait qu'environ 320 personnes rattachées à la présidence de la République et détentrices d'un contrat à durée déterminée. Certaines entités gouvernementales ont suivi le mouvement, mais les entreprises publiques autonomes n'ont pas bougé. Les économies réalisées seront plutôt dérisoires et le bilan final risque d'être négatif du fait que l'Etat perd la possibilité d'embaucher des experts dans certains domaines clés. Car, on peut être à la fois patriote, c'est-à-dire prêt à sacrifier son confort personnel et familial, et incompétent.

Les politiques volontaristes de promotion des micros, petites et moyennes entreprises, génératrices d'emplois, certes, mais souvent non spécialisés, donnent l'impression que l'Etat se désintéresse des grandes entreprises (à l'échelle de l'Equateur) qui présentent pour la plupart un niveau technologique élevé. Ces entreprises n'ont bien sûr pas besoin de l'aide de l'Etat, mais d'un environnement favorable que seul l'Etat peut contribuer à leur procurer. Il est regrettable qu'un plan de réactivation économique et de génération de l'emploi fasse l'impasse sur un secteur aussi important, qu'il faudrait au contraire développer parallèlement.

La promotion du tourisme alternatif et durable est une excellente initiative, mais elle dépend d'une mise à niveau des infrastructures et des moyens de transports, qui sont très déficients dans les régions concernées par ce type de tourisme (cf. Forces et faiblesses du tourisme dans les pays andins.

Enfin, à elle seule, la restructuration de l'Instituto Ecuatoriano de Seguridad Social (IESS) constitue un défi lourd de conséquences pour le gouvernement de Correa, d'abord à cause de la dette de l'Etat à son égard (plus de deux milliards de dollars selon l'IESS), ensuite par l'énormité de la tâche d'universalisation de la SS à la plus grande partie de la population économiquement active (l'IESS ne couvre actuellement que le 20 % des travailleurs), et enfin par la mise à niveau des diverses prestations très déficientes qu'il offre, notamment dans les secteurs des retraites et de la santé. L'agenda économique du gouvernement pour 2007 passe sous silence ce point pourtant vital, aussi bien pour les salariés que pour l'avenir économique du pays.

L'impression qui ressort de cet ensemble de remarques est celle d'une possible double impasse, dans le domaine des ressources financières et des moyens humains de l'Etat. Comment financer ces changements ? Sur qui s'appuyer pour les réaliser, étant donné le bas niveau de compétences de beaucoup des agents disponibles actuellement ? Aucune réponse claire n'a été donnée à ces deux questions ni dans le plan de gouvernement d'Alianza Pais, ni dans la présentation de l'agenda économique pour 2007.

2. REINGENIERIE DU SYSTEME FINANCIER PUBLIC ET PRIVE

L'accès aux services financiers doit faire partie du patrimoine de tous les Equatoriens, selon 4 axes.

A. Un ample réseau national de coopératives d'épargne et de crédit

Le coopératisme repose sur les principes de responsabilité, de démocratie, d'égalité, d'équité et de solidarité entre ses membres. Du fait de leur structure, les coopératives d'épargne et de crédit sont dotées d'une grande capacité d'autocontrôle et d'autodiscipline qui permet aux acteurs sociaux et économiques de s'approprier les services financiers et de générer une meilleure culture de l'épargne.

Ce réseau résiste mieux aux déséquilibres financiers nationaux et internationaux, il est plus efficace pour la canalisation des ressources aux niveaux sectoriel et géographique, ainsi que pour la diffusion des programmes d'assistance technique et de formation, et finalement il contribue à une plus grande diversification et à une diminution des risques, notamment des impayés.

Pour amplifier ce réseau, les actions suivantes seront entreprises :

  • Affiliation des coopératives d'épargne et de crédit non soumises à régulation au Système national des coopératives d'épargne et de crédit (SNCEC).
  • Création de nouvelles coopératives et renforcement de celles qui existent à travers des lignes de crédit spéciales.
  • Intégration de toutes les coopératives affiliées au SNCEC, ainsi que les banques communales et les ONG qualifiées, au système de paiement de la Banque centrale de l'Equateur de façon à accélérer la circulation des capitaux, diminuer les coûts financiers et effectuer un suivi des activités financières.
  • Renforcer le Fond de microfinances afin qu'il se spécialise dans le transfert des fonds par l'intermédiaire du SNCEC à travers des lignes de microcrédit pour les microentreprises urbaines et rurales.
  • La Banque nationale de développement (BNF) et la Corporation financière nationale (CFN) interviendront comme banques de deuxième niveau, exclusivement pour le SNCEC et canaliseront des fonds pour des lignes de crédit destinées aux agriculteurs micros, petits et moyens dans le cas de la BNF, et pour les petites et moyennes entreprises et industries dans le cas de la CFN.
  • En liaison avec les assignations de fonds, on établira une plateforme d'assistance technique et de formation, à l'intention des membres du SNCEC, sur le coopératisme et ses fondements, la gestion et de meilleures pratiques, le développement local, le suivi des risques et les services financiers.
  • Chaque institution membre devra proposer un système de formation et de suivi à chacun de ses membres sur l'économie sociale et solidaire, la gestion et les finances des micros, petites et moyennes entreprises, l'économie populaire et les entreprises familiales, les secteurs indiqués pour des projets productifs et de services, les nouveaux marchés et les circuits de production et de commercialisation.
  • L'Etat appuiera, sur le plan technique et économique, en collaboration avec les fédérations de coopératives, la création d'un fond fiduciaire pour l'assistance technique et la formation qui réponde aux besoins du Système national des coopératives d'épargne et de crédit.
  • Etablir une régulation financière appropriée pour le SNCEC.
  • Création d'une surintendance des coopératives d'épargne et de crédit.
B. Réingénierie du système financier public

Toute la banque publique sera réorientée vers un modèle de banque de développement qui vise la réactivation productive dans les secteurs stratégiques indiqués dans le Plan de gouvernement et à la génération d'emploi. A cette fin :

  • On renforcera la Banque nationale de développement (BNF) sur le plan technique et économique.
  • La BNF se chargera du crédit aux micros, petites et moyennes entreprises et industries du secteur agricole, dans une première phase elle agira comme banque de premier niveau et parallèlement comme banque de second niveau pour le Système national de coopératives d'épargne et de crédit. Dans une seconde phase, elle améliorera sa capacité technique afin d'augmenter le nombre d'institutions dans le SNCEC et canalisera la plus grande partie des fonds par l'intermédiaire de ce système.
  • La CFN sera responsable de l'assistance technique et de la formation à l'intention des institutions membres du SNCEC qui offrent des lignes de crédit pour les petites et moyennes entreprises et industries.
  • La CFN sera responsable de la gestion du Fond de microfinances. Ces ressources seront distribuées par l'intermédiaire du SNCEC, des banques communales et des ONG qualifiées par la Surintendance des coopératives d'épargne et de crédit, pour l'offre de lignes de microcrédits à l'intention des microentreprises et industries.
  • On constituera un fond fiduciaire, géré par la CFN, pour les projets productifs et de services, présentés par de jeunes professionnels, techniciens ou universitaires.
  • La Banque nationale du logement (BNV) sera renforcée sur le plan technique et économique.
  • La BNV sera responsable de l'exécution du plan national du logement "Enfin ma petite maison", aussi bien sur le plan urbain que rural. A cette fin, des appels d'offres seront organisés entre les constructeurs privés pour la réalisation des différents projets de logements de l'Etat.
  • La Banque de l'Etat (BEDE) sera l'institution financière publique chargée du financement des grands projets stratégiques d'investissement de développement de l'Etat et des gouvernements locaux et régionaux. Parmi les secteurs financés par le BEDE, se trouveront entre autres l'énergie, le pétrole, les télécommunications, l'infrastructure routière, maritime, aérienne, les services publics.
  • Le financement du BEDE sera assuré par l'Etat, les gouvernements locaux et régionaux, la banque multilatérale, les gouvernements étrangers et l'IESS, à travers la titularisation d'actifs ou le financement direct.
  • Tous les gouvernements locaux et régionaux devront gérer leurs finances exclusivement dans les comptes courants ou d'épargne du BEDE, et non dans des banques du secteur privé.
  • La Banque du Pacifique se convertira en banque spécialisée en services financiers à l'intention des affiliés à l'IESS. A cet effet, l'IESS décentralisera la gestion financière des ressources des affiliés à la Banque du Pacifique, qui investira les fonds dans un portefeuille d'actifs hautement diversifiés qui garantisse la sécurité face aux risques financiers et apporte une grande variété de services aux affiliés et aux retraités. Le vaste réseau national de succursales de la Banque du Pacifique offrira tous les services que demanderont les affiliés et les retraités.
  • La Banque central de l'Equateur (BCE) prendra en charge quatre fonctions spécifiques.
    - Le suivi technique de la prévision de solvabilité et de liquidité du système financier privé et du Système national de coopératives d'épargne et de crédit.
    - La gestion du système de paiements au niveau national pour les institutions et entreprises publiques (sans aucune exception), pour les institutions du SNCEC et pour les institutions financières publiques et privées.
    - Dépositaire et agent de paiement des ressources financières de toutes les institutions et entreprises de l'Etat (sans aucune exception).
    - Gestion des statistiques économiques et financières et recherche économique.
  • Restructuration organique et institutionnelle de la BCE selon les quatre fonctions mentionnées ci-dessus.
  • Une loi établira qu'aucune ressource financière publique ne sera investie à l'extérieur du pays.

