Un roman..., une critique : L'Enfant de Saturne
Ceux qui, comme Kirk dans un roman Trek, ont pensé qu'Uhura n'était qu'une standardiste mignonne et dotée d'une extraordinaire paire de jambes sont priés de sortir ! Certes, le rôle tenu par Nichelle Nichols est plus proche de la figuration que de l'interprétation. Il a donc dû être difficile, voire impossible, pour l'actrice de montrer toute l'étendue de son talent avec un personnage qui semble parfois avoir été planté dans le décor pour faire joli ou, pire, exotique.
Pourtant, il paraît qu'Uhura reste très aimée des fans de la série classique, preuve que Nichelle Nichols a tout de même réussi à donner à l'officier des communications une personnalité véritable appréciée. Fort heureusement, il nous reste un autre moyen de découvrir le talent de Miss Nichols et, d'une certaine façon, la manière dont elle considère Uhura.
Loin de rester inactive après sa mise en retraite, Nichelle Nichols a écrit un roman de science-fiction (1) que j'ai eu la joie de pouvoir lire. Je me propose de vous livrer en quelques lignes mes impressions.
Résumé
Nous sommes au 21ème siècle, selon le calendrier terrien. La technique permet à présent aux habitants de la Terre de coloniser - pacifiquement, cela s'entend - les autres planètes du Système Solaire. Après la Lune, Mars, les habitants de la Planète Bleue commencent l'exploration scientifique de Titan, satellite de la planète Saturne.
C'est le docteur Nyota Domonique, une sommité de la Science, qui, à bord du vaisseau Dragon's Egg, est chargé de vérifier que Titan est bien dépourvu de vie, comme on le suppose.
Même époque, Planète Fazis. Les Fazisiens, de superbes humanoïdes multicolores et télépathes, ont eux aussi des envies de colonisation pacifique. Leur objectif est le satellite Titan, riche en méthane, substance que les Fazisiens apprécient beaucoup. A bord de son vaisseau, Tetrok, fils du roi Xeniok, est chargé de cette mission.
Tetrok est l'héritier du roi mais ne montera sur le trône que si le Fazrul (le gouvernement fazisien) lui donne son accord. Pour avoir toutes les chances de devenir un bon roi, le jeune homme est conseillé par un Vieux Sage, Krécis, le "Merlin" du prince. Tetrok sait qu'il ne s'agit pas de faire le moindre faux pas car son cousin, Valton et sa cousine, Nebulaesa, en profiteraient pour réclamer le droit de régner sur Fazis.
Les Fazisiens et les Terriens se rencontrent au détour de Titan. Malgré leurs buts similaires et leurs intentions pacifiques, toutes les précautions doivent être prises pour assurer la coexistence entre les deux peuples. Sur Terre, comme sur Fazis, il existe des ambitieux, des peureux ou des indécis qui menacent les bons rapports qu'entretiennent spontanément les deux gouvernements.
Nyota et Tetrok sont chargés de collaborer dans l'exploration de Titan. Il ne faut pas longtemps pour que leurs rapports quittent un cadre strictement professionnel...
Sur Terre comme sur Fazis, on apprend que les deux amoureux ont décidé d'avoir un enfant. Or, le Fazisien ne peut concevoir qu'avec l'autorisation de son gouvernement... Les autorités terriennes s'opposent violemment à la naissance de cet enfant par peur de l'inconnu... Xeniok craint pour la popularité de son fils, le futur roi...
Mais Nyota et Tetrok violent les interdits. Leur fille est artificiellement conçue dans le secret des laboratoires de Krécis. Un jour, ce dernier annonce aux futurs parents que l'embryon, Saturna, est mort... Pour Nyota et Tetrok, c'est la fin de l'histoire.
Mais Krécis a menti et Saturna vient au monde sur Titan...
"La critique est aisée"
Les qualités et les défauts de "l'Enfant de Saturne" sont en effet très apparents.
Premier point positif, le livre contient tout au long de ses pages de multiples références à l'univers trek mais elles ne sont pas envahissantes au point de fermer la lecture à toute personne non familière à la création de Roddenberry ou à ceux qui ne s'y intéressent pas.
La situation (des vaisseaux terriens et multiraciaux partant à la conquête de leur système solaire, l'exploration scientifique et pacifique de l'univers, les contacts amicaux entre les peuples radicalement différents) est très fidèle à celle dans laquelle voyage l'Enterprise.
Je ne pense pas me tromper en imaginant Nyota Domonique à la tête de son vaisseau sous les traits d'Uhura commandant l'Enterprise. D'ailleurs, les deux jeunes femmes se ressemblent physiquement et ont les mêmes passions (l'apprentissage de langues étrangères, notamment).