C. Régulation du système financier privé

La banque privée doit accomplir le rôle qui justifie son existence dans une économie en développement, qui est l'assignation efficace de fonds à toute l'économie et l'appui à la croissance économique. A cette fin, il conviendra de réformer la Loi générale des institutions financières comme suit :

  • Indépendance de la Surintendance des banques et assurances vis-à-vis des pouvoirs politiques et corporatistes, et renforcement institutionnel.
  • Opter pour un modèle de banque spécialisée afin d'améliorer les problèmes d'asymétrie dans l'information et d'inefficacité du secteur :
    - Spécialisation en banques commerciales et d'investissements, ces dernières devant permettre un plus grand développement du marché des capitaux (Bourse de valeurs), puisque leurs actifs seront composés par des actions d'entreprises cotées.
    - Spécialisation en portefeuilles de crédits, à travers des pourcentages obligatoires dans la structure du crédit aux secteurs productifs et de services et établissement de groupes de secteurs. A cet effet, on augmentera le nombre de rubriques de la classification des comptes en portefeuille.
  • Nouvelle classification du portefeuille de crédits bancaires selon la diversité des secteurs de production et de services du pays, ainsi que selon la nature du demandeur de crédit.
  • Elimination des commissions bancaires qui dissimulent le véritable prix de l'argent et génèrent des bénéfices extraordinaires aux banquiers.
  • Limites aux types d'intérêts sur la base de propositions techniques ajustées aux demandes de l'économie.
  • Le taux de capital sera de 15 %, c'est-à-dire la relation entre le patrimoine technique et les actifs pondérés par risque.
  • La pondération des actifs correspondant au portefeuille de crédit (pour le calcul du taux de capital) s'établira en fonction de la nouvelle classification qui répondra à la diversité des secteurs de production et de services du pays, ainsi qu'à la nature du demandeur de crédit.
  • Les économies des Equatoriens ainsi que les fonds détenus par les banques hors du pays seront rapatriés et un impôt sera prélevé sur les sorties de capitaux.
  • Création d'un fond de garantie des dépôts qui évite les défaillances bancaires et les risques de liquidité et contribue au suivi bancaire.
  • Création d'un fond destiné à minimiser les effets des problèmes de liquidités dans le système financier.

D. Développement du marché de capitaux (bourses de valeurs)

  • Indépendance de la Surintendance de Compagnies vis-à-vis des pouvoirs politiques et des groupes corporatistes, et renforcement institutionnel.
  • Spécialisation de la banque privée en banque d'investissements afin qu'elle développe le marché des capitaux par l'achat et la vente d'actions des entreprises.
  • Changement du règlement du marché de valeurs de manière à ce qu'il n'y ait qu'une seule bourse au niveau national.
  • Réglementer et baisser le coût des commissions de bourse.
  • Développer le marché des futurs des matières premières au moyen d'un programme d'achats publics et de centres de distribution et de stockage de produits agricoles.
  • Augmentation du capital actions des entreprises de l'Etat pour que les petits épargnants aient des alternatives d'investissement plus rentables, plus sûres et contribuent au développement du pays.
  • Augmentations du capital des nouveaux projets stratégiques de développement de l'Etat et des gouvernements municipaux et provinciaux, ouvertes à toute la population.
  • Emission d'obligations hypothécaires pour financer les projets de logements de l'Etat.

COMMENTAIRES

N'étant pas un spécialiste financier, je ne suis pas en mesure de porter un jugement qualifié sur ce point très important du plan de gouvernement, et me contente de présenter quelques remarques.

Le réseau des coopératives d'épargne et de crédit est le seul qui ait résisté à la tempête financière et monétaire de 1999. Le développement et l'instauration d'instances de contrôle, d'information et de formation à l'échelle du réseau tout entier constituent une excellente initiative.

Le système financier public est décapitalisé et incapable de remplir ses missions du fait qu'il a été pendant de nombreuses années un butin politique des partis traditionnels et des gouvernements successifs. Les mesures préconisées lui restitueraient de réelles possibilités d'action. Malheureusement jusqu'à aujourd'hui, le gouvernement Correa n'a pas donné beaucoup de signes positifs dans ce sens. Au contraire même, un moratoire de dix ans a été offert aux débiteurs de la BNF, alors qu'il est probable que beaucoup de ces prêts n'ont pas été accordés de manière régulière, et qu'un nombre non déterminé d'emprunteurs auraient été capables de rembourser les sommes dues. L'on a renforcé ainsi la culture du non-paiement qui prédomine en Equateur. D'autre part, le président Correa a imposé un candidat douteux à la tête de la même banque, passant par-dessus le préavis négatif de la Surintendance des banques.

Le système financier privé s'est remarquablement récupéré de la crise bancaire de 1999, grâce à la dollarisation et à la restauration de la confiance dans le système qui s'en est suivie. Restent problématiques des taux d'intérêts trop élevés pour les emprunteurs, trop bas pour les placements d'épargne, des coûts annexes des crédits très élevés. Les gouvernements précédents ont été incapables de négocier un accord avec les banques privées pour favoriser l'économie nationale. L'action de l'actuel gouvernement en faveur des banques publiques pourrait leur permettre de concurrencer quelque peu le secteur privé. Mais, seule, l'introduction de grandes banques étrangères sur le marché financier équatorien pourrait changer substantiellement les conditions de concurrence. A cette fin, il faudrait modifier la loi bancaire, qui est inacceptable pour ce type d'établissements. Fidèle à sa méthode, Rafael Correa a durement critiqué les profits excessifs, les intérêts trop élevés, les commissions injustifiées de la banque privée, sans proposer de solutions, à part le rapatriement en Equateur des capitaux placés à l'étranger, pour être placés dans la future Banque du Sud. Heureusement, le nouveau surintendant des banques semble disposé à rechercher des solutions concertées, plutôt qu'imposées, avec le secteur privé, notamment par la segmentation des taux d'intérêt par type de prêt et l'obligation de rendre transparent le coût des crédits.

Un élément nouveau a surgi qui est la participation minoritaire de l'Equateur à la Banque du Sud, un projet ambitieux lancé par Hugo Chavez pour ne plus dépendre des institutions financières multilatérales comme le BID et le FMI, auquel viennent de se joindre le Brésil et l'Argentine. Le fait qu'il n'est pas mentionné dans ce plan d'Alianza Pais tendrait à montrer que la décision d'adhérer est récente, à la suite d'un voyage du ministre de l'Economie et des finances à Caracas.

3. Promotion de l'emploi grâce à un plan national du logement

Les retombées positives générées par un plan de logement sont multiples pour l'économie et la société dans son ensemble, dont les principales sont la grande capacité d'absorption de la force de travail et l'augmentation du patrimoine et de l'estime de soi des foyers. En raison de l'importance du logement pour le développement économique et social, les mesures suivantes seront prises.

A. Promotion de processus locaux de construction participative de logements

On se concentrera sur les secteurs ruraux et urbains marginaux, avec l'aide des gouvernements municipaux et provinciaux, ainsi que celle des petits constructeurs locaux et communautaires. Ces programmes seront financés à des coûts et des délais compatibles avec les revenus des propriétaires et seront canalisés par l'intermédiaire de coopératives locales.

Les programmes ne seront pas conçus uniquement autour du logement comme bien matériel, mais incluront les critères de sécurité, les services publics tels que l'eau potable, le téléphone, l'assainissement, la fourniture de biens et services, les espaces de délassement, de divertissement et de culture et seront intégrés dans un schéma d'organisation territoriale.

B. Programme de financement orienté vers l'achat de logements dans de nouveaux projets d'habitat

Un fond alimentantles lignes de crédit pour le logement sera géré par les banques publiques et privées, ainsi que par les coopératives d'épargne et de crédit et mutualistes. On consolidera le système de subventionnement du logement pour la population la plus pauvre. Et l'on privilégiera l'accès des femmes au logement.

COMMENTAIRES

Une des promesses électorales qui a entraîné le plus d'adhésions à la campagne du second tour de Rafael Correa est son programme en faveur du logement populaire. Alvaro Noboa, son concurrent, avait proposé de son côté un plan tellement irréaliste (300.000 logements par an pendant quatre ans), que le plan peu réaliste de Correa est apparu du coup beaucoup plus viable : 60.000 logements sociaux par an pendant quatre ans, alors que le ministère chargé du logement populaire en a construit 16.700 en 2005. Les deux candidats ont ouvert les inscriptions pendant la campagne et cette démarche démagogique va probablement entraîner beaucoup de déçus chez les électeurs de Correa qui l'ont choisi pour cette raison. Cela ne sera pas la première fois, les candidats à l'élection présidentielle de l'Equateur ont toujours promis beaucoup en matière de logement et tenu très peu. Par exemple, Febres Cordero avait promis 200.000 logements en quatre ans, il en construit 52.000. Taux de réalisation : 26 %.

Les besoins en logements populaires sont en effet immenses, que ce soient des constructions nouvelles, des améliorations aux logements existants, des équipements en services publics de lotissements déjà construits ou une aide pour l'enregistrement des titres de propriété, qui sont les quatre propositions d'Alianza Pais.

La principale promesse de Correa - qui a été tenue au moins sur la mise en place du système sinon sur les objectifs quantitatifs - consiste en doublement du bon de logement neuf - à l'image du bon de développement humain - mais la somme offerte est plus consistante : 1800 + 1800 = 3600 USD. Cependant, cette offre n'est pas aussi généreuse qu'elle ne le paraît, puisqu'une maison populaire basique de 50 m2 revient à environ 8500 USD. L'intéressé doit réunir un apport personnel de 10 % et disposer d'un revenu mensuel compris entre 340 et 550 USD. Beaucoup de ceux qui rêvent d'avoir une maison à eux ne remplissent pas ces deux conditions, sauf s'ils sont disposés à vivre dans des logements d'urgence, dont le coût correspond à peu près au montant du bon.

La finalité de ce plan est double : satisfaire une demande sociale urgente et créer des emplois dans la construction, qui est un moteur important de l'activité économique - quand la construction va, tout va ! -. Si le gouvernement réussit à mettre à disposition les fonds nécessaires et à recruter les 60.000 intéressés solvables, il lui reste à trouver les entreprises capables de mener à bien ces opérations, sur tout le territoire national, et en respectant l'ensemble des spécifications du cahier des charges : urbanistiques, services publics, qualité de la construction et des finitions. Une gageure !

4. Application d'une politique rurale et agricole fondée sur la souveraineté alimentaire

Cette politique cherchera à diversifier, défendre et développer la production agricole et l'élevage durables, profitant de la biodiversité des systèmes et des micro-climats, grâce au renforcement des capacités de production et de gestion des communautés paysannes et indigènes, les circuits de production et de commercialisation des entreprises agricoles et des coopératives existantes et la constitution de nouvelles unités de production recherchant des économies d'échelle.

Elle comprendra la redistribution de la terre, la protection des ressources hydrologiques, la reconnaissance des territoires des nationalités indigènes, en favorisant le sauvetage de la technologie traditionnelle, les innovations et les adaptations technologiques.

Elle favorisera la réactivation agraire en augmentant les bas rendements et la faible compétitivité du secteur par la construction d'infrastructures productives, le crédit, l'assistance technique, à la commercialisation, la formation, l'optimisation des associations entre les productions internes et externes, un pari sur la diversité, l'originalité, la qualité et la coopération.

Elle diminuera la tendance à une utilisation abusive et croissante de l'agrochimie, en développant et stimulant la production organique, ainsi que la tendance à une modernisation exclusivement basée sur la concentration des actifs et des opportunités. Elle s'efforcera d'affronter les causes structurelles de la pauvreté rurale, en créant des emplois non agricoles par l'offre de services liés aux paysages et aux identités culturelles locales. Il s'agira de construire un monde rural pluriel, intégré et participatif, garant de l'environnement. Un effort particulier sera entrepris dans les territoires marginaux, exposés à l'émigration.

Cette politique impulsera une commercialisation directe dans les centres urbains, évitant le réseau monopolistique des intermédiaires, assurant l'approvisionnement, la distribution et la régulation des prix des produits sur les marchés en créant des réseaux solidaires.

Enfin, elle mettra sur pied des systèmes d'assurance contre la perte des récoltes et de la production du fait des problèmes climatiques, ainsi que de prévention et de réaction devant ces phénomènes.

Cela entraîne une véritable révolution agraire. La plupart des agriculteurs et des paysans devront acquérir de nouvelles connaissances, compétences, attitudes et valeurs. Cela implique aussi la revalorisation des connaissances ancestrales des communautés et des peuples indigènes. Le système éducatif rural devra être transformé de manière à inculquer des notions pratiques pour la vie et le travail à la campagne, y compris celles liées au développement du potentiel touristique. Il faudra dépasser le malentendu entre ce que les écoles rurales enseignent et ce que les élèves ont réellement besoin d'apprendre.

Les services publics devront s'ajuster aux demandes de la campagne, et non le contraire. Un processus de véritable décentralisation devrait permettre de baisser le coût de l'électricité et du téléphone dans les zones rurales et les petites villes.

Seront également impulsés des programmes massifs de logements ruraux, ainsi que la consolidations des marchés ruraux et des pratiques communautaires. On encouragera aussi le développement d'écoles supérieures d'agriculture, orientées prioritairement vers l'acquisition de technologies simples et peu coûteuses, compatibles avec les faibles ressources dont les producteurs disposent. C'est à ces conditions que les grands projets de lutte contre la pauvreté rurale réussiront.

COMMENTAIRES

Ce programme ambitieux entraîne des considérations semblables à celles qui ont été émises à propos des points précédents et de ceux qui suivent : un dispositif général adéquat et bien intentionné, une absence de programmation financière et dans le temps, l'incertitude sur la façon de réunir les moyens financiers et humains pour sa réalisation. Une des premières mesures concrètes qui a été prise - le subventionnement de l'urée - est en contradiction avec le principe d'une diminution de l'utilisation d'engrais agrochimiques. Elle est dans la ligne de toutes les décisions du gouvernement Correa depuis ses débuts, qui consiste à prendre des mesures générant un degré élevé d'adhésion, dont il espère des retombées sur le plan électoral pour obtenir la majorité absolue à l'Assemblée constituante.

5. Redistribution des terres

L'Equateur fait partie du groupe de pays qui présente la plus grande concentration de terres en Amérique latine. La réforme de la détention des terres s'appuiera sur la construction de consensus dans la société civile et sur des politiques publiques explicites et délibérées. La réforme envisagera la distribution des terres non seulement en fonction de leur extension, mais aussi en fonction de leur qualité et fomentera aussi bien la propriété individuelle que communale, en accord avec la population de chaque territoire.

Cette action se focalisera sur les plus pauvres, avec ou sans terre. On garantira aux femmes des opportunités équivalentes ou meilleures que celles des hommes, afin qu'elles accèdent aux droits de propriété de la terre et à celui de léguer, par la titularisation de leurs biens.

Ces mesures seront complétées par des politiques d'accès au crédit, à la formation et aux marchés, par une politique fiscale progressive : ceux qui possèdent plus de terres doivent payer plus. Cela favorisera la redistribution de la richesse, sans laquelle la pauvreté ne disparaîtra pas.

6. L'Etat achètera de manière préférentielle à des producteurs équatoriens

Les budgets de toutes les institutions et entreprises de l'Etat doivent être au service de la société équatorienne et doivent contribuer aux objectifs de développement national et de génération d'emploi. L'Etat central comme les entreprises et entités publiques, les gouvernements municipaux et régionaux doivent favoriser la participation des micros, petites et moyennes entreprises aux marchés publics. Par exemple, les déjeuners scolaires seront élaborés à partir de la production alimentaire de chaque canton. Même chose pour les fournitures scolaires, de papeterie, les uniformes, ou les produits de nettoyage pour les entreprises et les institutions publiques. Les produits équatoriens doivent être préférés.

Le prétexte de prévenir la corruption ne doit pas empêcher la participation des micros, petites et moyennes entreprises à ces marchés. Elles doivent disposer de l'information pertinente et des outils technologiques nécessaires pour la traiter, afin de s'y positionner, quitte à créer des regroupements pour obtenir des économies d'échelle pour être compétitifs.

COMMENTAIRES

Ce principe n'est satisfaisant qu'en apparence, et son application pourra se révéler contestable et compliquée. Si la préférence nationale peut être la règle par rapport aux produits importés, la préférence régionale ou locale n'est valable qu'en fonction de la disponibilité, de la qualité et du prix des produits. On conçoit bien, par exemple, que la cantine d'un collège public achète le lait, le pain et les légumes sur place. Mais elle devrait pouvoir se réserver la possibilité de ne pas acheter les pâtes à la fabrique locale parce que, par exemple, à prix égal, elles sont moins savoureuses.

D'autre part, la prévention de la corruption n'est pas nécessairement un prétexte : dans le même cas des pâtes, on pourrait soupçonner à juste titre que l'achat de ce produit à la fabrique locale s'appuie sur des critères de choix biaisés. Pour bien faire, l'économe de ce collège devrait-il s'investir dans une mission d'amélioration de la qualité de la production de la fabrique locale, parce qu'elle est locale ? Jusqu'où faudrait-il aller avec ce genre de raisonnement, qui risque d'alourdir la gestion administrative et d'aller à fin contraire de ce qui est recherché par ailleurs : baisse des coûts de fonctionnement, agilité et efficacité du secteur public.

Il me semble nécessaire de laisser une marge d'appréciation aux gestionnaires dans l'arbitrage entre les critères de bonne gestion et ceux de soutien à l'économie locale, régionale et nationale.

7. Démocratie économique et développement durable

On va retrouver dans ce point essentiel pour l'économie nationale une approche plus dogmatique et plus vague que l'approche pragmatique et spécifique qui a prévalu dans la réingénierie du système financier. Beaucoup de ces déclarations bien intentionnées risquent de buter sur les obstacles financiers et humains déjà mentionnés.

L'agenda économique du gouvernement reprend cette perspective en visant à "atteindre un développement durable pour l'Equateur par la justice sociale et la liberté, repositionnant l'Etat comme planificateur, régulateur et promoteur de l'économie, en harmonie avec le secteur privé".

D'entrée, il faut exclure le néolibéralisme, les ajustements structurels, la soumission au FMI ou à la Banque mondiale. Le gouvernement d'Alianza Pais signera une lettre d'intention avec le peuple équatorien et non avec les organismes multilatéraux de crédit.