Les rapports entre Tetrok (dont le nom a d'ailleurs des consonances vulcaines) et Krecis ont des allures de conversation Spock/Sarek. Le vocabulaire parachève cet effet de rapprochement avec une touche d'humour.
Ainsi, par exemple, nous apprenons que les Terriens neutralisent leurs ennemis en les "spockant" (c'est-à-dire en leur faisant une prise vulcaine). On n'est donc vraiment pas loin de Star Trek auquel Nichelle Nichols emprunte aussi, semble-t-il, ses explications scientifiques et aéronautiques d'un agréable semblant de crédibilité - et d'une précision rigoureuse.
Un peintre trouverait matière à son travail dans les superbes descriptions de paysages spatiaux que nous offre Nichelle Nichols. Le lieu de l'action (Titan, aux alentours des anneaux de Saturne) donne évidemment de l'inspiration à l'auteur qui ne se lasse pas de nous décrire le cadre de vie des explorateurs.
Pour peu, on se surprendrai à voir Saturne au-dessus de nos têtes. Un antidote à la monotonie. Le vocabulaire est riche et les métaphores surprenantes et toujours bien à propos.
Les personnages, Terriens ou Fazisiens, ne manquent pas de charme. Nous avons la chance de les connaître intimement : de nombreux flash back nous permettent d'explorer leurs sentiments les plus intimes et les moments importants ou futiles qui ont rempli leur existence.
Leurs rapports sont bien exploités, tissés avec justesse et sensibilité. On apprécie de suivre leurs conversations, mais aussi les pensées parfois haineuses qui les traversent. L'histoire d'amour entre Tretrok et Nyota est empreinte de pudeur, de délicatesse et de fraîcheur, même si elle ne surprend personne.
Reste le message de l'ouvrage. Car loin d'être un ouvrage philosophique, le livre en contient au moins un, héritier direct de la mouvance trekkienne : l'espace est une terre d'accueil pour tous, que chacun a le droit d'exploiter, mais avec respect et de manière judicieuse.
L'amour et l'amitié dépassent toutes les barrières, physiques, raciales, philosophiques, politiques et même génétiques qui peuvent se dresser entre eux.
Les enfants "hybrides" sont les plus solides traits d'union entre deux civilisations et il convient de les considérer comme tels. Le tout nous est distillé dans u style léger et poétique à souhait.
Hélas, force est tout de même de noter les faiblesses de l'ouvrage. En tête de celles-ci, le fait que l'intrigue est archi-convenue. Même pour les non-trek, la rencontre "du troisième type" version fazisienne donne une tenace impression de "déjà-vu".
Le fil de l'intrigue est très fin : l'histoire d'amour de deux êtres que tout sépare et la naissance de leur enfant, dans des circonstance humainement et diplomatiquement inextricables. A cela s'ajoute un manque d'actions navrant.
Les amateurs de batailles spatiales en font pour leurs frais, ainsi que ceux qui apprécient de bons rebondissements. La seule surprise de l'histoire est la naissance de Saturna, cachée à ses parents légitimes.
Malgré la beauté du texte et le foisonnement de détails concernant l'univers de Nyota et de Tetrok, l'histoire laisse une impression de lenteur qui finit heureusement par s'estomper.
Les clichés et les emprunts sont repérables à des centaines de parsecs à la ronde et les flash back, tout indispensables qu'ils soient, rendent la lecture difficile par moments. Un bel ouvrage, donc, mais pas un chef-d'oeuvre. J'ai eu la cruelle impression que les "dérapages" du livre venaient du fait que l'auteur a voulu en faire trop.
Et puisqu'il me faut conclure
Il faut lire "L'enfant de Saturne" quand on apprécie la présence de Nichelle Nichols à bord de l'Enterprise et quand on a envie d'en savoir plus sur la femme qui existe "au-delà d'Uhura", d'autant que certains sentiments donnés à Nyota et Saturna rapprochent étrangement le lecteur de l'auteur.
C'est le livre qui meuble agréablement un vendredi soir pluvieux. Il reste abordable, sensible et distrayant. J'aurais tendance à le rapprocher, par exemple, à un roman de Clarke intitulé "Chants de la terre lointaine"(2).
Je le conseillerais même - pourquoi pas ? - aux adolescents. Ceci dit, il n'est pas "l'ouvrage indispensable à tout Trekker qui se respecte". Disons qu'il reste un complément agréable à toute bibliothèque de science-fiction.
(1) NICHOLS Nichelle, L'enfant de Saturne, Claude Lefrancq Editeur, 1996
(2) CLARKE Arthur, Chants de la terre lointaine, Editions J'ai lu
|