Cet engagement a pour conséquence le choix d'une dynamique économique basée sur le développement durable du potentiel national, l'accès équitable aux moyens de production, la justice sociale, la protection de l'environnement, l'incorporation de la valeur ajoutée, le développement de la compétitivité et de l'autogestion. Il sera le support de la démocratie économique qui assurera une croissance qualifiée et une distribution impartiale de ses bénéfices.

Dans ce schéma, le pétrole, l'énergie électrique et les télécommunications doivent être la propriété de tous les Equatoriens, le patrimoine des générations présentes et futures. Dans ces conditions, le développement national sera économiquement productif, socialement juste et égalitaire, durablement écologique et respectueux de la diversité culturelle.

Pour y parvenir, on prendra les mesures suivantes.

A. Développement de la compétitivité nationale

La compétitivité est la pierre angulaire de la réactivation productive. On financera à cette fin des programmes de recherche et d'innovation technologique en collaboration avec les universités du pays. On mettra sur pied des processus de gestion publique comprenant la mesure des résultats atteints afin de promouvoir un appareil étatique efficient et productif et on orientera l'investissement public vers le renforcement de l'infrastructure productive, sociale et les services publics de qualité requis par les secteurs de la production. On établira une politique fiscale offrant des avantages fiscaux aux secteurs à haute génération d'emploi et enchaînements dans l'économie, tels que l'agriculture et l'élevage, la construction, le tourisme, l'écotourisme, la pêche, l'industrie. Le cadre institutionnel définissant les règles du jeu sera renforcé et adapté de façon à appuyer cette transformation, diversification et réactivation productives.

B. Politique énergétique souveraine

L'Equateur doit intégralement repenser son secteur énergétique et introduire une planification stratégique. Le pétrole et ses dérivés, l'électricité, le bois et toutes les autres énergies renouvelables doivent recevoir un traitement intégrateur et rénovateur. Le pétrole n'est pas une ressource renouvelable. Ses années sont comptées. Selon le taux d'extraction et les technologies utilisées, les réserves de brut pourraient avoir un horizon qui approche le quart de siècle. Des mesures adéquates doivent être prises avant d'atteindre la date où le pétrole cessera d'être une source importante de devises et où l'Equateur en deviendra importateur.

La reconnaissance de ces limites oblige l'Equateur à adopter une stratégie d'extraction à long terme et à ne pas livrer la plus grande partie de la rente pétrolière à des entreprises étrangères. Produire plus dans les circonstances actuelles ne présente pas d'avantages pour la société.

Il ne s'agit pas simplement d'augmenter la production de pétrole, mais d'optimiser son extraction sans causer plus de dégâts à l'environnement et aux communautés de l'Amazonie.

En résumé, l'exploitation des hydrocarbures suppose une diminution du patrimoine de l'Etat, ce qui nécessite une politique qui lui permette d'avoir un contrôle réel de cette ressource stratégique.

Il faut préparer les conditions non traumatiques vers une économie non pétrolière. L'expérience a démontré que le pétrole ne va pas résoudre les problèmes financiers existants. Cela requiert le renforcement de l'entreprise étatique, Petroecuador, comme axe du développement pétrolier national, la participation du capital privé dans les tâches d'exploration et d'exploitation, particulièrement celles qui requièrent un investissement à risque, n'étant qu'un élément complémentaire. Le gouvernement réservera à Pétroecuador les champs où le risque technologique est moindre pour les développer au moyen d'alliances opératives ou stratégiques. Dans les opérations privées, le paramètre à évaluer pour les appels d'offre sera le volume des investissements à réaliser pendant les cinq premières années, et non pour la durée totale de l'exploitation, du fait que les investissements au cours des années suivantes peuvent être prélevés sur les bénéfices.

Il est essentiel que le pays ne soit plus un importateur net de combustibles. Les projets de traitement et industrialisation d'hydrocarbures doivent être réalisés en prenant en compte le développement intégral du pays, avec une approche de planification contraignante. Il est également nécessaire de profiter de l'actuelle conjoncture intégrationniste qui s'amorce en Amérique latine pour insérer le pays dans ce mécanisme et profiter des avantages qu'il apporte. C'est dans ce scénario que l'Etat peut le mieux définir ses priorités en fonction des intérêts nationaux et du développement harmonieux de l'économie nationale.

Il sera tenu compte des dénonciations des organisations écologistes concernant les politiques pétrolière, minière, de protection des forêts et des îles Galapagos. La modernisation des raffineries s'effectuera selon trois dimensions : qualité des produits dérivés, contrôle des déchets et gestion des impacts. Une partie des revenus pétroliers devra être investie dans la récupération du développement durable en Amazonie. On pourrait également envisager un moratoire de l'activité pétrolière dans la partie sud de cette région, en gelant les réserves pour une utilisation future pour autant qu'elle ne menace sa principale richesse, la biodiversité.

La revendication de la souveraineté énergétique et financière de l'Equateur devra conduire à la révision des contrats qui ne servent pas l'intérêt national et au strict respect des autres. Il sera également nécessaire que la production des dérivés permette de garantir la demande nationale par l'amélioration de la capacité de raffinage et des accords d'intégration avec les pays de la région, notamment le Venezuela.

Bien que les prix actuels du pétrole n'incitent pas à faire des investissements dans un processus de substitution énergétique, l'économie et la société demandent une transformation profonde de la consommation d'énergie vers des sources renouvelables. Le pays a d'énormes potentialités, par exemple la production de bioéthanol.

Le sous-secteur électrique doit également subir des modifications importantes. La décapitalisation des entreprises est inacceptable, comme le vol d'électricité par de grands consommateurs dans des entreprises de distribution corrompues par des magouilles politicardes. Les contrats de fourniture devront être revus au niveau national et international. Il n'est pas possible de continuer à construire des centrales thermiques dont les coûts d'exploitation et environnementaux sont insupportables. Pour la construction d'une vigoureuse infrastructure hydroélectrique, il convient d'envisager aussi bien de grands projets que de petites et moyennes centrales, auxquelles les communautés seront invitées à participer.

Il est également nécessaire d'organiser et de moderniser les marchés énergétiques, qui sont viciés par des déformations structurelles, des subsides inéquitables (comme celui du gaz domestique) et des concepts erronés. Il ne s'agit pas simplement d'augmenter le prix des combustibles, il faut développer une approche qui combine les points de vue énergétique et social, en fonction de chaque ressource.

Les efforts pour favoriser une utilisation rationnelle de l'énergie sont insuffisants, comme les incitations à recourir aux énergie alternatives : solaire, éolienne, géothermique, biomasse, marémotrice. C'est particulièrement urgent dans les îles Galapagos où il faudrait supprimer l'utilisation de combustibles polluants. Les expériences réalisées fourniraient des connaissances qui pourraient être transposées sur le continent.

COMMENTAIRES

Je ne suis pas non plus un expert pétrolier, mais personne ne niera que la politique énergétique de l'Equateur depuis vingt ans est la plus absurde que l'on puisse imaginer. Si le seul mérite de Rafael Correa était de mettre fin à la corruption et à la gabegie qui y règne, cela lui suffirait pour prendre une place honorable dans l'histoire de l'Equateur.

Si le cadre tracé dans cette partie du plan est général et ne s'appuie pas suffisamment sur des projets concrets, la politique proposée répond bien aux déficiences constatées. Une impasse possible provient de l'importance que les revenus pétroliers doivent jouer dans le paiement de la "dette sociale" promis par Rafael Correa et l'affirmation selon laquelle les ressources restantes doivent être utilisées de manière raisonnée, ou encore qu'un moratoire doit être imposé pour la protection des peuples indigènes vivant dans le sud de l'Equateur où gisent d'importantes réserves.

Le récent accord préliminaire conclu avec Petrobras pour l'exploitation des champs pétroliers de l'ITT (Ishpingo- Tambococha - Tiputini) montre bien les limites de ces bonnes intentions. Il s'agit de champs situés dans une réserve de l'Amazonie où vivent des tribus qui refusent le contact avec la civilisation. Le pétrole qui pourrait y être extrait est très visqueux et devrait être raffiné sur place avant d'être transporté. L'impact sur l'environnement de ces installations et les risques de pollution sont très élevés, ce qui a amené le ministre de l'Energie et des mines à proposer de trouver des pays ou des organisations internationales prêts à indemniser l'Equateur pour le renoncement à exploiter ce gisement, dans une perspective inverse de celles de l'achat des droits à polluer, mais visant le même objectif. La signature de cet accord met-elle fin à l'alternative écologique et humanitaire ? Cela n'est pas clair.

Une autre impasse peut résulter d'une attitude presque hostile, au début de son mandat, manifestée par le président et le ministre de l'Economie et des Finances à l'égard des investisseurs étrangers, et d'un comportement erratique en matière de remboursement de la dette extérieure qui a donné l'impression que l'Equateur n'était pas un pays fiable dans ce domaine, face à la nécessité de recourir à des capitaux étrangers pour l'exploration pétrolière et la construction d'infrastructures. Le Venezuela d'Hugo Chavez a promis beaucoup dans ce domaine, mais l'ordre de grandeur des investissements à effectuer est tel que le gouvernement équatorien devra se tourner vers d'autres pays, sans doute moins compréhensifs, pour mener à bien sa politique. Si l'on ajoute les seuls coûts de l'exploitation de l'ITT, la construction d'une nouvelle raffinerie dans la province de Manabi, la rénovation de la raffinerie de la province d'Esmeraldas, la récupération des champs pétroliers de Petroecuador et le forage de nouveaux puits, plus quelques autres infrastructures urgentes, la facture sera supérieure à dix milliards USD.

Dans le secteur électrique, la situation n'est pas meilleure, malgré l'énorme potentiel de l'Equateur en matière d'électricité d'origine hydraulique, dont le développement a été arrêté pour donner la préférence à des centrales thermiques privées, fortement polluantes et produisant une électricité chère.

Une impasse identique à celle déjà mentionnée peut surgir de la contradiction entre les impératifs d'augmentation de la production d'énergie hydraulique ou alternative (solaire, éolienne, biomasse, géothermique) et l'hostilité des milieux écologiques et indigènes, souvent arc-boutés sur des positions extrémistes.

Alors qu'on approche des cent premiers jours du gouvernement, on ne voit pas se profiler la concrétisation des principes et des mesures énoncées dans ce plan, notamment l'épuration, la restructuration et la réorganisation de l'entreprise pétrolière nationale, Petroecuador et de ses filiales, qui devrait être la priorité des priorités du ministre de l'Energie et des Mines.

La question des subsides aux combustibles

Cette question mérite un traitement à part. En effet, l'Equateur va consacrer 2700 millions USD en 2007 pour subventionner les combustibles destinés aux transports publics et privés, à la production d'électricité thermique et au gaz domestique. Si ces subsides étaient destinés à l'achat de produits dérivés sur le marché national, ils seraient acceptables, malgré les inconvénients mentionnés plus bas. Ils sont par contre totalement aberrants dans la mesure où le pays importe ces produits aux prix du marché international, (exception faite des récentes livraisons de diesel par PVDSA). Une grande partie des exportations de pétrole du pays ne sert en fait qu'à payer la facture de ces importations.

L'agenda économique 2007 a inscrit comme investissement prioritaire la construction d'installations de stockage du gaz des champs pétroliers qui sont actuellement brûlés, répandant des centaines de millions de tonne de CO2 dans l'atmosphère. C'est un premier pas.

Ces absurdités économiques et écologiques trouvent leur origine dans ce qu'on appelle ici les" paquetazos", les paquets d'augmentations annuelles du temps où la monnaie nationale, le sucre, était encore en usage, et exposée à une politique commode de dévaluation destinée à conserver un avantage compétitif aux exportations du pays. Début janvier, le gouvernement augmentait en particulier le prix des combustibles, ce qui déclenchait une série d'augmentations en chaîne et de véhémentes protestations de la part des organisations sociales et indigènes. Avec l'arrivée du dollar, les "paquetazos" auraient dû disparaître immédiatement, puisque l'outil de la dévaluation n'était plus disponible. Cela n'a pas été le cas, ce qui fait que les manifestations d'opposition ont augmenté d'intensité, mettant en danger la stabilité du gouvernement. Depuis janvier 2003, les prix du gaz, de l'essence et du diesel sont pratiquement bloqués à des niveaux très bas.

Un facteur aggravant est que la politique des deux voisins de l'Equateur est au contraire de rapprocher le prix des combustibles de ceux du marché international. Par exemple, le prix du litre de diesel est de 0,24 USD en Equateur, 0,52 en Colombie et 0,87 au Pérou. Le prix de la bouteille de 15 kgs de gaz est de 1,60 USD et il est environ 8 fois plus élevé en Colombie, et encore plus au Pérou. L'incitation à l'exportation en contrebande de ces combustibles est irrésistible, soit par voie terrestre, soit par voie maritime.

De manière incompréhensible, l'Etat équatorien n'a fait jusqu'à maintenant que de faibles efforts pour tenter d'arrêter ce trafic. Comme les bénéfices sont gigantesques pour les contrebandiers, ceux-ci peuvent facilement acheter les policiers, les militaires, les douaniers chargés de le réprimer. L'actuel gouvernement va démarrer un plan de lutte contre la contrebande de combustibles qui mobilise tous les intervenants déjà mentionnés. Cependant, les effectifs militaires et policiers ne peuvent être soustraits en permanence à leurs autres missions et, comme les contrebandiers sont aussi en mesure de se procurer des informations sur les opérations de contrôle, il leur suffit d'attendre un peu qu'elles se relâchent pour pouvoir recommencer à profiter de ce trafic lucratif.

En ce qui concerne le gaz, fourni pour l'essentiel en bouteilles identiques à celles que l'on trouve en France, il existe un double marché : gaz à usage domestique en bouteille de 15 kgs, très fortement subventionné, gaz à usage industriel et commercial en bouteille de 45 kgs, au prix du marché. Le gaz à usage domestique était à l'origine destiné aux ménages défavorisés, mais en raison du manque de contrôle par les autorités, il profite aussi au reste de la population, qui aurait les moyens de le payer à son vrai coût et, pire encore, il est détourné pour d'autres utilisations incorrectes et massives : cuisines des restaurants et des hôtels, chauffage des piscines et des serres agricoles, taxis, artisanat et industrie. C'est une autre forme de contrebande, intérieure, celle-là, et les deux formes conjuguées représentent des centaines de millions USD qui pourraient être employés à meilleur escient.

L'actuel gouvernement a remis à 2008 la solution de ce problème, sur lequel tous les précédents se sont cassés les dents, faute de l'avoir centré sur la recherche d'un consensus avec les mouvements sociaux et indigènes, qui ont fait de cette subvention une revendication intangible, malgré son caractère économiquement et socialement absurde. La solution envisagée est, toujours et encore, la même : vente au prix du marché de la bouteille de 15 kgs et focalisation de la subvention sur les bénéficiaires du bon de développement humain, dont le montant serait augmenté de la différence. La seule nouveauté est que cette solution serait soumise à une consultation populaire pour son approbation. Pour qu'elle ait quelque chance d'être approuvée, il me semblerait utile de prévoir l'étalement de l'augmentation du prix du gaz, et de la subvention correspondante, sur 3 ou 5 ans. Cela permettrait aussi de diminuer l'impact de cette mesure sur les augmentations en cascade qu'elle ne manquera pas de provoquer et sur le coût de la vie et l'inflation.

Aucune décision n'a par contre été prise sur l'évolution du prix des combustibles destinés aux transports. Or, il paraît évident que le gaspillage des ressources, qui pourraient être utilisées à d'autres fins socialement désirables, va continuer à exister aussi longtemps que les différentiels de prix actuels subsisteront avec la Colombie et le Pérou. Le lobby des transports privés est très puissant en Equateur et il est évident qu'il est en mesure d'imposer des réajustements des tarifs en fonction de l'augmentation des combustibles, dont l'effet sur le coût de la vie et l'inflation serait considérable et frapperait la population la plus défavorisée.

On ne voit pas d'issue satisfaisante à cette question, si ce n'est l'augmentation des revenus réels, qui est l'objectif final du gouvernement, "une économie orientée vers le bien-être de tous les habitants" qui permettrait d'assumer les augmentations des coûts des combustibles sans diminution du niveau de vie. Seule une concertation nationale vers une politique contractuelle à moyen terme permettrait de réunir autour de ce double objectif - des prix de combustibles rationnels, une augmentation planifiée du niveau de vie - tous les milieux économiques concernés et les mouvements sociaux et indigènes. Rien ne permet de discerner l'esquisse d'une telle orientation chez les responsables gouvernementaux.

C. Déclaration effective du secteur électrique et du secteur des télécommunications en tant que secteurs stratégiques

Aussi bien les entreprises du Fond de solidarité [un organisme étatique autonome destiné à lutter contre la pauvreté et éliminer l'indigence, dont les ressources proviennent d'entreprises et de services publics] que les entreprises privées de ces secteurs doivent être soumises à un processus de réingénierie stratégique, afin d'améliorer la compétitivité du pays, l'accès à ces services et leur coût. A cette fin, les contrats d'achat d'énergie à l'étranger [Colombie et Pérou] seront révisés, l'encaissement des factures d'électricité sera amélioré, les pertes et le vol d'énergie seront diminués. Les contrats des entreprises de téléphonie mobile seront renégociés, les coûts d'interconnexion entre réseaux seront supprimés, les tarifs seront réduits, les niveaux de couverture seront étendus sur le plan national et international.

D. De la domination à l'harmonie avec la nature

On propose la conservation et la gestion durable des ressources naturelles, renouvelables et non renouvelables, de la biodiversité et des ressources génétiques, ainsi que la protection des forêts primaires, amazoniennes, andines, du nord de la province d'Esmeraldas ; la conservation et l'utilisation durable des hauts plateaux ; la préservation des îles Galapagos, des mangroves, des parcs nationaux et des réserves ; la récupération des sols dégradés et des lits des cours d'eau.

On propose l'utilisation de technologies propres par l'intermédiaire d'avantages fiscaux ; le contrôle de la contamination dans les villes ; le contrôle et l'audit des entreprises pétrolières qui causent des problèmes sociaux et environnementaux (déversement de brut) ; l'assignation de ressources pour la restauration de l'environnement ; le contrôle de la contamination des sols, de l'eau, de l'air ; la préservation des cultures humaines qui coexistent avec les écosystèmes naturels, particulièrement en Amazonie.

On propose la participation active des mouvements sociaux et écologiques dans la conception, l'exécution et l'évaluation des politiques environnementales.

E. Souveraineté financière

Il est nécessaire de revaloriser le caractère national des institutions financières. Cela implique récupérer et augmenter son autonomie par rapport aux flux de capital transnational, comme base et complément d'une production qui recouvre les potentialités internes et le marché intérieur, ainsi que le contrôle de l'Etat sur les ressources naturelles, en particulier énergétiques.

La tâche consiste à construire une économie capable d'affronter le chantage permanent des puissances impériales et de ses centres financiers privés ou multilatéraux. Seulement à cette condition, on récupérera la capacité de concevoir et appliquer une politique économique autonome qui ne soit pas dépendante du capital transnational. Cela passe par la restructuration de la gestion des finances publiques et de ses institutions financières, la consolidation d'un front financier étatique et faire passer l'épargne interne avant l'endettement externe.

Il faut souligner la nécessité impérieuse de revaloriser ce qui est nôtre, la richesse millénaire et la sagesse de nos peuples : " Vivre ce qui est nôtre pour les nôtres ", devrait être une norme d'organisation et d'action. Cela implique influencer activement les modèles de consommation étrangers à la réalité nationale, écologiquement insupportables, socialement inéquitables et même économiquement indésirables.

COMMENTAIRES

Dans ce paragraphe, on revient une nouvelle fois sur des principes déjà abordés auparavant et l'on passe de la finance à la culture d'une manière assez inconséquente. On voit mal en effet comment le retour à des valeurs culturelles antiques pourrait trouver une application dans le domaine financier. D'autre part, les Equatoriens, comme presque tous les autres peuples de la terre, se sont jetés goulûment sur les modèles de consommation étrangers, avec la complicité des trois millions d'émigrés qui vivent aux Etats-Unis, en Espagne, en Italie ou ailleurs en Europe. Les faire revenir 500 ans en arrière va s'avérer un défi herculéen.

Peut-être vaudrait-il mieux s'atteler à une tâche qui n'est même pas évoquée dans le paragraphe précédent (l'harmonie avec la nature) : la mise en place prioritaire d'un système, décliné sur le plan national, régional et local, de tri des ordures et de récupération des matières premières, à laquelle la grande distribution et les commerçants devraient être associés dès sa conception. Jusqu'à présent, les projets du ministère de l'Environnement ne sont pas encore sortis des bureaux.

8. Relations économiques internationales

A. Politique souveraine d'insertion dans le monde

Le point de départ de cette stratégie est de renforcer le marché interne comme plateforme de lancement de l'Equateur dans le contexte international, sans négliger la consolidation des marchés existants qui devront se diversifier et se développer par une action conjointe de l'Etat et de l'appareil productif. Au fur et à mesure que le marché interne s'étend, les producteurs, même les exportateurs, trouveront un intérêt toujours plus grand à vendre dans leur propre pays des biens ou des facteurs de production pour l'industrie de biens de consommation destinés au plus grand nombre. Cela permettra au secteur d'exportation de s'intégrer complètement à l'économie nationale et de développer des lignes de production plus compétitives sur le plan international, tout en tournant à l'avantage d'une nouvelle forme de coexistence et de coévolution avec la nature, comme axe de vraie durabilité. En perdant son caractère d'enclave, le secteur exportateur générera des revenus plus élevés et de l'emploi dans les autre secteurs et segments de l'économie.

Le gouvernement d'Alianza Pais fera tout son possible pour rendre inviable le Traité de libre commerce avec les Etats-Unis, qui, à l'évidence, ne convient pas au pays.

B. Politique souveraine de la dette extérieure

L'Equateur a besoin d'une vision à court, moyen et long terme du problème de l'endettement - public et privé - et une conception stratégique pour y faire face, basée sur les principes suivants :

  • Le paiement de la dette extérieure ne peut être à aucun moment un frein pour le développement humain ou une menace pour l'équilibre environnemental.
  • Il n'est pas non plus acceptable, du point de vue du droit international, que les remboursements de la dette extérieure soient utilisés comme des moyens de pression politique pour qu'un état créancier, ou une instance contrôlée par les états créanciers, impose des conditions à un état débiteur, telles que les ajustements ou les réformes structurels.

Ce principe permet à l'Equateur de développer sa propre politique économique et de ne pas rester soumis aux conditionnements du FMI et de la Banque mondiale. Toutes les parties impliquées doivent recevoir un traitement équitable. Les processus d'endettement impliquent un engagement de coresponsabilité entre créanciers et débiteurs, sur la base de l'égalité et de l'équité, appuyées sur la logique de l'état de droit. Un mécanisme de résolution des conflits liés à la dette dans un tribunal international assurerait un traitement équitable aux débiteurs et aux créanciers. Seuls les représentants gouvernementaux et privés sont intervenus et non ceux de la société civile, qui est pourtant la plus touchée par la gestion de la crise de la dette.

Il faut établir des paramètres clairs pour le service de la dette contractée, et renégociée dans des accords définitifs et légitimes qui garantissent le respect de l'engagement pris, sans affecter le développement du pays débiteur.

De cette manière, le service de la dette ne pourra affecter les investissements sociaux ni le potentiel de développement, dans le cadre du budget de l'état. On propose que le service de la dette ne puisse excéder les montants destinés à l'investissement social et à la défense nationale.

On devra partir de la capacité réelle de paiement de l'Equateur. L'existence d'un excédent est une condition pour le paiement de la dette, sinon on ne sortira pas de la spirale sans fin qui consiste à contracter une nouvelle dette pour payer l'ancienne. On pourrait introduire le principe selon lequel les pays créditeurs achètent les produits des pays endettés.

On introduira aussi des clauses de contingence pour le commerce extérieur et les finances internationales qui entraîneraient la suspension des paiements, dans le cas d'une baisse importante des prix des matières premières. Il en irait de même au cas où le taux variable de l'intérêt dépasserait une limite supérieure.

Les processus de réduction de l'endettement par le rachat de la dette ne pourraient jouer que lorsque c'est dans l'intérêt de l'Equateur et en aucun cas pour permettre la spéculation et la génération des gains extraordinaires en faveur des détenteurs de bons.

Si cela s'avère nécessaire, le gouvernement d'Alianza Pais utilisera l'arme du moratoire ou suspension du paiement de la dette. Il l'utilisera à coup sûr pour interrompre le paiement de toute dette corrompue, odieuse ou non recouvrable, et pour obliger les créanciers à changer les règles du jeu.

On exigera le paiement des dettes historiques et écologiques à leurs responsables, aussi bien extérieurs qu'intérieurs, en alliance avec la société civile du nord [Etats-Unis et Europe ?].

COMMENTAIRES

J'ai déjà abordé les problèmes liés à la dette extérieure de l'Equateur à propos de la révolution éthique : un combat frontal contre la corruption et la Commission nationale d'audit de la dette extérieure. Je suis revenu aussi à plusieurs reprises sur le ton agressif utilisés tant par Correa que par certains de ses ministres contre les organismes prêteurs qui me semble contreproduisant. Dans le cas du plan de gouvernement, il s'agit d'un document interne à la diffusion restreinte, mais la rhétorique est la même. Aucune personne de bonne foi ne peut nier qu'il y a eu des abus manifestes dans ce domaine, mais il est le fait dans la plupart des cas d'Equatoriens, détenteurs de la dette cherchant à maximiser leurs gains et de ministres qui se sont laissés imposer des conditions draconiennes par les institutions financières multilatérales par intérêt ou par manque de compétence ou d'habileté.

Comme c'est souvent le cas dans ce document, la logique impositive l'emporte et l'Equateur se comporterait comme il reproche aux puissances impérialistes de le faire. Un pays qui a confiance en lui peut négocier avec ses partenaires en renonçant à utiliser l'arme de la menace ou du chantage, mais ce n'est visiblement pas ce que pensent les rédacteurs de ce paragraphe.

Dans son exposé sur l'agenda économique 2007, Rafael Correa a visiblement changé de ton. Il n'est plus question de ne pas payer les dettes illégitimes, mais de renégocier les échéances. Plus que l'insistance sur la souveraineté de l'Equateur, c'est la recherche de la coopération et de l'intégration avec les autres pays et économies d'Amérique du sud qui sont mises en avant pour affirmer leur présence sur les marchés mondiaux, ainsi que le positionnement de l'Equateur dans le bassin du Pacifique. Le réalisme a fini par triompher, au moins sur le plan extérieur.

C. Le secteur des télécommunications, une priorité nationale

Bien que sur le plan mondial, les télécommunications soient le moteur du développement des pays, d'importants secteurs de l'Equateur - production, éducation, santé - n'ont pas un accès adéquat aux services de télécommunication telle que la téléphonie fixe et l'Internet.

Ce secteur devra se constituer en un facteur de développement, dans un environnement transparent, juridiquement sûr pour l'investissement, stimulant pour l'usage massif des technologies de l'information, débouchant sur une véritable société de l'information.

Le secteur doit être un instrument de construction et de formation d'une nouvelle société, basée sur des principes et des valeurs non négociables, garantissant une plus grande participation de la société dans la conception du type de programmation dont a besoin le pays, en promouvant des formes de contrôle modernes et la dénonciation de programmes de bas niveau moral et culturel, en exigeant la fourniture de ces services par le biais de la diffusion de contenus adéquats pour le public à des horaires adaptés.

Il sera considéré comme un secteur stratégique, défini par une politique d'Etat qui viabilise son développement et permette l'introduction de nouvelles technologies dont la finalité est de disposer de services de qualité à des prix raisonnables, et qui soit attrayant pour les investisseurs aussi bien nationaux qu'internationaux, dans un cadre de concurrence libre et loyale, sans négliger l'aspect social, l'accès des milieux défavorisés.

Il faudra modifier d'urgence la loi actuelle sur les télécommunications pour mieux protéger les usagers, sanctionner les violations des régulations, augmenter le pouvoir des organes de contrôle qui devront se rassembler en un seul, empêcher l'ingérence des associations de radios et de télévision. La radio et la télévision seront incluses dans la nouvelle loi organique des télécommunications et des technologies de l'information. Les entreprises du secteur devront apporter un pourcentage de leurs recettes pour le service public. Les systèmes d'information communautaire recevront un appui juridique, politique et économique de la part de l'Etat.

Un plan de développement à quinze ans avec des objectifs nationaux permettra de réaliser ce qui précède et parmi les aspects ponctuels :

  • Apporter l'Internet aux écoles, aux collèges et aux services de santé publics.
  • Créer des télécentres communautaires dans les quartiers périphériques et les zones rurales.
  • Etablir des coûts de concession pour les divers services adéquats et avantageux pour l'Etat.
  • Exiger une amélioration des prestations en faveur de l'usager (qualité de service et tarifs).

Il conviendra de renforcer les entreprises Andinatel [téléphonie fixe de la Sierra], Pacifictel [téléphonie fixe de la Côte], Telecsa [téléphonie mobile], Transelectric [transport de l'électricité] en changeant leurs autorités et leurs administrateurs.

L'absence de politiques publiques et de planification à long terme s'explique par le fait que les autorités qui administrent le secteur des télécommunications répondent à des intérêts économiques et/ou politiques du gouvernement ou de groupes puissants, ce qui a pour conséquence que ces entités publiques négligent les véritables intérêts de l'Etat. Cela a permis l'apparition de pratiques monopolistiques qui aboutissent à une perte de la liberté d'expression et d'opinion. Au cours des dernières années, le secteur a été conduit sous les schémas du néolibéralisme et a débouché sur la décapitalisation des entreprises publiques, entraînant des déséquilibres économiques et exposant les entités à une situation de crises multiples.

Il en résulte la nécessité de lutter avec vigueur contre la corruption dans ce secteur (comme dans le reste du pays), impulser la transparence de tous les processus d'organisation et de gestion du secteur, la restructuration totale, du secteurs des télécommunications, de la radiodiffusion et des technologies de l'information, la rénovation des contrats du service de téléphonie mobile en protégeant les intérêts techniques, économiques et sociaux du pays. Un des grands objectifs de cette politique sera de réduire substantiellement les tarifs et d'améliorer le service, en augmentant la couverture des systèmes d'information à tous les recoins de l'Equateur.

COMMENTAIRES

Il semble y avoir une certaine confusion dans l'esprit des rédacteurs de ce passage entre l'infrastructure technique des télécommunications et les utilisateurs de cette infrastructure que sont les radios et les télévisions, privées en Equateur. Un tel mélange de genres est regrettable, car il peut effectivement conduire à l'attribution sélective de fréquences en fonction de la proximité des demandeurs avec le gouvernement en place (voir l'affaire de RCTV au Vénézuela). Encore pire serait l'intromission de l'Etat dans le contrôle des contenus, qui ne pourrait conduire qu'à une forme plus ou moins ouverte de censure, tâche qui devrait être laissée à une commission spécialisée des associations faîtières de radios et de télévisions opérant en Equateur, dont l'Etat pourrait encourager la création.

Je serais le dernier à nier que la qualité des programmes télévisés équatoriens est, à quelques exceptions près, très médiocre sur le plan informatif, civique et éducatif, mais je pense que l'unique contribution valable que l'Etat peut faire dans ce domaine est de créer ses propres radio et télévision en tentant d'élever le standard de leurs productions de façon à atteindre le niveau d'exigences exprimé ci-dessus. Cela semble bien être dans l'intention du gouvernement d'élaborer un projet de radiotélévision publique, mais aucun délai n'a été fixé pour sa mise en service, qui se révélera coûteuse. En attendant, tant les communiqués du secrétariat à la Communication de la Présidence que ceux des différents ministères ou les "cadenas nacionales" (émissions gouvernementales transmises par les canaux de télévision d'audience nationale) ne se différencient pas de celles des précédents gouvernements, ni ne brillent par leur valeur informative et pédagogique. Dans le cas des "cadenas nacionales", il s'agit plus de propagande gouvernementale que d'information. Quand aux sites web des ministères ou des entreprises publiques, l'information divulguée est trop souvent incompléte, approximative ou périmée. Il faut recourir à des sources privées pour les compléter (essentiellement presse et institutions spécialisées).

Il est donc essentiel de bien distinguer les différents prestataires et le type de contrôle à leur appliquer : téléphonie fixe, téléphonie mobile, Internet, radiodiffusion, télévision.

Cette précaution prise, il est difficile de ne pas être d'accord avec les propositions faites : lutte contre la corruption, amélioration des prestations, baisse des coûts, généralisation du service à tout le territoire national. Bien que l'Equateur ait un taux d'équipement en portables parmi les plus élevés en Amérique du sud, le coût des communications y bat également un record, avec un niveau de qualité de service médiocre, le 90 % du marché étant couvert par deux compagnies multinationales.

LES LACUNES DE LA REVOLUTION ECONOMIQUE ET PRODUCTIVE

Il y a au moins quatre lacunes dans ce plan, dont deux sont énormes : le secteur du tourisme et celui des transports.

LE SECTEUR DU TOURISME

L'absence d'un plan ambitieux dans ce domaine est surprenante, car depuis plusieurs années, les autorités, depuis le président de la République jusqu'aux préfets et aux maires en passant par la ministre du Tourisme, affirment haut et fort la vocation touristique de l'Equateur.

Certes, seize lignes sont consacrées au tourisme alternatif et durable, qui ne représente, pour le moment, qu'une faible part du produit interne brut de l'industrie touristique, estimé à 632 millions USD pour 2006 par le Conseil mondial du voyage et du tourisme, soit 1,9 % du PIB.

La stratégie proposée par Alianza Pais semble se porter principalement sur la niche que représente le tourisme communautaire, en laissant de côté le tourisme traditionnel, en particulier une importante composante balnéaire - bains thermaux et de mer -, qui a un fort potentiel de développement, pour autant qu'on y réalise des investissements élevés, notamment d'infrastructures.

J'ai examiné ailleurs les forces et les faiblesses du voyage et du tourisme dans les pays andins, dont l'Equateur et je n'y reviens pas, sinon pour dire, en résumé, que les nombreuses faiblesses de l'infrastructure, de la main d'œuvre et du marketing touristiques, de la réglementation gouvernementale en matière de sécurité juridique et de protection de l'environnement, de l'infrastructure des transports, rendent bien nécessaire une action d'envergure pour les pallier.

Enfin, la destination touristique phare de l'Equateur, les Iles Galapagos, qui figure sur la liste des sites inscrits au Patrimoine de l'humanité, est menacée en permanence par le désordre politique et administratif régnant dans le pays et la surexploitation touristique. Rafael Correa vient de décréter l'état d'urgence, mesure qui a reçu l'aval d'une commission de l'Unesco venue enquêter sur place.

LE SECTEUR DES TRANSPORTS

Cette lacune est encore plus surprenante que la précédente, car ce secteur, presque entièrement privé, est une composante essentielle de l'économie, et une de celle qui est le plus touchée par la corruption, l'inefficacité et la basse qualité des prestations, situation qui affecte également le secteur touristique.

La création d'un ministère des Transports - il n'existait jusqu'à présent qu'un ministère des Travaux Publics - devrait permettre de remédier à cette situation en réunissant sous son égide quatre secrétariats spécialisés : transport aérien, transport terrestre, ports, marine marchande. Cependant, comme souvent en Equateur, la nomination de son titulaire par le président a soulevé passablement de critiques, sans qu'il soit possible de déterminer si elles sont justifiées ou non.

Le transport aérien

Cette branche a connu une nette amélioration ces dernières années, en ce qui concerne le trafic interne, avec l'introduction de la concurrence du privé, qui a forcé la compagnie militaire, Tame, à améliorer significativement ses prestations et baisser ses tarifs, et la rénovation des trois principaux aéroports - Guayaquil, Quito et Cuenca -, qui a permis à l'Equateur de réintégrer la catégorie 1. Reste à développer le réseau entre les villes intermédiaires, qui est pratiquement inexistant.

Le gouvernement espère transformer la base aérienne de Manta, actuellement louée à l'armée états-unienne jusqu'en 2009, en hub intercontinental vers l'Asie, la Chine et le Japon.

Le transport terrestre

L'ensemble de la branche connaît des conditions d'inefficience et de dangerosité d'un niveau exceptionnellement élevé.

Cela tient d'abord à l'état du réseau. Le réseau de routes principales est concessionné à des entreprises privées qui perçoivent un péage. Il est en général bien entretenu, mais, comme il ne s'agit pas d'autoroutes, de nombreuses sections sont encombrées et peu rapides. Le réseau secondaire est souvent en mauvais état et n'est praticable en toute sécurité, pendant la saison des pluies, qu'avec des véhicules 4 x 4.

Les transports publics urbains offrent des conditions médiocres - exception faite des lignes principales de Quito, Guyaquil et Cuenca -, dues en partie à des tarifs trop bas, qui ne permettent pas de renouveler le parc des véhicules, de payer et de former convenablement les chauffeurs et les contrôleurs, et en partie à l'insuffisance des contrôles de la part des services techniques - quand ils existent - ou de la police de la circulation, d'où d'innombrables violations - respect des arrêts, des horaires, de la vitesse autorisée, de la fermeture des portes, de la sécurité, de l'autorisation de circuler, de l'état du véhicule et des pneumatiques, etc. -.

La situation est identique en ce qui concerne les transports intraprovinciaux, meilleure, mais pas parfaite, sur les trajets interprovinciaux, bien que les problèmes de la formation des chauffeurs et de leurs conditions de rémunération subsistent. La formation de base et continue est en principe assurée par les associations provinciales de chauffeurs, mais un énorme scandale a révélé que certaines d'entre elles vendaient purement et simplement les permis professionnels aux intéressés au bout de quelques heures de cours. Le transport en taxis est mieux organisé, bien qu'y sévissent les véhicules clandestins, non regroupés dans les coopératives.

Enfin, les autorités régulatrices du transport terrestre sur le plan national et provincial n'ont qu'une autorité limitée sur le secteur par manque de compétence, d'éthique, de cohérence et de professionnalisme. Ces instances ont accordé beaucoup trop de lignes à beaucoup trop d'entreprises, ce qui a créé une concurrence excessive entre les compagnies. Beaucoup de véhicules circulent à moitié vides et n'arrivent à couvrir leurs frais qu'en sous-payant les chauffeurs et leurs aides, qui tentent de se rattraper comme ils peuvent - course aux clients, arrêts fréquents et intempestifs, attentes interminables -. On peut en dire autant de la police de la route et de la circulation dont la seule prestation acceptable est la surveillance du trafic routier pendant les quelques longs week-ends annuels. Le niveau de corruption de ce corps, comme celui de la justice de la circulation - chargée de juger et condamner les infractions des conducteurs - est très élevé.

En ce qui concerne le transport de marchandises, il est réalisé uniquement par la route, puisque le réseau ferroviaire est hors service. Bien que soumis aux mêmes conditions que le transport des personnes, il est plus fiable, probablement en raison des enjeux économiques, les entreprises étant moins tolérantes que les particuliers vis-à-vis des manquements des transporteurs.

Le seul point positif de ce secteur est le bas niveau des coûts de transport et leur stabilité, grâce également au bas coût des combustibles.

Le réseau routier vient d'être déclaré en état d'urgence par le président de la République. Le corps des ingénieurs de l'armée sera associé à la tâche prioritaire de sa remise en état. Encore une fois, la question des coûts et du financement de ce programme de travaux n'est pas précisée. De plus, comme l'état d'urgence suspend les procédures d'adjudication publique, on peut craindre des dérapages dans un secteur où la corruption est difficile à éradiquer. Rafael Correa justifie cette procédure exceptionnelle, pourtant déjà appliquée à quatre secteurs importants - outre le réseau routier, la santé, l'éducation et les Iles Galapagos - parce qu'elle lui permet de mobiliser rapidement les fonds nécessaires, en court-circuitant de lourdes procédures bureaucratiques.

LA BAISSE DE LA TVA

Le plan économique d'Alianza Pais n'aborde pas non plus cette importante question. Pourtant une des promesses de campagne de Rafael Correa était de ramener le taux de la TVA de 12 à 10 %. Cette mesure n'a pas été appliquée immédiatement comme les autres promesses électorales, car elle ne vise pas au premier chef à favoriser la population, puisque le taux de TVA de l'Equateur est déjà l'un des plus bas d'Amérique du sud et que, d'autre part, tous les produits de première nécessité en sont exemptés. La logique de cette réduction est plutôt de favoriser la réactivation économique en abaissant le coût des fournitures à l'artisanat et à l'industrie et en encourageant les classes aisées à consommer. Dans ce cas, la baisse est probablement insuffisante pour avoir un effet significatif et il n'est pas sûr que les fournisseurs vont la répercuter intégralement à leurs clients.

Pour beaucoup d'analystes économiques, cette mesure est inutile et coûteuse, mais dans l'esprit du gouvernement, c'est aussi un moyen de rééquilibrer la charge fiscale entre impôts indirects et directs. Pour compenser la diminution des ressources de l'Etat, qui représente environ 400 millions USD, le gouvernement se propose de faire passer en quatre ans la pression fiscale de 11 % à 13 %, de lutter plus efficacement contre l'évasion et d'élargir la base d'imposition. Le Service des impôts a en outre créé une unité spéciale grands contributeurs qui traitera les dossiers fiscaux des principaux groupes économiques, qui représentent environ 600 entreprises.

LA DEFENSE DES CONSOMMATEURS

Ce thème, pourtant primordial pour la population, notamment en ce qui concerne le pouvoir d'achat, la sécurité alimentaire et la santé, est totalement ignoré par le plan de gouvernement d'Alianza Pais.

Ce thème est mentionné à l'article 92 de la Constitution qui prévoit que les droits des consommateurs seront défendus, et fait l'objet d'une loi organique de défense du consommateur de juillet 2000, moderne et complète. Elle délègue au Défenseur du peuple - dont les fonctions sont assez semblables, mais beaucoup plus étendues, que celles du médiateur dans les pays nordiques - cette tâche, à côté de beaucoup d'autres. Dans la pratique, il est difficile d'avoir raison dans un conflit de consommation courant. Il y a peu d'associations de consommateurs, dont la principale est la Tribune équatorienne des consommateurs et usagers, qui ne dispose que de deux bureaux dans tout le pays et dont l'action est discrète, pour ne pas en dire plus. Le dernier numéro de sa revue date de septembre-octobre 2002. En six ans de présence en Equateur, je n'en ai jamais entendu parler, moi qui suis un auditeur assidu de la radio. Les juges de contraventions prévus dans la loi pour traiter ce type de conflits et de plaintes n'ont pas encore été mis en place, et, en attendant, ce sont les intendants de police qui, eux aussi, exercent de nombreuses fonctions et sont surchargés, qui doivent les suivre.

Un petit exemple dans la province où je vis. Pendant quatre mois, la distribution du gaz domestique a été perturbée par les distributeurs privés désireux d'obtenir une augmentation du prix de la distribution à domicile. Malgré l'intervention du gouverneur, de l'intendant de police, du défenseur du peuple, de la Direction nationale des hydrocarbures, du chef politique du canton, non seulement la distribution à domicile du gaz était gravement déficiente, mais le prix imposé n'était pas respecté, et il était difficile de se procurer les bouteilles au dépôt, au prix officiel de 1.60 USD, poussant au désespoir les ménages d'un canton de 160.000 habitants, obligés de perdre des heures pour se procurer ce combustible, les plus pauvres n'ayant pas d'autre recours que de revenir à la cuisson des aliments au feu de bois.

Dans la perspective d'une démocratie participative qui est celle d'Alianza Pais, les associations de consommateurs de base devraient être une des actions prioritaires du gouvernement, par la création d'un sous-secrétariat de la Consommation, assigné au ministère de l'Economie et des finances ou à celui du Bien-être social.

CONCLUSION

Ma conclusion ne porte pas sur la révolution économique et productive d'Alianza Pais, dont j'ai analysé les points forts, en revenant souvent sur certaines lacunes cruciales, telles l'absence de scénarios de réalisation, de planification à moyen et long terme, d'estimations précises sur les coûts et les sources de financement, avec une seule exception (mais qui ne fait pas partie de ce plan) : le plan décennal d'éducation de l'Equateur.

Je m'intéresse plutôt à ce qui est le fond de ma démarche : confronter le rêve, l'idéal à la réalité, à la pratique. Or, le plan économique du gouvernement 2007 que Rafael Correa vient de présenter me semble être en retrait par rapport à celui d'Alianza Pais, bien qu'il en reprenne la philosophie.

Pour une part, la prudence et la modestie des objectifs généraux est un facteur positif, car il est ainsi plus probable qu'ils seront atteints. Pour une autre part, si l'on en retire les effets rhétoriques maintenant habituels, le noyau dur du plan manque d'ambition, notamment sur la participation et la mobilisation des milieux économiques et des travailleurs pour sa réalisation, et d'éléments concrets et chiffrés sur les objectifs sectoriels à atteindre. Naturellement, cela offre l'avantage que le gouvernement pourra dans tous les cas revendiquer un succès, mais, en même temps, il a perdu l'occasion de générer un élan national pour commencer à transformer les conditions de production de l'Equateur, comme s'il pensait que seule l'administration publique était capable de parvenir à ce résultat.

Un autre élément positif est que, pour une fois, Rafael Correa a abandonné la critique et l'invective depuis les estrades populaires ou les studios radiophoniques pour un exposé sérieux adressé à des décideurs politiques, administratifs, économiques et aux médias. Bien qu'il soit un spécialiste des questions économiques, il est malheureusement retombé dans son travers - acceptable pour un candidat, mais pas pour un gouvernant -, de préférer une présentation politique (ou électorale) des thèmes de l'agenda économique de son gouvernement à une approche technique. Son échec à proposer une stratégie globale associant toutes les forces productives du pays à un projet d'envergure, montre aussi les limites de son leadership politique, basé sur la séduction d'un électorat populaire, largement majoritaire comme les résultats de la consultation sur l'Assemblée constituante le révèlent (81,7 % de oui), apparemment prêt à le suivre aveuglément.

16 avril 2007


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